Chapitre 2
Angélique demeura plusieurs semaines dans la bourrine de Valentin. La masure basse au ras de l'eau, avec son toit de chaume noirci, comme un gros bonnet de fourrure, était confortable. Un crépi spécial, secret des « huttiers », fait d'argile bleuâtre, de paille et de fumier, recouvrait les murs à l'intérieur d'une sorte de feutre qui pompait l'humidité et protégeait du froid. Il y faisait tiède et sec et lorsque les morceaux de tourbe brûlaient dans l'âtre avec leurs courtes flammes violettes on oubliait presque, tant la chaleur était bonne, le paysage lacustre, gorgé d'eau qui s'appesantissait alentour.
Il n'y avait qu'une seule salle basse, avec à côté une sorte d'appentis, mi-étable, mi-cellier où l'on entendait tinter la clochette d'une chèvre que Valentin avait amenée sur sa « plate » pour le lait de chaque jour et les fromages. Il y avait aussi un bassin de pierre où tournaient les noires anguilles de la « bouillure », une provision de fèves et d'oignons, des pains sur la planche, à mi-hauteur, et une barrique de vin rouge. L'ameublement était hétéroclite. Si le lit, composé d'une couche de fougères sur un bat-flanc, était des plus sommaires, maître Valentin n'avait pas omis d'apporter, au fond de son marais, la « boëte de la Vierge Marie » si chère aux cœurs vendéens. On disait que celle du meunier du moulin des Ablettes était la plus belle de toutes. C'était un étrange monument composé d'un globe de verre sous lequel s'amoncelaient, encadrant un portrait de la Vierge, des fleurs de coquillages ou de perles, des dentelles, des rubans, des breloques de pierres de couleurs et d'authentiques écus d'or disposés en soleil. Angélique, qui la connaissait jadis, éprouvait à la regarder un curieux sentiment de retour en arrière. Un court moment, le temps suspendu la ramenait à son admiration béate d'enfant. Puis, brusquement, elle se retrouvait elle-même, avec les meurtrissures de son corps et de son âme, ses tourments d'adulte grouillant en elle comme les anguilles du bassin. Une ronde infernale, sombre et répugnante, voilà à quoi se réduisaient ses pensées qui parfois lui communiquaient un vertige presque physique. Alors elle s'appuyait au mur. On aurait dit qu'un gouffre s'ouvrait sous ses pieds. Son subconscient l'avertissait d'un danger affreux, rôdant autour d'elle ou en elle. Puis cela s'apaisait et elle retrouvait une certaine quiétude.
Ici, elle n'avait pas envie de fuir devant elle, sans arrêt, comme lorsqu'elle se trouvait sur la terre ferme, pressée d'élever sans cesse des barrages entre elle et l'ostracisme du roi de France dont l'horreur était devenue son idée fixe. Ici, les soldats du Roi ne risquaient pas de la rejoindre. Elle décida d'attendre un peu. Elle sortirait des marais au printemps lorsque débuteraient les offensives. Alors il faudrait qu'elle soit là pour ranimer les courages défaillants, rappeler à chacun l'enjeu de la partie.
Valentin lui apportait des nouvelles. Le pays était calme. Sur pied de guerre, mais calme. On continuait à lever des troupes et, surtout, à lutter contre la faim. Mais, préservé par la rébellion, on n'avait pas eu à engloutir les maigres réserves dans le puits sans fond des réquisitions et des impôts. Aussi le pays subsistait-il. Et l'on se félicitait. « Tout va mieux quand on se débrouille entre soi. » Saurait-on défendre une liberté si nécessaire ?... Chacun s'y préparait aussi.
Maître Valentin venait presque tous les jours. Le reste du temps retournait-il vers son moulin ? Allait-il pêcher, chasser dans les roseaux ? Il arrivait, souvent, avec des nasses pleines, ou des oiseaux aux plumages brillants attachés, tête pendante, autour d'un bâton.
