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UN BEAU MARIAGE

La basilique Sainte-Clotilde, rue Las-Cases, n’était pas – et de loin – la plus réussie de Paris. Un assez mauvais pastiche du style ogival tardif, bâtie par Ballu sur les instances de la reine Marie-Amélie qui, si elle avait posé la première pierre, ne devait jamais voir sceller la dernière en 1857. Cette église avait un petit quelque chose d’à la fois frivole et protocolaire dû, sans doute, à ce qu’elle était l’une des plus mondaines de la capitale, battant d’une courte tête ses voisines, Saint-Germain-des-Prés et Saint-Sulpice, ainsi que la Madeleine, Saint-Philippe-du-Roule ou Saint-Honoré-d’Eylau, la cathédrale Notre-Dame se situant naturellement au-dessus de la mêlée. Pour ceux que l’on y enterrait, c’était le dernier salon où l’on cause, et pour ceux que l’on y unissait, l’antichambre d’une existence de faste et d’élégance. Elle voisinait avec l’Archevêché et ses organistes, de César Franck à Charles Tournemire, étaient de ceux que l’on écoute avec dévotion.

Ce matin d’hiver, Sainte-Clotilde avait revêtu ses atours de fête en l’honneur d’un grand mariage. Un dais blanc protégeait les marches d’entrée et le tapis rouge coulait jusqu’au ruisseau.

Peu avant midi, de longues voitures brillantes déversèrent aux pieds de deux suisses rouge et or, coiffés de bicornes à plumes et armés de lourdes hallebardes, belles dames et messieurs rivalisant d’élégance. Un festival de fourrures précieuses, de robes de couturiers en vogue, de jaquettes coupées par des artistes, de chapeaux huit-reflets et de bijoux plus ou moins vrais peut-être mais tous magnifiques. On se saluait, on échangeait paroles et sourires avant d’entrer avec solennité dans l’église brasillant de mille cierges allumés et fleurie comme pour la Fête-Dieu. Ce mariage était l’événement de ce mois de février et y assister représentait une sorte de privilège, les invités ayant été triés sur le volet, donc moins nombreux qu’on ne s’y attendait. D’où un agréable sentiment d’importance. Sous le dais, un maître de cérémonie se faisait montrer les invitations. Quant à la presse, elle était parquée avec le menu peuple derrière les grilles protégeant la façade de l’église. Il faisait un froid de gueux mais l’air était sec et un soleil pâlot faisait ce qu’il pouvait.

La dernière voiture à déposer son monde fut une antique mais superbe Panhard & Levassor brillant de tous ses cuivres et de sa carrosserie qui semblait faite de laque noire. Un chauffeur âgé mais d’une tenue admirable la conduisait en majesté. Le valet de pied commis à cet effet se précipita pour ouvrir la portière mais déjà l’un des trois occupants avait sauté à terre et se retournait pour aider ses compagnes à descendre. Il y eut un frémissement chez les journalistes :

— Tiens ! fit l’un d’eux. Voilà Aldo Morosini !

— Le prince expert en joyaux anciens ? Tu es sûr ? s’exclama, excitée, une très jeune femme qui accomplissait son premier stage au Matin sous la houlette de Jacques Mathieu.

— C’est lui, le témoin, la renseigna celui-ci, et si tu veux tout savoir c’est parce qu’il est là que l’on est en train de se geler les pieds. Loin de dire que là où il passe l’herbe ne repousse plus, je peux t’assurer qu’au contraire il y a toujours quelque chose à glaner. Si Michel Berthier du Figaro n’était pas en voyage de noces, il pourrait t’en apprendre davantage : nous avons « couvert » ensemble les crimes de Versailles au printemps dernier !

— Ce qu’il est chic ! soupira l’apprentie reporter qui répondait au nom de Stéphanie Audoin. Il est marié ?

— Plutôt, oui ! Il a épousé Lisa Kledermann, la fille du banquier suisse. Une sacrée belle femme et une sacrée fortune ! Ils ont deux ou trois gosses, je crois !

Nouveau soupir :

— Il y en a qui ont vraiment tout et certains pas assez ! Mais elle n’a pas l’air d’être présente ? Qui sont les deux autres ? On dirait qu’elles se sont trompées de siècle !

— Hé ! Doucement ! Quand on prétend faire la rubrique des mondanités au journal, il vaut mieux savoir à qui l’on a affaire ! C’est le dessus du panier, cette vieille dame : la marquise de Sommières, la grand-tante de Morosini. Elle était à Versailles, elle aussi, et je peux t’assurer que c’est quelqu’un. Tu as vu son allure ? Elle pourrait s’habiller comme au temps d’Henri IV que personne ne s’aviserait de la trouver ridicule.

— Il faut dire qu’avec une pelisse, une toque et un manchon de chinchilla, ça friserait la mauvaise foi ! Tu as raison : elle est superbe ! Et l’autre ?

— Sa demoiselle de compagnie et aussi une cousine. Mlle du Plan… quelque chose. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que ces trois-là ne semblent vraiment pas être à la noce, si j’ose dire !

En dépit des règles sévères du savoir-vivre, c’était évident pour qui savait discerner un sourire naturel d’un sourire de commande et cela tenait en peu de mots : aucun membre du trio ne voyait ce mariage d’un bon œil – trop rapide, trop mal assorti et pour tout dire vaguement inquiétant…


En recevant, un mois plus tôt à Venise, une lettre de son ami Gilles Vauxbrun lui annonçant son prochain mariage et lui demandant d’être son témoin, Aldo avait d’abord cru à une plaisanterie. D’un goût douteux d’ailleurs. Comment imaginer, en effet, qu’après avoir vu, six mois auparavant, les portes de la prison de la Petite-Roquette se refermer sur la dame de ses pensées, l’antiquaire de la place Vendôme ait pu s’enticher d’une nouvelle au point d’être prêt à la conduire à l’autel et à aliéner pour elle une fastueuse vie de garçon à laquelle il semblait tenir ? Exposé à Lisa, sa femme, le problème perdit beaucoup de son mystère. Elle avait commencé par en rire :

— Veux-tu me dire de combien d’affriolantes créatures ton ami Gilles Vauxbrun est tombé amoureux en seulement deux ans ?

— Eh bien, mais…

— On va compter ensemble. Au moment de l’affaire de la perle, il délirait pour Varvara Vassilievich, la danseuse tsigane du Schéhérazade. Cela fait une. Quand tu courais après les joyaux de Bianca Capello aux États-Unis, il a pris feu pour Pauline Belmont, Américaine, veuve d’un baron autrichien et sculpteur de talent. J’admets qu’il y avait de quoi, remarqua la jeune femme en évitant de regarder son mari, mais cela fait deux. L’an passé, il t’a embarqué dans l’exposition de Trianon qui s’est transformée en hécatombe parce qu’il était fou de lady Crawford, née Léonora Franchi, une pulpeuse Italienne mariée à un Écossais qu’il a fallu retirer de la circulation. Et de trois ! J’ouvre une parenthèse pour te faire remarquer qu’avant la Tsigane, le cœur inflammable du bon Gilles devait bien battre pour quelqu’un ?

