Chapitre 76
L'Iroquois avait parlé avant de mourir. Il avait dit :
– Outtaké arrive. Il vous tuera tous, chiens !
On considéra cette annonce, cette sorte de renseignement que semblait lui avoir arraché l'intervention humanitaire d'Angélique, comme un signe de bonne volonté qui lui avait ouvert le ciel. Une âme de plus était en paradis.
Et M. de Frontenac ainsi que M. de Castel-Morgeat s'apprêtèrent à aller au-devant du chef des Cinq-Nations.
On allait entendre parler des chaudières de guerre et les tambours résonnèrent aux alentours de Québec, rassemblant les guerriers algonquins, hurons et abénakis.
Odessonk adressa une harangue à ses jeunes guerriers :
– Jeunesse, prenez courage, rafraîchissez vos cheveux, peignez-vous le visage, remplissez vos carquois. Faisons retentir nos forêts de chants de guerre, désennuyons nos morts et apprenons-leur qu'ils seront vengés.
M. de Frontenac et M. de Castel-Morgeat demandèrent à M. de Peyrac de les accompagner. Ils voulaient s'avancer en force au-devant d'Outtaké, mais pour parlementer. Rien ne s'était passé méritant qu'on déterre la hache de guerre, solennellement enterrée aux abords de Fort Frontenac quelques années plus tôt. Pourquoi Outtaké voulait-il rompre la paix iroquoise ? La présence de son ami Ticonderoga, l'homme du tonnerre, aux côtés des Français et les colliers de Wampum qu'on lui présenterait faciliteraient une explication pacifique.
La difficulté serait de retenir les alliés sauvages toujours très excités. Ce n'était pas la première fois qu'on se trouvait devant cette situation. Frontenac était enchanté. Il raffolait des grandes rencontres avec les Indiens et surtout avec les Iroquois. Il aimait la beauté de leurs discours, leurs discussions retorses, et parvenir à les charmer et à les apaiser par son habileté et la compréhension qu'il avait de leur nature et de leurs sentiments.
Florimond demandait à prendre part à l'expédition. Sa « blonde » du moment, comme on disait communément, avait disparu et il n'était pas sans inquiétude. Ses parents la séquestraient-ils ? L'avaient-ils enfermée ?
Ils avaient été trahis par Euphrosine Delpech dont la maison surplombait celle du mercier Prunelle. Elle avait averti les parents.
– J'ai vu des traces de pas sur votre toit, dans la neige. C'est un voleur ou un galant qui visite votre fille, la nuit.
Le mercier Prunelle n'était pas un homme commode. Il cherchait à découvrir l'identité du chat de gouttière et Florimond, un peu embarrassé de sa personne, accueillait avec plaisir l'idée d'une expédition guerrière au-devant des Iroquois.
L'armée montée sur des canoës soit de trois, soit de dix, soit de douze pagayeurs, quitta Québec sous les vivats et disparut vers le sud, gagnant l'embouchure de la rivière de la Chaudière. Pour parer à toute éventualité, une partie de la flottille continuait vers les Trois-Rivières au cas où la ville serait menacée par les partis de guerre qu'on avait vus rôder vers Saint-François.
Le gouverneur avait remis la responsabilité militaire de la cité au major d'Avrenson.
Joffrey de Peyrac emmenait avec lui le comte d'Urville et une vingtaine de ses hommes.
– Si vous voyez notre seigneur Outtaké, dit Angélique à Peyrac avant de le quitter, rappelez-lui combien je me suis toujours considérée honorée par le cadeau du Wampum qu'il m'a fait envoyer et qui a été brodé par les Mères du Grand Conseil iroquois qui avaient résolu de nous sauver de la famine, l'an dernier. Dites-lui que je le conserve précieusement dans un coffre à portée de ma main, afin de pouvoir retrouver des forces en contemplant ce gage d'amitié.
Et comme chaque fois qu'il s'éloignait, elle se retenait de lui montrer ses craintes.
Elle avait trop appris à l'aimer au cours de cet hiver.
Les confidences, les disputes, les réconciliations, les heures d'amour, les projets, les rêves de réussite, de paix, de retour en France, mais au fond desquels demeurait informulée leur seule et unique aspiration primordiale à leur satisfaction de vivre : demeurer côte à côte et tous les jours que Dieu ferait.
Comment lui expliquer tout cela ? Elle levait ses beaux yeux vers lui. Et comme d'habitude il semblait la deviner et se moquer un peu d'elle.
– Prenez bien garde à vous, dit-il. Je ne veux pas entraver votre esprit d'indépendance, ma belle audacieuse, en attachant à vos pas une escorte. Mais j'aimerais savoir que lorsque vous vous promenez dans la ville, vous avez au moins à votre ceinture l'un de vos pistolets... et prêt à tirer.