LIVRE V

I La suprême nuit

«Tu es aimée des dieux, dit le vieux geôlier. Si moi, pauvre esclave, j’avais fait la centième partie de tes crimes, je me serais vu lier sur un chevalet, pendu par les pieds, déchiré de coups, écorché avec des pinces. On m’aurait versé du vinaigre dans les narines, on m’aurait chargé de briques jusqu’à m’étouffer, et si j’étais mort de douleur, mon corps nourrirait déjà les chacals des plaines brûlées. Mais toi qui as tout volé, tout tué, tout profané, on te réserve la ciguë douce et on te prête une bonne chambre dans l’intervalle. Zeus me foudroie si je sais pourquoi! Tu dois connaître quelqu’un au palais.

—Donne-moi des figues, dit Chrysis. J’ai la bouche sèche.»

Le vieil esclave lui apporta dans une corbeille verte une douzaine de figues blettes à point.

Chrysis resta seule.


Elle s’assit et se releva, elle fit le tour de sa chambre, elle frappa les murs avec la paume de la main sans penser à quoi que ce fût. Elle déroula ses cheveux pour les rafraîchir, puis les renoua presque aussitôt.

On lui avait fait mettre un long vêtement de laine blanche. L’étoffe était chaude. Chrysis se sentit toute baignée de sueur. Elle étira les bras, bâilla, et s’accouda sur la haute fenêtre.


Au dehors, la lune éclatante luisait dans un ciel d’une pureté liquide, un ciel si pâle et si clair qu’on n’y voyait pas une étoile.


C’était par une semblable nuit que, sept ans auparavant, Chrysis avait quitté la terre de Genezareth.

Elle se rappela... ils étaient cinq. C’étaient des vendeurs d’ivoire. Ils paraient des chevaux à longue queue avec des houppes bigarrées. Ils avaient abordé l’enfant au bord d’une citerne ronde...


Et avant cela, le lac bleuâtre, le ciel transparent, l’air léger du pays de Gâlil.

La maison était environnée de lins roses et de tamaris. Des câpriers épineux piquaient les doigts qui allaient saisir les phalènes... On croyait voir la couleur du vent dans les ondulations des fines graminées...

Les petites filles se baignaient dans un ruisseau limpide où l’on trouvait des coquillages rouges sous des touffes de lauriers en fleurs; et il y avait des fleurs sur l’eau et des fleurs dans toute la prairie et de grands lys sur les montagnes, et la ligne des montagnes était celle d’un jeune sein...


Chrysis ferma les yeux avec un faible sourire qui s’éteignit tout à coup. L’idée de la mort venait de la saisir. Et elle sentit qu’elle ne pourrait plus, jusqu’à la fin, cesser de penser.

«Ah! se dit-elle, qu’ai-je fait! Pourquoi ai-je rencontré cet homme? Pourquoi m’a-t-il écoutée? Pourquoi me suis-je laissé prendre, à mon tour? Pourquoi faut-il que, même maintenant, je ne regrette rien!

«Ne pas aimer ou ne pas vivre: voilà quel choix Dieu m’a donné. Qu’ai-je donc fait pour être punie?»

Et il lui revint à la mémoire des fragments de versets sacrés qu’elle avait entendu citer dans son enfance. Depuis sept ans, elle n’y pensait plus. Mais ils revenaient, l’un après l’autre, avec une précision implacable, s’appliquer à sa vie et lui prédire sa peine.


Elle murmura:


«Il est écrit:

Je me souviens de ton amour lorsque tu étais jeune...

Tu as dès longtemps brisé ton joug,

Rompu tes liens.

Et tu as dit: Je ne veux plus être esclave;

Mais sous toute colline élevée

Et sous tout arbre vert

Tu t’es courbée, comme une prostituée[2].

»Il est écrit:

J’irai après mes amants

Qui me donnent mon pain et mon eau

Et ma laine et mon lin

Et mon huile et mon vin[3].

»Il est écrit:

Comment dirais-tu: Je ne suis point souillée.

Regarde tes pas dans la vallée,

Reconnais ce que tu as fait,

Chamelle vagabonde, ânesse sauvage,

Haletante et toujours en chaleur,

Qui t’aurait empêchée de satisfaire ton désir?[4]

»Il est écrit:

Elle a été courtisane en Égypte,

Elle s’est enflammée pour des impudiques

Dont le membre est comme celui des ânes

Et la semence comme celle des chevaux.

Tu t’es souvenue des crimes de ta jeunesse en Égypte,

Quand on pressait tes seins parce qu’ils étaient jeunes.[5]

»Oh! s’écria-t-elle. C’est moi! c’est moi!

»Et il est écrit encore:

Tu t’es prostituée à de nombreux amants

Et tu reviendras à moi! dit l’éternel.[6]

»Mais mon châtiment aussi est écrit!

Voici: j’excite contre toi tes amants.

Ils te jugeront selon leurs lois.

