Deuxième partie

LES HABITANTS DU PARC MONCEAU

CHAPITRE 5 CE QUE L’ON TROUVE DANS UN BUISSON


Le taxi d’Aldo n’eut guère de peine à suivre la limousine. Celle-ci roulait à l’allure sereine et majestueuse convenant à si noble véhicule, soucieuse sans doute de secouer le moins possible des voyageurs qui venaient de subir un si long trajet. Par le boulevard Denain et la rue La Fayette, on rejoignit le boulevard Haussmann que l’on remonta jusqu’à la rue de Courcelles pour gagner finalement les abords du parc Monceau. Morosini était venu trop souvent à Paris pour ne pas s’y reconnaître. Il imaginait que la longue voiture noire devait appartenir à ce que l’on appelait les beaux quartiers mais n’en fut pas moins surpris en voyant s’ouvrir devant elle le porche d’un vaste hôtel particulier de la rue Alfred-de-Vigny, proche voisin d’un autre où il était venu à plusieurs reprises : celui de la marquise de Sommières sa grand-tante, qui avait été la marraine de sa mère et qui, jusqu’à la mort de celle-ci, était venue chaque automne passer quelques jours à Venise pour le bonheur d’embrasser une filleule qu’elle aimait tendrement.

En homme qui connaît son métier, le chauffeur d’Aldo dépassa la maison où venait d’entrer la Rolls-Royce et s’arrêta un peu plus loin, devant la porte de Mme de Sommières. Puis, s’adressant à son client :

– Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? dit-il.

– Si vous n’êtes pas trop pressé, laissez-moi réfléchir un instant.

– Oh ! moi j’ai tout mon temps, et du moment que le compteur tourne... Tiens ! On dirait que vos gens vont habiter là ? Ce sont bien les bagages qui arrivent ?

En effet, l’espèce d’omnibus qui attendait devant la gare et vers lequel s’étaient dirigés les porteurs et les « diables » chargés de malles guidés par le gigantesque Bogdan était en train de se faire ouvrir la porte cochère. Ce qui plongea Morosini dans de profondes réflexions.

Quand il venait à Paris, ses habitudes étaient attachées à l’hôtel Ritz, à cause des multiples agréments de la maison, de son charme et aussi de sa proximité avec le magasin de son ami Gilles Vauxbrun, l’antiquaire de la place Vendôme mais, ce soir, le prince eût voté sans hésitation pour un hôtel borgne en admettant qu’il y en eût un en face de la demeure qui venait d’avaler son saphir et la belle Anielka. Au besoin, une tente de cantonnier installée sur le trottoir aurait fait son affaire car il éprouvait une insurmontable répugnance à s’éloigner d’un lieu si attrayant. Même le Royal-Monceau qui se trouvait à un jet de pierre lui semblait trop distant.

L’idéal eût été de pouvoir poser ses cantines chez la vieille marquise, mais on touchait à la fin d’avril et. depuis des lustres, Mme de Sommières, attachée à ses habitudes, fermait son hôtel parisien le 15 de ce même mois et partait pour ce qu’elle appelait sa " tournée des châteaux ». Ceux de sa famille auxquels la noble dame consacrait printemps et été avec en prime un petit séjour à Vichy, après quoi l’automne était réservé aux voyages à l’étranger : Venise toujours, Rome, Vienne, Londres ou Montreux quelquefois.

Comme elle était sa parente, Aldo commençait à caresser l’idée de sonner chez le concierge et de lui demander l’hospitalité, quitte à camper au milieu des housses de fauteuils, quand le silence de la rue résonna sous un pas solide qui se rapprocha et s’arrêta entre le taxi et l’huis de la marquise. En même temps, une tête se penchait pour voir qui pouvait bien se trouver dans ce véhicule. Aldo retint un grand cri d’enthousiasme : la figure apparue derrière sa vitre était celle de Marie-Angéline du Plan-Crépin, lectrice, demoiselle d’honneur et bécassine à tout faire de Mme de Sommières. Si celle-ci était là, cela voulait dire que la vieille dame n’était pas loin.

Jaillissant hors de la voiture après avoir demandé au chauffeur de patienter encore un peu, il se précipita sur elle avec autant d’allégresse que si elle eût été le Saint Graal et lui le chevalier Galahad.

– Vous ici ? Quelle chance inespérée, mon Dieu !

La lumière ayant beaucoup baissé, elle ne le reconnut pas tout de suite et se plaqua contre la porte en se signant à plusieurs reprises.

– Mais, monsieur, votre conduite est inconcevable...

Par chance, l’allumeur de réverbères venait de faire son entrée, et la scène s’en trouva tout de suite mieux éclairée. Du coup, la vieille fille indignée se changea en roucoulante tourterelle !

– Doux Jésus !... Le prince Aldo ! fit-elle d’un ton proche de l’extase. Quelle incroyable surprise ! C’est notre chère marquise qui va être heureuse !

– Elle est donc encore là ? J’étais persuadé qu’elle était déjà partie pour sa randonnée habituelle.

– Je crains que ce ne soit difficile cette année ; notre chère marquise a fait une chute malencontreuse dans son cabinet de bains et s’est cassé trois côtes : elle doit se reposer le plus possible... ce qui n’arrange pas son humeur.

– Dans ce cas, ce n’est peut-être pas le moment d’aller l’importuner ? Elle doit avoir besoin de beaucoup de calme...

Quelques gouttes de pluie venant de se manifester, mademoiselle Angéline leva en l’air une main dégantée pour s’en assurer puis ouvrit le grand parapluie pointu dont elle était nantie.

– Ça, c’est ce que dit son médecin, mais ce n’est pas ce qu’elle pense. Votre venue va la combler de joie. Elle s’ennuie à mourir.

– Vraiment ? Pensez-vous qu’elle accepterait de me garder ici quelques jours ? J’arrive de Pologne, je n’ai pas prévenu mon hôtel habituel qui est complet et je n’ai guère envie d’en essayer un autre.

– Sainte Vierge bénie, mais elle va être folle de joie ! Nous allons faire la fête... Vous allez être pour elle un vrai rayon de soleil ! Entrez, entrez ! Marie-Angéline s’étranglait presque tout en fouillant frénétiquement son réticule pour chercher sa clef, opération difficile qui fit choir le parapluie rattrapé au vol par Morosini. En désespoir de cause, elle se pendit à la cloche d’entrée pour appeler le concierge.

– Prenez votre temps ! conseilla Aldo. Je vais payer mon taxi et prendre mes valises.

Tandis que le chauffeur s’éloignait, plein d’admiration pour un client capable de se loger là où il le voulait en s’adressant à la première personne rencontrée dans la rue, le concierge, qui semblait tout frais sorti d’un dessin de Daumier, faisait son apparition et se livrait, à la vue du visiteur, à des démonstrations de joie nées peut-être en partie du fait qu’il voyait poindre à l’horizon quelques agréables gratifications. Dans la maison, on savait Morosini généreux. Puis ce fut le tour de Cyprien, le maître d’hôtel de Mme de Sommières, qui, de sa vie, n’avait jamais aimé qu’elle et ceux, plutôt rares, qu’elle affectionnait.