— Pour autant que je m’en souvienne, il s’agissait d’une cliente… danoise dont j’ai oublié le nom…

— … ce qui est sans importance. Étant donné l’âge de notre Casanova, elle ne devait pas être la première. Ce qui est remarquable d’ailleurs, c’est le côté caméléon de ce cœur d’artichaut dont les feuilles prennent tour à tour les couleurs de nationalités différentes. C’est quoi, aujourd’hui ?

— Sang et or ! La brûlante Espagne ! Doña Isabel de Vargas y… quelque chose. La descendante de grands d’Espagne émigrés avec Cortés.

— Le contraire m’eût étonnée. Dès qu’une fille de la torride Ibérie débarque sur le marché du mariage, c’est toujours celle d’un grand, jamais d’un petit. En fait d’Espagne, je pencherais plutôt pour le Mexique. Où l’a-t-il trouvée ?

— À Biarritz, en novembre dernier. Il y était allé à une vente de château. Il ne m’en a pas dit plus mais, de toute évidence il plane dans les nuages. Le mariage est fixé aux 11 et 12 février.

— Ce n’est pas un peu rapide ?

— Il est pressé : elle n’a que vingt ans et il a peut-être peur qu’elle ne change d’avis. Je ne te cache pas que je n’aime pas beaucoup ça !

Lisa se leva pour venir glisser ses bras autour du cou de son époux :

— Parce qu’elle n’a que vingt ans ? murmura-t-elle après avoir posé sur ses lèvres un baiser léger. Une certaine différence d’âge n’est pas forcément incompatible avec le bonheur. Encore moins avec l’amour et…

— … nous en sommes la preuve ? Comme c’est élégant, princesse, de me rappeler les seize ans qui nous séparent !

Noyant ses mains dans la somptueuse chevelure fauve de sa femme, Aldo posa un baiser sur le bout de son nez puis sur chacun de ses beaux yeux d’une rare nuance de violet, enfin sur ses lèvres où il s’attarda de façon rien moins que conjugale, heureux de sentir le corps élancé se serrer contre le sien.

— Je n’y pense jamais ! protesta-t-elle quand ils se séparèrent… un assez long moment plus tard. En outre, admets qu’entre treize et trente, cela fait une sacrée différence !

— Oh, je sais ! Quoi qu’il en soit, nous devons y aller. Et avec les jumeaux ! Gilles veut qu’ils soient page et demoiselle d’honneur !

Cette idée avait enchanté les intéressés, Antonio et Amelia, cinq ans, mais pour des raisons différentes. Amelia parce qu’elle allait porter une belle robe longue et Antonio parce que, se faisant d’un page une idée personnelle, il était persuadé qu’une épée était l’obligatoire complément du costume. Sa sœur ayant adhéré pleinement à un projet qui la séduisait, les essayages sur fond de revendications à deux voix s’en trouvèrent pimentés, cependant qu’Aldo devait tenir sous clef les coffres et vitrines où il gardait ses armes anciennes. Quand les jumeaux avaient quelque chose en tête, ils en poursuivaient la réalisation avec une constance et une force de caractère nettement au-dessus de leur âge.

Et puis, deux jours avant le départ, leur mère, ayant pris froid en sortant d’une représentation de La Traviata à la Fenice, dut garder le lit avec une grosse bronchite et une forte fièvre. Le médecin se montrait rassurant mais il ne pouvait être question de la faire voyager avec la température polaire qui régnait alors sur l’Europe. C’était la catastrophe.

— Dans ces conditions, déclara Morosini, on ne part plus ! Je vais téléphoner à Vauxbrun…

— Tu ne peux pas faire ça ! protesta Lisa entre deux quintes de toux. Tu es son témoin… et il serait vraiment trop déçu ! Tu y vas tout seul, voilà tout !

— Et nos deux terreurs ? Comment crois-tu qu’ils vont prendre la nouvelle ? Je peux peut-être les emmener.

— Pas sans moi ! Ils feraient devenir chèvre la pauvre Trudi et mettraient la maison de Tante Amélie à feu et à sang. Quant à leur déception, je m’en charge : Luisa Calergi va donner un bal d’enfants pour la mi-Carême. On transformera la robe d’Amelia et Antonio aura son épée.

— Génial ! apprécia Aldo. Mais ils vont être désolés rue Alfred-de-Vigny…

— Tante Amélie et Marie-Angéline doivent venir pour la fête du Rédempteur. Tu sais… dans un sens, je ne suis pas vraiment peinée de ne pas t’accompagner. Je ne sais pas pourquoi, ce mariage précipité ne me dit rien qui vaille. C’est une simple impression mais elle ne me lâche pas.

— Gilles a peut-être fait ce qu’il faut pour qu’il faille se hâter ? Quand il est amoureux, il ne se possède plus, hasarda Aldo.

— Tu rêves, mon chéri. Souviens-toi de ce qu’il a écrit : une pure jeune fille… une infante et presque une madone ! Et mexicaine par-dessus le marché ! Les privautés prénuptiales ne sont pas de mise avec ce genre de fiancée, ou gare à l’entourage !


Aldo en convint, se rangea finalement à l’avis de sa femme et s’embarqua sur la branche du Simplon-Orient-Express qui desservait Venise… en compagnie des deux ravissants tableaux de Guardi qu’il avait choisis comme cadeau de noces. Il savait qu’ils feraient plaisir à Gilles. Et après tout, c’était ce qui comptait. Si le cher garçon trouvait le bonheur dans ce mariage un peu disproportionné, ce n’était pas à ses amis de faire la fine bouche. C’était un homme solide, une autorité dans la profession, et même si ses coups de cœur successifs avaient tendance à le mettre dans un état second, du moment qu’il allait jusqu’au mariage, il fallait que les circonstances fussent exceptionnelles. Ainsi qu’Aldo avait pu s’en rendre compte dans la lettre et au cours d’un bref coup de téléphone, Gilles était vraiment très épris. Cela s’entendait au son grave, solennel, de sa voix, à son style plus sobre. Aldo n’y avait pas retrouvé le grain de folie qui accompagnait ses précédentes aventures. Peut-être parce qu’il allait épouser une vraie jeune fille, qu’il en était conscient, ce qui faisait la différence.

Il en eut confirmation à la gare de Lyon où l’heureux fiancé était venu l’attendre et faillit ne pas le reconnaître dans le long personnage entièrement vêtu de noir – pardessus d’alpaga et chapeau à bord roulé – qui s’avança vers lui, un sourire extatique aux lèvres. Un Vauxbrun sérieusement amaigri, ce qui ne lui allait pas si mal et accentuait sa vague ressemblance avec Jules César. Ce dandy toujours à la pointe de la mode, habillé à Londres, d’ailleurs, n’eût jamais – avant ! – endossé ce genre de tenue, plus adéquate à des funérailles qu’aux courses du petit matin pour venir à l’aube réceptionner un vieux copain dans les courants d’air d’une gare parisienne. Il ne put s’empêcher de s’étonner :

— Tu vas à un enterrement ?

— Non. Pourquoi ?

— Ce noir ? Je le trouve un brin tristounet pour un fiancé !

— Oh ça ?… (Puis avec un rire pudique :) Isabel trouve que cela me sied ! Que cela m’affine !

Décidément, c’était Gilles Vauxbrun repeint par le Greco ! Autant s’y faire tout de suite !

