CHAPITRE 10 L’HEURE DE VÉRITÉ
Il était près de minuit.
Silencieuse et imposante, la Rolls noire de sir Eric Ferrais prenait l’avenue Hoche en direction de l’Étoile, conduite d’une main prudente par Morosini. En d’autres circonstances, il eût éprouvé un vif plaisir à piloter cette superbe machine dont le moteur ultra-silencieux ronronnait à peine sous la laque brillante du long capot au bout duquel s’envolaient les draperies d’argent de la « Silver Lady », le prestigieux bouchon de radiateur. Comme beaucoup d’Italiens, il adorait l’automobile, avec une nette préférence pour les modèles de course, mais mener ce genre de voiture était une expérience qui valait d’être vécue.
Trois minutes plus tôt, il quittait l’hôtel Ferrais sous l’œil torturé de Riley, le chauffeur que l’usine de Crewe avait « livré » en même temps que la merveille, ainsi que l’exigeait un règlement auquel se soumettaient même les têtes couronnées. De toute évidence, le malheureux se disait que « sa » précieuse « Silver Ghost » allait à la catastrophe et que cet habitué des gondoles et des motoscaffi ne serait jamais capable de la diriger selon les règles.
Ces quelques instants tragi-comiques avaient un peu détendu Aldo dont les nerfs avaient été mis à rude épreuve par les quarante-huit heures d’incertitude qu’il venait de vivre. En effet, il n’y avait guère plus d’une heure que les ravisseurs d’Anielka s’étaient manifestés pour donner leurs dernières instructions : le prince Morosini, nanti de la rançon et du saphir, prendrait place au volant de la Rolls-Royce de sir Eric – on avait bien spécifié la marque parmi celles que possédait le baron – et devrait se trouver à minuit à l’entrée de la contre-allée de l’avenue du Bois-de-Boulogne, côté numéros pairs, non loin de la rue de Presbourg.
À sa surprise, le maître des lieux était demeuré invisible. Il souffrait, paraît-il, d’une cruelle névralgie et ce fut des mains de John Sutton, son secrétaire, que le messager reçut la mallette contenant l’argent et l’écrin. Il n’en fut pas surpris : il devinait quel déchirement éprouvait le marchand d’armes à se défaire de son talisman bien-aimé.
– Si tu savais la vérité, mon bonhomme, mâchonna Morosini entre ses dents, tu serais peut-être moins triste, mais plus furieux !
Mina était arrivée sans encombres à destination avec son précieux chargement, ainsi que le lui avait appris, la veille au soir, un bref coup de téléphone. À présent, il s’agissait de délivrer Anielka, mais pour en faire quoi ? L’honnêteté voulait qu’elle soit ramenée à l’époux qui s’imposait pour elle un si lourd sacrifice et Morosini était un homme d’honneur, ce qui ne l’empêchait pas d’éprouver une vive répugnance à l’idée de remettre celle qu’il aimait entre les bras d’un autre. Vidal-Pellicorne, en lui serrant la main tout à l’heure, avait ramené le problème à ses justes dimensions en déclarant :
– Sortez-en tous les deux vivants et ce sera déjà magnifique ! Ensuite, elle aura peut-être son mot à dire.
Il avait plu toute la journée. La nuit restait fraîche et humide. Pas grand-monde dehors. La voiture glissait avec un bruit soyeux sur le ruban d’asphalte luisante au bout duquel se dressait l’Arc de Triomphe, vu de trois quarts et mal éclairé.
Arrivé à l’endroit prescrit, Morosini arrêta l’automobile, tira son étui à cigarettes pour calmer ses nerfs, craqua une allumette mais n’eut pas le temps d’enflammer le mince rouleau de tabac : par la portière brusquement ouverte, un souffle puissant éteignit la flamme. En même temps, une voix nasillarde dotée d’un accent new-yorkais intimait :
– Pousse-toi ! C’est moi qui vais conduire. Et pas un geste de trop !
Le canon de revolver que l’autre appliquait sous son maxillaire était des plus dissuasifs. Aldo se glissa sur le siège voisin en se contentant de demander :
– Vous avez déjà conduit une Rolls ?
– Pourquoi ? Y a un mode d’emploi ? C’est une bagnole, non ? Alors ça marche comme n’importe quelle autre.
Morosini imagina ce que pourrait dire le chauffeur Riley de cet incroyable blasphème, puis l’oublia : l’autre portière s’ouvrait à son tour et une paire de menottes claqua autour de ses poignets, après quoi on lui appliqua sur les yeux un épais bandeau noir.
– On peut y aller ! déclara une voix faubourienne, qui, pour être parisienne, n’en était pas moins antipathique.
L’homme qui s’assit derrière le volant devait être un colosse. Aldo s’en rendit compte en sentant diminuer son espace vital. Le poids – horreur suprême ! – fit grincer très légèrement un ressort. Le nouveau venu empestait le rhum, tandis que son compagnon dégageait des effluves de parfum oriental à bon marché grâce auquel l’aristocratique véhicule prit un petit air de souk.
Le nouveau conducteur mit en marche, passa une vitesse, mais si brutalement que la boîte, indignée, protesta. Morosini fit chorus :
– Qu’est-ce que vous croyez conduire ? Un tracteur ? Je savais bien, moi, que « sir Henry » ne serait pas content.
– Sir Henry ?
– Apprenez, mon ami, que chez Rolls-Royce, on appelle ainsi les moteurs construits par la maison. C’est le prénom du magicien qui les fait naître.
– Tu veux qu’j’le fasse taire, c’t’espèce de snob ? grogna le passager de l’arrière. Y m’agace !
Le snob en question s’abstint cette fois de donner son avis, se doutant de la façon dont l’autre comptait lui imposer silence. Il s’enfonça dans son siège et s’efforça de suivre le chemin. Il connaissait bien Paris, aussi comptait-il sur sa mémoire pour se repérer mais, dans l’obscurité totale où il se trouvait, il perdit le fil assez vite. La voiture descendit d’abord l’avenue du Bois, tourna à droite, puis à gauche et encore à droite, à droite, à gauche... Au bout d’un moment, les noms des rues se brouillèrent, bien que le chauffeur occasionnel, rendu prudent par les sarcasmes de son prisonnier, eût adopté une allure modérée.
Le voyage dura une heure, ainsi que l’attesta l’horloge d’une église qui frappa un coup peu de temps avant l’arrivée. Quant à la nature du chemin suivi, la suspension exceptionnelle de la Rolls ne permettait guère de l’apprécier. Pourtant, après une légère secousse, le passager entendit crisser sous les roues le gravier d’une allée. Quelques instants plus tard, la voiture s’arrêtait.
Le chauffeur, qui n’avait pas ouvert la bouche depuis la petite leçon de Morosini, grogna :
– Reste tranquille ! J’ vais t’ sortir de là et puis j’t’ aiderai à marcher...
– Des fois qu’y casserait sa belle gueule, ricana son compagnon, ça s’ rait un vrai malheur !
Lorsqu’il mit pied à terre, Morosini sentit qu’on le prenait par le bras ou plutôt qu’on le hissait : son soutien devait avoir la taille d’un gorille. Ainsi tracté, ce qui l’obligeait à lever l’autre bras pour que les menottes ne lui entament pas la peau, il gravit quelques marches de pierre. Autour de lui, cela sentait la terre, les arbres, l’herbe mouillée. Quelque propriété à l’écart de Paris, sans doute ? Ensuite, il y eut un dallage et le claquement d’une lourde porte derrière lui. Enfin, un parquet grinça sous ses pas vite amortis par un tapis.
Le poing qui le soutenait l’abandonna et il se sentit déstabilisé comme l’aveugle qu’on lâche sans appui au milieu d’un espace vide. Mais, soudain, le bandeau trop bien ajusté s’envola et Morosini, ébloui, chercha à préserver ses yeux de ses mains enchaînées. La violente lumière d’une lampe posée sans doute sur une table l’éblouit soudainement.
Une voix métallique et froide, teintée d’un léger accent, ordonna :
– Enlevez-lui les bracelets ! C’était peut-être utile dans la voiture, mais pas ici.
– Si vous vouliez bien aussi diriger votre lampe dans une autre direction, je crois que j’apprécierais, dit Morosini.
– N’en demandez pas trop ! Vous avez l’argent et le bijou ?
– Je les avais quand j’ai quitté l’hôtel de sir Eric Ferrais. Pour le reste, adressez-vous à vos sbires !
– Tout est là, patron ! fit l’Américain soulagé de s’exprimer dans sa propre langue.
– Alors qu’est-ce que tu attends pour me l’apporter ?
En s’avançant dans le flot lumineux, le gorille – le personnage en possédait les dimensions : environ un mètre quatre-vingt-quinze et taillé en conséquence ! – obtura l’éclairage et apaisa d’autant le malaise du prisonnier. Le faisceau changea aussitôt de direction pour illuminer le dessus de ce qui devait être un bureau.
La silhouette d’un homme assis derrière se dessina, mais seules ses mains, belles et fortes, sortant de manches en tweed, furent visibles. Elles s’activèrent à ouvrir la mallette, sortant les liasses de billets verts et l’écrin qu’elles ouvrirent, libérant les feux profonds du saphir, ceux plus froids des diamants de la monture, et arrachant à l’inconnu un sifflement admiratif. Pour sa part, Morosini rendit mentalement hommage à l’habileté de Simon Aronov : c’était en vérité un grand artiste. Son faux faisait presque plus vrai que le vrai.
– Je commence à regretter de ne pas le garder pour moi ! murmura l’inconnu. Mais quand on a donné sa parole, il faut la tenir !