Les habitants de la bourrine parlaient peu. L'abbé, malade, dormait là-haut, dans le grenier à foin. Sa blessure au côté s'était guérie grâce à des cataplasmes d'herbes. Mais il avait souvent la fièvre. Il était comme une ombre dolente et douce entre deux autres ombres, également perdues dans leurs songes. Trois êtres disparates : une femme belle et tragique, un meunier taciturne, à l'esprit lent et bizarre, un petit abbé de cour, pâle et frissonnant, enfermés dans le silence des eaux mortes.
Angélique dormait sur la couche de fougères, recouverte d'une lourde peau de mouton. Elle dormait d'un sommeil total, sans rêves, qui lui était inhabituel jadis. Le drame ne semblait pas avoir laissé de traces dans son être physique. Si elle s'éveillait, elle écoutait, au-dehors, le bruit de la pluie tombant sur la surface lisse des marais, multipliant à l'infini son froissement ténu. Ou bien le coassement des grenouilles, les cris aigus des rats d'eau, l'appel des oiseaux de nuit, tous les chuchotements de la jungle aquatique. Et elle éprouvait une certaine paix.
Lorsque Valentin était là, elle le voyait aussi, la nuit, assis dans le fauteuil de paille et de bois poli. II avait les yeux ouverts et les reflets bleuâtres des flammes glissaient sur ses gros traits mornes et sans expression. Par instants, une lueur naissait au fond de ses orbites. Elle avait l'impression qu'il la regardait. Alors elle refermait les yeux et se rendormait.
Maître Valentin ne représentait rien pour elle sinon une présence familière du passé qui la servait. Il coupait les morceaux de tourbe pour le feu trayait la chèvre, glissait le lait à cailler dans le coffre sous la pierre de l'âtre, préparait la soupe et le poisson et faisait flamber le vin afin que la sauce de la « bouillure » ne fût pas amère. Il eût fait un cuisinier digne de servir sous le grand Vatel. Il lui apportait parfois des paniers pleins de brioches et de tourteaux fromagés préparés avec la plus fine fleur de farine, tourteaux du pays que l'on mange à Pâques et dont la croûte doit être noire et l'intérieur couleur d'or. Il arrivait à Angélique de s'en saisir avec une avidité soudaine. Elle avait toujours très faim. Une lueur qui ressemblait à un sourire s'allumait dans les yeux impavides de l'homme tandis qu'il la regardait planter ses dents blanches dans la pâte. Elle s'arrêtait, éprouvant un malaise, et sortait pour échapper à ce regard.
Lorsqu'elle était arrivée sur la petite île des marais l'hiver régnait encore et les terres inondées ressuscitaient l'estuaire des premiers temps dont les boues salées roulaient des oursins, des mollusques, des coquillages fossiles. Certains oiseaux de mer venaient encore se nicher parfois dans les roseaux Les hauts peupliers, amenés par les Hollandais sous Henry IV, transformaient le paysage marin, ainsi que les aulnes, les trembles, les frênes, dessinés d'une plume noire et minutieuse sur des reflets d'eau ou des brumes légères à la translucide clarté de porcelaine. Des corbeaux criaient haut, planant sur le paysage désolé. Debout dans les roseaux, Angélique laissait son regard se perdre à travers cet assemblage de ramures et de ramilles, de troncs élancés posés sur leur reflet, qui composait l'inextricable architecture du marais. Cette eau-forte, en noir et blanc, fascinait son cœur désespéré et, tout à coup, elle croyait voir passer dans les brouillards Florimond, Charles-Henri et Cantor, trois petites silhouettes perdues qui se donnaient la main. Alors elle criait, en se tordant les bras :
– O mes fils... mes fils !...
Elle criait et sa voix se mourait à travers les immensités jusqu'à ce que l'abbé de Lesdiguière vînt, en trébuchant dans la boue, la prendre par le bras pour la ramener doucement vers la maison.
« Tu as sacrifié tes fils, disait en elle une voix sourde, mauvaise !... Insensée !... Tu n'aurais jamais dû quitter Versailles, jamais dû t'en aller vers les pays d'Orient qui t'ont pervertie. Tu aurais dû faire ta soumission au Roi. Tu aurais dû coucher avec le Roi... » Et elle se prenait à sangloter atrocement en les appelant tout bas et en leur demandant pardon.