— Eh bien, parle-moi d’elle ! Tu es heureux, j’imagine ?

— Tu ne peux pas savoir à quel point ! Aucune jeune fille au monde n’est plus belle, plus noble, plus sage ! Je n’arrive pas encore à croire à ma chance. C’est une reine que j’épouse, tu sais ?

— Ben voyons ! fit Aldo, indulgent. Moi, je trouve qu’elle a autant de chance que toi et j’espère qu’elle s’en rend compte !

— Que veux-tu dire ?

— Que tu es, toi aussi, un roi dans ton genre et que j’espère qu’elle t’apprécie. Qu’elle est aussi amoureuse que tu l’es…

— Naturellement elle l’est et j’en suis sûr mais…

— Mais quoi ?

— Une jeune fille de son rang – elle descend à la fois de Charles Quint et de Montezuma ! – ne saurait se montrer expansive ou faire étalage de ses sentiments ! Un sourire, un regard en sont les seuls témoignages que peut s’autoriser une vierge de sa condition. Doña Luisa, sa grand-mère, y veille de près…

Aldo eut soudain l’impression d’assister à une représentation de Ruy Blas et d’entendre les interdits de la Camarera Mayor : « Madame, une reine d’Espagne ne regarde pas par la fenêtre !… Madame, une reine d’Espagne ne reçoit pas de fleurs… » et faillit se mettre à rire mais la mine extatique de son ami lui en fit passer l’envie. Il poursuivait :

— Elle sera pour moi une épouse exceptionnelle, la plus noble des compagnes ! Une châtelaine…

— Une châtelaine ?

— Oui, j’ai acheté un château mais je te raconterai plus tard. Elle m’attend au Ritz et je t’y conduis. J’ai évidemment retenu ta chambre puisque c’est là que tu descends d’habitude.

Morosini s’arrêta au milieu du quai, ce qui obligea Vauxbrun à en faire autant, ainsi que le porteur de ses bagages. Puis, dardant sur son ami un regard inquiet :

— Tu te sens bien ?

— Mais… naturellement ! Qu’est-ce que tu as ?

— C’est à toi qu’il faudrait poser la question. En dehors de Lisa et des enfants dont tu ne m’as pas demandé de nouvelles, tu te souviens peut-être de ma Tante Amélie – la marquise de Sommières !

— Forcément, puisque je l’ai invitée. Elle va bien, j’espère ?

— Je te le dirai tout à l’heure quand tu m’auras conduit chez elle, rue Alfred-de-Vigny, où j’habite lorsque je viens à Paris !

Vauxbrun eut un petit rire et se frappa le front :

— Quel imbécile je fais ! Comment ai-je pu l’oublier ? Toutes mes excuses, mon vieux ! Depuis que nous sommes plongés dans les préparatifs du mariage, je mélange tout ! Bien sûr, tu vas rue Alfred-de-Vigny !… Mais là, je vais te mettre dans un taxi, ajouta-t-il en consultant sa montre. Isabel m’a donné rendez-vous pour quelques courses de dernière minute et je ne veux pas la faire attendre…

Il était fébrile à présent, pressé de gagner la sortie vers laquelle il allait s’élancer. Aldo le retint :

— Une minute, s’il te plaît ! Commence par me débarrasser de ça ! fit-il en tendant la valise spéciale contenant les deux Guardi qui avaient voyagé avec lui.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Notre cadeau de mariage, à Lisa et à moi. Avec tous nos vœux de bonheur !

— C’est un tableau ?

— Deux. Les Guardi que tu aimes tant. Nous espérons que ta fiancée les aimera aussi !

Soudain ému jusqu’aux larmes, Gilles embrassa son ami :

— Merci ! Mille fois merci ! Je sais déjà où les mettre… mais pour l’instant il faut que je me hâte. Tu comprends, n’est-ce pas ?

En fait, Aldo comprenait de moins en moins et, dans le taxi qui l’emmenait au parc Monceau sur lequel donnait l’hôtel de Tante Amélie, il s’efforçait de mettre de l’ordre dans ses idées assez sérieusement perturbées par le comportement de l’heureux fiancé. S’il ne l’avait si bien connu, il aurait pu douter avoir affaire au même personnage. En quelques mois, cet homme enthousiaste, passionné par son métier, insoucieux du qu’en-dira-t-on et crachant feu et flammes dès qu’il était question de la bien-aimée du moment, toujours flamboyant et cultivant plus volontiers le style mousquetaire que le genre hidalgo coincé, s’était mué en une espèce de mystique prosterné aux pieds de son idole et prêt à lui sacrifier la terre entière…

L’impression revint en force quand on se retrouva le lendemain après-midi à la mairie du VIIe arrondissement pour le mariage civil… et en très petit comité : les deux fiancés et les quatre témoins. Pour Doña Isabel, son oncle et son cousin, et pour Gilles, qui n’avait aucune famille, son assistant et fondé de pouvoir Richard Bailey, un Anglais d’une soixantaine d’années dont Aldo appréciait la courtoisie parfaite, la culture et le sens de l’humour. Sa jaquette anthracite et son pantalon rayé – comme ceux d’Aldo lui-même ! – tranchaient sur le noir absolu arboré par les Mexicains. À l’identique de la mariée – longue pelisse de velours ourlée de renard noir et toque assortie, elle n’arborait d’autre couleur que le blanc laiteux des perles en poire de ses oreilles. Quant à Vauxbrun, naturellement, il s’était conformé à la majorité et semblait se fondre dans l’ensemble.

Cela constaté, Aldo ne s’y attarda pas, confondu par la rare beauté de la jeune fille devant laquelle son ami semblait en adoration perpétuelle. Plus qu’à un fiancé heureux, il ressemblait à un croyant devant la statue d’une sainte, figée elle-même dans une vie intérieure inaccessible au vulgaire.

Avec ses longs yeux noirs dont les paupières se relevaient rarement, le visage d’Isabel, que semblait tirer en arrière la masse d’une épaisse chevelure brillante coiffée en bandeaux et nouée en un épais chignon sur la nuque, évoquait quelque divinité féline par sa forme légèrement triangulaire. Le teint était d’ivoire, légèrement rosé aux pommettes, la bouche d’un beau corail clair était bien dessinée, pulpeuse juste ce qu’il fallait sous la noblesse fière d’un petit nez parfait, soulignée aux coins des lèvres d’un pli orgueilleux. Quant au sourire, impossible d’en juger : consciente peut-être de la gravité de l’instant, Doña Isabel ne l’offrit à personne. Ni à son fiancé, ni au témoin de celui-ci quand on le lui présenta. Elle se contenta de le regarder rapidement en se déclarant enchantée, sans qu’il soit possible de déchiffrer la moindre impression dans l’insondable profondeur du regard… Si insondable que l’on pouvait se demander s’il n’était pas vide.

Ses parents n’étaient pas plus récréatifs. Don Pedro Olmedo de Quiroga, l’oncle, ressemblait au portrait d’Olivares par Vélasquez. Quant à son fils, le cousin Miguel, il ressemblait à Isabel en plus viril. Son nez était carrément arrogant et sa lèvre méprisante. Seule concession à la festivité du jour dans leur vêture funèbre : les épingles de cravate. Don Pedro avait choisi un joli diamant et son fils un rubis. Manquait la grand-mère, Doña Luisa de Vargas y Villahermosa, qui n’avait pas jugé utile de venir se geler les pieds dans une mairie républicaine. L’église du lendemain lui suffirait.