– Heureux de vous voir animé de si nobles sentiments ! persifla Morosini. Dans ce cas et, puisque vous avez ce que vous désirez, puis-je vous prier de me rendre d’abord lady Ferrais et ensuite la liberté... sans compter la Rolls-Royce, pour que je puisse ramener votre captive chez elle ? Si toutefois elle est encore vivante, ajouta-t-il d’un ton où perçaient à la fois l’angoisse et une menace.
– Rassurez-vous, elle va très bien ! Vous allez pouvoir en juger dans un instant. On va vous conduire auprès d’elle.
– Je ne viens pas faire une visite : je viens la chercher !
– Chaque chose en son temps !... Je crois que vous devriez...
Il s’interrompit.
Une porte venait de s’ouvrir en même temps que le plafonnier s’allumait, révélant une pièce assez grande plutôt mal meublée dans un style bourgeois prétentieux et tapissée d’un affligeant papier à ramages et à fleurs dans des tons verdâtres, chocolat et rose bonbon qu’Aldo jugea écœurants.
– Ah ! Je vois que tout est là ! s’écria Sigismond Solmanski en s’avançant avec empressement vers la table où s’étalait la rançon de sa sœur dont il palpa quelques billets. L’homme qui en faisait l’inventaire les lui ôta brusquement pour les renfermer dans leur mallette.
– Que venez-vous faire ici ? gronda-t-il. N’était-il pas convenu que vous ne deviez pas vous montrer ?
– Sans doute ! fit le jeune homme d’un ton léger en s’emparant de l’écrin qu’il ouvrit. Mais j’ai pensé que cela n’avait plus d’importance et puis, mon cher Ulrich, je n’ai pas pu résister à l’envie de voir la tête de cet imbécile qui, en dépit de ses grands airs, est venu se jeter dans nos pattes comme un puceau amoureux ! Alors, Morosini, ajouta-t-il méchamment, quel effet cela fait-il d’avoir été réduit à l’état de larbin du vieux Ferrais ?
Aldo, que cette apparition n’avait pas autrement surpris, allait se contenter d’un dédaigneux haussement d’épaules quand Sigismond se mit à ricaner : un petit rire grinçant qu’il n’eut aucune peine à reconnaître. Instantanément, son poing partit comme un bélier en un uppercut foudroyant qui atteignit Sigismond au menton et l’envoya au tapis pour le compte.
– Espèce de petite ordure ! cracha-t-il en massant ses phalanges un peu endolories. Je te devais ça depuis un moment ! J’espère ne pas vous avoir fait trop de peine ? ajouta-t-il en se tournant vers le nommé Ulrich toujours debout derrière sa table.
– Heureux de vous avoir donné l’occasion de régler un compte, monsieur, fit celui-ci d’un ton placide où perçait un certain respect. Vous avez une droite redoutable.
– La gauche n’est pas mal non plus.
– Félicitations ! Sam, emporte ce jeune blanc-bec à la cuisine, ranime-le mais arrange-toi pour qu’il se tienne tranquille pendant un moment ! Vous, suivez-moi ! ajouta-t-il pour Aldo.
Celui-ci lui emboîta le pas sans trop savoir que penser du personnage. Un étranger à coup sûr, mais quoi au juste ? Allemand, Suisse, Danois ? C’était un homme grand et maigre, avec une figure en lame de couteau surmontée de grosses lunettes d’écaille de provenance américaine et assez semblables à celles que portait Mina Van Zelden. Difficile à manier, très certainement : le jeune Sol-manski, affilié à sa bande et qui avait dû indiquer « le bon coup », semblait payé pour s’en apercevoir.
Derrière lui, Morosini pénétra dans le couloir central de la maison, gravit un escalier de bois mal entretenu, arriva sur un palier où donnaient quatre portes. Ulrich en ouvrit une après avoir frappé.
– Entrez ! dit-il. Vous êtes attendu.
Aldo pénétra dans une chambre dont il ne vit rien, à l’exception d’Anielka dont l’attitude ne laissa pas de le surprendre. Il s’attendait à voir une malheureuse éplorée, épuisée, ligotée : il vit une jeune fille vêtue d’une robe élégante occupée à se polir les ongles, assise devant une coiffeuse ornée d’un vase de fleurs. Elle semblait détendue, à son aise, et il se traita d’idiot : si son frère était à l’origine de l’enlèvement, il n’y avait aucune raison qu’elle soit maltraitée ; quant au danger, il devenait illusoire. Aussi, refrénant son élan primitif, pré-féra-t-il se tenir sur ses gardes, mais comme Anielka n’avait pas l’air de s’apercevoir de sa présence, il éprouva un début d’irritation. L’idée qu’elle pouvait être en train de se moquer de lui l’effleurait :
– Heureux de vous voir en bonne santé, ma chère, mais puis-je dire que vous avez une curieuse façon d’accueillir votre libérateur ? Les tourments que vous avez causés n’ont pas l’air d’altérer votre sérénité ?
Elle éloigna l’une de ses mains pour juger de l’effet puis, avec un petit sourire triste, elle haussa les épaules :
– Des tourments ? Pour qui ?
– Pas pour votre frère, en tout cas ! Je viens de le voir : il est épanoui, ce garçon. Son mauvais coup a réussi et je commence à croire que c’est aussi le vôtre ?
– Peut-être. Ne devais-je pas m’enfuir au soir de mes noces ?
– Oui, mais avec moi ou avec des gens convenables. D’où sortez-vous ces truands américains, français, allemands ou Dieu sait quoi ?
– Ce sont des amis de Sigismond et je leur suis très reconnaissante.
Elle se levait enfin pour regarder Aldo en face.
– Reconnaissante ? Et de quoi, s’il vous plaît ?
– De m’avoir évité la plus grosse bêtise de ma vie en vous rejoignant et, surtout, de m’être vengée de ceux qui ont osé m’offenser !
– Et qui sont ? Parlez, bon sang ! Il faut vous arracher les mots !
– Sir Eric et vous !
– Moi, je vous ai offensée ? J’aimerais bien savoir comment.
– En trahissant à la face de tous, publiquement et presque sous mes yeux, ce grand amour que vous disiez éprouver pour moi. Lorsque je suis venue à vous, j’ignorais – et vous vous êtes bien gardé de me l’apprendre ! – quel lien intime vous unissait à Mme Kledermann...
– Je ne vois pas pourquoi je vous aurais parlé d’une histoire vieille de plusieurs années. Avant la guerre, elle a été ma maîtresse mais nous ne sommes plus que... des amis. Et encore !...
– Des amis ? Comment pouvez-vous être aussi lâche, aussi menteur ? Faut-il vous dire que je vous ai vu avec elle, de mes propres yeux vu, sous la fenêtre de ma chambre. Votre façon de vous embrasser n’avait rien d’amical...
Aldo maudit les impétuosités de Dianora et sa propre stupidité mais le mal était fait : il fallait jouer avec les mauvaises cartes distribuées par un destin ironique.
– J’avoue, fit-il, que je me suis mis là dans un mauvais cas, mais je vous en supplie, n’attachez pas d’importance à ce baiser, Anielka ! Si je n’ai pas repoussé Dianora quand elle s’est jetée à mon cou, c’est parce que j’ai appris à me méfier de ses emballements, de ses foucades. C’est elle qui a voulu notre séparation en 1914 et je reconnais bien volontiers qu’elle essaie de renouer. Ce soir-là, j’en conviens, j’ai eu l’intention de l’utiliser comme paravent, mais c’était dans le seul but d’écarter de moi – et donc de vous ! – les soupçons de sir Eric lorsque votre fuite serait découverte.
– Mes félicitations ! Si c’était un rôle, vous l’avez joué fort convenablement... et jusque dans son lit ! Fallait-il aller si loin ?
– Dans son lit ?
– Allez-vous cesser de me prendre pour une idiote, à la fin ? hurla la jeune fille en empoignant un flacon de parfum qui rata de peu la tempe d’Aldo. Dans son lit, oui ! Je vous y ai vu, dormant à poings fermés après avoir fait l’amour avec elle, je suppose. La chemise ouverte, les cheveux en désordre, vous étiez répugnant ! Le mâle assouvi !
Elle s’emparait déjà d’un autre projectile, mais Aldo bondit sur elle et la maîtrisa en dépit de sa furieuse défense.
– Une seule question : l’avez-vous vue auprès de moi ?
– Non. Elle préférait sans doute vous laisser reprendre de nouvelles forces en toute tranquillité ! Oh, je vous hais, je vous hais !
– Haïssez-moi tant que vous voulez, mais écoutez d’abord ! Et tenez-vous tranquille un instant ! Il ne vous est pas venu à l’idée que j’avais pu être assommé ou drogué avant d’être apporté sur ce lit ? C’est ce bon Sigismond, n’est-ce pas, qui vous a conduite dans la chambre afin de mieux vous convaincre de partir avec lui ? C’est bien ça, n’est-ce pas ? On ne vous a pas fait violence un seul instant...
À mesure qu’il parlait, les événements s’éclairaient petit à petit. Anielka n’essayait même pas de nier. Au contraire, elle aurait eu plutôt tendance à revendiquer.
– En effet, et je suis partie avec joie ! C’était la seule façon pour moi de vous échapper : vous et cet horrible vieillard ! Oh ! je voudrais vous voir morts tous les deux !
Morosini lâcha la jeune furie et alla vers la fenêtre qu’il ouvrit pour respirer un peu la fraîcheur de la nuit. Il se sentait étouffer dans cette chambre étroite.
– Tout ce que je pourrais dire ne servirait à rien ? Vous avez décidé que j’étais coupable et votre jugement est sans appel ?
– Vous n’avez pas droit aux circonstances atténuantes ! D’ailleurs... même sans votre trahison, je ne serais pas partie avec vous.
– Pour quelle raison ?
