Chapitre 8

Et ce fut le troisième jour du voyage. Lendemain de fête.... Une brume prête à fondre en pluie stagnait sur l'île et traînait des relents de feux éteints et de poissons morts. Seuls les mouettes, les cormorans, les pies de mer avaient repris leurs rondes actives et leurs cris de commères. « Chacun son tour ! » semblaient-ils protester avec hargne. Tandis qu'Angélique descendait vers le port escortée d'Adhémar et du petit Samuel, la fille de Mrs Mac Grégor la rejoignit en courant, avec ses deux fillettes âgées de huit et douze ans, derrière elle.

– Emmenez-les, voulez-vous, fit-elle, essoufflée, emmenez-les à Gouldsboro ! Il paraît que là-bas il y a une école. On leur enseignera un bon français comme celui de ma grand-mère et leurs prières. Voilà trois ans que nous n'avons pas eu de pasteur ici... Quant à savoir leurs lettres, les pauvrettes ! Elles apprendraient plutôt tous les blasphèmes de la terre. Flanquée de Dorothy et Janeton, Angélique éprouvait quelque confusion à se présenter à l'embarcadère.

– Je vous paierai le passage de ces petites quand nous serons à Gouldsboro, dit-elle a Jack Merwin.

Il détourna la tête avec la mine dégoûtée d'un homme dont on prend décidément le bateau pour un dépotoir.

Bâillant et d'un pas mal assuré, les hôtes de la White Bird regagnaient leurs places habituelles. Au dernier moment, le capitaine Hernani surgit du brouillard, aussi vif que la veille, et posa sur les genoux d'Angélique un présent assez lourd.

– Voici pour vos amis de Gouldsboro, glissa-t-il. Je sais qu'ils sont des Charentes. Ils apprécieront...

C'était un tonnelet de chêne blanc contenant du plus pur armagnac. Un trésor sans prix !

Merwin éloignant d'un coup de gaffe outré son esquif du rivage, Angélique put à peine remercier l'aimable capitaine.

– Venez nous voir à Gouldsboro, lui cria-t-elle.

On le vit rester debout, à lui envoyer des baisers, jusqu'à ce que la lueur rouge de son grand béret se fût éteinte derrière les brumes.

Habitués aux lubies du patron anglais, ses passagers s'étaient embarqués dès qu'il en avait donné l'ordre.

On s'apercevait vite, à la réflexion, que c'était folie de prendre la mer par une « crasse » pareille.

Heureusement, personne n'était beaucoup en état de réfléchir. L'absence de sommeil aussi engourdissait les esprits. Angélique, pour sa part, se félicitait de ce départ hâtif. Le soir, on serait à Gouldsboro, et rien ne pouvait altérer son humeur joyeuse, ni le temps maussade, ni la mer assombrie, ni le front encore plus houleux du révérend Patridge qui boudait miss Pidgeon, laquelle le regardait avec une expression de brebis repentante, ni le visage plus que jamais hostile et glacé de Jack Merwin.

Elle trouvait les deux petites Écossaises adorables avec leurs frimousses rondes émergeant des grands plaids à carreaux rouges et verts dans lesquels elles étaient emmitouflées de la tête aux pieds. Chacune tenait avec soin son petit bagage, un grand mouchoir noué autour de quelques hardes, et la plus jeune serrait contre elle une naïve poupée indienne fabriquée avec des barbes de maïs dont les joues étaient teintes au jus de framboises et les cheveux d'herbe sèche.

Angélique songeait à Honorine et à la grâce de l'enfance qui illumine la vie. Il n'y eut qu'un incident au cours de cette journée de navigation. Ils furent arraisonnés par une barque d'Acadiens de la presqu'île, en quête de capture anglaise.

La brume s'épaississant, Merwin avait fait sonner la corne d'avertissement par le mousse. Le gosse, joues gonflées, s'époumonait dans l'énorme coquillage, lorsque le profil d'une grosse chaloupe de pêche se discerna, dérivant vers eux. Il semblait n'y avoir personne à bord. Mais comme elle approchait, un cri épouvantable en jaillit, le cri de guerre des Peaux-Rouges. Tandis qu'ils demeuraient pétrifiés, le canon d'un long pistolet parut par-dessus le rebord de la chaloupe, et la voix d'un homme invisible les héla, en français.