Autre entorse à la tradition, aucune réunion, aucun partage du sel et du pain n’était prévu pour les deux familles, même s’il était d’usage, en France – et ailleurs ! – de faire suivre le mariage civil d’un déjeuner ou d’un dîner. Quant à l’habituel enterrement de vie de garçon, Vauxbrun n’en avait pas soufflé mot. C’eût été pourtant la moindre des choses pour les noces du plus brillant célibataire de Paris. Les fiancés dûment unis selon la loi, on se sépara en échangeant des saluts compassés. La colonie « mexicaine » augmentée de Vauxbrun regagna le Ritz. Richard Bailey n’étant pas d’un naturel bavard, Morosini n’essaya pas de lui demander ce qu’il pensait de l’événement. Il en sut assez quand le digne Anglais, en le saluant, leva les yeux au ciel avec un soupir. Il retournait veiller sur les destinées du magasin d’antiquités de la place Vendôme – à cinquante mètres du palace – et Aldo, de plus en plus perplexe, rallia la rue Alfred-de-Vigny.

— Jamais rien vu de pareil ! déclara-t-il, tandis que Cyprien, le vieux maître d’hôtel de la marquise, le débarrassait de son manteau, de son chapeau et de ses gants. Il faut vraiment que Gilles soit mordu pour se jeter tête baissée dans cet Escurial ambulant ! Tiens ? Tu es là, toi ?

L’apostrophe s’adressait à son ami et compagnon d’aventures habituel, Adalbert Vidal-Pellicorne, égyptologue de renom et, à l’occasion, agent secret et même cambrioleur mondain quand la nécessité s’en faisait sentir. Ce qui lui valait une place de choix dans l’amitié de la marquise de Sommières.

— À ton avis ? fit-il en dépliant sa longue silhouette pour atteindre la bouteille de champagne dans son rafraîchissoir et en verser une coupe à l’arrivant. Dis-nous plutôt comment est la demoiselle !

— Aucune de vous ne l’a encore jamais vue ? demanda-t-il tandis que son regard se posait sur les occupantes du jardin d’hiver où Tante Amélie aimait à tenir ses assises au milieu des plantes vertes, des fleurs et des meubles en rotin blanc à coussins de chintz.

Octogénaire depuis peu mais droite comme un I dans des robes princesse à guimpe baleinée sous une collection de sautoirs précieux, coiffée d’une couronne de beaux cheveux blancs où s’attardaient quelques mèches rousses, la marquise ne manquait ni de majesté jointe à une certaine grâce, ni d’une solide dose d’humour dont elle jouait pour déguiser ses sentiments intimes.

Auprès d’elle se tenait Marie-Angéline du Plan-Crépin, lectrice, cousine et âme damnée, si l’on pouvait ainsi qualifier une aussi pieuse personne assidue à la messe de six heures à l’église Saint-Augustin d’où elle tirait une foule de renseignements lui permettant de ne rien ignorer de ce qui se passait dans le quartier, voire plus loin. Sous une toison d’un blond terne qui lui donnait l’apparence d’un mouton monté en graine, la noble demoiselle – elle ne laissait ignorer à personne que ses ancêtres avaient « fait » les croisades – cachait une culture quasi encyclopédique, des talents surprenants, un cœur grand comme Saint-Pierre de Rome et une tendance marquée à se mêler de ce qui ne la regardait pas. Ce qui lui avait permis par le passé d’apporter une aide non négligeable à ses deux héros préférés, Aldo Morosini et Adalbert Vidal-Pellicorne.

— Où veux-tu que nous l’ayons vue ? fit la marquise en haussant les épaules. Elle vivait à Biarritz, si j’ai bien compris, et nous avons appris son existence en même temps que le mariage il n’y a pas trois semaines ! On a l’impression que cette passion est tombée sur le crâne de ce pauvre innocent de Vauxbrun comme une cheminée un jour de grand vent !

— Il y a de ça, approuva Aldo, songeur. Une chose est certaine : il n’est plus le même. Dieu sait que je l’ai déjà vu tomber amoureux, mais jamais à ce point ! C’est plus que de la dévotion ! On dirait qu’il vit prosterné devant elle. Il est vrai qu’elle est assez exceptionnelle !

— Ah, il était temps ! soupira Marie-Angéline. Avec toutes ces digressions, je me demandais si nous allions un jour en arriver là. Et si vous consentiez à être un peu plus explicite ?

— Que pourrais-je dire ? Évoquer les plus beaux Goya, les plus beaux Titien, les plus beaux Boldini ne servirait à rien parce qu’elle est différente. La beauté la plus pure avec une teinte d’exotisme…

Mme de Sommières fronça les sourcils :

— Eh bien ! Voilà de l’enthousiasme ! dit-elle d’un ton mécontent. Si je te comprends, elle représente un danger pour tous les hommes qui l’approchent ?

Devinant l’inquiétude qu’elle n’exprimait pas, Aldo lui sourit et se pencha pour poser un baiser sur sa joue poudrée :

— Pas pour moi !

— Et pourquoi, s’il te plaît ? Tu es si enthousiaste !

— Parce qu’elle n’a pas l’air de vivre…


On se retrouva devant Sainte-Clotilde le matin suivant et, comme Gilles Vauxbrun n’avait aucune famille à l’exception de lointains cousins qu’il ne voyait jamais, le maître de cérémonie conduisit le groupe au premier rang, côté droit de la nef, Adalbert comme les autres, bien que le fiancé et lui ne fussent pas liés par une grande amitié. Il y avait déjà affluence et le bedeau, armé d’un balai en paille de riz, s’activait à faire disparaître du beau tapis rouge les quelques traces de pas encore visibles. Assistance ô combien élégante ! Le célèbre antiquaire faisait partie du Tout-Paris et nombre de personnalités étaient présentes. Certaines venaient de Versailles et la famille Morosini retrouva avec plaisir ceux avec qui l’on avait vécu l’exposition de Trianon et les aventures des « larmes » de Marie-Antoinette. Il y avait là lady Mendl, Mme de La Begassière, le général de Vernois en grand uniforme, sa femme entortillée de chantilly chocolat et le couple Olivier et Clothilde de Malden, toujours aussi charmants. Cette réunion était un plaisir et on échangea quelques propos à voix contenue, tout en observant ceux qui arrivaient. Parmi eux, plusieurs figures nettement hispaniques que nul ne semblait connaître. Sur le côté gauche de l’église, les chaises et les prie-Dieu réservés à la famille de la mariée demeuraient vides.

— Dis-moi un peu, chuchota Vidal-Pellicorne à Morosini, c’est bien toi le premier témoin ?

— Exact.

— Comment se fait-il que tu sois avec nous ? Ne devrais-tu pas accompagner l’heureux époux ?

— Non. Il a préféré venir seul. Comme le déjeuner et la réception ont lieu chez lui, dans son hôtel de la rue de Lille, il voulait être seul pour donner les derniers ordres et le dernier coup d’œil. Tu sais à quel point il est minutieux, précis et…

— … et d’une exactitude d’horloge, acheva Adalbert en tirant sa montre. En ce cas, il devrait être en train de poser le pied sur le tapis rouge. Il est midi pile !