C’était un cas, Cyprien. Né au château de Faucherolles chez les parents de Mme de Sommières, mais quelques années avant elle, il vouait à la future marquise, depuis sa naissance, une espèce de dévotion éblouie qui ne s’était jamais démentie. « Mademoiselle Amélie » avait été et demeurait — mais uniquement lorsqu’elle ne risquait pas de l’entendre ! – « notre petite demoiselle ». L’intéressée, qui ne l’ignorait pas, en ressentait un agacement vaguement attendri :

– Quel vieux fou ! disait-elle. Être, à soixante-quinze ans bien sonnés, la « petite demoiselle » d’un gaillard octogénaire, c’est d’un ridicule !

Mais sachant qu’elle lui ferait mal, elle se gardait bien de le lui interdire et, quand il n’y avait personne, le tutoyait comme au temps de leur enfance, scandalisant sa demoiselle de compagnie et néanmoins cousine, qui voyait là l’indice d’une répréhensible intimité. Cyprien, de son côté, la payait de ses mauvaises pensées en lui vouant une solide aversion.

L’arrivée d’Aldo mit les larmes aux yeux du vieux serviteur. Il voulut se rendre en hâte auprès de sa maîtresse pour annoncer le visiteur, mais Marie-Angéline entreprit de l’en empêcher :

– C’est moi qui ai trouvé le prince et c’est moi encore qui vais annoncer la bonne nouvelle ! s’écria-t-elle du ton excité d’une gamine qui fait un caprice. Contentez-vous d’aller préparer une chambre et d’avertir la cuisinière.

– Je regrette, mademoiselle, mais annoncer les visiteurs est l’une de mes fonctions et je n’y renoncerai pas. Surtout aujourd’hui ! Notre... Madame la marquise va être si heureuse !

– Justement, ce sera moi !...

La dispute menaçant de durer, Morosini décida de s’annoncer lui-même et entreprit la traversée des pièces de réception pour gagner l’endroit où il était à peu près sûr de trouver son hôtesse : le jardin d’hiver où elle se tenait le plus volontiers lorsqu’elle était à Paris.

L’hôtel datant du Second Empire, les salons appartenaient à la même époque, leur propriétaire actuelle n’ayant jamais jugé utile d’y changer quoi que ce soit. Ils ressemblaient à la fois à ceux de la princesse Mathilde et du ministère des Finances. C’était le triomphe du style « tapissier » : un amoncellement de peluches, de velours, de franges, de passementeries – glands, galons, tresses et torsades – sur un archipel de fauteuils capitonnés, de causeuses, de divans ronds permettant l’épanouissement harmonieux des crinolines, ponctué de tables d’ébène incrusté sous d’énormes lustres à pendeloques de cristal. Il y avait aussi des potiches plus ou moins chinoises d’où jaillissaient des aspidistras géants, montant à l’assaut des plafonds surdorés et cachant parfois les murs tout aussi dorés, chargés de plates allégories dues au pinceau laborieux d’émules de Vasari.

Morosini détestait cet ensemble pompeux. Mme de Sommières aussi et si, à la mort de son époux, elle avait choisi de déserter l’hôtel familial du faubourg Saint-Germain, laissé à la seule disposition de son fils, pour s’installer dans celui-ci qu’elle tenait d’héritage, c’était à cause du parc Monceau dont la verdure foisonnante s’étendait sous les fenêtres de derrière, au-delà du petit jardin privé... et aussi pour le plaisir pervers de contrarier sa belle-fille et d’embêter la famille en général.

En effet, la donatrice de ce petit palais néogothique, épousée sur le tard par un de ses oncles fort lancé dans la fête parisienne, avait été l’une de ces « lionnes » dont les aristocrates français, belges ou anglais, sans compter les grands-ducs russes, fréquentaient avec assiduité les alcôves parfumées. Belle à damner tout un monastère de trappistes, Anna Deschamps en avait ruiné quelques-uns et, avant de devenir Mme Gaston de Faucherolles, s’était constitué une assez jolie fortune qui lui avait permis de dorloter les vieux jours d’un mari décavé et honni par les siens.

Naturellement, le couple n’eut pas d’enfants, mais ayant rencontré un jour, par un pur hasard, la petite Amélie, l’ancienne courtisane s’était entichée d’elle et, lorsqu’elle en vint à faire son testament, elle l’institua sa légataire universelle. Si elle avait été mineure, les Faucherolles eussent sans doute refusé avec hauteur la donation suspecte -bien que personne ne puisse en jurer ! – mais Amélie était déjà mariée et son époux considérait la chose d’un œil amusé et beaucoup plus bénin. Sur son conseil, le testament fut accepté, l’argent partagé entre des œuvres charitables et des messes pour le repos de l’âme de la défunte pécheresse, et Mme de Sommières garda la maison. Ce dont elle ne cessa de se féliciter.

Tandis que les parquets recouverts de tapis craquaient sous ses pas, Morosini entendit une voix furieuse issue de la cage de verre agrémentée de peintures japonaises – roseaux, cueillette du thé, femmes en kimono – qui fermait la noble enfilade. Une voix qui, en contrepoint, faisait résonner le sol de vigoureux coups de canne :

– Qu’est-ce que ce vacarme ? Est-on encore en train de se chamailler ? Je veux savoir ce qu’il en est ! Et tout de suite ! Plan-Crépin, Cyprien ! Venez ici !

– Laissez-les donc vider leur querelle en paix, tante Amélie ! Je crains qu’ils n’en aient encore pour un moment, fit Aldo en débouchant dans la lumière laiteuse dispensée par les deux grands lampadaires à globes dépolis qui éclairaient le jardin d’hiver.

– Aldo !... Toi ici ? Mais d’où sors-tu ?

– Du Nord-Express, tante Amélie, et je viens vous demander l’hospitalité... si toutefois cela ne vous dérange pas ?

– Me déranger ? Alors que je meurs d’ennui dans ce trou ? Tu veux rire !

Le trou en question était un agréable fouillis de roseaux, de lauriers-roses, de rhododendrons et d’autres plantes au nom compliqué, sans oublier les yuccas aux feuilles acérées comme des poignards, quelques palmiers nains et les inévitables aspidistras. Tout cela composait un fond vert et fleuri sur lequel la marquise se détachait à la manière d’un personnage de tapisserie médiévale. C’était une belle vieille femme de haute taille qui ressemblait à Sarah Bernhardt. La masse de ses cheveux bicolores – roux et blancs ! – ombrageait d’une sorte de coussin mousseux des yeux vert feuille que l’âge ne semblait pas disposé à pâlir. Elle s’habillait d’habitude de robes princesses, suivant la mode lancée par la reine d’Angleterre Alexandra que Mme de Sommières s’était toujours appliquée à prendre pour modèle. Cette fois, son long cou serré dans une guimpe de tulle baleiné sortait d’un amas de taffetas noir, destiné à dissimuler le large pansement appliqué autour de son torse. Pour en atténuer la tristesse, elle portait par-dessus de grands sautoirs d’or entrecoupés de perles, de turquoises ou d’émaux translucides avec lesquels ses belles mains jouaient volontiers. Pour compléter le décor, il y avait, posé sur une petite table, un rafraîchissoir contenant une bouteille de Champagne et deux ou trois coupes de cristal taillé : la marquise avait l’habitude d’en boire en fin de journée et qui se présentait était toujours invité à partager ce plaisir.