– Par le Saint-Sacrement, êtes-vous anglais ?

– Français ! Français ! s'empressèrent de crier Angélique et Adhémar.

La chaloupe vint à bord du White Bird. Des crochets furent lancés qui l'immobilisèrent. Un jeune visage imberbe et doré, encadré de longues tresses noires, sous un feutre à plumes d'aigle, surgit brusquement et deux magnifiques yeux noirs inspectèrent vivement les passagers du sloop.

– Ho ! Ho ! Il me semble que j'aperçois par là beaucoup d'Anglais !

Il se déploya de toute sa taille.

Une croix d'argent et des médailles tintaient sur son buffletin chamoisé et frangé à la façon indienne.

À la ceinture, il avait un coutelas et une hachette, mais il tenait en main un pistolet d'arçon à crosse de nacre. Derrière lui, des matelots montraient des faces patibulaires de naufrageurs auxquels se mêlaient trois ou quatre Mic-Macs en bonnets pointus noirs décorés de perles. Le regard soupçonneux du jeune chef examina Angélique et ses paupières se bridèrent.

– Êtes-vous sûre d'être bien française et non anglaise ?

– Et vous, riposta-t-elle, êtes-vous sûr d'être bien français et non indien ?

– Moi, s'exclama-t-il indigné, mais je suis Hubert d'Arpentigny, du cap Sable. Tout le monde me connaît en Acadie et dans la Baie Française !

– Et moi, jeune homme, je suis la comtesse de Peyrac et je crois que tout le monde connaît en Acadie et dans la Baie Française le seigneur mon époux !

Sans se déconcerter, Hubert d'Arpentigny sauta dans la barque de Jack Merwin. S'il possédait, du côté maternel, un aïeul grand sagamore des forêts, en revanche, son grandpère paternel, qui avait été écuyer du roi Louis XIII, lui avait enseigné les usages de la cour de France, et il baisa avec élégance la main d'Angélique.

– Madame, je vous reconnais à la réputation qu'on vous a faite : belle et hardie ! Loin de moi la pensée de vous causer aucun dommage. Mais il me semble que vous avez là, comme compagnons, une poignée d'Anglais qui feraient bien mon affaire comme otages à revendre.

– Ils m'appartiennent et je dois précisément les conduire à mon mari le comte de Peyrac.

Le jeune d'Arpentigny poussa un profond soupir.

– Et... n'y a-t-il pas quelques provisions, des marchandises sur cette chaloupe ? L'hiver a été rude dans notre seigneurie et nous attendons en vain un navire de notre compagnie venant de Bordeaux et qui doit nous ravitailler. S'il a fait naufrage ou si les pirates s'en sont emparés, nous allons nous trouver complètement démunis.

– Ainsi donc vous piratez chez les autres, fit Angélique en cherchant à dissimuler de son mieux, derrière ses jupes, le tonnelet d'armagnac offert par Hernani d'Astiguarza. Je suis désolée, mais vous ne trouverez rien ici. Nous sommes pauvres comme Job.

– Voire !... Holà ! Patron Yenngli, bouge-toi un peu, que je regarde dans ton coffre !

D'un geste impératif du canon de son pistolet il faisait signe à Merwin de s'écarter. Ses compagnons retenaient leur barque contre le sloop, échangeaient des plaisanteries en langue indienne, lançant des œillades à la jeune Esther, examinant furtivement Angélique et se moquant à pleine gorge du pasteur hérétique.

Angélique se demandait comment tout cela allait finir lorsqu'elle vit le jeune d'Arpentigny regagner d'un bond sa propre embarcation puis lui adresser de grands coups de chapeau respectueux, le tout accompagné de sourires jusqu'aux oreilles.

– Allez, voguez ! Madame, vous êtes libre avec vos otages. Que Dieu vous gardé !

– Merci mille fois, monsieur. Venez donc à Gouldsboro si vous vous trouvez en peine avant la récolte.

– Je n'y manquerai pas. M. de Peyrac a toujours été généreux pour nous. Et vous, vous êtes aussi belle qu'on le raconte dans la Baie Française. Je n'ai pas perdu ma journée...