Ils te couperont le nez et les oreilles

Et ce qui reste de toi tombera par l’épée.[7]

»Et encore:

C’en est fait: elle est mise à nu, elle est emmenée.

Ses servantes gémissent comme des colombes

Et se frappent la poitrine.[8]

»Mais sait-on ce que dit l’Écriture, ajouta-t-elle pour se consoler. N’est-il pas écrit ailleurs:

Je ne punirai pas vos filles parce qu’elles se prostituent.[9]

»Et ailleurs, l’Écriture ne conseille-t-elle pas:

Va, mange et bois, car dès longtemps Dieu te fait réussir. Qu’en tout temps tes vêtements soient blancs et que l’huile parfumée ne manque pas sur ta tête. Jouis de la vie avec la femme que tu aimes, pendant tous les jours de ta vie de vanité que Dieu t’a donnés sous le soleil, car il n’y a ni œuvre, ni pensée, ni science, ni sagesse, dans le séjour des morts, où tu vas.[10]»

Elle eut un frémissement, et se répéta à voix basse:

«Car il n’y a ni œuvre, ni pensée, ni science, ni sagesse dans le séjour des morts où tu vas.

La lumière est douce. Ah! qu’il est agréable de voir le soleil.[11]

«Jeune homme, réjouis-toi dans ta jeunesse, livre ton cœur à la joie, marche dans les voies de ton cœur et selon les visions de tes yeux, avant que tu ne t’en ailles vers ta demeure éternelle et que les pleureurs parcourent la rue; avant que la corde d’argent se rompe, que la lampe d’or se brise, que la cruche casse sur la fontaine, et que la roue casse au puits, avant que la poussière retourne à la terre, d’où elle a été tirée.[12]»

Avec un nouveau frisson elle se redit plus lentement:

«... Avant que la poussière retourne à la terre, d’où elle a été tirée...»

Et comme elle se prenait la tête dans les mains, afin de réprimer sa pensée, elle sentit tout à coup, sans l’avoir prévue, la forme mortuaire de son crâne à travers la peau vivante: les tempes vides, les orbites énormes, le nez camard sous le cartilage et les maxillaires en saillie.

Horreur! C’était donc cela qu’elle allait devenir! Avec une lucidité effrayante elle eut la vision de son cadavre, et elle fit traîner ses mains sur son corps pour aller jusqu’au fond de cette idée si simple, qui jusqu’ici ne lui était pas venue,—qu’elle portait son squelette en elle, que ce n’était pas un résultat de la mort, une métamorphose, un aboutissement, mais une chose que l’on promène, un spectre inséparable de la forme humaine,—et que la charpente de la vie est déjà le symbole du tombeau.

Un furieux désir de vivre, de tout revoir, de tout recommencer, de tout refaire, la souleva subitement. C’était une révolte en face de la mort; l’impossibilité d’admettre qu’elle ne verrait pas le soir de ce matin qui naissait; l’impossibilité de comprendre comment cette beauté, ce corps, cette pensée active, cette vie luxuriante de sa chair allaient, en pleine ardeur, cesser d’être, et pourrir.


La porte s’ouvrit tranquillement.

Démétrios entra.

II La Poussière retourne à la terre

«Démétrios!» s’écria-t-elle.

Et elle se précipita...


Mais après avoir soigneusement refermé la serrure de bois, le jeune homme n’avait plus bougé, et il gardait dans le regard une tranquillité si profonde que Chrysis en fut soudainement glacée.


Elle espérait un élan, un mouvement des bras, des lèvres, quelque chose, une main tendue...

Démétrios ne bougea pas.

Il attendit un instant en silence, avec une correction parfaite, comme s’il voulait établir clairement sa disponibilité.

Puis, voyant qu’on ne lui demandait rien, il fit quatre pas jusqu’à la fenêtre, et s’adossa dans l’ouverture en regardant le jour se lever.

Chrysis était assise sur le lit très bas, le regard fixe et presque hébêté.

Alors Démétrios se parla en lui-même.

«Il vaut mieux, se dit-il, qu’il en soit ainsi. De tels jeux au moment de la mort seraient en somme assez lugubres. J’admire seulement qu’elle n’en ait pas eu, dès le début, le pressentiment, et qu’elle m’ait accueilli avec cet enthousiasme. Pour moi, c’est une aventure terminée. Je regrette un peu qu’elle s’achève ainsi, car, à tout prendre, Chrysis n’a eu d’autre tort que d’exprimer très franchement une ambition qui eût été celle de la plupart des femmes, sans doute, et s’il ne fallait pas jeter une victime à l’indignation du peuple, je me contenterais de faire bannir cette jeune fille trop ardente, afin de me délivrer d’elle tout en lui laissant les joies de la vie. Mais il y a eu scandale et nul n’y peut plus rien. Tels sont les effets de la passion. La volupté sans pensée, ou le contraire, l’idée sans jouissance n’ont pas de ces funestes suites. Il faut avoir beaucoup de maîtresses, mais se garder, avec l’aide des dieux, d’oublier que les bouches se ressemblent.»