Aldo l’embrassa puis prit un peu de recul pour mieux l’admirer et se mit à rire.

– J’ai appris que vous avez eu un accident mais du diable si l’on s’en douterait ! Vous avez l’air d’une impératrice !

Elle rosit un peu, contente d’un compliment qu’elle savait sincère, et agita nerveusement le face-à-main d’or pendu au milieu de ses sautoirs.

– Ce n’est pas un poste enviable : celle que j’ai connues ont mal tourné, mais cesse de cultiver le madrigal, sers-nous un verre, viens t’asseoir près de moi et dis un peu quel vent t’amène ! Tu es un homme très occupé, et je refuse de croire que tu aies eu tout à coup envie de venir t’ennuyer plusieurs jours dans ce mausolée...

– Ne vous ai-je pas dit...

– Taratata ! Je ne suis pas encore gâteuse et, même si elle m’enchante, je trouve ton arrivée bien subite. D’autant que tu ne pouvais pas savoir que tu me trouverais ici, la date fatidique du 15 avril étant dépassée. Alors, la vérité !

Après avoir rempli deux coupes, Aldo lui en tendit une puis, de sa main libre, tira une petite chaise dorée près du fauteuil de cette étonnante vieille femme.

– Vous avez raison en pensant que je ne pensais pas venir. Cependant, lorsque mon taxi s’est arrêté juste devant votre porte, j’ai songé à demander asile à votre portier. C’est à ce moment que votre Marie-Angéline est arrivée...

– ... Mais qu’est-ce que ton taxi faisait devant ma porte ?

– Il suivait depuis la gare de Nord une Rolls noire qui est entrée dans la maison d’à côté. Me feriez-vous la grâce de me dire à qui ce monument appartient ?

– L’autre étant vide, je suppose qu’il s’agit de celle de droite. Tu sais que je ne me suis jamais beaucoup préoccupée de mes voisins, surtout dans ce quartier de manieurs d’argent qui se prennent pour des aristocrates, mais celui-là, je le connais... un peu : c’est sir Eric Ferrais.

– Le marchand de canons ? Vous avez ça au parc Monceau ?

– Ça ? Te voilà bien dédaigneux, persifla la marquise. Un personnage richissime, anobli par le roi d’Angleterre pour « services rendus pendant la guerre » et décoré de la Légion d’honneur ? Cela dit, je ne peux pas te donner tout à fait fort : l’homme est d’origine incertaine et on ne sait trop comment il a bâti sa fortune. Cependant, comme je ne l’ai jamais vu, je ne peux pas te dire à quoi il ressemble. N’empêche que nous sommes lui et moi à couteaux tirés.

– Pour quelle raison ?

– Oh, toute simple ! Il a une maison énorme et il veut la mienne pour l’agrandir encore : des collections à installer ou Dieu sait quoi ! En tout cas, s’il veut faire concurrence au musée du Louvre, il ne faut pas qu’il compte sur moi. Seulement, il n’a pas l’air de comprendre et ne cesse de me dépêcher hommes d’affaires et lettres pressantes. Mes gens ont ordre de refuser le tout et quant à Ferrais lui-même, je n’ai pas voulu le recevoir quand il s’est présenté...

– En auriez-vous peur ?

– Peut-être !... On dit que ce baron de hasard est laid mais qu’il possède un certain charme et surtout une voix grâce à laquelle il réussirait à vendre des mitrailleuses à des bonnes sœurs. Mais laissons-le là et dis-moi ce qu’il y avait dans sa voiture et pourquoi tu l’as suivie jusqu’ici.

– C’est une longue histoire, murmura Aldo d’un ton hésitant, nuance que sa compagne saisit aussitôt.

– Nous avons tout le temps avant le dîner. On sert tard, chez moi, pour raccourcir les nuits. Cependant, si tu vois une raison quelconque de ne

me faire partager tes secrets... — Non pas ! protesta-t-il. Je voudrais être certain qu’ils ne seront que pour vos oreilles. Il s’agit de choses graves... remontant à la mort de ma mère.

Instantanément, toute trace d’ironie disparut du beau visage, remplacée par une attente pleine de compréhensive affection.

– Nous sommes ici au bout de la maison et je peux t’assurer que personne n’est caché dans mes plantes vertes, mais on peut prendre quelques précautions supplémentaires...

Pêchant dans les plis étalés de sa robe une cloche rapportée jadis du Tibet, elle en tira un carillon qui fit accourir en même temps Cyprien et Marie-Angéline qui devaient être toujours occupés à en découdre. Mme de Sommières fronça le sourcil :

– Depuis quand répondez-vous à la cloche, Plan-Crépin ? Allez donc prier ou vous tirer les cartes, mais je ne veux pas vous voir avant le dîner. Quant à toi, Cyprien, tu veilleras à ce que personne ne nous dérange. Je sonnerai quand j’en aurai fini. A-t-on préparé une chambre ?

– Oui, madame la marquise, et Eulalie est en train de mettre les petits plats dans les grands en l’honneur de Son Excellence.

– Bien... Maintenant, je t’écoute, mon garçon, ajouta-t-elle quand les doubles portes se furent refermées.

Pendant la courte scène, Morosini prenait la décision de se livrer, sachant bien à qui il s’adressait : Amélie de Sommières n’était pas seulement une grande dame par la naissance, le nom et l’allure, elle en avait aussi l’âme : elle se laisserait déchirer par la torture plutôt que de livrer un secret confié... Alors il raconta tout, depuis ses découvertes dans la chambre d’Isabelle à Venise jusqu’à ses rencontres avec Anielka pour finir par la brève vision dans le hall de la gare : le grand saphir au cou de la jeune fille. Sans toutefois parler de Simon Aronov et du pectoral. Ce secret-là ne lui appartenait pas.

Mme de Sommières l’écouta sans l’interrompre autrement que par une brève exclamation de douloureuse surprise en apprenant l’assassinat de sa chère filleule. Elle suivait son récit avec passion et, lorsque celui-ci prit fin, elle murmura :

– Je crois que j’ai compris, mais peux-tu me dire ce qui t’importe le plus : le saphir ou la fille ?

– Le saphir, soyez-en sûre ! Je veux savoir comment elle l’a eu. Elle prétend qu’il lui vient de sa mère ! C’est impossible, elle ment.

– Pas forcément. Elle ne fait que croire, sans doute, ce que lui a dit son père. Il ne faut pas juger trop vite ! Mais dis-moi, ce client qui t’a envoyé à Varsovie et souhaitait acquérir le joyau des Montlaure, pourquoi ne s’est-il pas dérangé au lieu de te faire courir au bout de l’Europe ? Il me semble que c’eût été la moindre des choses ?

Décidément rien ne lui échappait ! Aldo lui offrit son sourire le plus séducteur.

– Un homme âgé et infirme. Il semble que, dans la nuit des temps, le saphir ait appartenu aux siens. Il espérait que je le lui apporterais afin qu’il puisse le voir...

