Chapitre 2
– Chanterez-vous pour nous ? demanda le roi.
Joffrey de Peyrac tressaillit. Il tourna vers Louis XIV un regard hautain et le contempla comme il l'eût fait d'un inconnu qu'on ne lui aurait pas présenté. Angélique trembla ; elle lui saisit la main.
– Chante pour moi, chuchota-t-elle.
Le comte sourit et fit un signe à Bernard d'Andijos, qui se précipita au-dehors. La soirée s'achevait. Près de la reine mère, du cardinal, du roi et de son frère, l'infante était assise, droite et les yeux baissés devant cet époux auquel les cérémonies du lendemain l'uniraient. Sa séparation d'avec l'Espagne était consommée. Philippe IV et ses hildagos, le cœur déchiré, repartaient pour Madrid, abandonnant l'infante altière et pure, gage de la paix nouvelle... Le petit violoniste Giovani fendit les rangs des courtisans, et présenta au comte de Peyrac sa guitare et son masque de velours.
– Pourquoi vous masquez-vous ? demanda le roi.
– La voix de l'amour est sans visage, répondit Peyrac, et, lorsque rêvent les beaux yeux des daines, il ne faut pas qu'aucune laideur vienne les troubler.
Il préluda et se mit à chanter, entremêlant les chansons anciennes en langue d'oc, et des couplets d'amour à la mode.
Enfin, déployant sa haute taille, il vint s'asseoir près de l'infante et se lança dans un refrain espagnol endiablé, coupé de cris rauques à l'arabe, où brûlaient toute la passion et la fougue de la péninsule Ibérique.
L'insignifiant visage de nacre et de rosé finit par s émouvoir ; les paupières de l'infante se soulevèrent et l'on vit ses yeux briller. Peut-être revivait-elle une dernière fois son existence cloîtrée de petite divinité, entre sa caméra mayor, ses femmes, ses nains, qui la faisaient rire ; existence austère et lente, mais familière : on jouait aux cartes, on recevait des religieuses qui faisaient des prédictions, on organisait des collations de confitures, de gâteaux à la fleur d'oranger et à la violette. Elle eut une petite expression d'effroi en regardant autour d'elle tous ces visages français.
– Vous nous avez charmés, dit le roi au chanteur. Je ne souhaite qu'une chose, c'est d'avoir souvent l'occasion de vous entendre encore.
Le regard de Joffrey de Peyrac brilla étrangement derrière son masque.
– Personne ne le souhaite autant que moi, sire. Mais tout dépend de Votre Majesté, n'est-il pas vrai ?
Angélique crut voir se froncer légèrement les sourcils du souverain.
– C'est vrai. Je suis heureux de vous l'entendre dire, monsieur de Peyrac, fit-il un peu sèchement.
*****
En regagnant l'hôtel à une heure fort avancée de la nuit, Angélique arracha ses vêtements sans attendre le secours d'une servante et se jeta sur le lit en poussant un soupir.
– Je suis brisée, Joffrey. Je crois que je ne suis pas encore dressée à la vie de cour. Comment font ces gens-là pour absorber autant de plaisirs et trouver encore le moyen de se tromper mutuellement la nuit ?
Le comte s'étendit près d'elle sans répondre. Il faisait si chaud que le seul contact d'un drap était pénible. Par la fenêtre ouverte le passage des torches jetait parfois une lueur rougeâtre jusqu'au fond du lit, dont ils avaient gardé relevées les courtines. Saint-Jean-de-Luz continuait à s'affairer dans les préparatifs du lendemain.
– Si je ne dors pas un peu, je m'écroulerai pendant la cérémonie, fit encore Angélique en bâillant.
Elle s'étira, puis se blottit contre le corps brun et sec de son mari. Il avança la main, caressa la hanche ronde qui luisait comme de l'albâtre dans la pénombre, suivit la courbe flexible de la taille, trouva le petit sein ferme et haut placé. Ses doigts frémirent, se firent plus pressants, revinrent vers le ventre souple. Comme il risquait une caresse plus audacieuse, Angélique protesta, à demi endormie :
– Oh ! Joffrey, j'ai tellement sommeil !
