Chapitre 1

Le lendemain de cette soirée, dès les premières heures, Angélique, ne pouvant dormir, descendit ramasser des coquillages parmi les rochers que dénudait la marée basse. Sur une plage proche, la colonie des loups-marins s'agitait et poussait des clameurs déchirantes qui éveillaient l'écho des criques.

La jeune femme vint les observer. À l'accoutumée, c'étaient des animaux paisibles. Gauches et lourdauds à terre, leurs corps sombres et luisants étaient, dans l'étincellement des vagues au couchant, d'une souplesse charmante.

Ce matin-là, en s'approchant, elle découvrit la cause de leur turbulence. Deux ou trois phoques gisaient sur le flanc, morts, déjà couverts par l'ombre tournoyante et jacassante des oiseaux de mer. Ils avaient été assommés brutalement. Parmi leurs congénères, les grands mâles, les maîtres de plage essayaient d'écarter avec colère la gent emplumée et vorace.

Devant ce tableau, Angélique ressentit un sursaut d'alerte, le massacre était l'œuvre d'humains. Des hommes étaient donc venus...

Et ce n'était pas des Indiens, car ceux-ci ne pratiquent la chasse au loup-marin qu'en janvier, l'hiver.

Le regard d'Angélique erra sur la crique. Un navire, sans doute le vaisseau fantôme, avait mouillé là, cette nuit, dans l'ombre brumeuse.

Elle remonta.

Le soleil ne surgissait pas encore, caché par une barrière de nuages sur l'horizon. Le matin restait d'un bleu originel, pur et calme.

Alors, dans la fraîcheur de l'air, elle perçut l'odeur d'un feu d'herbes, différente de celle de la fumée qui s'échappait de la petite cheminée de cailloux, au-dessus de la cabane. D'un pas léger et rapide, se glissant d'instinct derrière les buissons et les troncs de la pinède, elle suivit le bord de la langue de terre au-dessus du fjord.

L'odeur de fumée, une fumée de bois vert et d'herbes humides, se fit plus dense. En se penchant entre les arbres, Angélique aperçut la pointe d'un mât avec sa voile en quenouille. Une embarcation était à l'ancre, cachée par l'un des méandres du long couloir d'eau qui s'enfonçait à l'intérieur des terres.

D'en bas, gonflant ses volutes paresseuses, la fumée montait bleue et opaque, amenant avec elle un murmure de voix.

Angélique s'allongea à terre et s'avança jusqu'au rebord de la faille. Mais elle ne put apercevoir ceux qui bivouaquaient en dessous, sur l'étroite bande de gravier, rongée d'algues. Leurs voix seulement se firent plus proches. Des mots français et portugais. Voix rudes et grossières.

En revanche, elle découvrit entièrement le bateau qui n'était, en fait, qu'une simple barque, une chaloupe.

Загрузка...