Chapitre 9
Au poste de Katarunk, brumes au-dehors des murs et brumes au-dedans. Brumes glacées au-dehors et brume chaude dedans.
Dans la nuit, brume grise, toute constellée par les étoiles fugaces du gel, et, à l'intérieur, brume bleue de la tabagie.
Au-dehors, brume des vastes espaces à l'odeur fade et froide de tombeau traînant sur la terre obscure ainsi qu'une bête menaçante qui veut forcer l'abri des hommes, et dans la salle du poste, brume odorante, aux volutes harmonieuses s'échappant du fourreau des pipes que l'on fume à satiété, le ventre plein, le cerveau vide.
Swanissit est heureux. Le vieux Sénéca a mangé à s'en faire éclater la panse. Peu bu, car les pouvoirs délirants de l'eau-de-vie l'effraient, et il ne s'y est jamais adonné. De même, il a repoussé la bière et le vin offerts. Mais l'eau, à la saveur terreuse, tirée du puits profond, lui a paru délectable, arrosant les écuellées abondantes de la « sagamité » ou bouillie de maïs. L'excès de nourriture et de tabac, après un long jeûne, et les fatigues de la guerre, ont sur lui les mêmes effets que les boissons excitantes, et il est aussi saoul que les autres. Il rêve au collier de wampum qu'il portera sur ses deux mains devant le conseil des Mères et des Anciens. Il rêve aux présents reçus, aux promesses échangées. Au pays des grandes chasses qui attend le guerrier valeureux de l'autre côté de la vie. Il y a des soirs de festin où le cœur se délecte de satisfaction. Bien qu'il soit encore de ce monde, il s'imagine assez bien que la joie des esprits récompensés est de la même sorte que celle qu'il éprouve ce soir. Rien n'y manque. Et même, ô surprise, tout à coup il voit dressé devant lui le baron de Maudreuil, un autre enfant adopté par lui jadis, qui rit de toutes ses dents en brandissant son coutelas...