– ... avant de mourir ? Ça ne te paraît pas un peu bizarre cette histoire ? Je t’ai connu moins naïf. Il sent le piège à cents pas, ton roman. Et le tout moyennant une nouvelle galopade à travers la Mitteleuropa ? Il t’offrait sans doute une fortune mais j’espère que tu ne te serais pas laissé faire ?

– Certainement pas ! fit Morosini d’un ton détaché qui ne laissait guère place à d’autres questions.

Il fut sauvé par une toux légère qui résonna au fond des salons. Tout de suite la marquise hérissa ses plumes :

– Qu’est-ce que c’est ? N’ai-je pas dit que je ne voulais pas être dérangée ?

– Je présente mes excuses à madame la marquise, fit Cyprien d’une voix contrite, mais il se fait tard et je voudrais bien annoncer à madame la marquise que madame la marquise est servie. Eulalie a fait un soufflé aux pointes d’asperges et...

– ... et nous aurons un drame domestique si nous n’allons pas le manger au galop. Ton bras, Aldo !

Ils gagnèrent la salle à manger qui se trouvait à l’autre extrémité des salons : une cathédrale gothique où de lourds rideaux de panne rousse brodés d’or cachaient les portes et où tout un monde de tapisseries avec souliers à poulaines, chimères et lions volants absorbaient ce qui restait des murs. La mine pincée, Marie-Angéline attendait debout derrière une chaise sculptée dont le dossier arrivait à la hauteur de son nez pointu. En prenant sa place, Mme de Sommières lui lança un coup d’œil ironique :

– Ne faites pas cette tête-là, Plan-Crépin ! Nous allons avoir besoin de vous.

– De moi ?

– Eh oui ! N’êtes-vous pas celle à qui rien n’échappe... à commencer par les nouvelles du quartier ? Dites-nous un peu ce qui se passe chez le voisin d’à côté !

Sous sa toison frisée qui lui donnait l’air d’un mouton un peu jaune, Mlle du Plan-Crépin devint rouge brique. Elle marmonna des choses indistinctes tout en égratignant de la cuillère le soufflé que l’on venait de lui servir, y goûta, en reprit et toussa pour s’éclaircir la gorge :

– Aurions-nous enfin décidé de nous intéresser à ce cher baron Ferrais ? dit-elle, employant comme elle en avait la manie la première personne du pluriel pour s’adresser à la marquise, que cela agaçait prodigieusement, mais elle avait fini par abandonner le combat en face d’un adversaire plus coriace qu’il n’y paraissait. Elle s’y faisait, d’ailleurs, ayant constaté que cette forme d’interrogation lui permettait d’employer le pluriel de majesté.

– Non, mais nous savons qu’il a reçu des visiteurs venus de loin et nous aimerions apprendre ce qu’il a l’intention d’en faire.

– S’il s’agit de Polonais, il a l’intention d’épouser, fit Marie-Angéline aussi naturellement que si elle avait été dans l’intimité du marchand de canons. On le dit, mais le monde entier sait que le baron a fait vœu de célibat, ou peu s’en faut...

– Alors tâchez de savoir la suite des événements ! Il s’agit bien des Polonais attendus... Et à Saint-Augustin ? Rien de nouveau ? Le jeune vicaire est toujours assiégé par ses ouailles ?

Lancée sur son terrain favori, celui des potins, cancans et autres médisances dont elle régalait la marquise, Plan-Crépin se révéla vite intarissable. Ce qui permit à Morosini de s’abstraire de la conversation pour se consacrer au soufflé, qui était admirable, et au montrachet de grand cru qui l’accompagnait. Il pensait aussi que, dès le lendemain, il se mettrait à la recherche de Vidal-Pellicorne. Grâce à l’heureux, hasard qui semblait prendre à tâche de le favoriser depuis quelque temps, l’homme que lui avait recommandé le Boiteux n’habitait pas bien loin.

Rue Jouffroy, très exactement. Un court trajet depuis la rue Alfred-de-Vigny. Pas désagréable à parcourir dans la fraîcheur ensoleillée d’un matin de printemps. Le mystérieux personnage logeait au premier étage sur entresol d’un imposant immeuble fin de siècle mais, au bout du tapis rouge de l’escalier et derrière la porte vernie aux cuivres étincelants, Morosini ne trouva que la figure compassée d’un valet de chambre en gilet rayé dont il apprit que « monsieur était à Chantilly pour voir ses chevaux et ne rentrerait pas avant le lendemain ». Impressionné par l’élégance du visiteur et plus encore par son état civil, l’homme s’empressa de se mettre à sa disposition. Souhaitait-il que monsieur lui téléphone dès son retour ?

– Étant donné qu’il ne me connaît pas, ce serait un peu cavalier, répondit Morosini. Malheureusement, là où je suis il n’y a pas de téléphone.

Ce qui était presque la vérité, Mme de Sommières détestant un ustensile qu’elle jugeait indiscret, peu convenable et agaçant.

– Je ne supporte pas d’être « sonnée » comme une servante, disait-elle. Jamais cet outil n’entrera chez moi !

En fait, il avait été installé pour les besoins de la maison, mais dans la loge du concierge.

Quittant la rue Jouffroy, Morosini prit le chemin du retour. Cependant, arrivé devant la grille de la Rotonde qui ouvrait le parc Monceau sur le boulevard de Courcelles, il se laissa tenter par une promenade sous les ombrages du jardin qu’animaient jadis de leur grâce les belles amies des ducs d’Orléans. À travers le feuillage des marronniers en fleur, des flèches de soleil frappaient les pelouses et les allées peuplées de nurses en uniforme bleu et blanc poussant des landaus de luxe remplis de bébés joufflus ou surveillant des bambins bien habillés galopant derrière des cerceaux.

Préférant un site plus romantique, Aldo alla vers la Naumachie dont la colonnade en demi-cercle délimitait une allée plantée de peupliers. Là, les rayons dorés jouaient à plaisir avec l’eau miroitante du petit lac dont le promeneur s’apprêtait à faire le tour quand apparut une claire silhouette qu’il identifia d’un seul regard : vêtue d’un tailleur gris clair, animé d’un joyeux foulard de soie à pois verts, Anielka venait droit vers lui. Sans d’ailleurs s’en rendre compte le moins du monde : tout en marchant, elle observait les ébats d’une famille de canards.

Saisi d’une soudaine allégresse, Aldo s’arrangea pour barrer le chemin de la jeune fille. Puis, constatant qu’elle paraissait d’humeur mélancolique et mettant de côté ses soupçons, il la salua comme l’eût fait l’Arlequin de la commedia dell’arte, et ne résista pas au plaisir de parodier Molière :

– Mais la place m’est heureuse à vous y rencontrer, comtesse ! Ce jardin serait-il vraiment celui des enchantements ?

Anielka ne sourit même pas. Ses grands yeux dorés considérèrent avec une sorte d’inquiétude l’homme à l’allure nonchalante qui lui faisait face, sans paraître le moins du monde sensible à l’éclat insolent de ses prunelles bleues et de ses dents blanches :

– Je vous demande pardon, monsieur, mais est-ce que nous nous connaissons ?

Elle semblait si surprise que l’inexplicable joie de Morosini tomba d’un seul coup.

