Epilogue

Dix-huit mois plus tard, le lundi 24 avril 1617, le pistolet de Vitry délivrait la France de Concini.

La situation était devenue intenable. Grisé par sa fantastique réussite et le pouvoir absolu qu’il s’était arrogé, l’ancien croupier menait train royal, ne sortait qu’entouré de deux cents gentilshommes, tranchait, taillait, délaissant sa femme qu’il se préparait à répudier, dédaignant même la Reine mère à laquelle il n’accordait plus que le don quotidien d’un bouquet de fleurs, traitant le jeune Roi lui-même avec une insolence telle qu’il ne se donnait plus la peine de feindre le moindre respect. Ce n’était toujours pour lui qu’un gamin sans consistance dont il songeait à se débarrasser un jour. Il le faisait d’ailleurs tenir sous une surveillance encore discrète.

Autour de Louis, il n’y avait qu’une poignée d’hommes, fidèles parfois par intérêt mais résolus à tout. Peut-être parce qu’ils ne risquaient rien d’autre que leur vie. Parmi eux, Vitry, capitaine d’une compagnie des gardes.

Tous chasseurs impénitents à l’instar du Roi, leur plan relevait de la cynégétique : il fallait isoler « la bête » de cette foule sans laquelle il ne se déplaçait jamais et pour cela utiliser le pont dormant donnant accès au Louvre entre les portes de Bourbon et de Philippe Auguste.

Ce matin-là, Vitry s’y poste, une dizaine de conjurés bavardant ou baguenaudant dans son voisinage. Arrive Concini avec sa cohorte habituelle. Un bouquet à la main, il lit une lettre que l’on vient de lui remettre et ne s’aperçoit pas de la soudaine fermeture de la porte d’Autriche derrière lui ni de la présence réduite de ses partisans. L’autre porte est à son tour close. Vitry s’avança.

— Au nom du Roi, je vous arrête ! Tonna-t-il.

L’interpellé le regarda, éberlué.

A me20 ?

— Oui, vous !

Concini a alors reculé, cherché son épée mais, plus rapide que lui, Vitry a tiré. Atteint par quatre autres coups de feu, Concini s’écroule dans la boue21- il pleut depuis l’aube ! - et c’est la curée. Ceux de sa suite qui étaient entrés n’ont fait qu’esquisser une défense découragée aussitôt par Vitry.

— Ordre du Roi ! clame-t-il et tout se calme.

Mais les portes sont rouvertes et c’est, au-dehors, une énorme explosion de joie populaire. La nouvelle a filé comme une traînée de poudre et Paris, qui exécrait le Florentin, éclate de bonheur, attirant les chambrières aux fenêtres de Marie de Médicis. L’une d’elles crie à Vitry debout dans la cour :

— Que se passe-t-il ?

— Concini a été tué.

— Mon Dieu ! Mais par qui ?

— Par moi ! Va le dire à ta maîtresse !

Celle-ci, affolée, pique une véritable crise de nerfs mais quand on lui demande si elle veut prévenir elle-même « son amie si chère », elle répond :

— J’ai bien d’autres choses à penser ! Si elle n’entend pas la nouvelle, chantez-la-lui ! (Puis se ravisant, elle ajoute, cruelle .) Dites-lui : E ammazatto.

Le soir même, la Galigaï, arrachée à son appartement bourré de richesses, couchait à la Bastille en attendant la Conciergerie et le procès en sorcellerie qui allait la mener au bûcher avec la seule consolation qu’on lui trancherait la tête avant le feu. Ses cendres rejoindront dans la Seine les restes de son époux, hâtivement enterré d’abord puis déterré et mis en pièces par le peuple.

Après une brève explosion de joie, Louis XIII prit le pouvoir avec un calme, une autorité qui en stupéfièrent plus d’un. On avait tellement l’habitude de le prendre pour un demeuré ! Il s’en expliqua en peu de mots :

— J’ai fait l’enfant sinon je serais peut-être mort !

Il rappela les anciens conseillers de son père, exila sa mère à Blois. Son amour pour elle, si mal payé de retour, s'était changé en fiel ! Elle déménagea avec tout son monde y compris l'imperturbable marquise de Guercheville, ses coffres, ses joyaux, ses serviteurs. Dans le dernier carrosse, il y avait

Monseigneur de Luçon qui s’en allait rejoindre son « évêché crotté ».

Louis XIII le détestait. L’appui de Marie de Médicis et celui de Concini lui avaient valu d’entrer au Conseil et de devenir secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et il avait amené avec lui deux ou trois inconnus qui n’étaient pas sans valeur. Lui-même avait évité au royaume de trop grosses catastrophes mais le jeune souverain ne voyait en lui que le satellite de Concini et le confident de sa mère !

Pourtant, le baron Hubert, Thomas et Lorenza étaient venus à ses genoux plaider la cause d’un homme qu’ils connaissaient bien à présent et qui comptait parmi leurs meilleurs amis... C’était lui qui, six mois plus tôt, avait baptisé dans la chapelle de Courcy un magnifique bébé, le petit Hubert-Armand, que Lorenza avait eu la joie de déposer dans les bras de son époux.

Le Roi les avait reçus avec un visible plaisir, particulièrement Lorenza qu’il aimait bien et dont il savait qu'au jour de l’assassinat, elle avait vainement supplié Henri IV de ne pas quitter le Louvre. Cependant, il maintint l’ordre d’exil.

— Sire, supplia la jeune femme, il a préservé mon honneur et m’a rendu plus que la vie !

— Sire, reprit Thomas, il m’a sauvé la vie !

— Sire, dit enfin leur père, il a sauvé ma famille, mon nom et m’a évité de sombrer dans le désespoir !

— Je sais, soupira le Roi, et Dieu m’est témoin que j’aimerais vous satisfaire mais essayez de me comprendre : il m’insupporte plus que je ne saurais le dire ! Moins je le verrai et mieux je me porterai !

Ils étaient rentrés à Courcy désolés...

Pourtant, ce fut en parfait accord avec le cardinal-duc de Richelieu, son indispensable ministre, que, quinze ans plus tard, Louis XIII faisait de Thomas un maréchal de France !


Saint-Mandé, août 2010

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