– Souvenez-vous de ce que je vous ai dit au Jardin d’Acclimatation : « Si je dois subir l’assaut de sir Eric, je ne vous reverrai de ma vie. » ... Et si, ce soir, j’ai tenu à vous parler, c’est parce que je ne voulais pas m’éloigner sans vous avoir jeté au visage tout le mépris que vous m’inspirez... C’est fait maintenant : vous pouvez partir !
Abandonnant la fenêtre, Aldo se tourna vers Anielka, mais il ne la vit que de dos. Un dos prolongeant des épaules qui tremblaient, une tête penchée. Il supposa qu’elle pleurait, et un peu d’espoir lui revint en dépit des paroles affreuses qu’elle venait de prononcer et qu’il ne comprenait pas bien.
– Ce que vous m’avez dit au jardin ? Mais... vous n’avez pas eu à subir... quoi que ce soit, j’imagine ?
La brusque volte-face d’Anielka lui montra un visage noyé de larmes :
– Eh bien, vous imaginez mal, mon cher ! Cette blancheur dont j’étais environnée pour marcher à l’autel n’était que dérision... pitoyable mascarade : depuis la nuit précédente, je n’étais plus vierge et j’étais déjà la femme de Ferrais.
Morosini eut un cri de protestation puis, soudain très malheureux, il enveloppa la jeune femme d’un regard à la fois incrédule et suppliant.
– Vous dites ça pour me faire mal. Je refuse de croire que cet homme soit une brute. Je sais... on m’a dit qu’après la cérémonie civile vous aviez reçu la bénédiction d’un pasteur, mais tant que vous n’étiez pas mariée selon le rite catholique...
– Et je ne le suis toujours pas ! Pourquoi croyez-vous que je me suis évanouie au moment des consentements après avoir prononcé dans sa langue des mots qui ne signifiaient rien ?
– A quoi cela pouvait-il vous servir si, comme vous le prétendez, le pire était arrivé ?
– Cela me sert à savoir que Dieu n’a pas consacré cette union et que, devant lui au moins, je suis toujours libre. Et je ne « prétends » pas que le pire soit arrivé : j’ai été violentée ! Il est venu dans ma chambre comme un voleur, mais il avait bu... et il m’a soumise ! Oh ! le lendemain il s’est excusé en alléguant la passion que je lui inspirais et qui avait été plus forte que sa volonté...
– J’ai bien peur qu’elle soit réelle, fit Aldo avec amertume.
– Peut-être, mais rien ne sera suffisant pour effacer l’odieux souvenir des caresses de cet homme. C’était... c’était horrible... répugnant !...
Elle écartait les doigts de ses deux mains et, avec une expression de dégoût profond, elle les passait sur ses épaules, sa gorge et son ventre comme si elle essayait de chasser des traces de salissure. En même temps, des larmes coulaient de ses yeux grands ouverts.
Incapable d’endurer ce désespoir, Aldo se risqua à l’approcher et la prit dans ses bras. Il craignait une réaction violente, des cris de colère, une défense furieuse, mais il n’en fut rien. Tout au contraire, Anielka, secouée de sanglots, se blottit contre sa poitrine et il en éprouva un bonheur infini. Ce fut un instant d’une telle douceur qu’il en oublia leur inquiétant environnement... mais ce fut un instant qui ne dura pas.
D’un sursaut, Anielka s’arracha et mit entre eux deux toute la longueur de la chambre. Et, cette fois, quand il voulut la rejoindre, elle le cloua sur place d’un geste impérieux :
– N’approchez pas ! C’est fini !... Nous venons de nous dire adieu.
– Je ne peux accepter ce mot-là entre nous. Vous m’aimez toujours, j’en suis certain, et mon Dieu m’est témoin que je ne vous ai pas trahie et qu’il n’y a, dans mon cœur, que vous seule... En outre, vous venez d’être injuste...
– Vraiment ?
– Vraiment. Si j’avais pu deviner ce qui se passerait la veille du mariage, je ne l’aurais jamais permis. À présent, il faut que vous essayiez d’oublier ! Avec un peu de temps et beaucoup d’amour, vous y arriverez. Vous allez venir avec moi, puisque je suis venu vous chercher !
– Et vous pensez que je vais vous suivre ?
– Votre rançon est payée. Vous êtes libre.
– Je l’ai toujours été. D’ailleurs, vous me mentez encore : c’est Ferrais qui a payé, Ferrais qui vous envoie alors que son « grand amour » lui faisait une obligation de venir lui-même. Mais non, il se contente d’attendre sereinement que vous me rameniez dans son lit ! Et moi, je ne veux pas ! Nous avons une belle somme d’argent et notre saphir familial, ajouta-t-elle en appuyant sur le dernier mot. Il faudra bien que père s’en contente. Tant pis pour la fortune ! Il en trouvera une autre.
– Avec vous comme appât, cela ne fait aucun doute ! Mais imaginez-vous par hasard que vos associés vont tout vous remettre ou même partager avec vous ? Ça m’étonnerait ! Et où comptez-vous aller en sortant d’ici ?
– Je ne sais pas encore. Peut-être en Amérique ? Assez loin, en tout cas, pour que l’on me croie morte...
– Et votre père est d’accord ?
– Il ne sait rien et je pense qu’il ne sera pas très content mais Sigismond arrangera tout et il comprendra que nous avons eu raison.
– Je vois ! Alors mettez un comble à vos bontés en m’apprenant ce que l’on va faire de moi ?
– On ne vous fera pas de mal, rassurez-vous ! Ils m’ont juré de ne pas attenter à votre vie. Vous allez être abandonné ici, soigneusement ligoté et quand vous pourrez donner l’alerte nous serons loin...
– ... et comme je ne ramènerai ni le saphir ni vous, votre époux – il l’est que vous le vouliez ou non ! – pensera que je me suis approprié les deux. C’est assez répugnant mais plutôt bien imaginé ! Dire que j’ai été assez stupide pour vouloir faire de vous ma femme ! On n’est pas plus ridicule ! Quant à vous et votre Sigismond, vous n’êtes que des gamins dangereux et irresponsables pour qui la vie ou les sentiments des autres sont lettre morte ! Seuls, vos caprices...
– Cela vous va bien de parler de sentiments, vous qui vous êtes joué des miens, qui avez osé...
– Vous trahir ? Je sais ! Ne recommençons pas !... Votre seule excuse, c’est votre jeunesse, et j’aurais dû être sage pour deux ! A présent, allez au diable avec qui vous voulez puisque votre distraction favorite consiste à vous enfuir avec le premier venu ! Moi, j’en ai assez...
Tournant les talons, il se dirigea vers la porte mais, au moment où il atteignait le bouton, elle le rattrapa, le tira en arrière près de la fenêtre demeurée ouverte.
– Sauvez-vous pendant qu’il en est temps encore ! s’écria-t-elle. En suivant le rebord, on peut atteindre une petite terrasse d’où il doit être facile de rejoindre le sol. Ensuite, si vous allez tout droit, vous trouverez un mur mais il n’est pas très haut. Derrière, il y a la route de Paris qu’il faut prendre à droite...
– Vous voulez que je m’enfuie, à présent ? Qu’est-ce que ça cache encore ?
Il la regardait au fond des yeux et vit qu’ils étaient pleins de larmes et de supplications. Elle semblait bouleversée.
– Rien d’autre que mon désir de vous savoir vivant, murmura-t-elle. Après tout... je ne connais pas ces gens, même si mon frère les porte aux nues, et j’ai peut-être eu tort de leur faire confiance. Maintenant, je ne sais plus qui croire... et j’ai peur ! S’il allait vous arriver quelque chose... je... je serais très malheureuse !
– Alors venez avec moi !
Il l’avait saisie aux épaules pour mieux lui communiquer sa force et sa conviction, mais elle n’eut pas le temps de répondre : la voix métallique d’Ulrich se faisait entendre sur le seuil :
– Charmant tableau ! J’espère que vous vous êtes tout dit ? Nous n’avons plus de temps à perdre ! Alors veuillez lever les mains en l’air, tous les deux, et sortir sans faire d’histoires !
Le gros revolver à barillet qui prolongeait son poing rendait la discussion difficile, pourtant Aldo protesta :
– Pourquoi elle ? Je vous croyais complices ?
– Je le croyais aussi mais, après ce que j’ai entendu, je n’en suis plus très sûr.
– Qu’allez-vous en faire ?
– C’est à elle de choisir : si elle veut toujours nous suivre, son frère l’attend dans la voiture sous la garde de Gus. Si elle préfère rester avec vous, elle partagera votre sort.
– Laissez-la partir !
– J’ai peut-être mon mot à dire ? s’insurgea la jeune femme.
– Vous le direz plus tard ! On perd du temps. Descendez et pas un geste ou je tire !
Rien d’autre à faire que de s’exécuter !
La double porte du salon n’était que poussée.
À l’intérieur, le gigantesque Sam attendait avec les menottes qu’il reboucla autour des poignets d’Aldo, et des cordes qui lui servirent à le ficeler soigneusement sur une chaise plantée au beau milieu de la pièce. Quand ce fut fait, Ulrich qui tenait toujours Anielka en respect l’interrogea :
– À votre tour, ma belle ! Que choisissez-vous ? Une autre chaise aussi confortable, ou la Rolls de votre riche époux ? Car, bien entendu, nous n’avons pas l’intention de la rendre. Elle plaît beaucoup à mon ami Sigismond qui a bien mérité cette récompense...
– Elle le mènera tout droit en prison, ricana Morosini. Il va en faire quoi, de sa Rolls ? La promener dans Paris où elle sera repérée en deux minutes ?
– C’est son affaire. Alors, ma jolie, que choisissez-vous ?
Anielka croisa les bras et releva son joli nez d’un air de défi.
– Dire que je vous prenais pour un ami ! Je préfère encore rester ici...