Il n'insista pas et elle lui jeta un regard entre ses cils, pour voir s'il n'était pas fâché. Appuyé sur un coude, il la regardait avec un demi-sourire.
– Dors, mon amour, chuchota-t-il.
*****
Lorsqu'elle se réveilla, elle eût pu croire qu'il n'avait pas bougé, car il continuait à la regarder. Elle lui sourit.
Il faisait frais. La nuit n'était pas encore dissipée, mais le ciel prenait une teinte verdâtre, avant l'éblouissement de l'aurore. Une torpeur fugitive apaisait la petite ville.
Encore engourdie, Angélique se tendit vers lui et leurs bras se saisirent, attentifs à bien se nouer.
Il lui avait appris le long plaisir, la joute habile, avec ses feintes, ses reculs, ses audaces, l'œuvre patiente où les deux corps généreux se mènent mutuellement au paroxysme de la jouissance. Lorsque enfin ils se séparèrent, rompus, assouvis, le soleil était déjà haut dans le ciel.
– Dirait-on que nous avons une journée fatigante en perspective ? fit Angélique en riant.
Margot frappait à la porte.
– Madame, Madame, il est temps. Les carrosses se rendent déjà à la cathédrale, et vous n'aurez plus de place pour voir le cortège.
*****
Le cortège était petit. Six personnages allant à pied par le chemin couvert de tapis. En tête venait le cardinal-prince de Conti, brillant et fougueux, ancien héros de la Fronde, dont la présence en ce beau jour confirmait de part et d'autre la volonté d'oublier ces tristes souvenirs.
Puis M. le cardinal Mazarin, dans son fleuve de pourpre.
À distance, le roi s'avançait en habit de brocart d'or assombri d'une ample dentelle noire. À ses côtés les marquis d'Humières et Péguilin de Lauzun, capitaines des deux compagnies de gentilshommes en bec-de-corbin, tenaient chacun le bâton bleu, insigne de leur charge.
Dans le sillage de leurs pas, l'infante, la nouvelle reine, menée à droite par Monsieur, frère du roi, et, à gauche, par son chevalier d'honneur, M. de Bernonville. Sa robe était de brocart d'argent et son manteau de velours violet semé de lis d'or. Ce manteau, très court sur les côtés, avait dix aunes de long à la pointe. Il était soutenu par les jeunes cousines du roi, Mlles de Valois et d'Alençon et la princesse de Carignan. De plus, deux dames maintenaient au-dessus de la tête de la souveraine une couronne fermée. Le groupe étincelant n'avançait qu'avec peine dans la rue étroite le long de laquelle s'échelonnaient Suisses, gardes françaises et mousquetaires.
La reine mère, drapée dans ses voiles noirs brodés d'argent, suivait le couple, entourée de ses dames et de ses gardes.
En queue, venait Mlle de Montpensier, la « grande étourdie du règne », l'objet encombrant de la cour, vêtue de noir, mais avec vingt rangs de perles. Le chemin était court des maisons royales à l'église. Il y eut cependant quelques embarras. On vit fort bien que d'Humières se querellait avec Péguilin. Les deux capitaines prirent place à l'église aux côtés du roi. Avec le comte de Charost, capitaine d'une compagnie des gardes du corps, et le marquis de Vardes, capitaine-colonel des cent-suisses ils accompagnèrent le roi à l'offrande. En l'occurrence Louis XIV prit des mains de Monsieur, qui l'avait reçu du grand maître des cérémonies, un cierge chargé de vingt louis d'or et le remit à Jean d'Olce, évêque de Bayonne.
Mademoiselle remplissait auprès de la jeune reine Marie-Thérèse le même office que Monsieur près du roi.
– N'ai-je pas porté mon offrande et fait mes révérences aussi bien que n'importe qui ? demanda-t-elle plus tard à Angélique.
– Certes, Votre Altesse avait beaucoup de majesté.