Le printemps fut précoce et exubérant, couvrant d'émeraude les vastes étendues, transformant le paysage désolé,-sous une somptueuse parure, et redonnant aux longues cressonnières leur mystère glauque. Les nymphéas, au parfum de cire et de miel, refleurissaient. Les libellules commençaient à sillonner la surface de leur vol fragile, découvrant pour s'y poser des touffes de myosotis et de menthe. On entendait s'ébattre dans les étangs les canards sauvages, les huppes couronnées, les grosses oies cendrées, les hérons précautionneux. Derrière la retombée des branches on voyait passer des barques silencieuses. Le marais est, comme le bocage, un pays aux apparences désertes qui cache une vie multiple et grouillante. Les huttiers, descendants de la race des Colliberts formaient une république nombreuse et indépendante. « Dans les marais, il y a de mauvaises gens qui ne payent l'impôt ni au Roi ni à l'évêque », racontait jadis la nourrice...
On était en mars mais le temps se montrait exceptionnellement doux.
– L'hiver n'aura pas été trop cruel, dit Angélique un soir à maître Valentin. Les génies sont avec nous, il faut croire. Je vais bientôt devoir revenir dans les terres.
Le meunier posait sur la table un pichet de vin rouge fumant et des bols. Le repas était achevé. L'abbé de Lesdiguière était monté se coucher sur sa balle de foin dans le grenier. C'était l'heure où Angélique et Valentin, devant l'âtre, buvaient le vin chaud parfumé d'herbes et de cannelle. Valentin la servit et s'installa sur l'escabeau pour humer, non sans bruit, le breuvage. Elle le regarda comme si elle le voyait pour la première fois et s'étonna de son échine arrondie et puissante sous un justaucorps de drap gris et de ses gros souliers à boucles de métal. Ni bourgeois ni manant. Maître Valentin, le meunier du moulin des Ablettes. Un inconnu qui avait toujours été là.
II la regarda par-dessus son bol. La couleur de ses yeux était grise.
– Tu vas partir ?
Il parlait en patois et elle lui répondit de même.
– Oui, il faut que je sache où en sont nos gens. Avec l'été va venir la guerre.
Il but encore une seconde rasade, une troisième, en respirant bruyamment.
Puis il posa le bol sur la table et se tint debout devant Angélique, les bras ballants, en la fixant avec attention.
Agacée par cette contemplation, elle lui tendit le récipient qu'elle avait vidé.
– Pose cela.
Il obéit et se reprit à la regarder. Il avait un visage grêlé et rougeaud et, derrière ses lèvres entrouvertes, elle devinait ses dents gâtées.
L'ambiance solitaire qui avait été jusque-là indifférente à Angélique lui devint, ce soir-là, oppressante. Elle serra avec nervosité les accoudoirs du fauteuil où elle était assise.
– Je vais dormir, murmura-t-elle.
II fit un pas en avant.
– J'ai mis des fougères toutes fraîches, toutes fraîches cueillies du sous-bois, pour que le lit soit plus doux.
Il se pencha, prit sa main dans la sienne en la regardant avec une attention suppliante.
– Viens avec moi sur les fougères.
Angélique retira vivement sa main comme s'il l'avait brûlée.
– Qu'est-ce qui te prend ? Tu es fou ?
Elle se mit debout, l'examinant avec anxiété. L'horreur qu'il lui inspirait – que tout homme lui inspirait maintenant – l'empêchait de se défendre comme elle l'aurait dû. Son cœur lui battait follement dans la gorge. S'il la touchait, elle allait s'évanouir, comme avec le duc de la Morinière. Elle s'effrayait à l'idée du spasme affreux qui l'avait suffoquée ce jour-là, tandis que le souvenir de la nuit du Plessis s'engouffrait dans sa mémoire et la soulevait d'horreur. Il y avait dans les yeux du meunier une lueur qui lui fit peur. Incertaine et brûlante.
– Valentin, ne me touche pas !