– Ne soyez pas stupide, Anielka ! fit Aldo. Allez-vous-en ! Je n’augure rien de bon de ce qui m’attend et au moins vous serez avec votre frère.
– Ça, t’as bougrement raison ! s’exclama le gros Sam. Parc’ que si tu veux savoir, on va foutre l’ feu à la cabane avant d’se tirer !
Le hurlement terrifié de la jeune femme couvrit la protestation d’Ulrich reprochant à son acolyte d’avoir la langue trop longue, puis s’arrêta net : le géant venait de la frapper brutalement et elle s’écroula tandis qu’il commençait à la ficeler. Cette fois, Ulrich approuva :
– C’est aussi bien comme ça ! Elle commençait à faire trop de bruit. Quant au gamin, s’il nous embête trop, on s’en débarrassera aussi ! Au moins on gardera tout !
– Vous êtes vraiment de fiers misérables ! jeta Morosini indigné. Emmenez-la donc ! Sa mort ne vous rapportera que de très gros ennuis...
Penché sur le corps de la jeune femme, Sam marquait un instant d’hésitation quand il s’écroula avec un cri, atteint dans le dos par la balle que venait de tirer Ferrais. Le baron pénétrait à cet instant dans la pièce, un Colt à chaque poing. Ulrich, furieux, fit feu à son tour mais l’une des deux gueules noires cracha, lui arrachant son propre pistolet avec une précision diabolique.
– On dirait que vous savez vous en servir ? commenta Morosini qui n’avait jamais été aussi content de voir cet homme qu’il n’aimait pas. D’où sortez-vous donc, sir Eric ?
– De ma voiture. Je suis venu avec vous sans que vous vous en doutiez...
– Je vois ! J’aurais dû vous laisser vous débrouiller seul !... En attendant, sortez votre femme de là ! Elle va étouffer sous ce poids...
Sans quitter de l’œil Ulrich que sa main brisée faisait gémir, Ferrais s’efforça de faire basculer à coups de pied le corps de Sam, mais l’Américain était lourd et la jeune femme sans connaissance. Posant alors une de ses armes, il se pencha pour empoigner l’énorme carcasse et la tirer en arrière quand Morosini, qui suivait la manœuvre avec impatience, l’avertit :
– Attention ! La porte !
Une silhouette s’encadrait dans le chambranle : celle de Gus, l’homme des faubourgs. Il était armé d’un couteau qu’il lança avec une rapidité dénotant une longue habitude, et qui manqua sir Eric d’un cheveu avant d’aller se planter dans le parquet. L’Anglais tira à son tour mais cette fois rata une cible qui venait de disparaître. En même temps, une voix bien connue criait :
– Cessez le feu ! C’est moi, Vidal-Pellicorne ! Il était méconnaissable parce que noir de la tête
aux pieds : vêtements, casquette à pont enfoncée jusqu’aux yeux et visage passé à la suie, le parfait ramoneur ! Sous son bras, l’archéologue traînait le corps de Gus qu’il venait d’assommer et qu’il laissa tomber à terre, quand il s’aperçut que, maîtrisant sa souffrance, Ulrich tentait de s’approcher de son arme partie sous un fauteuil. Il s’en empara, la mit dans sa poche après avoir assené au personnage un coup de crosse suffisant pour l’envoyer au pays des rêves en attendant qu’on l’attache.
– La police ne devrait pas tarder ! déclara-t-il en allant ramasser le couteau dont il se servit pour couper les liens d’Aldo. Mon compagnon de route est allé la prévenir dès que nous avons repéré la maison. Mais par quel miracle êtes-vous là, sir Eric ?
– Pas de miracle. Lorsque j’ai commandé la Rolls qui a amené le prince, j’ai indiqué à l’usine un aménagement spécial : il s’agissait de pratiquer, sous la banquette arrière, une cache où un homme de taille moyenne puisse se tenir couché et respirer grâce à des aérations soigneusement dissimulées. Cette disposition m’a déjà rendu de grands services et j’ai été tout à fait ravi quand ces imbéciles ont exigé cette voiture-là. Je suis donc venu à l’insu du prince Morosini. Ce dont je lui demande infiniment pardon... Mais au fait, et vous, Vidal ? Comment se fait-il que vous soyez ici et qui est ce compagnon dont vous venez de parler ?
– Un charmant garçon, sportif, que je dois à Mme de Sommières. Elle était fort tourmentée de savoir un neveu qu’elle aime embringué dans une histoire inquiétante...
– ... et elle a prévenu la police au risque de faire tuer ma chère épouse ? s’écria sir Eric.
– Pas du tout ! Elle s’est contentée d’en toucher un mot à un vieil ami à elle, le commissaire Langevin, aujourd’hui en retraite, en lui faisant jurer de ne pas avertir les autorités : elle voulait seulement un conseil !... Accordez-moi un instant, ajouta-t-il en s’escrimant sur les menottes qui retenaient encore Aldo à son siège, je voudrais bien trouver la clef de ça !
– Cherchez dans la poche du cadavre ! renseigna Morosini.
– Merci !... Où en étais-je ? ... Ah oui, M. Langevin a donné mieux qu’un avis : le fils d’un de ses amis qui désire entrer dans la police et qui se trouve être un grand sportif, particulièrement à vélo. En ce qui me concerne, je ne me débrouille pas trop mal non plus dans cette discipline et, quand nous avons su le lieu et l’heure du rendez-vous, nous nous sommes équipés en conséquence et nous sommes allés nous cacher dans les buissons de l’avenue du Bois-de-Boulogne. Quand la voiture est repartie, nous l’avons suivie, tous feux éteints, en prenant soin de rester sur les côtés de la route...
– Suivre une voiture de cette qualité, c’était de la folie ! dit sir Eric. Elle peut aller très vite !
– Vaut mieux pas quand on n’a pas l’habitude de la conduire. Une fois ici – au fait, nous sommes au Vésinet que je connais fort bien – le jeune Guichard, dûment muni d’un mot du commissaire
Langevin, est parti à la recherche du poste de police, malheureusement un peu éloigné, pendant que je me mettais en quête d’un moyen de pénétrer dans la maison. Votre fenêtre ouverte, mon cher Aldo, a été un trait de génie, même si vous n’en avez rien fait. Moi, elle m’a été fort utile !...
– Allons, tant mieux ! grogna l’interpellé, mais j’en ai autant à votre service qu’à celui de sir Eric : pourquoi ne m’avoir pas prévenu ?
– Votre côté chevaleresque, mon cher ! Même un policier en retraite vous aurait fait pousser les hauts cris. Vous auriez été capable d’exiger qu’on vous laisse agir seul...
– C’est possible ! concéda Aldo de mauvaise grâce. Mais puisque vous connaissez si bien l’endroit, vous devriez essayer de trouver une aide quelconque, un médecin par exemple ! Lady Ferrais – Dieu que le nom avait du mal à passer ! – n’a pas l’air bien, ajouta-t-il en massant ses poignets endoloris. En attendant, j’ai quelque chose à faire.
Sans s’expliquer davantage, il prit l’une des armes de sir Eric et s’élança au-dehors : il ne voulait laisser à personne le soin de capturer Sigismond qui était sans doute encore dans la voiture. Le coup de poing qu’il lui avait administré tout à l’heure avait un goût de trop peu et il rêvait de le compléter avec une solide correction, mais quand il fut devant la maison, il fallut bien se rendre à l’évidence : il n’y avait personne.
Rien non plus autour de la bâtisse. Le beau
Sigismond avait filé avec la Rolls, qu’il devait considérer comme sienne, en abandonnant sa sœur à son destin. Et Aldo maudit le trop grand talent des constructeurs anglais : pendant l’échange de coups de feu, le silencieux « sir Henry » s’était fait le complice du jeune misérable.
Lorsque Morosini regagna le salon, il vit qu’Ulrich, sommairement pansé, et Gus étaient ligotés et que, sur le canapé, Anielka revenait à la conscience sous l’œil attentif de celui qu’elle voulait fuir et qui lui parlait tout bas en serrant ses mains entre les siennes. À l’écart, Adalbert, debout près de la table, faisait jouer des reflets dans les profondeurs du faux saphir. Il eut pour son ami un clin d’œil significatif et demanda :
– Vous avez trouvé ce que vous cherchiez ?
– Non. Il s’est enfui mais il ne perd rien pour attendre.
– Qui donc ?
– Le jeune Solmanski, voyons ! C’est lui la cheville ouvrière de ce gâchis. Envie de se faire de l’argent, je suppose ? En tout cas, il vient de filer avec votre voiture, sir Eric...
– Je n’aime pas ce garçon, remarqua celui-ci. Et pas beaucoup plus son père. Au fait, était-il d’accord, celui-là ?
– Il paraît que non. En fait... cela m’étonnerait, admit Morosini à contre-cœur.
– Ce serait tellement stupide ! Mais je me ferai un devoir de l’informer car, en vérité, ce qu’il a osé faire à sa propre sœur dépasse l’entendement. C’est... c’est immonde !... Comment allez-vous, ma très chère ?
La dernière phrase s’adressait à Anielka dont les yeux, à présent, étaient grands ouverts. Le cœur arrêté, Aldo épia sa réaction en face du visage qui se penchait sur elle, mais elle n’eut pas un tressaillement. Au contraire, il put voir l’ombre d’un sourire sur les jolies lèvres pâlies :
– Eric ! murmura-t-elle. Vous êtes donc venu ? Je ne l’aurais jamais cru...
– Peut-être parce que vous ne savez pas encore à quel point je vous aime ? Oh, mon bel amour, j’ai été si malheureux ! Au point de croire un instant que vous vous étiez enfuie pour me punir de... de l’autre nuit !
– Vous avez pensé ça et, cependant, vous avez été jusqu’à sacrifier votre précieux saphir... et risquer votre vie ?