Ayant ainsi résumé par un audacieux aphorisme une de ses théories morales, il reprit avec aisance le cours normal de ses idées.

Il se rappela vaguement une invitation à dîner qu’il avait acceptée pour la veille, puis oubliée dans le tourbillon des événements, et il se promit de s’excuser.

Il réfléchit sur la question de savoir s’il devait mettre en vente son esclave tailleur, vieillard qui restait attaché aux traditions de coupe du règne précédent et ne réussissait qu’imparfaitement les plis à godets des nouvelles tuniques. Il avait même l’esprit si libre qu’il dessina sur le mur avec la pointe de son ébauchoir une étude hâtive pour son groupe de Zagreus et les Titans, une variante qui modifiait le mouvement du bras droit chez le principal personnage.

À peine était-elle achevée, qu’on frappa doucement à la porte.

Démétrios ouvrit sans hâte. Le vieil exécuteur entra, suivi de deux hoplites casqués.

«J’apporte la petite coupe», dit-il avec un sourire obséquieux à l’adresse de l’amant royal.

Démétrios garda le silence.


Chrysis égarée leva la tête.


«Allons, ma fille, reprit le geôlier. C’est le moment. La ciguë est toute broyée. Il n’y a plus vraiment qu’à la prendre. N’aie pas peur. On ne souffre point.»


Chrysis regarda Démétrios, qui ne détourna pas les yeux.

Ne cessant plus de fixer sur lui ses larges prunelles noires entourées de lumière verte, Chrysis tendit la main à droite, prit la coupe, et lentement, la porta à sa bouche.

Elle y trempa les lèvres. L’amertume du poison et aussi les douleurs de l’empoisonnement avaient été tempérées par un narcotique miellé.

Elle but la moitié de la coupe, puis, soit qu’elle eût vu faire ce geste au théâtre, dans le Thyestès d’Agathon, soit qu’il fût vraiment issu d’un sentiment spontané, elle tendit le reste à Démétrios... Mais le jeune homme déclina de la main cette proposition indiscrète.

Alors la Galiléenne prit la fin du breuvage jusqu’à la purée verte qui demeura au fond. Et il lui vint aux joues un sourire déchirant où il y avait bien un peu de mépris.


«Que faut-il faire? dit-elle au geôlier.

—Promène-toi dans la chambre, ma fille, jusqu’à ce que tu sentes tes jambes lourdes. Alors tu te coucheras sur le dos, et le poison agira tout seul.»

Chrysis marcha jusqu’à la fenêtre, appuya sa main sur le mur, sa tempe sur sa main, et jeta vers l’aurore violette un dernier regard de jeunesse perdue.

L’orient était noyé dans un lac de couleur. Une longue bande livide comme une feuille d’eau enveloppait l’horizon d’une ceinture olivâtre. Au-dessus, plusieurs teintes naissaient l’une de l’autre, nappes liquides de ciel glauque, irisé, ou lilas, qui se fondaient insensiblement dans l’azur plombé du ciel supérieur. Puis, ces étages de nuances se soulevèrent avec lenteur, une ligne d’or apparut, monta, s’élargit; un mince fil de pourpre éclaira cette aube morose, et dans un flot de sang le soleil naquit.


«Il est écrit:

La lumière est douce...»

Elle resta ainsi, debout, tant que ses jambes purent la soutenir. Les hoplites furent obligés de la porter sur le lit quand elle fit signe qu’elle chancelait.


Là, le vieillard disposa les plis blancs de la robe le long des membres allongés. Puis il lui toucha les pieds et lui demanda:


«As-tu senti?»

Elle répondit:


«Non.»


Il lui toucha encore les genoux et lui demanda:


«As-tu senti?»

Elle fit signe que non, et subitement, d’un mouvement de bouche et d’épaules (car ses mains mêmes étaient mortes), reprise d’une ardeur suprême, et peut-être du regret de cette heure stérile, elle se souleva vers Démétrios... mais avant qu’il eût pu répondre, elle retomba sans vie, les deux yeux éteints pour toujours.


Alors l’exécuteur ramena sur le visage les plis supérieurs du vêtement; et l’un des soldats assistants, supposant qu’un passé plus tendre avait un jour réuni ce jeune homme et cette jeune femme, trancha du bout de son épée l’extrême boucle de la chevelure sur les dalles.


Démétrios toucha cela dans sa main, et, en vérité, c’était Chrysis tout entière, l’or survivant de sa beauté, le prétexte même de son nom...

Il prit la mèche tiède entre le pouce et les doigts, l’éparpilla lentement, peu à peu, et sous la semelle de sa chaussure il la mêla dans la poussière.

III Chrysis immortelle

Quand Démétrios se retrouva seul dans son atelier rouge encombré de marbres, de maquettes, de chevalets et d’ébauches, il voulut se remettre au travail.