Il la dominait de sa haute taille, un peu voûtée, la lèvre pendante, avec ce même air bête qu'il avait autrefois devant elle et qui la faisait rire.
– Pourquoi pas moi, fit-il avec effort... Moi qui t'aime... qui ai eu toute ma vie prise par l'amour que tu m'avais rivé au cœur... je l'ai assez attendue cette heure... je pensais que ce serait impossible et puis je sais maintenant que tu vas être à moi...
« Comme Nicolas ! songeait-elle avec égarement. Comme Nicolas !... »
– Je te regarde depuis que tu es là. Je te vois grossir comme une belle brebis féconde. Alors le bonheur m'est entré dans le cœur parce que j'ai compris que tu n'étais pas une fée... et que ie pourrais te caresser sans que tu me jettes un sort...
Elle écoutait, sans les comprendre, ces paroles aberrantes qu'il marmonnait dans son patois rauque, doux malgré tout.
– Viens, ma chère, ma belle... viens sur les fougères.
Il s'approcha d'elle et la prit contre lui. Sa main longuement caressa son épaule.
Elle réussit à se dominer et le frappa de toutes ses forces au visage, de ses poings serrés.
– Laisse-moi, manant !
Valentin tressaillit et se recula sous l'affront. Il redevint le meunier des Ablettes dont la contrée redoutait le caractère dur et emporté.
– Comme l'autre fois, gronda-t-il, comme l'autre fois dans la grange la nuit du Chaudaut. Tu n'as pas changé, mais qu'importe. Ce soir je n'ai pas peur, tu n'es pas une fée. Tu paieras. Cette nuit, tu seras à moi.
Il dit ces derniers mots avec une expression de résolution effrayante. Puis, se détournant, d'un pas lourd, il gagna la table et se versa à boire.
– ... J'ai le temps, mais souviens-toi qu'on n'offense pas impunément maître Valentin. Tu m'as mangé le cœur, tu paieras !
Elle pensa qu'il fallait essayer de calmer ce furieux.
– Comprends-moi, Valentin, fit-elle d'une voix brisée, je ne te méprise pas. Mais serais-tu le Roi lui-même que je te repousserais. Je ne peux pas supporter qu'un homme me touche. C'est ainsi. C'est comme une maladie. Comprends-moi...
Valentin l'écoutait avec application, l'œil mauvais. Puis il se passa le revers de la main sur ses lèvres mouillées de vin.
– Ce n'est pas vrai. Tu mens. Y en a bien d'autres dans les bras desquels tu bascules en riant. L'a bien fallu qu'il te touche celui qui t'a mis ton mouflet dans le ventre.
L'expression était du Sud-Ouest mais on l'employait parfois plus au nord. Angélique la connaissait. Un mouflet ! un enfant !...
– Quel mouflet ? dit-elle en le regardant avec une telle incompréhension qu'il faiblit, malgré lui déconcerté.
– Ben dame ! celui que tu portes. C'est même comme cela que j'ai compris que tu n'étais pas une fée. Les fées, à ce qu'on dit, elles ne peuvent pas avoir des enfants des humains. C'est un enchanteur qui me l'a dit. Les vraies fées n'ont pas d'enfant.
– Quel enfant ? cria-t-elle d'une voix aiguë et discordante.
Le gouffre s'ouvrait devant elle. Il était là, béant. La menace surgissait des limbes inconscientes, s'enflait, s'imposait, tandis que dans le vertige qu'elle avait pris tant de fois pour un malaise, elle reconnaissait le lent mouvement d'un être se retournant en elle.
– Tu ne peux pas dire que tu ne le savais pas, commentait la voix du meunier, lointaine ouatée. Ça fait bien cinq ou six lunes que tu le portes.
Cinq ou six lunes !... Mais c'était impossible. Depuis Colin Paturel, elle n'avait aimé aucun homme. Elle ne s'était donnée à aucun...