– Je sacrifierais plus encore s’il le fallait ! Mon âme elle-même ! Oh ! Anielka, j’ai eu tellement peur de vous avoir perdue ! Mais vous êtes là ! Tout est oublié !
Il y avait maintenant des larmes sur son visage et Anielka, qui semblait ne plus voir que lui, tendait ses mains pour les essuyer en murmurant des paroles d’apaisement.
Incrédule et accablé, Aldo écoutait cet incroyable duo en luttant contre l’envie furieuse de clamer la vérité, d’expliquer à ce fauve changé en agneau bêlant que sa bien-aimée lui jouait une indigne comédie, qu’elle était partie de son plein gré et qu’elle souhaitait encore, un instant plus tôt, mettre entre eux la plus longue distance possible. Ce serait tellement bon de faire comprendre à Ferrais qu’il n’inspirait même pas la pitié à cette ravissante créature ! Rien que du dégoût... À moins qu’après tout elle n’ait encore menti ? Depuis qu’elle était réveillée, elle n’avait pas eu un regard pour lui ni pour Adalbert. Mais il n’était pas de ceux qui dénoncent. Il choisit de se taire et de rejoindre son ami qui comptait les billets tout en observant la scène du coin de l’œil :
– N’essayez pas de comprendre, chuchota celui-ci. Les desseins de Dieu sont impénétrables : ceux des jolies filles aussi. En outre, celle-ci est terrifiée.
– Par quoi ?
– Par vous, bien sûr ! Elle craint que vous ne parliez... Ah ! ajouta-t-il en changeant de registre, je crois que voilà enfin la maréchaussée ! Je commençais à me demander si le jeune Guichard ne s’était pas perdu en route...
Un moment plus tard, dans la voiture de police qui le ramenait rue Alfred-de-Vigny avec Adalbert – on avait amarré le vélo de l’archéologue à l’arrière du véhicule – Morosini remit la question sur le tapis :
– Pourquoi avez-vous dit tout à l’heure qu’Anielka craignait que je parle ?
– Mais parce que c’est la vérité ! Elle mourait de peur que vous ne révéliez qu’elle était de mèche avec ses ravisseurs. Qu’elle ait suivi son frère ne changerait rien à la chose : les sentiments de Ferrais pourraient se modifier singulièrement à son égard et, pour une raison connue d’elle seule, elle préfère qu’on la croie toujours une victime. Alors elle caresse Ferrais dans le sens du poil. Peut-être par crainte de son père ? Solmanski n’est sûrement pas un tendre et doit détester qu’on se mette en travers de ses projets... dont le plus mirifique doit être toujours de mettre la main sur la fortune de son gendre.
– C’est possible, mais vous devriez penser à Ulrich. Celui-là ne va pas garder le silence.
– Oh ! que si ! Parce qu’il n’a aucun intérêt à la dénoncer. Il chargera Sigismond, oui, mais pas Anielka. Il peut escompter qu’elle lui en sera reconnaissante et c’est sans doute ce qui arrivera. Il se taira, soyez-en sûr ! C’est d’ailleurs ce que je lui ai conseillé de faire avant que la police n’arrive.
Bien qu’il n’en eût pas vraiment envie, Aldo se mit à rire et, appuyant sa tête sur la moleskine de la banquette, ferma les yeux.
– Vous êtes impayable, Adal ! Vous pensez à tout ! Quant à moi, Anielka est persuadée que je lui ai menti : elle a vu Mme Kledermann m’embrasser, après quoi Sigismond a pris soin de m’exhiber quand j’étais inanimé sur son lit. Et elle ne veut rien entendre !
– Eh bien, voilà la dernière pièce de mon puzzle ! fit Adalbert avec satisfaction. Je vous l’ai dit : les jolies filles sont imprévisibles, mais quand elles sont slaves leurs réactions relèvent de la poésie lettriste. Et dans la jalousie, elles deviennent monstrueuses. Celle-ci mérite peut-être un peu d’indulgence : pour un être aussi impulsif, cela a fait beaucoup d’émotions contradictoires.
Aldo ne répondit pas. Une pensée soudaine venait de lui traverser l’esprit tandis qu’Adal cherchait des excuses à Anielka : pendant qu’il était auprès d’elle, pas un instant il n’avait pensé à demander des nouvelles de Romuald : elle seule, avec Vidal-Pellicorne et lui-même, connaissait l’endroit du rendez-vous et, à moins que le malheureux n’eût été découvert par hasard, elle avait peut-être quelque responsabilité dans sa disparition. Et lui, Morosini, venait de se conduire en parfait égoïste.
– Vous parliez à l’instant d’un puzzle complet. Il me semble à moi qu’il y manque un important morceau : nous ne savons toujours pas ce qu’est devenu le frère de Théobald...
Adalbert se frappa le front :
– Par tous les dieux de l’ancienne Egypte ! Quel étourdi je suis ! Il est vrai qu’avec ce qui s’est passé cette nuit, je peux plaider les circonstances atténuantes ! Romuald est rentré ! Ce soir, vers les dix heures. Éreinté, moulu, affamé, trempé par un retour à moto sous la pluie mais bien vivant !
Théobald et moi en avons pleuré de joie et, à cette heure, le brave garçon doit dormir dans la chambre d’amis après le copieux repas préparé par son frère.
– Que lui est-il arrivé ?
– Des hommes masqués lui sont tombés dessus, l’ont ligoté, enlevé de sa barque puis jeté dans une autre qui attendait un peu plus loin en aval, cachée dans des roseaux, après quoi, arrivés au milieu du fleuve, on l’y a balancé sans autre forme de procès. Il a bien cru sa dernière heure arrivée. Par chance, le courant l’a porté vers un banc de sable où les racines d’une végétation fournie l’ont accroché. Il est resté là jusqu’à l’aube où une femme l’a découvert, une riveraine qui venait relever des nasses à brochets. Elle l’a emmené chez elle pour le réconforter et c’est là que le conte de fées se change en vaudeville : une fois installé chez « la Jeanne », le pauvre Romuald a eu toutes les peines du monde à en sortir. Non que ce soit une mauvaise créature, mais elle s’est prise aussitôt pour lui d’une espèce de passion : elle l’appelait Moïse, il était son rescapé et elle ne voulait rien entendre pour se séparer de lui...
– Ce n’est pas vrai ?
– Oh que si ! Enfermé à double tour quand sa châtelaine allait aux commissions, le Romuald ! Le premier jour, il ne s’en est pas rendu compte parce qu’il avait vraiment besoin de récupérer, mais ensuite, il a compris qu’il n’avait quitté un piège que pour un autre : afin qu’il ne se sauve pas, elle mettait des barres à ses volets et traînait en travers de la porte un matelas sur lequel elle dormait. Vous imaginez l’état d’esprit du garçon ? D’autant qu’il se faisait un sang d’encre à notre sujet. Alors il a joué la faiblesse pour que la surveillance se relâche et puis, ce matin, quand elle est revenue du marché, il lui a sauté dessus, l’a ligotée sans trop serrer pour qu’elle puisse se libérer assez facilement, a fermé la porte de la maison et s’est enfui en courant pour remonter le fleuve. Heureusement, il était sur la rive droite et pas trop loin de sa maisonnette et de sa motocyclette. Le temps de ramasser ses affaires, de sauter sur son engin, et il fonçait à travers un bel orage sur la route de Paris. Je ne vous cache pas que je me sens beaucoup mieux depuis que j’ai revu sa bonne figure.
– A moi aussi, ça me fait plaisir. C’eût été trop injuste qu’il soit la seule victime de cette histoire stupide ! Je crois que je vais me sentir mieux à présent...
– Quelles sont vos intentions ?
– Rentrer chez moi, bien sûr !
La voiture où flottait une désagréable odeur d’humidité et de tabac refroidi atteignait la porte Maillot. Les lumières violentes de Luna-Park, le fameux parc d’attractions populaire, brillaient encore, reflétées par la chaussée mouillée comme au bord d’un canal vénitien.
– Je vous l’avoue, mon ami, continua Morosini, j’ai hâte de revoir ma lagune et ma maison ! Ce qui ne veut pas dire que je n’aie plus l’intention d’en bouger. Je vais y attendre des nouvelles de Simon Aronov et le moment de partir pour l’Angleterre afin d’assister à la vente du diamant. Vous devriez venir me voir, Adal ! Vous aimeriez ma maison et la cuisine de ma vieille Cecina.
– Vous me tentez !
– Il ne faut jamais résister à la tentation ! Je sais bien qu’en été nous débordons un peu de touristes et de jeunes mariés, mais vous n’aurez pas à en souffrir. Et puis la grâce de Venise est telle qu’aucun oripeau, aucune foule vulgaire ne saurait l’atteindre. On y est mieux que partout ailleurs pour lécher des blessures...
Oubliant un peu son ami, Morosini avait pensé tout haut. Quand il s’en aperçut, il était trop tard, mais ce fut au bout d’un silence assez long qu’Adalbert demanda doucement :
– Gela fait si mal ?
– Encore assez, oui... mais ça passera !
Il l’espérait de toute sa volonté sans y croire tout à fait. Ses chagrins d’amour avaient la vie dure. Peut-être qu’en ce moment même il adorerait encore le souvenir de Dianora si Anielka n’était venue l’effacer ? Mais qui l’aiderait à oublier Anielka ?
En rentrant chez Mme de Sommières, les deux hommes la trouvèrent dans son jardin d’hiver qu’elle arpentait en faisant sonner les dalles sous sa canne. Assise dans un coin sur une chaise basse,
Marie-Angéline faisait semblant de tricoter et ne sonnait mot, mais au mouvement de ses lèvres il était évident qu’elle priait.