– Pas intimement, fit-il avec une grande douceur, mais j’espérais que vous vous souviendriez de moi ? ...

– Le devrais-je ?

– Avez-vous oublié les jardins de Wilanow et votre voyage dans le Nord-Express ? Avez-vous oublié... Ladislas ?

– Veuillez m’excuser mais je ne connais personne de ce nom. Vous faites erreur, monsieur !

De sa main gantée de suède clair, elle eut un geste pour l’écarter de son chemin qu’elle accompagna d’un petit sourire triste.

Insister eût été de la dernière grossièreté, aussi Morosini se résigna-t-il à lui livrer passage. Figé sur place, un sourcil relevé par l’étonnement, il la regarda s’éloigner de son allure lente et gracieuse, admirant la finesse de sa ligne et de ses longues jambes que le mouvement révélait sous la jupe étroite du tailleur.

Ce qui venait d’arriver était tellement surprenant qu’il en vint à se demander s’il n’était pas victime d’une ressemblance, mais à ce point-là et à quelques centaines de mètres de la maison où habitait Anielka, c’était impensable... D’ailleurs l’étrange fille se dirigeait droit vers l’endroit du parc où se trouvait la maison de Ferrais. Et puis il y avait ce frais parfum de lilas dont il conservait le souvenir...

Perdu dans ses conjectures, Morosini allait peut-être se décider à suivre son énigme vivante quand une voix railleuse se fit entendre :

– Une bien jolie femme, n’est-ce pas ? Mais on ne peut pas gagner à tous les coups !

Il tressaillit et considéra sans aménité l’homme qui venait d’arriver à sa hauteur. Plutôt petit mais bâti en force, l’intrus avait la peau brune, un nez agressif et des yeux noirs enfoncés sous les sourcils qui contrastaient avec l’épaisse crinière argentée dépassant du feutre noir à bords roulés. Habillé par un bon tailleur, son costume gris anthracite parfaitement coupé faisait valoir de larges épaules et il s’appuyait sur une canne à pommeau d’ambre cerclé d’or. Mais, de trop mauvaise humeur pour s’arrêter à de tels détails, Aldo se contenta de grogner :

– Je ne crois pas vous avoir demandé votre avis...

Puis, tournant le dos au personnage, il s’éloigna à grandes enjambées rapides.

Il suivit la jeune fille, pensant que si elle n’était pas Anielka, elle bifurquerait à un moment ou à un autre, mais il n’en fut rien : comme attirée par un aimant, elle alla droit vers l’hôtel Ferrais qu’elle regagna en empruntant la grille du jardin communiquant avec le parc. Lorsqu’il l’eut vue disparaître, Aldo se retourna pour voir si l’homme à la canne suivait le même chemin, mais il ne l’aperçut nulle part.

Il examina les abords de l’hôtel comme s’il espérait trouver un moyen d’y pénétrer. Il devait être intéressant de visiter ce monument, surtout sans la permission du propriétaire ! Malheureusement, ses connaissances dans l’art de s’introduire chez les gens étaient nulles : dans son collège suisse, personne ne lui avait appris à fabriquer une fausse clef ou à manier la pince-monseigneur. Une lacune qu’il faudrait peut-être songer à combler en faisant un stage chez un serrurier. Encore qu’il se voyait mal allant demander des leçons au père Fabrizzi qui régnait depuis des années sur les serrures de son palais...

Ses idées ramenées par ce biais à Venise, il se dit qu’il pourrait peut-être donner de ses nouvelles à Mina, consulta sa montre, en déduisit qu’il avait encore le temps avant le déjeuner et se rendit d’un pas vif vers le bureau de poste du boulevard Malesherbes pour envoyer un télégramme destiné à rassurer sa maisonnée. Il aurait préféré téléphoner mais craignait une trop longue attente. Il se contenta donc de rédiger un message donnant son adresse actuelle et annonçant son intention de passer quelques jours à Paris où il comptait quelques clients importants.

Cela fait, il rentra rue Alfred-de-Vigny où Mme de Sommières lui tenait au chaud une nouvelle fraîchement véhiculée par Marie-Angéline : Ferrais donnait, ce soir, une réception pour annoncer son mariage et présenter sa fiancée, le mariage étant prévu pour le mardi 16 mai.

– Si vite, alors qu’avant-hier Ferrais n’avait jamais vu la comtesse Solmanska ?

– Il paraît que notre trafiquant d’armes est pressé. Il aurait même subi, à la surprise générale, un véritable coup de foudre.

– Cela n’a rien de bien étonnant même pour un dur-à-cuire du célibat, soupira Morosini en évoquant les cheveux d’or clair, le ravissant visage et la silhouette exquise d’Anielka. Quel homme normal ne se sentirait séduit par cette adorable créature...

Se gardant de relever la légère mélancolie révélée par le ton d’Aldo, la marquise se contenta de remarquer :

– Il semble qu’elle soit très belle. La cérémonie et la réception auront lieu au château que Ferrais possède sur la Loire.

Cette précision dans l’information confondit Morosini qui ne put s’empêcher de demander :

– Mais enfin, d’où votre « Plan-Crépin » sort-elle tout cela ? C’est à croire qu’elle possède le pouvoir ne soulever les toits, comme le démon Asmodée ?

La marquise étouffa un petit rire derrière son face-à-main.

– Eh bien, si ma vierge folle t’entendait l’assimiler à un démon, tu aurais droit à une ou deux oraisons d’exorcisme ! D’autant que, pour employer ton expression, elle sort ça de Saint-Augustin. Et même de la messe du petit matin.

– Qui la renseigne ?

– Mme Quémeneur, l’imposante cuisinière de sir Eric.

– Je croyais Mlle du Plan-Crépin trop fière de son sang bleu pour l’aventurer dans la valetaille ?

– Oh ! fit la vieille dame scandalisée, en voilà un terme ! Te viendrait-il à l’idée d’assimiler ta Cecina à la valetaille ?

– Cecina est un cas à part.

– Tout comme Mme Quémeneur qui est elle aussi un grand cordon bleu ! Quant à Marie-Angéline, tu n’imagines pas à quel point elle se démocratise lorsque sa curiosité est en jeu. Quoi qu’il en soit, te voilà renseigné. Que vas-tu faire ?

– Rien pour le moment. Ou plutôt si... réfléchir ! En fait, une première décision s’imposait : il s’arrangerait d’une façon ou d’une autre pour jeter un coup d’œil à la réception du voisin. Passer du jardin de sa tante au sien ne devait guère présenter de difficulté et, quand la fête battrait son plein, il serait facile d’observer à travers les hautes fenêtres des salons ce qui se passerait à l’intérieur. Ne sachant trop comment occuper son après-midi, il alla prendre un taxi boulevard Malesherbes et se fit conduire place Vendôme dans l’intention de passer un moment avec son ami Gilles Vauxbrun et d’essayer de glaner de lui ce qu’il pouvait savoir sur Ferrais. Si l’homme des canons était le collectionneur annoncé par Anielka – ce dont il doutait un peu, n’en ayant jamais tendu parler – le plus grand antiquaire parisien pouvait manquer d’en être informé. Mais il était écrit quelque part que, ce jour-là, Aldo jouerait de malheur : dans le magnifique magasin-musée de son ami, il ne trouva qu’un homme mince, âgé mais fort élégant et pourvu d’un léger accent anglais : Mr Bailey, l’assistant de Vauxbrun déjà rencontré plusieurs reprises. Ce gentleman le reçut avec le ce sourire qui était signe chez lui d’une joie exubérante mais lui apprit que l’antiquaire s’était du le matin même en Touraine pour une expertise : on ne l’attendait pas avant quarante-huit heures.