Le ciseau dans la main gauche et le maillet au poing droit, il reprit, mais sans ardeur, une ébauche interrompue. C’était l’encolure d’un cheval gigantesque destiné au temple de Poseidôn. Sous la crinière coupée en brosse, la peau du cou, plissée par un mouvement de la tête, s’incurvait géométriquement comme une vasque marine onduleuse.

Trois jours auparavant, le détail de cette musculature régulière concentrait dans l’esprit de Démétrios tout l’intérêt de la vie quotidienne; mais le matin de la mort de Chrysis, l’aspect des choses sembla changé. Moins calme qu’il ne voulait l’être, Démétrios n’arrivait pas à fixer sa pensée occupée ailleurs. Une sorte de voile insoulevable s’interposait entre le marbre et lui. Il jeta son maillet et se mit à marcher le long des piédestaux poudreux.


Soudain, il traversa la cour, appela un esclave et lui dit:

«Prépare la piscine et les aromates. Tu me parfumeras après m’avoir baigné, tu me donneras mes vêtements blancs et tu allumeras les cassolettes rondes.»

Quand il eut achevé sa toilette, il fit venir deux autres esclaves:

«Allez, dit-il, à la prison de la reine; remettez au geôlier cette motte de terre glaise et faites-la-lui porter dans la chambre où est morte la courtisane Chrysis. Si le corps n’est pas jeté déjà dans la basse-fosse, vous direz qu’on s’abstienne de rien exécuter avant que j’en aie donné l’ordre. Courez en avant. Allez.»

Il mit un ébauchoir dans le pli de sa ceinture et ouvrit la porte principale sur l’avenue déserte du Drôme.


Soudain il s’arrêta sur le seuil, stupéfié par la lumière immense des midis de la terre africaine. La rue devait être blanche et les maisons blanches aussi, mais la flamme du soleil perpendiculaire lavait les surfaces éclatantes avec une telle furie de reflets, que les murs de chaux et les dalles réverbéraient à la fois des incandescences prodigieuses de bleu d’ombre, de rouge et de vert, d’ocre brutal et d’hyacinthe. De grandes couleurs frémissantes semblaient se déplacer dans l’air et ne couvrir que par transparence l’ondoiement des façades en feu. Les lignes elles-mêmes se déformaient derrière cet éblouissement; la muraille droite de la rue s’arrondissait dans le vague, flottait comme une toile, et à certains endroits devenait invisible. Un chien couché près d’une borne était réellement cramoisi.

Enthousiasmé d’admiration, Démétrios vit dans ce spectacle un symbole de sa nouvelle existence. Assez longtemps il avait vécu dans la nuit solitaire, dans le silence et dans la paix. Assez longtemps il avait pris pour lumière le clair de lune, et pour idéal la ligne nonchalante d’un mouvement trop délicat. Son œuvre n’était pas virile. Sur la peau de ses statues il y avait un frisson glacé.

Pendant l’aventure tragique qui venait de bouleverser son intelligence, il avait senti pour la première fois le grand souffle de la vie enfler sa poitrine. S’il redoutait une seconde épreuve, si, sorti victorieux de la lutte, il se jurait avant toutes choses de ne plus s’exposer à fléchir sa belle attitude prise en face d’autrui, du moins venait-il de comprendre que cela seul vaut la peine d’être imaginé, qui atteint par le marbre, la couleur ou la phrase, une des profondeurs de l’émotion humaine,—et que la beauté formelle n’est qu’une matière indécise, susceptible d’être toujours, par l’expression de la douleur ou de la joie, transfigurée.

Comme il achevait ainsi la suite de ses pensées, il arriva devant la porte de la prison criminelle.

Ses deux esclaves l’attendaient là.

«Nous avons porté la motte de terre rouge, dirent-ils. Le corps est sur le lit. On n’y a pas touché. Le geôlier te salue et se recommande à toi.»

Le jeune homme entra en silence, suivit le long couloir, monta quelques marches et pénétra dans la chambre de la morte, où il s’enferma soigneusement.


Le cadavre était étendu, la tête basse et couverte d’un voile, les mains allongées, les pieds réunis. Les doigts étaient chargés de bagues; deux periscelis d’argent s’enroulaient sur les chevilles pâles, et les ongles de chaque orteil étaient encore rouges de poudre.

Démétrios porta la main au voile afin de le relever; mais à peine l’avait-il saisi qu’une douzaine de mouches rapides s’échappèrent de l’ouverture.

Il eut un frisson jusqu’aux pieds... Pourtant il écarta le tissu de laine blanche, et le plissa autour des cheveux.


Le visage de Chrysis s’était éclairé peu à peu de cette expression éternelle que la mort dispense aux paupières et aux chevelures des cadavres. Dans la blancheur bleuâtre des joues, quelques veinules azurées donnaient à la tête immobile une apparence de marbre froid. Les narines diaphanes s’ouvraient au-dessus des lèvres fines. La fragilité des oreilles avait quelque chose d’immatériel. Jamais, dans aucune lumière, pas même celle de son rêve, Démétrios n’avait vu cette beauté plus qu’humaine et ce rayonnement de la peau qui s’éteint.