Quand Aldo entra, la vieille dame exhala un soupir de soulagement et courut l’embrasser avec une chaleur qui donnait la mesure de son anxiété :
– Tu es vivant ! souffla-t-elle contre son cou. Merci à Dieu !
Il y avait des larmes dans sa voix mais n’étant pas femme à s’abandonner longtemps à une émotion, elle se reprit vite. S’écartant de lui, elle le tint un instant à bout de bras :
– Tu n’es pas trop détruit ! remarqua-t-elle. Cela veut dire que la jeune femme est sauve ?
– Elle n’a jamais été en danger ! En ce moment, elle regagne tranquillement la maison de son époux.
La marquise ne posa pas de questions, se contentant de scruter avec attention, le beau visage amer et fatigué.
– Et toi, murmura-t-elle, tu pars demain ou à peine plus tard. Ma vieille demeure ne te reverra pas de longtemps, sans doute ?
Une toute petite fêlure dans la voix. Une infime note de mélancolie mais qui toucha Aldo au plus sensible. Ces jours passés ensemble les avaient beaucoup rapprochés. Elle lui était devenue chère et ce fut lui, cette fois, qui la prit dans ses bras, ému de sentir une fragilité insoupçonnable chez cette indomptable vieille dame.
– J’ai passé ici de trop bons moments pour ne pas souhaiter y revenir, dit-il gentiment. Et de toute façon, nous allons nous revoir bientôt. J’espère que vous ne renoncerez pas à votre voyage d’automne à Venise ? Pas avant octobre cependant ! Je devrai, en septembre, me rendre en Angleterre pour une affaire importante, ajouta-t-il avec un coup d’œil en direction de Vidal-Pellicorne qui avait rejoint Marie-Angéline près de la cave à liqueur. Si Adalbert m’accompagne comme il me l’a laissé entendre, je viendrai vous embrasser en passant le chercher.
Un bris cristallin signala que la cousine venait de casser un verre et attira l’attention sur elle. On put voir alors qu’elle était devenue toute rouge mais que ses yeux brillaient de façon insolite.
– Quelle maladroite vous faites, Plan-Crépin ! rugit la marquise, enchantée, au fond, de trouver un dérivatif à son attendrissement. Ces verres appartenaient à défunte Anna Deschamps et sont irremplaçables ! Que vous arrive-t-il encore ?
– Oh ! je suis navrée, s’exclama la coupable qui n’en avait vraiment pas l’air, mais je crains que nous ne soyons absentes en septembre. Ne devons-nous pas répondre à l’invitation de lady Winchester pour... chasser le renard ?
– Est-ce que vous ne perdez pas un peu la tête ? s’étrangla la marquise. Chasser le renard ? Et quoi encore ? Que voulez-vous que je fasse, à mon âge, sur un canasson ? Je ne suis pas cette folle de duchesse d’Uzès, moi !
– Pardonnez-moi ! Il se peut que j’aie confondu ! C’était peut-être la grouse en Ecosse, mais je suis formelle : nous devons être en Grande-Bretagne en septembre. Remarquez, cela ne doit pas empêcher le prince Aldo de passer. Ce serait peut-être amusant de voyager ensemble ?
Cette fois, Mme de Sommières éclata de rire :
– Vos malices sont cousues de fil blanc, ma grande ! fit-elle avec une nuance affectueuse qui n’échappa à personne. Croyez-vous qu’il ait besoin de s’encombrer d’une vieille femme délabrée et d’une vieille fille un peu folle... même si cela vous amuse beaucoup de vous mêler de ses affaires et de galoper sur les gouttières en sa compagnie ? Vous vous contenterez de prier pour lui. Et ça, croyez-moi, ça lui sera utile !
Morosini s’approcha de Marie-Angéline et prit de ses mains le verre de cognac qu’elle venait de servir en tremblant un peu :
– L’aide a été trop intelligente et trop efficace pour être dédaignée, tante Amélie, et j’en serai toujours reconnaissant à Marie-Angéline. Je bois à vous, cousine, ajouta-t-il avec un sourire qui chavira le cœur de son ancienne acolyte. Sait-on jamais ce que l’avenir nous réserve ? Il nous arrivera peut-être encore de courir les aventures ensemble. Je vous écrirai avant de partir. Mais, à présent, je crois que je vais aller me reposer...
Quand il monta dans sa chambre, le premier geste d’Aldo fut d’aller fermer les persiennes. Il ne voulait pas voir se refléter sur la verdure du parc les lumières des fenêtres d’Anielka. Cette page-là devait être tournée et le plus tôt serait le mieux ! Ensuite, il s’assit sur son lit pour consulter l’indicateur des chemins de fer...
Cependant, s’il pensait en avoir fini avec son joli roman polonais, il se trompait.
Le lendemain dans l’après-midi, alors qu’il achevait de boucler ses bagages, Cyprien vint lui annoncer que sir Eric et lady Ferrais demandaient à lui parler et l’attendaient au salon.
– Seigneur ! fit Morosini. Il a osé franchir le seuil de cette maison ? Si tante Amélie l’apprend, elle va vous ordonner de le jeter dehors.
– Je ne crois pas qu’elle en ait l’intention. Madame la marquise a reçu elle-même vos visiteurs. Je dois dire... avec plus de grâce que l’on ne pouvait s’y attendre. Elle vient de remonter dans sa chambre en m’ordonnant d’aller prévenir monsieur le prince.
– Mlle du Plan-Crépin est avec elle ?
– N... on. Elle est en train de donner des soins aux pétunias du jardin d’hiver qui présentent des signes de fatigue depuis ce matin mais, se hâta-t-il d’ajouter, j’ai pris soin de bien fermer les portes !
Aldo ne put s’empêcher de rire. Comme si une porte pouvait quelque chose contre l’insondable curiosité féminine ? La discrétion et le sens de sa dignité interdisaient à tante Amélie d’assister à la visite mais ne l’empêchaient pas de laisser traîner derrière elle les oreilles attentives de sa lectrice. Et c’était à cette même curiosité qu’elle avait obéi en recevant l’homme qu’elle détestait tant : elle avait beaucoup trop envie de contempler de ses yeux celle qui faisait perdre la tête à son « cher enfant ». Qui donc pourrait lui en vouloir ? C’était, après tout, une des formes de l’amour. Aldo descendit rejoindre ses visiteurs.
Ils l’attendaient au petit salon dans l’attitude habituelle aux couples quand ils sont chez le photographe : elle posée gracieusement sur un fauteuil, lui debout à son côté, une main appuyée sur le dossier du siège et la tête fièrement levée.
Morosini s’inclina sur la main de la jeune femme et serra celle de son mari.
– Nous sommes venus vous dire adieu, dit celui-ci, et aussi toute la gratitude que nous conserverons de l’aide généreuse que vous nous avez apportée dans des circonstances pénibles. Ma femme et moi...
Aldo n’aimait pas les discours et moins encore celui-là. Il y coupa court :
– Je vous en prie, sir Eric ! Vous ne me devez aucun remerciement. Qui ne serait prêt à risquer certains désagréments pour une jeune femme en danger ? Et puisque tout est rentré dans l’ordre, permettez-moi d’y trouver ma meilleure récompense.
Son regard s’attachait à celui de Ferrais, évitant de glisser vers Anielka afin d’être plus sûr de garder une pleine maîtrise de soi. Un bref coup d’œil lui avait suffi pour constater qu’elle était plus ravissante que jamais dans une robe de crêpe de Chine imprimée blanc et bleu Nattier, un étroit turban de même tissu emprisonnant sa tête exquise. Elle gardait trop de pouvoir sur lui et il n’avait pas envie de se mettre à bégayer comme un potache amoureux.
Il pensait, par ces quelques mots, en finir avec une visite plus pénible qu’agréable mais sir Eric avait encore quelque chose à dire.
– J’en suis tout à fait persuadé. Cependant je voudrais que vous me permettiez de matérialiser ma reconnaissance en acceptant ceci.
Aucun doute, c’était bien l’écrin du saphir qui venait d’apparaître sur sa main et, pendant un instant, Morosini fut partagé entre la surprise et l’envie de rire.
– Vous m’offrez l’Étoile bleue ? Mais c’est de la folie ! Je sais trop ce que cette pierre représente pour vous.
– J’avais accepté de m’en séparer pour retrouver ma femme et grâce à vous, c’est chose faite. Ce serait tenter le diable que vouloir tout garder et puisque j’ai retrouvé le plus précieux...
Il tendait le coffret de cuir qu’Aldo repoussa d’un geste doux masquant à merveille la jubilation quasi diabolique qui l’envahissait.
– Merci, sir Eric, mais l’intention me suffira. Je ne veux plus de cette pierre.
– Comment ? Vous refusez ?
– Eh oui ! Vous m’avez dit un jour que, dans votre esprit, le saphir et celle qui était alors votre fiancée étaient inséparables. Rien n’a changé depuis et il va trop bien à lady Ferrais pour que l’idée m’effleure de lui voir une autre destination. Ils sont vraiment faits l’un pour l’autre, ajouta-t-il avec une ironie qu’il fut seul à apprécier. C’était délicieux de se donner les gants d’offrir une pierre fausse à une femme qu’il jugeait tout aussi fausse !
Cette fois, le marchand d’armes semblait confus et, pour alléger l’atmosphère, Morosini rompit les chiens :
– Pour en finir avec la triste histoire que vous avez vécue, puis-je vous demander si vous avez retrouvé votre voiture et votre beau-frère.
– La Rolls oui. Elle était abandonnée à la porte Dauphine. Le beau-frère non, mais je préfère que nous n’en parlions pas afin de ne pas ajouter au chagrin de mon épouse et à celui du comte Solmanski, très affecté par la conduite d’un fils dévoyé. Je n’ai d’ailleurs pas porté plainte et je me suis arrangé pour que la presse ne soit pas informée : nous avons retrouvé ma femme, la rançon, et capturé les ravisseurs, un point c’est tout ! Le nom de Solmanski ne sera pas traîné dans la boue ! Le comte rentre à Varsovie ces jours prochains et nous partons demain pour notre château du Devon où il nous rejoindra plus tard quand la plaie de sa fierté sera un peu cicatrisée...