Mademoiselle se rengorgea.
– Je suis propre aux cérémonies et je crois que ma personne tient aussi bien sa place en ces occasions que mon nom dans le cérémonial.
Grâce à sa protection, Angélique put assister de près à toutes les festivités qui suivirent : les repas, le bal. Le soir elle fut du long défilé des courtisans et des nobles qui vinrent s'incliner l'un après l'autre devant le grand lit où se trouvèrent étendus côte à côte le roi et sa jeune épouse.
Angélique vit ces deux jeunes gens immobiles comme de raides poupées, couchés entre des draps de dentelle sous le regard de la foule.
Tant d'étiquette ôtait vie et chaleur à l'acte qui allait s'accomplir. Comment ces époux, qui hier encore ne se connaissaient pas, et qui maintenant se tenaient guindés dans leur magnificence, empesés dans leur dignité, pourraient-ils se tourner l'un vers l'autre pour s'étreindre lorsque la reine mère aurait, selon l'usage, laissé retomber sur eux les rideaux du lit somptueux ? Elle eut pitié de l'infante impassible, qui sous les regards devait dissimuler son trouble de jeune fille. À moins qu'elle n'éprouvât nulle émotion, figurante accoutumée depuis l'enfance à la servitude des représentations. Il ne s'agissait que d'un rite de plus. On pouvait, faire confiance au sang bourbon de Louis XIV pour ne pas faillir.
En redescendant l'escalier, les seigneurs et les daines échangeaient des plaisanteries osées. Angélique pensait à Joffrey, qui avait été si doux et si patient pour elle. Où était-il, Joffrey ? De la journée, elle ne l'avait vu...
Dans le hall de la maison royale, Péguilin de Lauzun l'aborda. Il était un peu essoufflé.
– Où est le comte votre mari ?
– Ma foi, je le cherche aussi.
– Quand lavez-vous vu pour la dernière fois ?
– Je l'ai quitté ce matin pour me rendre à la cathédrale avec Mademoiselle. Lui-même accompagnait M. de Gramont.
– Vous ne l'avez pas aperçu depuis ?
– Mais non, vous dis-je. Vous avez l'air bien agité. Que lui voulez-vous ?
Le petit homme lui prit la main et l'entraîna.
– Allons à la demeure du duc de Gramont.
– Que se passe-t-il ?
Il ne répondit pas. Il avait toujours son bel uniforme, mais, contrairement à son habitude, son visage avait perdu sa gaieté.
Chez le duc de Gramont, le grand seigneur, attablé au milieu d'un groupe d'amis, leur dit que le comte de Peyrac l'avait quitté ce matin après la messe.
– Était-il seul ? interrogea Lauzun.
– Seul ? Seul ? bougonna le duc, que voulez-vous dire, mon petit ? Est-ce qu'il y a une personne dans Saint-Jean-de-Luz qui puisse se vanter d'être seule aujourd'hui ? Peyrac ne m'a pas confié ses intentions, mais je puis vous dire que son Maure l'accompagnait.
– Bon. J'aime mieux cela, dit Lauzun.
– Il doit être avec les Gascons. La bande mène joyeuse vie dans une taverne sur le port ; à moins qu'il n'ait répondu à l'invite de la princesse Henriette d'Angleterre, qui comptait lui demander de chanter pour elle et ses dames.
– Venez, Angélique, dit Lauzun.
*****
La princesse d'Angleterre était cette agréable jeune Bile près de laquelle Angélique avait été assise dans la barque, lors de la visite à l'île des Faisans. À l'interrogation de Péguilin, elle secoua négativement la tête :
– Non, il n'est point ici. J'ai envoyé un de mes gentilshommes à sa recherche, mais il ne l'a trouvé nulle part.
– Pourtant, son Maure Kouassi-Ba est un individu qu'on remarque sans difficultés.
– On n'a pas vu le Maure.