— Tiens, c’est vrai ! Mais voilà le cousin Miguel ! Je suppose que la douairière qu’il escorte est la grand-mère Doña Luisa ? Elle ne manque pas d’allure !

— À condition d’aimer l’art olmèque, elle est parfaite, chuchota la marquise. Elle me rappelle ces énormes têtes de pierre posées à même le sol que j’ai vues lors d’un voyage au Mexique il y a déjà pas mal d’années. C’était à…

— Villahermosa ! souffla Marie-Angéline. Ce n’est pas tellement étonnant puisqu’elle s’appelle ainsi !

— Ça vous paraît une raison suffisante, Plan-Crépin ? fit Mme de Sommières. Je n’ai jamais vu quelqu’un portant le nom d’un site archéologique ressembler aux vestiges qu’on y découvre !

— Pour cette fois, c’est le cas, sourit Aldo qui connaissait lui aussi les têtes en question. Heureusement, le visage de sa petite-fille est aux antipodes du sien ! La dame a une allure d’impératrice mais Dieu qu’elle est laide !

C’était indéniable ! Sous la mantille de dentelle noire haut relevée par un peigne endiamanté et planté dans un épais chignon gris fer, la lourde figure aux joues pleines légèrement tombantes avait quelque chose d’implacable, avec sa bouche épaisse, très ourlée au point de sembler boudeuse, le nez droit dont les narines s’épataient en brochant sur l’ensemble des yeux gris aussi froids que du granit, soulignés par des poches. La peau avait la couleur de l’ivoire vieilli. Quant au corps épais, il était somptueusement vêtu d’une robe de faille noire à col montant dont le devant était brodé de jais, sous une grande cape ourlée et doublée de renard. Un triple collier de perles s’étalait sur la poitrine et d’autres perles brillaient sous la dentelle noire des poignets.

Appuyée d’une main sur une canne à pommeau d’argent et de l’autre au bras de son petit-neveu, Doña Luisa avançait majestueusement, sans rien regarder de ce qui l’entourait, fixant l’autel illuminé mais suivie des yeux par l’assistance entière. Adalbert souffla :

— C’est fou ce que certaines Espagnoles peuvent enlaidir en vieillissant. Celle-ci ressemble à l’infante Eulalie !

Aldo, lui, avait déjà oublié Doña Luisa. Il était un peu plus de midi et Gilles n’était toujours pas là !

— C’est insensé ! Qu’est-ce qu’il peut fabriquer ? Dans un instant, la mariée va arriver et il devrait être prêt à l’accueillir ?

— Calme-toi ! chuchota Tante Amélie. Il ne va sûrement plus tarder ! Il est réglé comme une pendule.

— J’ai tout de même envie d’aller voir…

Il avait à peine fini de parler que les grandes orgues entamaient la Marche des fiançailles de Richard Wagner. Là-bas, tout au bout du tapis rouge, une limousine noire était arrêtée dont la portière arrière venait de s’ouvrir sur un nuage blanc. La mariée arrivait.

— Par tous les saints du Paradis ! gémit Aldo. Mais qu’est-ce qu’il fabrique ?

Cependant, un murmure admiratif passait comme une risée sur la foule élégante. Au bras de son oncle, Doña Isabel, les yeux baissés sous l’immense voile de dentelle et de tulle que retenait un petit diadème de diamants, commençait sa lente marche vers l’autel. Elle était d’une beauté à couper le souffle dans une robe de satin « duchesse » à longue traîne qui eût été austère si la coupe savante n’avait étroitement épousé les lignes d’un corps de statue. Un boléro doublé et ourlé de vison blanc la protégeait du froid. Un bouquet d’orchidées blanches et d’asparagus retombait de son bras droit.

À l’exception du diadème, elle ne portait pas le moindre bijou.

— Seigneur ! émit en sourdine Mme de Sommières. Je commence à comprendre ce pauvre Vauxbrun ! Elle est sublime !

Elle l’était même au point d’accaparer les regards au détriment de l’homme qui la menait à l’autel. Il en valait pourtant la peine. Avec sa crinière grise rejetée en arrière et ses épaisses moustaches, il ressemblait à un lion vieillissant. De taille moyenne mais trapu, il donnait une impression de force. Fils d’une sœur défunte de Doña Luisa, il offrait une certaine ressemblance avec elle en réussissant cependant l’exploit d’être beaucoup plus beau. Et quel orgueil se lisait dans son regard sombre ! Sans compter le fait qu’il n’avait pas l’air content : ses yeux fixaient sans dévier le fauteuil et le prie-Dieu entre lesquels l’époux aurait dû se tenir debout, tourné vers celle qui venait à lui. Et toujours regrettablement vides !

À présent le couple gravissait les trois marches du chœur tandis que l’orgue, réglé comme une horloge, achevait l’hymne wagnérien. Don Pedro fit prendre place à sa nièce, derrière laquelle une jeune femme vêtue de velours noir disposait la traîne et le voile puis, après une rapide génuflexion devant l’autel, il rejoignit la « famille » de l’absent, s’inclina brièvement devant Mme de Sommières et attaqua Morosini :

— Voulez-vous me dire où est ce rustre ? Pourquoi n’est-il pas là ?

Le ton, l’épithète plus encore eurent le don d’irriter Aldo.

— Je n’en sais pas plus que vous, Don Pedro ! Pour que Gilles Vauxbrun ait du retard, il faut qu’il se soit passé quelque chose. Il est toujours d’une scrupuleuse exactitude.

— Quoi, par exemple ?

— Un accident de circulation ou Dieu sait quoi ? Veuillez prier Doña Isabel de prendre un peu patience. Je reviens !

Et sans attendre de réponse, il s’élança, dévalant le chœur et la nef tout en indiquant d’un geste au maître de cérémonie de redonner la parole à l’orgue. Arrivé dans la rue, il y avait foule aussi bien sur les trottoirs que dans le square en face de l’église. Le couple de journalistes accourut pour obtenir des explications.

— Je n’en ai pas pour l’instant…

— … mais on va essayer de s’en procurer ! coupa Adalbert qui arrivait après avoir récupéré sa voiture, une petite Amilcar rouge décapotée. Grimpe ! On va chez lui !

Pour gagner la rue de Lille où l’antiquaire possédait un hôtel particulier, on choisit le chemin qu’aurait dû suivre le marié, quitte à prendre un sens interdit. La voiture faisait un bruit d’enfer mais elle était rapide. En quelques secondes on était à destination sans avoir rencontré personne. Adalbert embouqua le portail grand ouvert et stoppa devant le perron depuis lequel Servon, le maître d’hôtel, surveillait un arrivage de fleurs.

— Monsieur aurait-il oublié quelque chose ? demanda-t-il en descendant vers les deux hommes.

— S’il a oublié quelque chose, c’est l’heure ! fit Morosini. La mariée est déjà à l’autel mais pas lui !

Le serviteur eut un haut-le-corps.

— Il n’est pas encore arrivé ? Mais c’est impossible ! Voilà près d’une heure qu’il est parti. La voiture était là à onze heures et demie. Il était prêt ; il est monté dedans et… Mon Dieu ! Qu’est-ce qui a bien pu se passer ?