Pendant un moment, Aldo flâna au milieu d’un admirable et rarissime ensemble de meubles signés Henri-Charles Boulle mis en valeur par trois tapisseries flamandes en parfait état de conservation, provenant d’un palais bourguignon. Voir de belles choses était pour lui le meilleur moyen d’oublier ses soucis et de se retremper l’âme. Cependant, quand il eut achevé sa promenade à travers d’autres merveilles, il ne résista pas à l’envie d’interroger Mr. Bailey :

– J’ai entendu dire que vous aviez vendu récemment à sir Eric Ferrais l’un de vos fauteuils Louis-XIV en argent ? Cela m’a surpris, étant donné le soin jaloux avec lequel Vauxbrun veille sur ces pièces extraordinaires...

– Je ne sais qui a pu vous annoncer pareille nouvelle, prince ! M. Vauxbrun n’est pas encore résigné à s’arracher le cœur et s’il en venait là ce ne serait certainement pas au bénéfice du baron Ferrais. Celui-ci ne s’intéresse qu’aux antiques. Le dernier objet que nous lui ayons vendu est une statuette d’or empruntée voici quelques siècles à un temple d’Athéna...

– On m’aura mal renseigné ou j’aurai mal compris, fit Morosini avec philosophie. J’avoue que, personnellement, je ne le connais pas en tant que collectionneur. Peut-être parce que je n’ai jamais eu affaire à lui ? ...

À nouveau, Mr. Bailey se laissa aller à sourire.

– Étant donné votre spécialité, ce serait assez étonnant. Il ne s’intéresse pas du tout aux pierres précieuses ni aux joyaux à moins qu’il ne s’agisse d’intailles ou de camées grecs ou romains...

– Vous en êtes certain ?

Le vieux monsieur leva une main blanche et soignée ornée d’une chevalière armoriée :

– Je suis formel : jamais sir Eric ni l’un de ses mandataires n’a enchéri sur un joyau, même célèbre, dans quelque vente que ce soit. Vous devriez le savoir aussi bien que moi, ajouta-t-il d’un ton de doux reproche.

– C’est vrai, murmura Morosini d’un air de distraite contrition parfaitement jouée, mais il y a des moments où la mémoire me fait défaut. L’âge, peut-être, ajouta ce vieillard de trente-neuf ans.

En quittant la boutique comme il avait besoin de réfléchir, il choisit d’aller boire un chocolat à la terrasse du Café de la Paix.

Ce qu’il avait appris de Bailey lui donnait beaucoup à penser. Seul un collectionneur enragé pouvait accepter le marché proposé par Solmanski pour le saphir : Ferrais ne l’obtiendrait qu’en faisant dudit Solmanski son beau-père. Or les joyaux ne l’attiraient pas, c’était un célibataire impénitent, et pourtant il avait accepté. En ce cas, que pouvait représenter à ses yeux le saphir wisigoth pour qu’il lui attache une telle valeur ? ... De quelque côté qu’Aldo prît le problème, il n’arrivait pas à lui donner une solution satisfaisante...

L’idée lui vint de demander une entrevue au marchand de canons afin d’en discuter avec lui d’homme à homme mais, auparavant, il entendait jouer à son tour les Asmodée et jeter un coup d’œil dans une demeure où se traitaient de si curieuses affaires.

Aussi le soir après le dîner, quand il eut conduit tante Amélie à la cage de verre agrémentée de fleurs peintes contenant le petit ascenseur hydraulique doux et lent chargé de véhiculer la vieille dame jusqu’au seuil de sa chambre, annonça-t-il à Cyprien son intention d’aller fumer un cigare dans le jardin de la maison.

– Inutile de laisser les salons allumés ! indiqua-t-il. Conservez ce qu’il faut pour que je retrouve mon chemin jusqu’à l’escalier et allez vous coucher ! J’éteindrai lorsque je regagnerai ma chambre.

– Monsieur le prince ne craint pas de prendre froid ? La pluie qui nous est venue en fin d’après-midi a tout arrosé copieusement et des souliers vernis ne sont guère confortables par une nuit humide. Pas plus qu’un smoking d’ailleurs... Madame la marquise suggère à monsieur le prince de se changer pour quelque chose de plus... adapté à ce genre d’environnement avant d’aller y savourer un havane.

Le visage du vieux serviteur était un poème d’innocente sollicitude, mais Morosini ne s’y laissa pas prendre et éclata de rire :

– Elle a tout prévu, n’est-ce pas ?

– Madame la marquise prévoit toujours tout... et elle aime infiniment monsieur le prince...

– Alors pourquoi ne m’a-t-elle pas donné ces bons conseils quand nous nous sommes dit bonsoir ?

Cyprien émit un petit reniflement accompagné d’un geste vague :

– Mademoiselle Marie-Angéline, je pense !... madame la marquise ne tient pas à ce qu’elle soit au courant de ce grand désir d’aller fumer dans un jardin dégoulinant d’eau. Je... hum !... je gagerais que Mlle Marie-Angéline va être priée de faire la lecture à madame la marquise, ce soir. Peut-être pas Les Misérables dans leur entier mais au moins deux ou trois tomes...

– Compris ! fit Aldo en tapotant l’épaule du majordome. Je vais me changer.

Il souriait en grimpant quatre à quatre le grand escalier et, passant silencieusement devant la porte de Mme de Sommières, il lui envoya un baiser du bout des doigts. Quelle étonnante vieille dame ! Si fine et si malicieuse !... Sachant qu’elle détestait se coucher tôt, il avait été surpris – mais soulagé aussi ! – de l’entendre exprimer à dîner son intention de se mettre au lit de bonne heure. En agissant ainsi, tante Amélie lui laissait entendre qu’elle était avec lui en toutes circonstances et qu’il pouvait agir dans sa maison comme bon lui semblait.

Un moment plus tard, ayant échangé son vêtement de soirée pour un tricot de marin en laine noire et ses escarpins pour de solides chaussures à semelles de caoutchouc, il gagnait le jardin sans le moindre cigare mais avec, dans sa poche, un étui à cigarettes rempli. Dieu seul savait combien de temps allait durer la faction qu’il entendait s’imposer !

Le jardin était paisible, mais, dans la maison voisine, la réception devait battre son plein. À cause de l’humidité de la nuit, les grandes portes-fenêtres n’étaient qu’entrouvertes, laissant passer les sons sublimes d’un piano exhalant la fureur désespérée d’une polonaise de Chopin et les mains qui jouaient devaient être celles d’un grand interprète. « On dirait qu’il y a concert ? pensa Morosini. Comment se fait-il que Plan-Crépin ne l’ait pas dit ? » Il décida d’aller voir de plus près.

