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Et ce matin encore c’est la neige que je vois sur tout le val. Mais le ciel n’est plus gris. Il est bleu, très bleu. La bise souffle. Elle s’est levée le soir de Noël, pendant que nous étions à table. Et voilà vingt jours qu’elle tient. Léandre ne s’est pas trompé.

Mais au fond, maintenant, ça n’a plus d’importance pour moi. Je trouve même que c’est bon d’être bien au chaud dans mon lit et d’entendre souffler la bise. Ce matin à l’aube, Roger s’est levé doucement. Je ne dormais plus mais j’étais encore engourdie. Je n’ai pas ouvert les yeux. Quelques minutes plus tard j’ai entendu sa moto. Je l’ai laissé s’éloigner, puis je suis allé ouvrir les volets. La bise était glacée. J’ai vite refermé la fenêtre et je suis revenue me coucher bien au chaud. Ensuite, j’ai attendu que le jour se lève.

Surtout quand je sais qu’il fait très froid, j’aime voir le jour se lever.

Tout à l’heure, Marie me montera mon déjeuner pour que je puisse rester au lit jusqu’à onze heures. C’est elle qui le veut et Léandre aussi. C’est d’ailleurs pour cela que je suis encore ici. Ils veulent que je reste jusqu’à mon accouchement pour pouvoir s’occuper de moi. Après seulement je suivrai Roger dans sa maison.

C’est le soir du réveillon qu’ils ont tout décidé. Roger était venu. Marie avait voulu qu’on fasse beaucoup de cuisine.

Au moment de se mettre à table, Léandre est allé chercher ce paquet qu’il avait caché en revenant de Lyon. C’était une brassière bleue. Comme je faisais observer que c’était bien tôt, Léandre a baissé la tête. Il a bafouillé en disant que c’était la première fois qu’il jouait le rôle du Père Noël.

Ensuite, pour nous amuser, il nous a raconté la scène dans le magasin avec les vendeuses. Il imitait toutes les voix. Moi, je regardais surtout Marie. Elle riait. Et c’était la première fois que je la voyais rire.

Ce qui avait fait le plus plaisir à Léandre, c’est quand une vendeuse avait dit qu’avec les grand-pères c’était toujours pareil, qu’il fallait toujours leur donner mieux qu’aux autres.

Depuis, Marie m’a déjà fait voir tout ce qu’elle a de linge dans son armoire et sa commode. C’est elle qui fera les draps et les couches.

Cependant, les premiers jours, Marie n’avait pas l’air vraiment heureuse. À certains moments, elle reprenait son visage fermé. Comme je lui demandais ce qu’elle avait, elle m’a dit :

— Si, je suis heureuse. Seulement, faut le temps de s’habituer. Ça fait drôle de savoir qu’on va être grand-mère sans avoir jamais eu d’enfant.

J’ai eu l’impression qu’elle disait cela avec un peu de regret. Cependant, je suis persuadée qu’elle sera très heureuse.

Moi, je ne me rends pas très bien compte de ce que ça peut être, d’avoir un enfant. Malgré tout, je suis contente d’être là. Je sais que je pourrai y rester. Que personne ne m’obligera à quitter ce lit bien chaud d’où j’entends la bise qui court entre la neige et le ciel.

Vernaison-Quinsonnas


1956-1957.

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