– Quel jeune fou ! dit Angélique, haussant les épaules.

Ils se retrouvèrent seuls à ballotter dans la brume.

En grommelant, Jack Merwin hissa de nouveau les voiles et chercha à se repérer. Le colporteur s'épongeait le front. Si les Acadiens lui avaient raflé sa pauvre pacotille, il aurait été ruiné.

– Milady, je vous remercie. Sans vous...

– Ne me remerciez pas. Je n'y suis pour rien.

Elle avait en effet l'impression que la subite volte-face du jeune seigneur pillard n'était pas due à sa seule présence. Était-ce la découverte qu'il avait faite sous le faux pont de Mister Willoagby ? Non, certainement pas. Un Hubert d'Arpentigny ne devait guère se laisser impressionner par un ours, apprivoisé ou non !

Elle se surprit à regarder autour d'elle et même en l'air. Ces Français d'Acadie, qui vivent autant sur l'eau que dans les forêts, avaient-ils discerné les signes avant-coureurs d'une tempête, invisibles à d'autres yeux et leur enjoignant de fuir au plus vite ? Déjà, elle croyait voir que la mer devenait plus houleuse. Apparemment, Jack Merwin ralentissait sa course. Sans doute hésitait-il à faire corner, de nouveau pour ne pas attirer d'autres écumeurs de ces pauvres rivages. Aussi se mettait-il en travers du vent, louvoyant à travers les brumes, et devant porter toute son attention à prévoir les obstacles. Angélique le fixait avec anxiété.

– Serons-nous à Gouldsboro ce soir ? lui demanda-t-elle.

Il fit mine de ne pas entendre.

Heureusement, le brouillard blanchissait. Il prit la transparence d'une porcelaine, parut s'effilocher en écharpes de gaze et tout à coup l'horizon se découvrit comme un émail brillant, aux couleurs étincelantes. Le soleil était encore haut dans le ciel, la mer demeurait creusée de vagues profondes, bleu-noir, crêtées de blanc, mais la ligne de la côte apparut visible déjà, et il y avait dans son profil verdoyant quelque chose qui rappelait irrésistiblement les paysages de Gouldsboro.

Le cœur d'Angélique bondit.

Elle ne pouvait plus penser qu'à ce revoir proche et regardait, tendue vers le lointain, distraite aux paroles satisfaites de ses compagnons, qui prévoyaient eux aussi la fin du voyage.

« Joffrey, mon cher amour ! »

Un temps interminable s'était écoulé depuis qu'un courant inattendu les avait séparés l'un et l'autre.

Au delà des événements difficiles qui depuis lors avaient surgi sur sa route, elle craignait un obstacle d'ordre immatériel, quelque chose qu'on ne peut combattre, comme le mauvais sort. Elle ne serait pleinement rassurée que lorsqu'elle serait près de lui, qu'elle pourrait le toucher, entendre sa voix. Alors, tout s'effacerait. Elle connaissait si bien ce regard qu'il avait pour elle, dans lequel elle lisait qu'elle était belle, et, pour lui, la seule, l'unique, ce regard qui l'enfermait dans le cercle enchanté de son amour. Il possédait au plus haut point ce don d'isolement et de séparation qui est l'apanage des hommes lorsque la joie de l'amour les envahit. Ce côté catégorique du caractère masculin avait parfois choqué Angélique, car femme elle était, et mêlait tout, sentiments, passion, inquiétudes et désirs, comme en ces grands fonds marins qui tourbillonnent à l'entrée des fleuves.

Telle est la nature féminine, toujours encombrée de trop de sensations en l'instant présent, et elle ne le suivait pas toujours, mais il lui fallait le suivre et il avait l'art de l'y contraindre, car alors il semblait qu'il n'eût plus rien d'autre à faire que de l'aimer et de le lui prouver. Il savait si bien la persuader que doutes, craintes, dangers s'arrêtaient au seuil d'une chambre d'amour, si bien l'entraîner dans un monde où ils étaient seuls, le cœur, le corps emplis de joie et d'émerveillement.

Aussi savait-elle qu'elle ne lui parlerait pas tout d'abord de Colin. Non ! Plus tard... Après...