Et alors il se rappelle les paroles dites par Chrysis pendant leur première entrevue: «Tu ne connais pas mon visage. Tu ne sais pas comme je suis belle!» Une émotion intense l’étouffe subitement. Il veut connaître enfin. Il le peut.

De ses trois jours de passion, il veut garder un souvenir qui durera plus que lui-même,—mettre à nu l’admirable corps, le poser comme un modèle dans l’attitude violente où il l’a vue en songe, et créer d’après le cadavre la statue de la Vie Immortelle.

Il détache l’agrafe et le nœud. Il ouvre l’étoffe. Le corps pèse. Il le soulève. La tête se renverse en arrière. Les seins tremblent. Les bras s’affaissent. Il tire la robe tout entière et la jette au milieu de la chambre. Lourdement, le corps retombe.

De ses deux mains sous les aisselles fraîches, Démétrios fait glisser la morte jusqu’au haut du lit. Il tourne la tête sur la joue gauche, rassemble et répand la chevelure splendidement sous le dos couché. Puis il relève le bras droit, plie l’avant-bras au-dessus du front, fait crisper les doigts encore mous sur l’étoffe d’un coussin: deux lignes musculaires admirables, descendant de l’oreille et du coude, viennent s’unir sous le sein droit qu’elles portent comme un fruit.

Ensuite il dispose les jambes, l’une étendue roidement de côté, l’autre le genou dressé et le talon touchant presque la croupe. Il rectifie quelques détails, plie la taille à gauche, allonge le pied droit et enlève les bracelets, les colliers et les bagues, afin de ne pas troubler par une seule dissonance l’harmonie pure et complète de la nudité féminine. Le Modèle a pris la pose.


Démétrios jette sur la table la motte d’argile humide qu’il a fait porter là. Il la presse, il la pétrit, il l’allonge selon la forme humaine: une sorte de monstre barbare naît de ses doigts ardents: il regarde.


L’immuable cadavre conserve sa position passionnée. Mais un mince filet de sang sort de la narine droite, coule sur la lèvre, et tombe goutte à goutte, sous la bouche entr’ouverte.


Démétrios continue. La maquette s’anime, se précise, prend vie. Un prodigieux bras gauche s’arrondit au-dessus du corps comme s’il étreignait quelqu’un. Les muscles de la cuisse s’accusent violemment. Les orteils se recroquevillent.

... Quand la nuit monta de la terre et obscurcit la chambre basse, Démétrios avait achevé la statue.

Il fit porter par quatre esclaves l’ébauche dans son atelier. Dès le soir même, à la lueur des lampes, il fit dégrossir un bloc de Paros, et un an après cette journée il travaillait encore au marbre.

IV La pitié

«Geôlier, ouvre-nous! Geôlier, ouvre-nous!»

Rhodis et Myrtocleia frappaient à la porte fermée.

La porte s’entr’ouvrit.

«Qu’est-ce que vous voulez?

—Voir notre amie, dit Myrto. Voir Chrysis, la pauvre Chrysis qui est morte ce matin.

—Ce n’est pas permis, allez-vous-en!

—Oh! laisse-nous, laisse-nous entrer. On ne le saura pas. Nous ne le dirons pas. C’était notre amie, laisse-nous la revoir. Nous sortirons vite. Nous ne ferons pas de bruit.

—Et si je suis pris, mes petites filles? Si je suis puni à cause de vous? Ce n’est pas vous qui paierez l’amende.

—Tu ne seras pas pris. Tu es seul ici. Il n’y a pas d’autre condamnés. Tu as renvoyé les soldats. Nous savons tout cela. Laisse-nous entrer.

—Enfin! Ne restez pas longtemps. Voici la clef. C’est la troisième porte. Prévenez-moi quand vous partirez. Il est tard et je voudrais me coucher.»

Le bon vieux leur remit une clef de fer battu qui pendait à sa ceinture, et les deux petites vierges coururent aussitôt, sur leurs sandales silencieuses, à travers les couloirs obscurs.

Puis le geôlier rentra dans sa loge et ne poussa pas plus avant une surveillance inutile. La peine de l’emprisonnement n’était pas appliquée dans l’Égypte grecque, et la petite maison blanche que le doux vieillard avait mission de garder ne servait qu’à loger les condamnés à mort. Dans l’intervalle des exécutions, elle restait presque abandonnée.

Au moment où la grande clef pénétra dans la serrure, Rhodis arrêta la main de son amie:

«Je ne sais pas si j’oserai la voir, dit-elle. Je l’aimais bien, Myrto... J’ai peur... Entre la première, veux-tu?»

Myrtocleia poussa la porte; mais dès qu’elle eut jeté les yeux dans la chambre, elle cria:

«N’entre pas, Rhodis! Attends-moi ici.