Au service de Vauxbrun depuis la guerre qu’ils avaient faite ensemble, Lucien Servon lui était très attaché et, tout de suite, se montra inquiet :

— Où peut-il être ? Il ne faut pas si longtemps pour aller à Sainte-Clotilde ?

— C’est aussi notre avis, dit Morosini. Il n’a pas reçu de lettre ou de coup de téléphone avant de partir ?

— Non, Excellence, aucun. Il était… je dirais rayonnant ! En partant il m’a tapé sur l’épaule en disant : « Allons sauter le pas, mon bon Lucien ! J’y aurai mis le temps mais cela en valait la peine ! » Et puis ce fut tout ! Puis-je demander ce que vont faire ces messieurs ?

— On va d’abord retourner à l’église, voir s’il n’est pas arrivé entre-temps et puis…

— C’était quoi, la voiture qui est venue le prendre ? demanda Adalbert.

— Une Delahaye, Monsieur, comme toutes les voitures du cortège à l’exception de la Rolls-Royce de la mariée. Pour ce que j’en sais, du moins !

Avant de regagner Sainte-Clotilde, on fit deux fois le tour complet des rues susceptibles d’avoir été suivies par le mari, ce qui ne faisait pas beaucoup, en gardant l’espoir, en arrivant, de voir Vauxbrun aux côtés d’Isabel dans le chœur illuminé. Hélas, il fallut bien constater que les choses en étaient toujours au même point. À cette différence près que le curé sous sa chasuble avait fait son apparition et s’efforçait, à la fois, de calmer la fureur de Don Pedro et de distribuer quelques bonnes paroles à la jeune épousée qui, d’ailleurs, n’avait pas l’air de se tourmenter outre mesure : sagement assise dans son fauteuil, elle caressait d’un doigt distrait les fleurs de son bouquet. Dans la nef régnait une légère agitation. Le retour des deux hommes fut salué d’un « Ah ! » de satisfaction. L’oncle fonça sur eux comme un taureau qui charge :

— Vous pouvez constater qu’il continue de briller par son absence ! Qu’avez-vous à dire ? aboya-t-il.

— Que vous pourriez faire preuve d’un peu de retenue, riposta Morosini, sévère. D’abord parce que nous sommes dans un lieu consacré ; ensuite parce que, Gilles Vauxbrun ayant quitté la rue de Lille voilà plus d’une heure avec la voiture qui est venue le chercher, nous redoutons qu’il n’ait eu un accident.

— Vous avez trouvé des débris ? fit, dédaigneuse, la vieille Doña Luisa depuis son siège.

— Si c’était le cas, Madame, j’aurais commencé par le mentionner. Malheureusement il n’en est rien !

— Vous regrettez que votre ami ne soit pas en route vers quelque hôpital ? ricana-t-elle.

— Presque ! Quand un ami disparaît sans laisser de traces, j’avoue ne pas apprécier !

— Vous craignez qu’on ne l’ait enlevé ? intervint le curé. Pour quelles raisons, mon Dieu ?

— Elles ne manquent pas. Sans compter le fait que M. Vauxbrun est très riche, il a pu, en épousant Mademoiselle, en indisposer plus d’un. Il suffit de la regarder pour le comprendre.

— Il est certain, fit la douairière du haut de sa tête, que les soupirants ne manquent pas à ma petite-fille et que, dans la famille, nul n’a compris qu’elle choisisse ce… ce commerçant défraîchi !

— On peut se demander pourquoi, en effet ? grinça Mme de Sommières en toisant la dame à travers son face-à-main. Son sort ne semble pas la tournebouler ?… Sans aller jusqu’à se ronger les ongles, elle pourrait manifester un brin d’émotion…

— Mesdames, Mesdames ! intervint l’abbé. Veuillez vous souvenir de l’endroit où vous vous trouvez ! Je propose que nous attendions encore un moment… par exemple en priant pour que rien de fâcheux ne soit advenu. Ensuite…

— Ensuite, je préviendrai la police ! coupa Aldo froidement. Gilles Vauxbrun est trop profondément épris de sa fiancée pour imaginer une fugue inspirée par Dieu sait quoi !

Don Pedro persifla :

— Dans quel milieu sommes-nous tombés ! La police, à présent ?… Eh bien, cher Monsieur, vous l’attendrez seul. J’estime que nous nous sommes suffisamment couverts de ridicule pour ne pas souhaiter prolonger l’expérience. Venez, mon enfant ! Nous rentrons !

Et le quatuor mexicain en bon ordre redescendit d’un pas indigné le chœur et la nef sous l’œil malgré tout surpris des invités. Le retard du marié était certes déplaisant mais pouvait sans doute trouver une explication simple. Une attente un peu plus longue eût été de mise et non cette sortie un rien fracassante jugée de mauvais goût à la quasi-unanimité. D’autant que l’on avait tourné le dos au prêtre comme à l’autel sans même un signe de croix. Quant à la mariée, elle n’avait pas levé les yeux une seule fois et sur quoi que ce soit : elle s’était contentée de laisser tomber son bouquet sur les souliers de l’abbé avec une moue de dédain…

— Eh bien, murmura Adalbert à l’intention d’Aldo, la messe est dite ! Il serait peut-être temps de prendre la parole ? C’est à toi qu’il incombe de présenter des excuses ! C’est toi, le témoin…

— Tu as l’habitude de faire des conférences. Moi pas ! Tu devrais t’en charger… et je ne vois pas l’autre témoin.

C’était exact : la place de Richard Bailey, près de Marie-Angéline, était vide. Adalbert s’avança au bord des marches :

— Mesdames et Messieurs, ce qui vient de se produire et dont vous venez d’être spectateurs nous plonge non seulement dans un extrême embarras mais aussi dans l’inquiétude. Même ceux d’entre vous qui connaissent peu Gilles Vauxbrun ne peuvent ignorer ses qualités d’exactitude et de courtoisie. Pour qu’il ne soit pas parmi nous en ce jour qu’il considérait comme le plus beau de sa vie, il faut qu’un grave empêchement se soit produit…

À ce point de son discours, l’abbé Mauger le rejoignit et le relaya :

— Dans une circonstance tellement inhabituelle, voire inquiétante, je voudrais vous proposer ceci : vous êtes venus dans cette église prier pour le bonheur d’un couple ami et, avant de nous séparer, je vous propose d’entendre au moins une messe basse. Nos amis ici présents sont inquiets et je serais désolé que vous vous sépariez sans que nous ayons prié ensemble et demandé à Dieu que cette même circonstance n’ait pas de conséquences trop graves, mais je n’en voudrai pas à ceux qui préfèrent se retirer… Bien entendu il n’y aura pas de sermon.

— C’est une bonne idée, Monsieur le curé, dit la marquise. Je vous remercie au nom des miens.

Tandis que le prêtre retournait dans la sacristie pour effectuer quelques changements, la « famille » de l’absent put constater que l’église se vidait aux trois quarts. Montrant, semblait-il, une certaine hâte, on quittait sa place, on faisait une vague génuflexion en se signant et on gagnait la sortie aussi vite que l’on pouvait.