Quand elle aurait repris des forces sur son cœur, quand ils se seraient retrouvés dans l'ivresse de l'abandon, quand elle se serait délassée dans la liberté de son corps livré sans réticences à la douceur de ses caresses, quand elle aurait savouré la griserie d'être nue et faible dans la tiédeur de ses bras.

Le regard d'Angélique croisa celui de Jack Merwin posé sur elle. Depuis combien de temps l'observait-il ainsi ?... Qu'avait-il pu lire de ses pensées sur le visage rêveur d'Angélique ?...

Presque aussitôt, il détourna la tête. Elle le vit cracher vers la mer un long jet de tabac. Toujours calme et méticuleux, il sortit sa chique de sa bouche, la plaça dans son bonnet de laine, selon la coutume des marins, et se recoiffa. Il mit dans ces gestes familiers et ordinaires quelque chose de définitif qu'elle ne devait comprendre que plus tard. Puis il parut flairer le vent.

Comme se décidant, il tendit son mollet noueux dont le gros orteil avait la préhension d'une pince de crabe et maniait le câble de la grand-voile à cornes avec plus de vigueur qu'une poigne, et se débrouillant seul avec son gouvernail et les autres balancines, il fit exécuter à sa lourde embarcation un demi-tour presque complet, la couchant au ras des vagues et prenant le vent juste en travers, suffisamment pour être poussé et entraîné, mais évitant le demi-pouce d'écart qui l'aurait placé vent debout. Angélique poussa un cri.

Ce n'était pas ce tour d'adresse qui, exécuté par un homme moins habile, eût pu les déverser tous à l'eau, qui le lui avait arraché.

Mais elle venait de découvrir que la côte était toute proche. On voyait défiler les arbres et l'on entendait le grondement du ressac au pied des falaises.

En revanche, les deux collines roses surnommées les Bulbes du mont Désert, derrières lesquelles se trouvait Gouldsboro, s'éloignaient et commençaient de disparaître à l'est.

– Mais vous n'allez pas dans ta bonne direction, s'écria Angélique. Gouldsboro, c'est par là-bas. Vous lui tournez le dos.

Sans répondre, l'Anglais continua sa course, et très vite les Bulbes devinrent invisibles. La White Bird tournait en direction du nord-ouest et pénétrait dans une vaste baie couverte d'îles. La jeune Esther, qui était déjà venue une fois chez son oncle, à l'île Matinicus, reconnut la baie de l'embouchure du Pénobscot.

Angélique regarda vers le soleil pour juger de l'heure. L'astre était encore haut dans le ciel. Avec un peu de chance, si Jack Merwin ne les faisait pas trop longtemps rôdailler par là, on pourrait encore, aidés par les longues soirées de juin, être avant la nuit au port.

– Où nous conduisez-vous encore ? l'interrogea-t-elle.

Autant s'adresser à une bûche.

La remontée de l'estuaire dura près d'une heure. Quand le bateau s'engagea sur la gauche dans le cours étroit d'une petite rivière ombreuse, Angélique ne put s'empêcher d'échanger avec Élie Kempton un même coup d'œil exaspéré. Tous deux éprouvaient l'envie meurtrière de se ruer sur le patron, Jack Merwin, de le maîtriser une bonne fois et de lui prendre la barre. À l'abri des arbres, le vent tombait. Ce n'était plus qu'un souffle léger et tiède, poussant mollement la barque à contre-courant de la rivière. L'Anglais laissa s'abattre la voile et prit les rames. Peu après, il guida l'embarcation vers une grève ombragées de saules et d'aulnes. Au delà, pins, chênes, érables et hêtres se dressaient en un somptueux désordre d'où montait l'odeur chaude des sous-bois de l'été. L'haleine de la mer ne parvenait plus jusqu'ici. Des abeilles sauvages bourdonnaient.

Le marinier sauta dans l'eau jusqu'à mi-cuisses, hala sa barque vers la berge, où il l'ancra.

– Vous pouvez descendre, fit-il d'une voix unie. Nous sommes arrivés.

– Mais nous devons être à Gouldsboro ce soir, cria Angélique hors d'elle. Oh ! Ce damné Anglais m'exaspère ! Il me rend folle... Il me... Vous êtes un...