À la taverne de la Baleine-d'Or, Bernard d'Andijos se leva péniblement de la table, où était réunie la fleur de la Gascogne et du Languedoc. Non, personne n'avait vu M. de Peyrac. Dieu sait qu'on l'avait cherché, appelé, jusqu'à aller jeter des cailloux dans les vitres de son hôtel rue de la Rivière. On avait même cassé des carreaux chez Mademoiselle. Mais de Peyrac, pas de trace.
Lauzun se prit le menton pour réfléchir.
– Trouvons de Guiche. Le petit Monsieur faisait des yeux doux à votre mari. Il se peut qu'il l'ait entraîné en partie fine chez son favori.
Angélique suivait le duc à travers les ruelles encombrées, éclairées de torches et de lanternes de couleurs. Ils entraient, interrogeaient, ressortaient. Les gens était à table dans l'odeur des mets, la fumée des milliers de chandelles, le relent des domestiques qui avaient bu tout le jour aux fontaines de vin.
On dansait aux carrefours au son des tambourins et des castagnettes. Les chevaux hennissaient dans la pénombre des cours.
Le comte de Peyrac avait disparu.
Angélique saisit brusquement Péguilin et le fit pirouetter vers elle.
– Cela suffit, Péguilin, parlez. Pourquoi vous inquiétez-vous à ce point de mon mari ? Vous savez quelque chose ?
Il soupira, et soulevant discrètement sa perruque s'épongea le front.
– Je ne sais rien. Un gentilhomme de la suite du roi ne sait jamais rien. Il peut trop lui en cuire. Mais voici quelque temps que je soupçonne un complot contre votre mari.
Il lui chuchota à l'oreille :
– Je crains qu'on n'ait essayé de l'arrêter.
– L'arrêter ? répéta Angélique. Mais pourquoi ?
Il eut un geste d'ignorance.
– Vous êtes fou, reprit Angélique. Qui peut donner l'ordre de l'arrêter ?
– Le roi, évidemment.
– Le roi a autre chose à faire que de songer à faire arrêter les gens un pareil jour. Cela ne tient pas debout, ce que vous racontez.
– Je l'espère. Je lui ai fait porter un mot d'avertissement hier soir. Il était temps encore pour lui de sauter sur son cheval. Madame, vous êtes bien certaine qu'il a passé la nuit près de vous ?
– Oh ! oui, bien certaine, fit-elle en rougissant un peu.
– Il n'a pas compris. Il a joué encore, jonglé avec le Destin.
– Péguilin, vous me rendez folle ! s'écria Angélique en le secouant. Je crois que vous êtes en train de me faire une odieuse plaisanterie.
– Chut !
Il l'attira contre lui en homme familier des femmes, et lui appuya la joue contre la sienne pour l'apaiser.
– Je suis un bien vilain garçon, ma mignonne, mais meurtrir votre petit cœur, voilà une chose dont je ne serai jamais capable. Et d'ailleurs, après le roi, il n'est pas d'homme que j'aime autant que le comte de Peyrac. Ne nous affolons pas, ma mie. Il se peut qu'il ait fui à temps.
– Mais enfin..., s'exclama Angélique.
Il eut un geste impérieux.
– Mais enfin, reprit-elle plus bas, pourquoi le roi voudrait-il l'arrêter ? Sa Majesté lui a parlé hier soir encore avec beaucoup de grâce, et j'ai moi-même surpris des paroles où le roi ne cachait pas la sympathie que Joffrey lui inspirait.
– Hélas ! Sympathie !... Raison d'État... Influences, ce n'est pas à nous, pauvres courtisans, de doser les sentiments du roi. Souvenez-vous qu'il a été l'élève de Mazarin, et que celui-ci parlait de lui de cette façon : « Il se mettra tard en chemin, mais il ira plus loin que les autres. »
– Ne pensez-vous pas qu'il y ait là-dessous quelque intrigue de l'archevêque de Toulouse, Mgr de Fontenac ?
– Je ne sais rien... je ne sais rien, répéta Péguilin.
