ÉPILOGUE Cinq ans plus tard...

Au matin du 17 juillet 1691, Alban Delalande quittait la Bastille dans la voiture de M. de La Reynie, accouru en hâte dès que la nouvelle lui était parvenue : M. de Louvois venait de mourir ! La veille il avait été pris d’un malaise qui l’avait saisi dans le Cabinet même du Roi d’où il était sorti porté par deux valets.

Étrange malaise, d’ailleurs ! Certes, sa santé n’était pas des meilleures depuis quelque temps. L’accumulation de ses charges était écrasante et il travaillait sans discontinuer, aiguillonné par la crainte d’une disgrâce à laquelle, chuchotait-on, Mme de Maintenon œuvrait parce qu’il s’était opposé sans nuances à la publication de son mariage avec le Roi. Certes, il avait de fréquents accès de fièvre qu’il soignait en buvant force eau de Forges qu’il faisait venir, mais nul ne l’eût supposé à cette extrémité. L’homme semblait bâti pour durer et pourtant...

On le rapporta donc dans son appartement de la Surintendance, au bout de l’aile ancienne du château, le long de l’Orangerie. Mis au lit, il fut saigné et purgé. On lui appliqua des ventouses, on lui fit avaler de l’eau apoplectique, des gouttes d’Angleterre et des eaux divines et générales. Rien n’y fit : en un quart d’heure, il était mort...

— Naturellement, conclut La Reynie, le mot de poison court déjà un peu partout...

Mais Alban ne l’écoutait que d’une oreille. Penché à la portière, il dévorait des yeux le paysage parisien baigné de soleil ; il se laissait envahir par les cris de la rue, les bruits de la ville qui lui avaient tant manqué ; il respirait les odeurs - pas toujours suaves d’ailleurs !

— Mais qui étaient celles de la liberté retrouvée. Les murs énormes de la Bastille étouffaient tout cela...

— Où me conduisez-vous ? demanda-t-il.

— Chez toi d’abord pour que tu t’y débarrasses des senteurs de la prison. Ton logis a été entretenu par les soins de M. Sainfoin. Tu as besoin, je pense, de te retrouver toi-même ?

— Ô combien ! J’ai l’impression de renaître... Mais vous avez dit « d’abord » ?

— Ce qui annonce une suite ? Eh bien... ensuite, je t’emmènerai à Saint-Germain.

Le visage dont les traits s’étaient burinés s’illumina :

— Elle m’attend donc toujours ?

— Question idiote ! Elle t’aurait attendu l’éternité s’il l’avait fallu. Son cœur n’est pas de ceux qui se reprennent...

— Alors, allons-y vite, tel que je suis ! Elle s’en souciera peu... et j’ai trop espéré cet instant...

— Tu crois ?

Le trajet entre la Bastille et la rue Beautreillis était court. On arrivait. La voiture stoppa devant la maison.

— Non, ne nous arrêtons pas ! Continuons ! pria Alban.

— Je pense que ce serait dommage, lit La Reynie. Regarde plutôt !...

Alertée par le pas cadencé des chevaux, Charlotte venait d’apparaître sur le seuil de la maison.

— Alban ! cria-t-elle.

Il avait déjà sauté à terre et ils s’élancèrent l’un vers l’autre rayonnants d’un bonheur qui les étranglait à demi. L’instant suivant, ils s’étreignaient, perdus dans ce baiser qu’ils n’espéraient plus. Puis il l’enleva dans ses bras, l’emporta dans la maison dont il referma la porte sur eux d’un violent coup de talon...

Resté seul, La Reynie, revenu de sa surprise, se mit à rire:

— Touche au Châtelet ! cria-t-il au cocher. On n’a plus besoin de nous !

Quelques jours plus tard, Charlotte et Alban étaient mariés et, comme M. Isidore ne voyait pas ce qu’il pouvait faire de mieux, il fit de Mlle Léonie des Courtils de Chavignol une Mme Sainfoin du Bouloy... Bien sûr ils n’eurent pas de progéniture, mais le rôle de futurs grands-parents leur convenait parfaitement...

FIN

Saint-Mandé, novembre 2008

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