Elle cherchait une expression adéquate pour traduire les sentiments que lui inspirait un aussi obtus personnage et n'en trouvait pas... surtout en anglais.

– Vous n'êtes pas raisonnable, Jack Merwin, reprit-elle en s'efforçant au calme. Vous ne devez pas ignorer qu'il y a dans ces parages un terrible Français moissonneur de chevelures d'Anglais, le baron de Saint-Castine, et, s'il nous tombe dessus avec ses Etchemins, je ne suis pas certaine de pouvoir me faire reconnaître de lui et d'eux avant que nous soyons tous passés de vie à trépas.

– Vous entendez ce qu'elle vous dit ? renchérit le colporteur, damned fool. Ici, ça pue le Français et l'Indien à plein nez. Nous sommes sans armes. Vous voulez donc nous faire massacrer ?

– Débarquez donc, répéta Merwin avec la plus complète indifférence.

L'ours, mister Willoagby, l'avait suivi de bon cœur. À lui, cela plaisait fort, ces odeurs de la terre. Il devait y avoir du miel sauvage dans les environs. Il se dressa sur les pattes de derrière et se mit à se faire les griffes contre le tronc d'un pin en grognant de plaisir. En soupirant, les autres passagers obtempérèrent. L'endroit ne leur disait rien qui vaille. Ils se sentaient oppressés.

Intrigués, ils observèrent le manège de Merwin. Celui-ci, après avoir paru chercher des repères alentour, s'était agenouillé au pied d'un arbre et commençait à écarter des mains une épaisse couche de terreau entre les racines.

– Que fait-il ?

– Est-ce qu'il aurait enterré son trésor ici ?...

– C'est bien possible. Beaucoup de pirates viennent sur ces côtes cacher leur butin.

– Hé ! Merwin ! damné gredin, s'exclama le colporteur, c'est en doublons espagnols, en moïdores du Portugal ou en pesos d'argent qu'elle est composée, votre fortune ?

Sans répondre, le marinier continuait ses fouilles. Après la couche de feuilles pourries, il découvrit un réseau de branchages qu'il ôta, puis des mousses et des cailloux. Enfin, du fond du trou, il retira un paquet assez volumineux enveloppé de peaux passées et de toile cirée. Un autre paquet, plus petit, suivit, et l'Anglais se redressa, satisfait.

– Well ! Attendez-moi là, dit-il, je n'en aurai pas pour longtemps ; profitez donc de mon absence pour manger un peu. Il y a encore du fromage dans le coffre, du pain et un flacon de vin que m'a donné Mrs Mac Grégor.

Son contentement d'avoir trouvé les paquets dans leur cache était tel qu'il en devenait presque aimable.

Il répéta :

– Wait just a minute !8

Et il s'enfonça dans les taillis de saules. Angélique commença à discuter avec ses compagnons puis, s'exhortant à la patience, revint vers la barque pour y prendre les provisions. Autant se restaurer. L'endroit paraissait à l'écart, et fort désert. Si leur halte ne se prolongeait pas outre mesure, ils avaient quelques chances de pouvoir s'éloigner avant d'avoir alerté l'instinct toujours aux aguets des sauvages de la région.

Cela ne servait à rien de s'énerver. Il fallait en passer par les caprices du patron de la barque et par les à-coups de son humeur. Compte tenu du caractère impossible de ce nautonier « Yenngli », des dangers de la guerre, et si l'on considérait que, trois jours plus tôt, ils se trouvaient tous sur la baie de Maquoit aux mains de Barbe d'Or, il fallait reconnaître que ce voyage avait été particulièrement rapide et s'était passé au mieux. Elle revint vers ses compagnons et, aidée de Sammy, commença à disposer sur une grande pierre plate les parts de chacun. Ils se mirent à manger en silence. Vers la fin du repas, comme Angélique relevait la tête pour demander qu'on lui passât le vin, elle découvrit tous les Anglais, livides, la bouche entrouverte d'horreur, les yeux agrandis et fixant elle ne savait quoi derrière elle. Il lui fallut faire un effort énorme pour se retourner, et regarder en face le nouveau danger.

Entre les saules, dont le vent faisait frémir les longues feuilles d'or vert pâle, un jésuite en robe noire venait d'apparaître.

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