Aldo s’inclina devant cet homme décidément insaisissable. Il fallait qu’il fût un saint... ou plutôt éperdument amoureux d’Anielka pour agir avec cette magnanimité. Cela méritait bien un coup de chapeau.
– Je ne peux que vous approuver... et vous souhaiter tout le bonheur du monde.
– Rentrez-vous bientôt à Venise ?
– Ce soir même... et avec une joie que je ne saurais exprimer...
Entre lui et Anielka, aucune parole n’avait été échangée. Il n’avait même pas rencontré son regard mais, à nouveau, il prit la main qu’elle lui offrait. Ce fut quand il se pencha sur elle, presque à la toucher de ses lèvres, qu’il sentit le billet que l’on glissait entre ses doigts...
Un instant plus tard, l’étrange couple s’éloignait. Aldo remonta dans sa chambre pour dérouler le message et le lire : il ne contenait que peu de mots : « Je dois obéir à mon père et accomplir ma pénitence. Pourtant c’est vous que j’aime, mais le croirez -vous encore ? ... »
Pendant un moment, son cœur battit plus fort. De joie peut-être, et aussi d’une vague espérance. Pourtant la méfiance ne voulait pas mourir : il revoyait Anielka étendue sur le canapé l’autre nuit, regardant Ferrais, souriant à Ferrais, acceptant Ferrais...
Il fourra le mince papier dans sa poche en essayant de ne plus y penser. C’était difficile. Les mots dansaient dans sa tête. Les plus beaux surtout, les plus magiques : « ... c’est vous que j’aime. » Et cela dura des heures, jusqu’à devenir intolérable ; peut-être parce qu’au regret, au désir réveillé, se mêlait un peu de honte : sir Eric avait été le jouet d’une assez vilaine comédie qu’il ne méritait pas.
Alors, quand il se retrouva seul dans le luxueux compartiment du Simplon-Orient-Express fonçant à pleine vitesse à travers les campagnes bourguignonnes endormies, Aldo baissa la vitre, tira l’unique lettre d’amour d’Anielka, la déchira en menus morceaux que le vent de la course emporta. Ensuite seulement il put dormir...
TROIS MOIS PLUS TARD A L’ILE DES MORTS...
Une brassée de roses à la proue, la gondole noire aux lions ailés traçait sa route vers l’île-cimetière de San Michele. Assis sur les coussins de velours amarante, Aldo Morosini regardait approcher l’enceinte blanche, ponctuée de pavillons, qui cernait la masse sombre et dense des grands cyprès.
Chaque année, les princes de son nom allaient fleurir leur chapelle funéraire en l’honneur de madonna Felicia, née princesse Orsini, au jour anniversaire de sa mort, et Aldo ne manquait jamais de se conformer à ce rite, mais aujourd’hui, le pieux voyage prenait un double sens grâce au message qu’un banquier zurichois lui avait fait parvenir une semaine plus tôt : « Le 25 de ce mois, vers dix heures du matin, à l’île San Michele. S.A. » Quelques mots mais qui avaient apporté à Morosini un appréciable soulagement.
Depuis environ deux mois qu’il était rentré chez lui, Aldo s’inquiétait d’un inexplicable silence. Aucune nouvelle ne lui était arrivée en réponse au bulletin de victoire envoyé depuis Paris et annonçant le succès de sa première mission. Il avait craint d’apprendre qu’une catastrophe quelconque était venue réduire à néant la quête du Boiteux. Heureusement, il n’en était rien.
La journée s’annonçait belle. La lourde chaleur estivale sous laquelle Venise étouffait chaque année faisait trêve depuis le gros orage qui avait éclaté la veille au soir. La lagune devenait satin et miroitait sous un soleil léger. C’était un beau matin paisible, animé par le cri des oiseaux de mer. Guidée avec force et douceur par Zian, la gondole – pour rien au monde Aldo n’eût pris le canot automobile pour faire visite à ses chères princesses ! -griffait à peine l’eau calme et, en regardant approcher la cité des morts, il éprouva une fois de plus l’impression d’être au bout du monde vivant, de voguer vers quelque Jérusalem céleste, parce que San Michele lui rappelait un peu ces palais blancs débordant de verdure qu’il avait admirés, avant la guerre, au cours d’un inoubliable voyage aux Indes et qui surgissaient soudain du miroir liquide d’un beau lac où leur reflet s’inscrivait avec une netteté parfaite.
Quand l’embarcation atteignit le pavillon à colonnes dont les degrés de marbre plongeaient dans l’eau, Aldo sauta à terre, prit l’énorme bouquet et entra dans le cimetière, salué familièrement par le gardien qu’il connaissait de longue date. Il s’engagea dans l’une des allées bordées de hauts cyprès où une légère brume s’attachait encore. Tout autour, des tombes marquées de croix blanches, toutes semblables mais abondamment fleuries. De loin en loin, une aristocratique chapelle dont les occupants étaient assurés qu’on les laisserait tranquilles. En effet, les habitants des tombes n’étaient là que de passage : faute d’espace et en dépit de l’étendue du cimetière, les restes humains étaient relevés au bout d’une douzaine d’années pour être confiés à l’ossuaire.
Aldo aimait bien San Michele, qu’il ne trouvait pas triste. Toutes ces petites croix blanches émergeant d’une masse de corolles diversement teintées ressemblaient à un parterre sur lequel il aurait neigé.
Le champ du repos était vide, à l’exception d’une vieille femme en grand deuil courbée sur l’une des sépultures, un chapelet de buis coulant de ses mains, abîmée dans sa prière. Ce fut seulement quand il atteignit la chapelle familiale qu’il vit le prêtre ou ce qu’il crut un instant en être un. La longue robe noire, un peu flottante, et la coiffure ronde pouvaient appartenir à plusieurs Églises d’Orient ainsi que la barbe rejoignant les grands cheveux, mais il sut très vite qu’il avait déjà vu ces belles mains et la puissante canne d’ébène où elles s’appuyaient. Debout devant la porte de bronze, le visiteur, tête penchée, semblait plongé dans une profonde méditation et Aldo patienta un petit moment. Il était certain que, derrière les lunettes fumées masquant le haut du visage, s’abritait un œil unique d’un bleu aussi profond que celui du saphir, et que Simon Aronov était devant lui. Soudain, celui-ci parla, sans même se retourner :
– Pardonnez-moi mon silence ! dit-il. Je crains qu’il ne vous ait inquiété mais je me trouvais assez loin. En outre, je tenais à ce que, pour cette fois, nous nous rencontrions ici, à Venise, et devant ce tombeau afin de rendre hommage à celle qui fut la dernière victime de la pierre bleue. Je voulais venir plier le genou sur les cendres d’une grande dame et prier. En face du Très-Haut, ajouta-t-il avec l’ombre d’un sourire, les prières, en quelque langue qu’on les prononce, n’ont d’autre valeur que leur sincérité...
Pour toute réponse, Aldo tira une clef de sa poche et ouvrit la porte du tombeau :
– Entrez ! dit-il.
Bien qu’entretenu à la perfection, l’intérieur de la chapelle sentait les fleurs fanées, la cire refroidie et surtout l’humidité, mais dans ce milieu quasi aquatique, aucun Vénitien n’y prêtait attention. Morosini désigna le banc de marbre placé en face de l’autel et propice aux méditations. Le Boiteux s’y assit tandis qu’il déposait ses roses dans une jardinière.
– Vous fleurissez souvent cette tombe ? demanda Aronov.
– Assez souvent, oui, mais aujourd’hui ce n’est pas pour ma mère. Le sort a voulu que vous me fixiez rendez-vous au jour anniversaire de la mort de notre amazone : Felicia Orsini, comtesse Morosini, qui toute son existence lutta pour ses convictions et pour venger son époux fusillé à l’Arsenal par les Autrichiens. Si nous avions le temps, je vous raconterais sa vie : elle vous plairait... mais ce n’est pas pour écouter la saga de ma famille que vous êtes venu. Voici ce que je vous ai annoncé !
Il tendait un écrin de cuir bleu qu’Aronov garda un instant entre ses doigts, sans l’ouvrir. Une larme glissa de son œil :
– Après tant de siècles ! murmura-t-il. Merci !... Me ferez-vous la grâce de vous asseoir un instant auprès de moi ?
Pendant un moment qui lui parut très long, Aldo regarda les longs doigts caresser le maroquin soyeux. Jusqu’à ce qu’enfin il disparût dans les plis de la robe noire, mais à sa place surgit un petit paquet enveloppé de soie pourpre parfilée d’or. La voix lente et chaude du Boiteux se fit entendre à nouveau :
– Parler d’argent ici serait un sacrilège, dit-il. À cette heure, mes banquiers doivent être en train de régler la question avec votre trésorerie. Ceci – et j’espère que vous l’accepterez ! – est un don personnel offert aux mânes d’une princesse chrétienne.
En même temps, il ôtait le tissu chatoyant, révélant un reliquaire d’ivoire d’un travail admirable que l’œil averti du prince-antiquaire attribua sans hésitation au VIe siècle byzantin. Par les cloisons évidées, on pouvait voir qu’il était doublé d’or et qu’au centre reposait un mince étui de cristal enfermant quelque chose qui ressemblait à une aiguille brune.
– Ceci, dit Aronov, appartenait à la chapelle privée de la dernière impératrice de Byzance au palais des Blachernes. C’est une épine de la couronne du Christ... du moins on l’a toujours cru et je veux le croire aussi, ajouta-t-il avec un sourire d’excuses qu’Aldo comprit : il y avait tant de reliques à Byzance qu’il était difficile d’en attester toujours l’authenticité. Le présent n’en demeurait pas moins royal.