Cinq ou six lunes !... L'automne !... La nuit rouge du Plessis, coups de feu, le sang, l'incendie, sanglots d'enfants éperdus, hurlements de femmes, spectacle insoutenable des dragons avec leurs hauts-de-chausses dégrafés... Lutte et douleur, humiliation affolante, et cinq lunes plus tard la vérité affreuse.
Elle eut un cri de bête blessée, déchirant :
– Non, NON ! Pas cela !
Pendant ces mois où elle avait chevauché à travers le Poitou, centrée sur un seul but et absente à elle-même, elle ne s'était aperçue de rien. Elle voulait oublier son corps et ne s'interrogeait pas sur ses anomalies qu'elle croyait dues au terrible choc et aux fatigues de ses voyages.
Maintenant elle se souvenait et l'évidence était là. Le fruit monstrueux s'était développé. Il tendait sa robe sous son corselet. Sa taille avait perdu sa finesse. Devant son expression démente, Valentin parut décontenancé. Un silence régna où l'on put entendre, devant la maison, les sauts vifs d'un petit poisson hors de l'eau calme.
– Qu'est-ce que cela peut faire ? reprit le meunier. Tu es encore plus belle.
Il revint vers elle. Elle se dérobait à ses mains tendues, se réfugiant dans les coins sombres, horrifiée et incapable de pousser un cri. Il réussit à la saisir et à la prendre dans ses bras.
À ce moment un coup violent ébranla la porte, le loquet de bois sauta et la haute stature de Samuel de la Morinière s'inclina pour pénétrer dans la masure. Il eut un regard autour de lui et gronda en découvrant le couple.
Depuis le temps qu'Angélique avait disparu, il était dévoré de crainte. On lui avait dit qu'elle était prisonnière du meunier maudit qui la retenait dans les marais par ses enchantements. Trêve de ces superstitions grossières ! Il n'en restait pas moins que ce meunier papiste était un personnage équivoque, dangereux. Pourquoi cette grande dame l'avait-elle suivi ? Pourquoi ne revenait-elle pas ? N'y tenant plus, sans avertir, il s'était fait guider jusqu'à elle.
Il arrivait et il la trouvait dans les bras de cette brute bornée.
– Je te trancherai la gorge, manant, rugit-il en tirant sa dague.
Maître Valentin évita le coup de justesse. Il se baissa et courut se réfugier à l'autre bout de la pièce. La fureur et la déception lui faisaient un masque aussi effrayant que celui du huguenot.
– Vous ne l'aurez pas, dit-il en haletant, de sa voix lourde. Elle est à moi.
– Charogne, pourceau, je te ferai rendre les tripes.
Le meunier était aussi grand et charpenté que le seigneur protestant. Mais il était sans armes. Il commença à se glisser derrière la table, les yeux fixés sur l'arrivant qui, frémissant d'une jalousie insensée, guettait un instant d'inattention pour l'égorger. La lueur du feu avait baissé et noyait d'obscurité les recoins de la salle.
Valentin cherchait à atteindre la haute cognée de bûcheron, invisible derrière la huche.
Angélique se précipita vers l'échelle qui montait au grenier, trébucha dans le foin et, penchée sur le petit Lesdiguière qui dormait profondément, elle le secoua de toutes ses forces :
– L'abbé !... Ils se battent... Ils se battent à cause de moi.
Mal éveillé, le jeune homme considérait avec étonnement, à la lueur de la vieille lanterne pendue aux poutres, cette femme qui claquait des dents, les prunelles dilatées.
Il tendit la main :
– Ne craignez rien, madame, je suis là.
Il y eut, en bas, un beuglement inhumain et le choc sourd d'un corps s'écroulant.
– Écoutez...
– Ne craignez rien, répéta-t-il.
Il prit, près de lui, son épée, puis se glissa le long de l'échelle, derrière Angélique. Ils aperçurent, la race contre terre, le corps foudroyé du patriarche huguenot. Son crâne avait éclaté, ouvrant une plaie rouge et béante dans sa tignasse hirsute.
Près de la table, Valentin buvait à même le pichet de vin. La hache ensanglantée était posée près de lui. Son habit gris avait reçu des éclaboussures. Ses yeux étaient ceux d'un fou.