Les deux hôtels étant mitoyens, une simple grille doublée de massifs séparait les parterres. Prenant son courage à deux mains, Aldo pénétra dans les rhododendrons pour atteindre le muret où s’encastrait la grille. Quelques instants plus tard, il atterrissait de l’autre côté où régnaient des troènes, des aucubas et des hortensias, un véritable mur végétal reliant le parterre à la bâtisse et aux larges marches régnant sur toute la longueur de la maison dont les fenêtres éclairées illuminaient le jardin.

Si inconfortable que ce fût, Aldo choisit de progresser dans les branches. Il allait atteindre son but quand une espèce d’aérolithe tombant du ciel s’abattit près de lui dans un craquement de petit bois, manquant son dos de fort peu. Un aérolithe d’une espèce rare car il fit « Ouille ! » avant de défiler à voix basse un chapelet de jurons.

– Un cambrioleur ! traduisit Aldo, en empoignant le personnage pour le remettre sur pied, quitte à le renvoyer à terre d’un direct bien appliqué s’il se montrait agressif. Sans songer que sa propre situation était aussi délicate que celle du nouveau venu. Qui d’ailleurs se rebiffait en reprenant pied sur la terre ferme.

– Moi, un cambrioleur ? Sachez à qui vous parlez, mon brave ! Je suis l’un des invités de votre maître...

Comprenant que l’autre le prenait pour un quelconque garde de la propriété, Aldo choisit de jouer le jeu. Le personnage était plutôt sympathique, voire amusant : long et mince dans un habit de soirée qui avait pas mal souffert de son atterrissage, il arborait un regard bleu d’enfant de chœur sous une attendrissante mèche blonde qui lui mangeait un sourcil. Sa figure ronde surmontée d’une abondance de cheveux frisés n’était pas celle d’un gamin mais d’un homme qui pouvait avoir trente-cinq à quarante ans.

– Je veux bien vous croire, monsieur, dit Aldo, mais les invités se tiennent dans les salons et non sur les toits...

– Qu’aurais-je fait sur le toit, fit l’aérolithe d’un ton de vertueuse indignation. Je me tenais sur le balcon du premier étage pour y fumer une cigarette et, je ne sais trop comment, j’ai perdu l’équilibre. Je suis parfois sujet à des étourdissements. Seulement, maintenant, je ne sais trop quelle figure je vais faire en rejoignant les autres. Je suis trempé... Si vous êtes de la maison, auriez-vous la gentillesse de me conduire dans un endroit sec afin que je puisse remettre de l’ordre dans mes vêtements ?

– Pas avant que vous m’ayez appris ce que vous faisiez au premier étage.

– Je n’aime pas beaucoup la musique et Chopin m’ennuie. Si j’avais su que cette réception commençait par un concert, je serais venu plus tard. Alors, vous m’emmenez me sécher ?

– Ça peut se faire, dit Aldo avec un sourire moqueur. Dès l’instant où vous aurez bien voulu me confier votre nom... afin de vérifier si vous êtes sur la liste de ce soir.

– Je vous trouve bien méfiant, marmotta l’homme aux étourdissements. Est-ce que vous ne préféreriez pas une pièce de dix francs ? J’aimerais autant que Ferrais continue d’ignorer qu’un de ses hôtes se promenait sur son balcon...

– L’un n’empêche pas l’autre, fit Aldo qui commençait à s’amuser. Je ne dirai rien... mais dites-moi qui vous êtes... pour la tranquillité de ma conscience.

– Si vous y tenez !... Je me nomme Adalbert Vidal-Pellicorne, archéologue et homme de lettres... Vous êtes satisfait ?

Un brusque éclat de rire s’étouffa dans la gorge de Morosini.

– Plus que vous ne sauriez croire. C’est un plaisir inattendu de vous rencontrer dans ces buissons : je vous croyais à Chantilly ?

Les yeux d’Adalbert s’arrondirent davantage en considérant plus attentivement son interlocuteur. À bien y réfléchir, cet homme-là ne manquait pas d’allure.

– Comment est-ce qu’un gardien peut savoir ça ? fit-il. Mais... peut-être n’êtes-vous pas gardien ?

– Pas vraiment, non.

– Alors qui êtes-vous et que faites-vous ici ? dit l’invité d’un ton soudain beaucoup moins innocent. En même temps, sa main droite se dirigeait vers la poche arrière de son pantalon. Il devait être armé et Aldo jugea qu’il était temps de le rassurer :

– Je suis le voisin d’à côté.

– Quelle blague ! Le voisin d’à côté ou plutôt la voisine, c’est la vieille marquise de Sommières. Vous êtes un peu jeune pour être son marquis. D’autant qu’elle est veuve depuis belle lurette.

– Sans doute, mais j’ai l’âge convenable pour être son petit-neveu... et un ami de Simon Aronov. Venez donc par ici ! Nous y serons mieux pour causer et vous remettre en état... mais prenez garde à ne pas vous déchirer en franchissant la grille.

Cette fois, l’archéologue-homme de lettres se laissa emmener sans protester et, un moment plus tard, pénétrait avec son guide dans l’univers de tante Amélie où Aldo se mit aussitôt à la recherche de Cyprien dont il était persuadé qu’il n’irait pas se coucher tant que lui-même serait dehors. Le vieux majordome considéra l’intrus sans surprise excessive :

– Je vois ! dit-il. Si monsieur le prince voulait bien prêter une robe de chambre à... monsieur, je pourrais peut-être réparer les dommages subis par l’habit de monsieur ?

– Monsieur le prince ? Peste ! siffla Vidal-Pellicorne. Je me disais aussi que vous ne deviez pas être ce que vous vouliez me faire croire.

– Je m’appelle Aldo Morosini... et je vais de ce pas chercher ce qu’il vous faut.

Quand il revint une ou deux minutes plus tard, celui qui était à présent son invité alla en compagnie de Cyprien se réfugier dans les plantes vertes pour se changer puis revint s’asseoir en face de lui. Entre eux deux, Aldo avait transporté puis ouvert une cave à liqueurs Napoléon-III contenant une remarquable fine Napoléon Ier dont il servit deux généreuses rations :

– Rien de mieux pour se remettre d’une émotion ! commenta-t-il. Et maintenant si l’on se disait la vérité ?

– Sachant qui vous êtes, je crois que je connais la vôtre car je viens de comprendre ce que vous faisiez dans ce jardin : le saphir étoile que la fiancée porte au cou ce soir, c’est le vôtre, n’est-ce pas ? Celui que Simon espérait tant vous amener à lui céder. Ce que je n’ai pas saisi, cependant, c’est comment une pierre réputée appartenir à une grande dame française mariée à un Vénitien pouvait briller sur la gorge – ravissante d’ailleurs ! -d’une comtesse polonaise en train d’épouser, à

Paris, un homme de nationalité incertaine affublé d’un blason anglais.

– Comment l’avez-vous reconnu ?

– J’en possède une reproduction fidèle dessinée par Simon. Ainsi d’ailleurs que des autres pierres manquantes. Lorsque j’ai salué la jeune fille, je l’ai reçu en pleine figure avec une foule de points d’interrogation : qu’est-ce qu’il faisait là ?