– Et vous me le donnez ? dit Morosini la gorge soudain sèche.
– Pas à vous. À elle ! Et je vois là un tabernacle de marbre où mon humble hommage trouvera la place qui lui convient. Il apaisera peut-être l’âme inquiète de votre mère. On dit chez nous que c’est le cas lorsqu’il s’agit d’un assassinat...
Aldo hocha la tête, prit le reliquaire, le déposa pieusement à l’intérieur du tabernacle devant lequel il s’agenouilla un instant avant de le refermer et d’en enlever la clef. Puis il revint à son visiteur.
– J’espérais pouvoir l’apaiser moi-même, soupira-t-il avec amertume, mais le meurtrier court encore. Cependant, j’ai quelques doutes depuis que j’ai rencontré le dernier possesseur du saphir.
– Le comte Solmanski... ou celui qui se fait appeler ainsi ?
– Vous le connaîtriez ?
– Oh oui ! Et j’ai aussi appris bien des choses en lisant les journaux parisiens du mois de mai. Il y avait dedans une excellente photographie de la jeune mariée enlevée au soir de ses noces... et une autre de son père !
– Il ne le serait pas ?
– Ça, je l’ignore, mais ce dont je suis certain c’est que le nom annoncé n’est pas le sien. Le vrai Solmanski a disparu en Sibérie, voilà de nombreuses années. Il y a été déporté pour complot contre le tsar. Il doit y être mort car je n’ai pas réussi à savoir ce qu’il est devenu, mais son remplaçant – Ortschakoff de son véritable nom – doit être au courant pour avoir osé venir s’installer à Varsovie dans le palais de celui qui a été sans doute sa victime. Comme beaucoup d’autres au nombre desquelles il aimerait me compter !
– Il est votre ennemi ?
– Il est celui du peuple juif. Pour une raison que j’ignore, il en a juré la perte et je puis vous dire qu’il a participé à plusieurs pogroms. Il cherchait déjà le pectoral dont il connaît la légende et il « me » cherchait. C’est pourquoi je vis dans la discrétion... et sous un faux nom.
– Parce que vous aussi...
– Oui. Je ne m’appelle pas Aronov mais mon vrai nom ne vous dirait rien. Et voyez comme les choses sont étranges : pendant des années nous n’avons rien su l’un de l’autre. Il a fallu que je commette l’imprudence de vous appeler pour que le voile soit levé et la piste retrouvée. Nous voulions le saphir tous les deux : lui l’a volé, ou fait voler, ce qui suppose des complicités ici et singulièrement à la poste de Venise : j’ai eu grand tort d’envoyer un télégramme. Ce papier bleu a tout déclenché... pour aboutir à la mort de mon pauvre Amschel. Malgré tout, je ne regrette rien : il n’est jamais bon de se mouvoir dans le brouillard.
– Que comptez-vous faire maintenant ?
– Continuer, voyons ! Ma tâche n’en devient que plus urgente. Seulement... j’ai quelques scrupules à vous entraîner avec moi.
– Pourquoi ? Vous m’aviez prévenu qu’il y aurait du danger ?
– Certes. Je vous ai parlé de cet ordre noir qui est en train de naître, et j’en arrive à penser qu’Ortschakoff pourrait en faire partie. Cependant, dans l’état actuel des choses, le péril ne vous menace pas trop même si Solmanski – appelons-le ainsi pour la facilité ! – vous connaît personnellement. Il est normal que vous recherchiez votre bien et tant qu’il croira le saphir entre les mains de sa fille vous n’aurez rien à craindre. C’était un geste de grand seigneur mais c’était surtout très adroit de votre part d’avoir l’air d’abandonner la lutte en laissant le joyau chez Ferrais.
– Vous savez tout cela ?
– Oui. J’ai rencontré Adalbert voici peu et il m’a tout raconté.
Aronov prit un temps et Aldo se demanda s’il avait été informé de ses relations passionnelles avec Anielka mais comme il n’y fit pas allusion en reprenant la parole, le prince en conclut qu’Adalbert était resté discret. À moins que le Boiteux ne fût particulièrement délicat ?
– C’est sur ce malheureux Anglais que pèse maintenant la menace. Un jour ou l’autre, Solmanski voudra récupérer la pierre et, tôt ou tard, son gendre y laissera la vie. Mais revenons à vous ! Pour ce forban, vous n’avez plus d’intérêt : vous êtes rentré chez vous et comme il ignore les accords que nous avons passés, vous sortez pour lui du circuit infernal. En revanche, s’il vous retrouve sur sa route à la recherche des autres pierres, il comprendra que vous travaillez pour moi et là vous aurez tout à craindre. Voilà pourquoi j’ai assez de scrupules pour vous proposer de rompre notre pacte.
Morosini n’hésita même pas.
– Je ne reviens jamais sur ma parole et vos scrupules sont hors de saison. D’ailleurs, n’aviez-vous pas évoqué une autre légende selon laquelle je serais l’élu, le preux chevalier chargé par le destin de conquérir le Graal ? fit-il avec un sourire impertinent. Rassurez-vous, je sais me défendre, ajouta-t-il plus sérieusement, et nous formons une excellente paire, Adalbert et moi !
– Ça aussi, je le sais. Cependant, vous pouvez encore réfléchir.
– C’est tout réfléchi ! Pourquoi voulez-vous que je retourne à une vie paisible de commerçant quand vous m’offrez une passionnante aventure ? Apprenez-moi plutôt quand doit avoir lieu la vente du diamant du Téméraire ! En septembre, je crois ?
– Un peu plus tard ! La campagne de presse commencera, à Londres, la dernière semaine de septembre mais, étant donné l’importance historique du bijou, la nouvelle débordera sur l’Europe occidentale. La vacation est prévue, chez Sotheby’s, pour le mercredi 4 octobre.
– C’est parfait pour moi. Diamant ou pas, je serais parti pour l’Angleterre de toute façon à cette époque afin d’assister aux funérailles d’un vieil ami, en Ecosse. Il est mort en Egypte en mai dernier...
– Vous parlez de lord Killrenan qui a été assassiné à bord de son yacht ?
– Oui. On l’a retrouvé étranglé dans sa couchette et ses appartements ont été fouillés de fond en comble et cambriolés, mais la police égyptienne n’a pas encore réussi à capturer l’assassin, aussi, après une foule de tracasseries administratives, le corps ne sera rapatrié qu’en septembre. Pour rien au monde je ne manquerais l’enterrement...
Par respect et par amitié d’abord, mais aussi par curiosité : il voulait voir de près cette famille que le vieux sir Andrew détestait au point d’avoir englobé les Anglais dans son interdiction de leur vendre le bracelet moghol. Quelque chose lui disait que ce meurtre crapuleux n’était pas le fait d’un des nombreux sacripants qui grouillent dans tous les ports du monde, à Port-Saïd comme ailleurs.
– Vous pensez à un crime sur commande ? demanda Aronov qui semblait lire dans les pensées de son compagnon.
– C’est possible. Tout est possible lorsqu’un joyau exceptionnel, historique de surcroît, fait son apparition, et vous le savez mieux que quiconque. Lord Killrenan en possédait un. Du moins sa famille le croyait, mais il ne l’avait plus.
– Et il a payé de sa vie. On dirait que les pierres précieuses, tirées des entrailles de la terre pour scintiller au front des dieux, sont chargées à la fois d’un pouvoir et d’un message dont nul ne saura jamais s’ils sont d’amour ou de mort : « Étoiles au-dessus, étoiles au-dessous, tout ce qui est au-dessus apparaîtra au-dessous. Heureux seras-tu toi qui liras l’énigme », dit Hermès trois fois grand dont les Grecs firent un très ancien roi d’Egypte et qu’ils assimilaient à Thot. J’ai bien peur que personne n’ait su la lire jusqu’à présent.
– Pas même vous qui savez tant de choses ?
– Pas autant que je le voudrais. Les pierres demeurent une énigme pour moi comme tout ce qui possède un pouvoir fascinateur. Je les recherche dans un but sacré, ce qui ne veut pas dire qu’elles me protégeront car elles ne portent pas souvent bonheur. La passion des hommes est payée, par elles, de noire ingratitude. Et, pour vous mon ami, je ne peux que prier afin qu’elle vous soit épargnée. Dieu vous garde, prince Morosini !
Un instant plus tard, le Boiteux avait disparu. Aldo alla rouvrir le tabernacle et pria un long moment pour cet homme et pour le succès de sa quête...
Cependant, la sinistre prédiction de Simon n’allait guère tarder à se réaliser. Peu de semaines après leur rencontre et deux jours avant le départ de Morosini pour l’Angleterre, les grands journaux européens annonçaient la mort de sir Eric Ferrais. Assassiné...
Saint-Mandé, août 1994
[i] Roi wisigoth de 649 à 672.
[ii] Grand amateur de diamants, le cardinal Mazarin en avait réuni quelques-uns de taille à peu près égale qui portent son nom. Certains ont fait retour à la couronne de France mais pas tous.
[iii] Conseil occulte qui gouverna Venise de 1310 à 1797. Ses espions étaient redoutables.
[iv] San Giovanni e Paolo, en dialecte vénitien.
[v] Tarte aux amandes.
[vi] Né en Hongrie, élevé en Pologne.
[vii] N'en ayant plus guère, elle mourut en 1716 au château de Blois où le Régent lui accordait une négligente hospitalité.
[viii] Célèbre courtisane du Second Empire.
[ix] Célèbre poison.
[x] Riz et pois. Venise est la capitale du riz et un noble Vénitien ne saurait faire référence à un plat de spaghettis.