— Pas beaucoup d’amis dans le tas, commenta Adalbert. Je suis sûr qu’il en serait resté beaucoup plus si l’on avait ajouté que le déjeuner prévu suivrait !

Avec satisfaction, Aldo et lui notèrent que le « clan » des Versaillais tenait bon. Ils étaient six au total : le général de Vernois et son épouse, le couple Olivier et Clothilde de Malden, Mme de La Begassière et lady Mendl, bien que celle-ci ne soit pas de confession catholique. Ils restèrent sagement à leur place. Mme de Sommières posa sa main sur le bras de sa lectrice :

— Plan-Crépin, dites à Lucien d’aller à la maison et de prévenir Eulalie que nous serons dix à table. Ces courageux ne méritent pas qu’on les renvoie dans leurs foyers le ventre vide…

Marie-Angéline partit comme une flèche tandis qu’Aldo, Adalbert et Tante Amélie quittaient le chœur pour s’installer avec ceux que l’on pouvait vraiment appeler les « fidèles ». L’instant suivant, l’office commençait et l’on se leva à la nouvelle entrée du prêtre qui n’avait pas gardé d’enfants de chœur. Ce fut une messe pleine de ferveur et d’émotion. L’organiste avait renvoyé les choristes mais resta à l’orgue avec Bach et Mozart pour l’accompagner en sourdine.

Chose étrange, ce fut la pieuse Marie-Angéline, l’habituée de l’office de six heures à Saint-Augustin, qui suivit avec le plus de distraction : elle retirait puis remettait ses gants, cherchait son mouchoir ou son missel, levait la tête pour examiner la voûte, bref s’agita tant et si bien que Mme de Sommières la fusilla du regard en murmurant :

— Tenez-vous tranquille, Plan-Crépin ! Qu’est-ce qui vous prend ?

— On perd du temps !

— La dignité n’est jamais du temps perdu ! Priez, que diable ! C’est vous, la spécialiste !

— Je n’y arrive pas !

L’ite missa est la précipita vers le porche tandis qu’Aldo et la marquise remettaient une généreuse offrande au prêtre en compensation d’une quête qui aurait dû être fructueuse, après quoi tout le monde se retrouva dans la rue où la marquise renouvela son invitation. Elle fut acceptée avec un plaisir d’autant plus vif qu’on allait se retrouver entre amis au cœur du problème et apprendre les dernières nouvelles.

— Ne m’attendez pas pour commencer à déjeuner, dit Aldo. Il faut que quelqu’un prévienne chez Vauxbrun. Adalbert va m’emmener.

À cet instant, Richard Bailey reparut. Il s’était rendu au magasin pour voir s’il s’était passé quelque chose mais il n’en était rien. Tout était bien fermé et l’intérieur était en ordre. On le convia aussitôt à déjeuner rue Alfred-de-Vigny et l’on se sépara.

Rue de Lille, d’où avaient disparu les voitures de livraison du traiteur, une surprise attendait Aldo et Adalbert.

Celui-ci n’avait pas encore serré ses freins que le maître d’hôtel accourait, visiblement dans tous ses états :

— Ah, Messieurs, je suis tellement heureux que vous soyez revenus. Je ne sais plus à quel saint me vouer et vous arrivez à point nommé !

— Calmez-vous, Servon ! fit Aldo en s’efforçant à une tranquillité qu’il était loin d’éprouver. On va certainement retrouver très vite M. Vauxbrun…

— Je l’espère sincèrement, Excellence ! Parce qu’ils sont venus s’installer il y a déjà un moment !

— Qui ça, « ils » ?

— Mais… la fiancée de Monsieur et sa famille. Ils sont en train de déjeuner et…

— Quoi ?

Un même mouvement fit sortir de leurs sièges les occupants de la petite Amilcar qui se ruèrent à l’intérieur de l’hôtel où il leur fallut se rendre à l’évidence : assis autour d’une table ronde dressée dans le salon donnant sur le jardin les – trois ! – Mexicains en étaient au homard Thermidor… Aldo en fut tellement suffoqué qu’il lança sans y penser :

— Bon appétit, Messieurs !

Entendant Adalbert glousser derrière lui, Aldo se rendit compte de ce qu’il venait de dire mais ne jugea pas utile de rectifier. Déjà Don Pedro était debout et, sans lâcher sa serviette, fonçait sur eux :

— Que voulez-vous ? Qu’auriez-vous à objecter à notre légitime présence en ces lieux ?

— Légitime ? Je crains que vous ne connaissiez pas la signification de ce mot. Vous êtes chez Gilles Vauxbrun, regrettablement absent pour le moment. Ce qui ne saurait durer !

— J’admets votre surprise encore que je vous eusse cru plus au fait de la loi française. Depuis hier, ma nièce est Mme Gilles Vauxbrun le plus légalement du monde. Nous sommes donc ici chez elle autant que chez lui. Ce qui nous fait un devoir, étant donné les circonstances, de rester auprès d’elle afin de la soutenir. Elle est trop jeune et trop fragile pour affronter la solitude d’une maison étrangère. Quoi qu’il en soit, nous devions nous installer ici pendant le voyage de noces en Égypte et mon fils Miguel est allé au Ritz pour régler la note et reprendre nos bagages. Cela nous évite les curiosités malsaines et, dans cette maison, entourée des siens, ma nièce supportera mieux une épreuve…

— … qui n’a pas l’air de lui couper l’appétit ? remarqua Adalbert. Ne devrait-elle pas être morte d’inquiétude, en larmes et livrée aux soins d’une femme de chambre armée de sels et d’eau de Cologne ? Cela se fait quand on aime quelqu’un…

En effet, comme s’ils n’étaient pas là, les deux femmes poursuivaient leur dégustation sans plus s’intéresser à eux… Simplement, une expression d’intense antipathie était peinte sur le visage de la douairière. Quant à Isabel, qui avait troqué sa toilette de mariée contre une robe de fin lainage bordeaux dont le col, drapé en écharpe, était retenu par une agrafe de perles fines, son attitude était la même qu’à l’église : elle gardait les yeux obstinément baissés, se comportant comme si elle n’était pas concernée.

Cependant, le ton relativement paisible dont avait usé Don Pedro envers les intrus ne résista pas à l’ironie de l’archéologue :

— Chez nous, fit-il sèchement, les filles de bonne race apprennent dès le berceau à ne rien montrer de leurs sentiments intimes. C’est donc moi qui vais traduire sa pensée : Mme Vauxbrun ne souhaite pas que nous prolongions cet entretien !

L’envie démangea Aldo de demander à la belle inconsciente ce qu’elle en pensait, mais il était plus sage de remettre à plus tard les questions auxquelles il faudrait bien qu’elle réponde. Il se contenta d’un :

— Elle pourrait le dire elle-même ! Quant à moi, je n’aurais jamais cru être traité en importun dans la demeure de mon plus vieil ami mais je me bornerai donc à espérer le revoir avant la nuit prochaine, sinon…

Un dédain quasi palpable arqua, sous la moustache, la bouche épaisse du Mexicain :

— Sinon ?

— J’ignore ce que sont vos coutumes lorsqu’une personne disparaît. Chez nous, on trouve plus simple d’en informer la police. C’est peut-être idiot mais il arrive que la chose donne des résultats. Mesdames, recevez mes hommages !