—Oh! qu’y a-t-il? Tu as peur aussi... Qu’y a-t-il sur le lit? Est-ce qu’elle n’est pas morte?

—Si. Attends-moi... Je te dirai... Reste dans le couloir et ne regarde pas.»


Le corps était demeuré dans l’attitude délirante que Démétrios avait composé pour en faire la Statue de la Vie Immortelle. Mais les transports de l’extrême joie touchent aux convulsions de l’extrême douleur, et Myrtocleia se demandait quelles souffrances atroces, quel martyre, quels déchirements d’agonie avaient ainsi bouleversé le cadavre.

Sur la pointe des pieds, elle s’approcha du lit.

Le filet de sang continuait à couler de la narine diaphane. La peau du corps était parfaitement blanche; les bouts pâles des seins étaient rentrés comme des nombrils délicats; pas un reflet rose n’avivait l’éphémère statue couchée, mais quelques taches couleur d’émeraude qui teintaient doucement le ventre lisse signifiaient que des millions de vie nouvelle germaient de la chair à peine refroidie et demandaient à succéder.

Myrtocleia prit le bras mort et l’abaissa le long des hanches. Elle voulut aussi allonger la jambe gauche; mais le genou était presque bloqué et elle ne réussit pas à l’étendre complètement.

«Rhodis, dit-elle d’une voix trouble. Viens. Tu peux entrer, maintenant.»


L’enfant tremblante pénétra dans la chambre. Ses traits se tirèrent; ses yeux s’ouvrirent...

Dès qu’elles se sentirent deux, elles éclatèrent en sanglots, dans les bras l’une et l’autre, indéfiniment.

«La pauvre Chrysis! la pauvre Chrysis!» répétait l’enfant.

Elles s’embrassaient sur la joue avec une tendresse désespérée où il n’y avait plus rien de sensuel, et le goût des larmes mettait sur leurs lèvres toute l’amertume de leurs petites âmes transies.

Elles pleuraient, elles pleuraient, elles se regardaient avec douleur, et parfois elles parlaient toutes les deux ensemble, d’une voix enrouée, déchirante, où les mots s’achevaient en sanglots.

«Nous l’aimions tant! Ce n’était pas une amie pour nous, pas une amie, c’était comme une mère très jeune, une petite mère entre nous deux...»

Rhodis répéta:

«Comme une petite mère...»

Et Myrto, l’entraînant près de la morte, dit à voix basse:

«Embrasse-la.»

Elles se penchèrent toutes les deux et posèrent les mains sur le lit, et, avec de nouveaux sanglots, touchèrent de leurs lèvres le front glacé.


Et Myrto prit la tête entre ses deux mains qui s’enfonçaient dans la chevelure, et elle lui parla ainsi:


«Chrysis, ma Chrysis, toi qui étais la plus belle et la plus adorée des femmes, toi si semblable à la déesse que le peuple t’a prise pour elle, où es-tu maintenant, qu’a-t-on fait de toi? Tu vivais pour donner la joie bienfaisante. Il n’y a jamais eu de fruit plus doux que ta bouche, ni de lumière plus claire que tes yeux; ta peau était une robe glorieuse que tu ne voulais pas voiler; la volupté y flottait comme une odeur perpétuelle; et quand tu dénouais ta chevelure, tous les désirs s’en échappaient, et quand tu refermais tes bras nus, on priait les dieux pour mourir.»


Accroupie sur le sol, Rhodis sanglotait.


«Chrysis, ma Chrysis, poursuivit Myrtocleia, hier encore tu étais vivante, et jeune, espérant de longs jours, et maintenant voici que tu es morte, et rien au monde ne peut plus faire que tu nous dises une parole. Tu as fermé les yeux, nous n’étions pas là. Tu as souffert, et tu n’as pas su que nous pleurions pour toi derrière les murailles, tu as cherché du regard quelqu’un en mourant et tes yeux n’ont pas rencontré nos yeux chargés de deuil et de pitié.»


La joueuse de flûte pleurait toujours. La chanteuse la prit par la main.


«Chrysis, ma Chrysis, tu nous avais dit qu’un jour, grâce à toi, nous nous marierions. Notre union se fait dans les larmes, et ce sont de tristes fiançailles que celles de Rhodis et de Myrtocleia. Mais la douleur plus que l’amour réunit deux mains serrées. Celles-là ne se quitteront jamais, qui ont une fois pleuré ensemble. Nous allons porter en terre ton corps chéri, Chrysidion, et nous couperons toutes les deux nos chevelures sur la tombe.»


Dans une couverture du lit, elle enveloppa le beau cadavre; puis elle dit à Rhodis:

«Aide-moi.»

Elles la soulevèrent doucement; mais le fardeau était lourd pour les petites musiciennes et elles le posèrent sur le sol une première fois.