– Voilà ce que j’aimerais apprendre. Il a disparu de chez moi il y aura bientôt cinq ans et, pour le voler, on a assassiné ma mère, mais j’ai préféré garder le secret. C’est pourquoi M. Aronov... et vous-même le pensiez toujours en ma possession. En fait, il était à Varsovie...

Et Morosini raconta son entrevue avec le boiteux, son bref séjour en Pologne et son voyage de retour.

– Si je suis allé chez vous ce matin, conclut-il, c’est sur la recommandation expresse de M. Aronov. Il espérait que vous pourriez m’aider à retrouver le saphir et aussi...

– Que nous pourrions collaborer dans l’affaire du pectoral. Il y a un moment déjà qu’il pense à vous mettre dans le secret et à nous réunir afin que nous conjuguions nos talents. Pour ma part, j’y suis tout disposé, fit l’archéologue. Notre rencontre

humide aux abords d’une maison ne nous appartenant ni à l’un ni à l’autre m’a convaincu que vous étiez un homme déterminé. A propos, que comptiez-vous faire quand je vous suis tombé sur le dos ? Tout de même pas surgir pour reprendre votre bien, sous la menace d’un revolver, par exemple ?

– Rien de si retentissant. Je voulais seulement jeter un coup d’œil à la réception et examiner les aîtres. D’ailleurs je n’ai pas d’arme.

– Une grave lacune quand on s’embarque dans une aventure comme celle-là ! Il se pourrait que vous en ayez besoin un jour.

– Nous verrons bien ! Mais maintenant que vous savez tout de moi, si vous me révéliez votre vérité à vous ? Que faisiez-vous au juste sur le balcon d’un...

– ... trafiquant d’armes réputé ? J’essayais de découvrir certaines précisions concernant une nouvelle série de grenades offensives et le concert m’est apparu comme le moment idéal pour mener à bien cette exploration. J’ai été dérangé. La seule issue étant les balcons, j’y ai fait retraite et c’est en passant de l’un à l’autre que j’ai eu un mouvement malheureux. Je suis, je l’avoue, d’une regrettable maladresse avec mes pieds ! soupira Vidal-Pellicorne dont la figure atteignait à cet instant une sorte de perfection dans l’angélisme.

Aldo releva un sourcil ironique.

– Cette façon de comprendre l’archéologie ne relèverait-elle pas plutôt de l’activité d’un agent secret ou même d’un... cambrioleur ?

– Pourquoi pas ? Je suis tout ça ! fit Adalbert avec bonne humeur. Vous savez, l’archéologie peut mener à tout. Même au vol qualifié ! Pour ma part, j’estime ne pas être plus coupable en essayant d’assurer une arme intéressante à mon pays que feu lord Elgin fauchant les frises du Parthénon pour en orner le British Museum. Ah ! voilà mon habit !

Cyprien revenait avec les vêtements brossés et repassés. Vidal-Pellicorne redisparut dans les plantes vertes, laissant son hôte méditer sur la valeur de ce dernier sophisme... qui, après tout, n’en était peut-être pas un. Au bout de quelques instants, rendu à sa splendeur originelle et presque bien coiffé, le curieux personnage serrait avec effusion les mains de Morosini :

– Merci de tout cœur, prince ! Vous m’avez tiré d’un mauvais pas et j’espère que nous allons, dans l’avenir, faire du bon travail ensemble. Voulez-vous que nous en parlions tranquillement demain en déjeunant chez moi ? Mon valet est un assez bon cuisinier et j’ai une cave intéressante...

– Avec plaisir... mais je pense que vous allez de nouveau vous mouiller en retraversant les buissons.

– Aussi vais-je rentrer par la grande porte. Le concert dure encore si j’en crois mes oreilles. Je vous attends à midi et demi ?

– Entendu ! Je vous raccompagne...

Au moment de franchir la porte de l’hôtel de Sommières, Vidal-Pellicorne tendit une dernière fois la main à son nouvel allié :

– Encore un mot ! Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, j’ai un nom épuisant à prononcer. Aussi mes amis m’appellent-ils Adal.

– Les miens m’appellent Aldo. C’est plutôt drôle, non ?

L’archéologue se mit à rire tout en rejetant d’une main agacée l’innocente boucle blonde qui s’obstinait à lui tomber sur l’œil.

– Une affiche parfaite pour un duo d’acrobates ! On était faits pour se rencontrer !

Morosini le regarda s’éloigner, les mains dans les poches, sous la lumière blanche d’un réverbère, et rejoindre la majestueuse entrée de l’hôtel Ferrais où veillaient deux sergents de ville, preuve vivante de la considération que la République du président Millerand portait au marchand de canons...

Revenu dans le vestibule, Aldo rencontra le regard interrogateur de Cyprien qui portait les verres à la cuisine et sourit :

– Soyez tranquille ! C’est terminé pour cette nuit. Je crois que je vais aller me coucher et vous, vous avez mérité d’en faire autant ! Dormez bien, Cyprien !

– J’en souhaite tout autant à monsieur le prince !

Dormir ? Aldo aurait bien voulu, mais il n’en éprouvait pas la moindre envie. Éteignant les lumières de sa chambre, il alluma une cigarette puis sortit sur le balcon. Le besoin d’entendre encore les bruits de la maison voisine l’attirait au-dehors. Le concert devait être achevé. Seul l’écho des conversations ponctuées de rires parvenait jusqu’à lui et il envia son nouvel ami qui allait voir Anielka, parler à Anielka, souper avec Anielka... Il se reprocha de n’avoir posé aucune question sur la fiancée. Il ne savait d’elle, pour ce soir, que deux choses : elle était ravissante – mais ce n’était pas une nouveauté ! – et elle portait le saphir, mais il ignorait tout ce qui était important, sa robe, sa coiffure et surtout si elle souriait à cet homme qu’on l’obligeait à épouser.

Devant lui s’étendait le parc déserté par les enfants et rendu à sa magie d’œuvre d’art. La lune, à demi cachée par un nuage, baignait d’un reflet pâle ses pelouses et ses bouquets d’arbres, ses statues de musiciens ou d’écrivains qui ressemblaient à des monuments funéraires. Mais, veillant sur les splendides grilles noir et or dessinées par Gabriel Davioud que l’on fermait toujours très tard, les globes de lumière opalescente n’éclairaient plus que le bal mystérieux des ombres, un bal où le veilleur solitaire eût aimé entraîner une fée blonde dont la taille souple plierait sur son bras au rythme un peu solennel d’une valse lente.

Oubliée, sa cigarette se vengea en lui brûlant les doigts. Il la jetait pour en allumer une autre quand, soudain, un frisson courut le long de son dos et il commença à éternuer. Ramené brutalement des brumes de son rêve à la plus déprimante réalité, il se mit à rire tout seul, à rire de lui-même. Convoiter une enfant de dix-neuf ans et attraper bêtement un rhume de cerveau en allant se tremper les pieds sous ses fenêtres dans un jardin mouillé, c’était le comble du ridicule !

Rentrant dans sa chambre, il referma la fenêtre et alla se jeter sur son lit tout habillé. À sa grande surprise, il s’endormit presque aussitôt...

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