Il la raccompagna jusqu'à son hôtel, lui dit qu'il allait encore s'informer et qu'il viendrait la voir au matin. En rentrant, Angélique espérait follement que son mari l'attendrait là, mais elle ne trouva que Margot veillant sur Florimond endormi, et la vieille tante, bien oubliée au milieu de ces fêtes et qui trottinait dans les escaliers. Les autres domestiques étaient partis danser en ville.
Angélique finit par se jeter tout habillée sur son lit, après avoir seulement retiré ses bas et ses souliers. Elle avait les pieds gonflés de la folle course qu'elle avait menée avec le duc de Lauzun à travers la ville. Son cerveau tournait à vide.
« Je réfléchirai demain », se dit-elle. Et elle s'endormit lourdement. Elle fut réveillée par un appel venu de la rue.
– Médême ! Médême !...
La lune voyageait au-dessus des toits plats de la petite ville. Des clameurs et des chants venaient encore du port et de la grand-place, mais le quartier était calme et presque tout le monde y dormait, rompu de fatigue.
Angélique se précipita au balcon et aperçut le Noir Kouassi-Ba, debout dans le clair de lune.
– Médême ! Médême !...
– Attends, je viens t'ouvrir.
Sans prendre le temps de se rechausser, elle descendit, alluma une chandelle dans le vestibule et tira la porte.
Le Noir se glissa à l'intérieur d'un bond souple de bête. Ses yeux brillaient d'un éclat étrange ; elle vit qu'il tremblait comme s'il avait été en état de transe.
– D'où viens-tu ?
– De là-bas, fit-il avec un geste vague. Il me faut un cheval. Tout de suite, un cheval !
Ses dents se découvrirent dans une grimace extraordinairement sauvage.
– On a attaqué mon maître, chuchota-t-il, et je n'avais pas mon grand sabre. Oh ! Pourquoi n'avais-je pas mon grand sabre aujourd'hui ?
– Comment cela : « attaqué », Kouassi-Ba ?Qui ?
– Je ne sais pas, maîtresse. Comment saurais-je, moi, pauvre esclave ? Un page lui a porté un petit papier. Le maître y est allé. Je suivais. Il n'y avait pas beaucoup de monde dans la cour de cette maison ; seulement un carrosse avec des rideaux noirs. Des hommes sont sortis et l'ont entouré. Le maître a tiré son épée. D'autres hommes sont venus. Ils l'ont frappé. Ils l'ont mis dans le carrosse. Je me suis accroché au carrosse. Deux valets étaient montés derrière, sur l'essieu. Ils m'ont frappé jusqu'à ce que je sois tombé, mais j'en ai fait tomber un aussi et je l'ai étranglé.
– Tu l'as étranglé ?
– Avec mes mains, comme cela, dit le Noir en ouvrant et refermant ses paumes rosés ainsi que des tenailles. J'ai couru sur la route. Il y avait trop de soleil et ma langue est plus grosse que ma tête tant j'ai soif.
– Viens boire, tu parleras après.
Elle le suivit dans l'écurie, où il prit un seau et but longuement.
– Maintenant, fit-il en essuyant ses lèvres épaisses, je vais prendre un cheval et je vais les poursuivre. Je les tuerai tous avec mon grand sabre.
Il remua la paille et sortit son petit bagage. Tandis qu'il était ses vêtements de satin déchirés et souillés de poussière pour revêtir une livrée plus simple de domestique, Angélique, les dents serrées, entra dans le box et détacha le cheval du Nègre. Les brins de paille piquaient ses pieds nus, mais elle n'en avait cure. Il lui semblait vivre un cauchemar où tout allait lentement, trop lentement...
Elle courait vers son époux, elle tendait les bras vers lui. Mais jamais plus elle ne pourrait le rejoindre, jamais...
Elle regarda le noir cavalier s'élancer. Les sabots du cheval firent jaillir des étincelles de la rue pavée de cailloux ronds. Le bruit du galop décrut alors qu'un autre bruit naissait dans le matin limpide : celui des cloches sonnant les offices de matines pour une action de grâces.
La nuit des noces royales s'achevait. L'infante Marie-Thérèse était reine de France.