«Ôtons nos sandales, dit Myrto. Marchons pieds nus dans les couloirs. Le geôlier a dû s’endormir... si nous ne le réveillons pas, nous passerons, mais s’il nous voit faire il nous empêchera... Pour demain, cela n’importe pas: quand il verra le lit vide, il dira aux soldats de la reine qu’il a jeté le corps dans la basse-fosse, comme la loi le veut. Ne craignons rien, Rhodé... Mets tes sandales comme moi dans ta ceinture. Et viens. Prends le corps sous les genoux. Laisse passer les pieds en arrière. Marche sans bruit, lentement, lentement...»

V La piété

Après le tournant de la deuxième rue, elles posèrent le corps une seconde fois pour remettre leurs sandales. Les pieds de Rhodis, trop délicats pour marcher nus, s’étaient écorchés et saignaient.

La nuit était pleine de clarté. La ville était pleine de silence. Les ombres couleur de fer se découpaient carrément au milieu des rues, selon le profil des maisons.

Les petites vierges reprirent leur fardeau.

«Où allons-nous, dit l’enfant, où allons-nous la mettre en terre?

—Dans le cimetière d’Hermanubis. Il est toujours désert. Elle sera là en paix.

—Pauvre Chrysis! aurais-je pensé que le jour de sa fin je porterais son corps sans torches et sans char funèbre, secrètement, comme une chose volée.»

Puis toutes deux se mirent à parler avec volubilité comme si elles avaient peur du silence côte à côte avec le cadavre. La dernière journée de la vie de Chrysis les comblait d’étonnement. D’où tenait-elle le miroir, le peigne et le collier? Elle n’avait pu prendre elle-même les perles de la déesse: le temple était trop bien gardé pour qu’une courtisane pût y pénétrer. Alors quelqu’un avait agi pour elle? Mais qui? On ne lui connaissait pas d’amant parmi les stolistes commis à l’entretien de la statue divine. Et puis, si quelqu’un avait agi à sa place, pourquoi ne l’avait-elle pas dénoncé? Et de toutes façons, pourquoi ces trois crimes? À quoi lui avaient-ils servi, sinon à la livrer au supplice? Une femme ne fait pas de ces folies sans but, à moins qu’elle ne soit amoureuse. Chrysis l’était donc? et de qui?

«Nous ne saurons jamais, conclut la joueuse de flûte. Elle a emporté son secret avec elle, et si même elle a un complice, ce n’est pas lui qui nous renseignera.»

Ici Rhodis, qui chancelait déjà depuis quelques instants, soupira:

«Je ne peux plus, Myrto, je ne peux plus porter. Je tomberais sur les genoux. Je suis brisée de fatigue et de chagrin.»

Myrtocleia la prit par le cou:

«Essaye encore, mon chéri. Il faut la porter. Il s’agit de sa vie souterraine. Si elle n’a pas de sépulture et pas d’obole dans la main, elle restera éternellement errante au bord du fleuve des enfers, et quand, à notre tour, Rhodis, nous descendrons chez les morts, elle nous reprochera notre impiété, et nous ne saurons que lui répondre.»

Mais l’enfant, dans une faiblesse, fondit en larmes sur son bras.

«Vite, vite, reprit Myrtocleia, voici qu’on vient du bout de la rue. Mets-toi devant le corps avec moi. Cachons-le derrière nos tuniques. Si on le voit, tout sera perdu...»

Elle s’interrompit.

«C’est Timon. Je le reconnais. Timon avec quatre femmes... Ah! Dieux! que va-t-il arriver! Lui qui rit de tout, il nous plaisantera... Mais non, reste ici, Rhodis, je vais lui parler.»

Et, prise d’une idée soudaine, elle courut dans la rue au-devant du petit groupe.


«Timon, dit-elle (et sa voix était pleine de prière), Timon, arrête-toi. Je te supplie de m’entendre. J’ai des paroles graves dans la bouche. Il faut que je les dise à toi seul.

—Ma pauvre petite, dit le jeune homme, comme tu es émue! Est-ce que tu as perdu le nœud de ton épaule, ou bien est-ce que ta poupée s’est cassé le nez en tombant? Ce serait un événement tout à fait irréparable.»

La jeune fille lui jeta un regard douloureux; mais déjà les quatre femmes, Philotis, Séso de Cnide, Callistion et Tryphèra, s’impatientaient autour d’elle.

«Allons, petite sotte! dit Tryphèra, si tu as épuisé les tétons de ta nourrice, nous n’y pouvons rien, nous n’avons pas de lait. Il fait presque jour, tu devrais être couchée; depuis quand les enfants flânent-ils sous la lune?

—Sa nourrice? dit Philotis. C’est Timon qu’elle veut nous prendre.

—Le fouet! Elle mérite le fouet!»

Et Callistion, un bras sous la taille de Myrto, la souleva de terre en levant sa petite tunique bleue. Mais Séso s’interposa:

«Vous êtes folles, s’écria-t-elle. Myrto n’a jamais connu d’homme. Si elle appelle Timon, ce n’est pas pour coucher. Laissez-la tranquille et qu’on en finisse!