Dieu qu’il était difficile de rester courtois ou même simplement poli en certains cas ! Aldo bouillait de colère. Une fois dans la voiture d’Adalbert, il éclata :

— Mais qu’est-ce que c’est que ces gens-là ? Et qu’est-ce qui a pris à Gilles de vouloir épouser cette statue ? Elle est belle, j’en conviens…

— … et il n’y a rien à ajouter ! émit Adalbert sur le mode apaisant. Tout est là : elle est venue, il l’a vue et il a été vaincu ! Il faut admettre qu’elle est sublime ! Trop peut-être ! C’est une œuvre d’art et, si tu veux mon sentiment, je me demande si Vauxbrun, saisi par une terreur sacrée, n’a pas préféré prendre la fuite au dernier moment ?

— Tu dérailles ou quoi ?

— Absolument pas ! Tu connais l’histoire de notre roi Philippe Auguste et de sa seconde épouse Ingeborg de Danemark ? Elle était si belle qu’il n’a même pas osé la toucher pendant la nuit de noces et le lendemain, l’ayant prise en horreur et les Danois ayant refusé de la reprendre, il l’a envoyée dans un donjon en l’accusant de lui avoir jeté un sort et noué l’aiguillette !

— Je sais, mais c’était au Moyen Âge et Vauxbrun a derrière lui un assez beau palmarès en matière de femmes !

— Philippe Auguste aussi, n’empêche qu’il s’est retrouvé tout bête et d’autant plus furieux ! Prenons un autre exemple : ça ne devait pas être facile de coucher avec la Joconde.

— Idiot ! Le portrait est… quasi divin mais le modèle ne m’aurait jamais tenté ! Et quant à l’épouser…

— Et… la jeune Isabel ? En admettant qu’elle ne soit pas liée à un vieux copain, tu pourrais en avoir envie ?

— Non, reconnut Aldo, catégorique. Non, tu as raison ! L’émotion qu’elle pourrait éveiller en moi est purement esthétique… Quand on se souvient des derniers coups de cœur de Vauxbrun, c’est franchement incroyable qu’il ait voulu l’épouser, si tu ajoutes la différence d’âge. D’ailleurs, depuis mon arrivée, j’ai l’impression qu’il a beaucoup changé. Il a maigri ; il est… fébrile. Il est venu me chercher à la gare mais, dès qu’il m’a récupéré, il s’est comporté comme s’il avait hâte de se débarrasser de moi. Il n’a pas demandé des nouvelles de Lisa ni des jumeaux qui devaient constituer à eux deux le service d’honneur de la mariée. Si tu ajoutes que ce bon vivant n’a pas pensé à enterrer dignement sa vie de garçon et si tu additionnes, tu as un joli paquet de bizarreries… et tu n’imagines pas comme je suis content que Lisa ait attrapé une bronchite !

Vidal-Pellicorne démarra mais dut s’arrêter quelques mètres plus loin : la sortie était bouchée par une autre voiture devant laquelle patientaient Jacques Mathieu et sa jeune collègue. Immédiatement Adalbert prit feu :

— Auriez-vous l’obligeance de nous laisser passer ? On a déjà suffisamment d’ennuis sans que la presse s’en mêle ! Allez, ouste !

— Ne vous fâchez pas, Monsieur Vidal-Pellicorne ! Nous ne sommes que deux !

— Mais vous êtes aussi encombrants que si vous étiez cinquante…

— Au fait, dit Morosini, qu’avez-vous fait de vos collègues ? Vous étiez plus nombreux devant l’église ?

— On nous a proprement renvoyés dans nos foyers et nous avons obtempéré… mais ayant déjà eu l’honneur de vous fréquenter l’an passé, je vous ai suivi d’autant plus facilement que je connaissais l’adresse privée de M. Vauxbrun ! À propos, je vous présente Stéphanie Audoin, ma stagiaire.

Morosini ne put s’empêcher de sourire à ce frais visage qui, avec ses cheveux blonds ébouriffés sous un béret bleu, lui rappelait Nelly Parker, la petite journaliste du New Yorker qui lui collait aux basques mais qui, cependant, lui avait sauvé la vie :

— Content de vous connaître, Mademoiselle, et je vous souhaite une belle carrière… mais, dans l’état actuel des choses, je ne vois pas ce que nous pourrions vous apprendre.

— Toujours pas de nouvelles de M. Vauxbrun ? demanda Mathieu.

— Aucune. C’est incompréhensible !

— Il doit tout de même bien y avoir une explication, logique ou pas ?… Et, est-ce vrai que les Mexicains ont emménagé ici ?

— Eh oui, étant légalement mariée, Mme Vauxbrun en a entièrement le droit et il est naturel que ses parents souhaitent l’entourer.

— Hum !… C’est pas un peu rapide, cette histoire ? Ils auraient pu attendre avant de faire de l’occupation. On n’est pas si mal au Ritz ! Et que devient la jeune mariée en ce moment ?

— Elle mange ! lança Adalbert. Et si vous consentiez à nous laisser partir on serait contents d’en faire autant.

— Elle mange ? reprit Stéphanie. Et ça vous paraît normal ?

— Rien n’est normal dans cette histoire, Mademoiselle, et si vous voulez le fond de ma pensée, je trouve indécente cette hâte à envahir une demeure pleine de meubles et d’objets plus précieux les uns que les autres.

Ce n’était que trop vrai ! Spécialisé dans le XVIIIe siècle français, Gilles Vauxbrun, nanti d’une confortable fortune, ne revendait pas, tant s’en fallait, toutes ses trouvailles. Il était ainsi entré en possession de plusieurs meubles aux signatures prestigieuses en provenance de Versailles ou des Trianon, avait décoré son hôtel du faubourg Saint-Germain avec un goût sans défaut. Marie-Antoinette, Louis XV le raffiné ou la Pompadour s’y fussent sentis chez eux sans peine.

— Il va falloir éclaircir ce mystère ! dit Mathieu. On vous trouve où, prince ? Chez M. Vidal-Pellicorne ou chez Mme de Sommières ?

— Chez Mme de Sommières… Et si vous pouviez en savoir un peu plus sur la famille de Doña Isabel, je vous en serais infiniment reconnaissant parce que, moi, je ne sais rien !

— Vraiment rien ?

— À part que M. Vauxbrun les a rencontrés à Biarritz, absolument rien ! Cela dit, j’ai l’impression qu’il faudrait que vous songiez à dégager ! Voilà un arrivage !

En effet, deux taxis encombrés de bagages venaient de s’arrêter dans la visible intention de pénétrer dans la cour.

— On y va ! cria Mathieu en sautant dans sa voiture.

Il démarra. Adalbert embraya à sa suite mais stoppa quelques mètres plus loin pour observer l’entrée des arrivants. La silhouette arrogante de Miguel Olmedo occupait le premier véhicule, puis le cortège disparut. Derrière eux, le concierge referma le portail de l’hôtel.

Aldo avait beau savoir que c’était seulement momentané, il éprouva un bizarre pincement au cœur : le sentiment d’être définitivement retranché de son plus vieil ami, celui qui lui avait mis le pied à l’étrier lorsque, à son retour de la guerre, il avait décidé de transformer son palais vénitien en magasin d’antiquités. Et c’était douloureux…

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