—Voyons, dit Timon, que me veux-tu? Viens par ici. Parle-moi à l’oreille. Est-ce que c’est vraiment grave?

—Le corps de Chrysis est là, dans la rue, dit la jeune fille encore tremblante. Nous le portons au cimetière, ma petite amie et moi, mais il est lourd, et nous te demandons si tu veux nous aider... Ce ne sera pas long... Aussitôt après, tu pourras retrouver tes femmes...»

Timon eut un regard excellent:

«Pauvres filles! Et moi qui riais! Vous êtes meilleures que nous... Certainement je vous aiderai. Va rejoindre ton amie et attends-moi, je viens.»

Se retournant vers les quatre femmes:

«Allez chez moi, dit-il, par la rue des Potiers. J’y serai dans peu de temps. Ne me suivez pas.»


Rhodis était toujours assise devant la tête du cadavre. Quand elle vit arriver Timon, elle supplia:

«Ne le dis pas! Nous l’avons volée pour sauver son ombre. Garde notre secret, nous t’aimerons bien, Timon.

—Soyez rassurées», dit le jeune homme. Il prit le corps sous les épaules et Myrto le prit sous les genoux, et ils marchèrent en silence, et Rhodis suivait, d’un petit pas chancelant.

Timon ne parlait point. Pour la seconde fois en deux jours, la passion humaine venait de lui enlever une des passagères de son lit, et il se demandait quelle extravagance emportait ainsi les esprits hors de la route enchantée qui mène au bonheur sans ombre.

«Ataraxie! pensait-il, indifférence, quiétude, ô sérénité voluptueuse! qui des hommes vous appréciera? On s’agite, on lutte, on espère, quand une seule chose est précieuse: savoir tirer de l’instant qui passe toutes les joies qu’il peut donner, et ne quitter son lit que le moins possible.»

Ils arrivèrent à la porte de la nécropole ruinée.

«Où la mettrons-nous? dit Myrto.

—Près du dieu.

—Où est la statue? Je ne suis jamais entrée ici. J’avais peur des tombes et des stèles. Je ne connais pas l’Hermanubis.

—Il doit être au centre du petit jardin. Cherchons-le. J’y suis venu autrefois quand j’étais enfant, en poursuivant une gazelle perdue. Prenons par l’allée des sycomores blancs. Nous ne pouvons manquer de le découvrir.»

Ils y parvinrent en effet.


Le petit jour mêlait à la lune ses violettes légères sur les marbres. Une vague et lointaine harmonie flottait dans les branches des cyprès. Le bruissement régulier des palmes, si semblable aux gouttes de la pluie tombante, versait une illusion de fraîcheur.

Timon ouvrit avec effort une pierre rose enfoncée dans la terre. La sépulture était creusée sous les mains du dieu funéraire, qui faisaient le geste de l’embaumeur. Elle avait dû contenir un cadavre, jadis, mais on ne trouva dans la fosse qu’une poussière brunâtre en monceau.

Le jeune homme y descendit jusqu’à la ceinture et tendit les bras en avant:

«Donne-la moi, dit-il à Myrto. Je vais la coucher tout au fond et nous refermerons la tombe...»

Mais Rhodis se jeta sur le corps:

«Non! ne l’enterrez pas si vite! je veux la revoir! Une dernière fois! Une dernière fois! Chrysis! ma pauvre Chrysis! Ah! l’horreur... Qu’est-elle devenue!...»

Myrtocleia venait d’écarter la couverture roulée autour de la morte, et le visage était apparu si rapidement altéré que les deux jeunes filles reculèrent. Les joues s’étaient faites carrées, les paupières et les lèvres se gonflaient comme six bourrelets blancs. Déjà il ne restait rien de cette beauté plus qu’humaine. Elles refermèrent le suaire épais; mais Myrto glissa la main sous l’étoffe pour placer dans les doigts de Chrysis l’obole destinée à Charon.

Alors, toutes les deux, secouées par des sanglots interminables, elles remirent aux bras de Timon le corps inerte qui pliait.

Et quand Chrysis fut couchée au fond de la tombe sablonneuse, Timon rouvrit le linceul. Il assura l’obole d’argent dans les phalanges relâchées, il soutint la tête avec une pierre plate; sur le corps il répandit depuis le front jusqu’aux genoux la longue chevelure d’ombre et d’or.

Puis il sortit de la fosse, et les musiciennes à genoux devant l’ouverture béante se coupèrent l’une l’autre leurs jeunes cheveux pour les nouer en une seule gerbe qu’elles ensevelirent avec la morte.


ΤΟΙΟΝΔΕ ΠΕΡΑΣ ΕΣΧΕ ΤΟ ΣΥΝΤΑΓΜΑ

ΤΩΝ ΠΕΡΙ ΧΡΥΣΙΔΑ ΚΑΙ ΔΗΜΗΤΡΙΟΝ

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