CHAPITRE VI
SOIRÉE À BORD
Avec l’énergie du désespoir Aldo tenta de se libérer du poids de ce corps, de ces mains agrippées à sa gorge qui brûlait mais il n’était pas de taille et ses forces déclinaient inexorablement. Il comprit qu’il allait mourir là, en plein midi, sur ce bateau bourré de monde et que, dans un instant, il ne resterait plus à son assassin qu’à le passer par-dessus bord pour l’effacer à jamais du monde des vivants. Comme dans un film déroulé à grande vitesse, il vit Lisa, ses enfants, sa vie écoulée, sa mère… mais soudain il y eut contre son oreille un cri de douleur et le poids qui l’écrasait s’envola. Les oreilles bourdonnantes et les yeux pleins d’étoiles noires, il sentit un parfum, une main rapide qui desserrait sa cravate, ouvrait son col, sa chemise et commençait doucement à masser sa gorge douloureuse. Ouvrant enfin les yeux il distingua des traits, une grande bouche rouge.
— Allons, on dirait que je suis arrivée à temps ! émit le contralto de la baronne Pauline. Tenez, essayez d’avaler quelques gouttes de mon élixir !
À présent elle lui soulevait la tête avec douceur en approchant de ses lèvres un flacon de voyage en argent contenant une sorte de vitriol qui lui incendia la bouche et l’œsophage, le fit tousser, pleurer mais le remit sur son séant :
— Qu’est-ce que c’est ?…
— Un mélange à moi : un tiers gin, un tiers whisky et un tiers calvados. Efficace, non ? J’en ai toujours sur moi en cas de petite faiblesse. Essayez de vous relever maintenant ! Je vous aide…
Ce n’était pas si facile. Le bateau traversait une zone perturbée mais étayé par le bastingage et le bras de Pauline, vigoureux pour une femme, Aldo réussit à retrouver la position verticale.
— Merci, baronne !… Vous êtes plus forte qu’on ne pourrait le supposer…
— Je suis sculpteur. Les matériaux que j’emploie sont plus lourds qu’une toile de peintre et j’ai beaucoup de mal à garder des mains convenables mais chaque médaille a son revers. Comment vous sentez-vous ?
— Mieux, grâce à vous ! Je vous dois la vie mais comment avez-vous fait pour me libérer de mon meurtrier ?
Pauline von Etzenberg ramassa une canne d’ébène terminée par une fusée d’ivoire sculpté qui lui donnait l’air d’une garde d’épée mais en fait c’en était une ainsi qu’elle le démontra en tirant du fourreau de bois noir une courte et fine lame d’acier.
— Je lui ai planté ça dans le dos mais j’ai dû rencontrer une côte car ma lame s’est courbée et l’homme non seulement ne s’est pas écroulé mais a détalé comme un lapin. Pardonnez-moi de ne pas l’avoir suivi : il fallait que je m’occupe de votre état. Vous m’avez fait très peur !
— Et moi donc ! fit Aldo en riant. Mais par quel miracle vous êtes-vous trouvée là ? Et avec cet objet ?
— C’est simple : je vous cherchais. Vous n’étiez ni chez vous ni à la salle à manger ni au bar, il fallait forcément que vous soyez quelque part et j’avais cru remarquer que vous aimiez prendre l’air. À présent, allons chez le Commandant ! ajouta-t-elle en lui offrant son bras.
— Pour quoi faire ? Vous ne supposez tout de même pas que mon agresseur puisse appartenir réellement à son équipage ?
— Pourquoi pas ? Au milieu des hommes qui servent sur ce navire un assassin doit pouvoir se cacher ?
— Sûrement pas. Outre que la Compagnie n’emploie que des matelots et du personnel triés sur le volet, il est rare qu’il y en ait parmi eux qui se parfument au Vétiver de Guerlain. L’homme a dû se procurer ce déguisement, le Diable sait comment, mais croyez-moi, j’ai eu affaire à un passager. Inutile d’encombrer notre commandant avec cette histoire !
— Mais enfin pour quelle raison a-t-on tenté de vous tuer ? Sauf si vous avez des ennemis à bord, ça n’a pas de sens ?
— Des ennemis à bord ? Je n’en sais rien. Toutefois on ne peut éviter de s’en créer dans la profession que j’exerce. Et vous, au fait ! Comment se fait-il que vous vous promeniez avec une arme pareille ?
— Dans le quartier des artistes où je vis, il est bon pour une femme qui aime sortir seule d’avoir parfois les moyens de se défendre. Cela dit je ne me déplace pas toujours avec une canne. Si je l’ai prise c’est parce que le bateau danse un peu et que j’ai horreur de m’aplatir devant les pieds d’un tas de snobs imbéciles. Une heureuse inspiration. Non ?
— Vous pouvez le dire !… Si on allait boire un bon café ? J’ai découvert qu’on savait le faire sur ce paquebot, ce qui croyez-le n’est pas chez moi un mince compliment !
À quelque heure que ce soit il y avait du monde au bar. Ils y trouvèrent cependant une table à l’écart d’une autre où s’étaient installés des joueurs de poker. Silencieux par excellence les joueurs de bridge avaient un salon particulier. Un moment Aldo et sa compagne gardèrent eux aussi le silence. Ils avaient besoin de se remettre. Lui plus qu’elle évidemment et bien qu’un danger de mort ne soit pas pour lui une nouveauté, sur ce navire plein de monde et au milieu du jour, c’était pour le moins inattendu puisqu’il avait retenu son passage au tout dernier moment. Or il se découvrait deux antagonistes : celui qui écoutait et celui qui voulait le jeter à l’eau. Ce ne pouvait être le même. Question de taille. L’espion lui avait semblé très moyen alors que l’assassin possédait une stature supérieure à la sienne. En outre, si le premier logeait sans doute en premières, rien ne disait que le second ne soit pas venu des deuxièmes ou troisièmes classes qui, en principe, n’avaient pas le droit de franchir la limite des premières mais il devait bien y avoir un moyen de contourner la difficulté. Alors qui ? Pourquoi ? Autant de questions sans réponse. Et surtout, surtout qui était derrière ces actions ? En dehors d’Aloysius C. Ricci, il ne voyait pas qui pouvait le haïr au point d’en arriver à lui envoyer un tueur. L’aide momentanée offerte à Jacqueline Auger était-elle une offense à ce point mortelle aux yeux du milliardaire ? Il est vrai que pour moins que cela, Boldini avait subi un début d’incendie et que Jacqueline avait payé sa fuite de sa vie. Il allait falloir faire très, très attention dans les jours qui venaient…
Plongé dans ses réflexions il avait oublié la providentielle baronne mais celle-ci ne semblait pas s’en offusquer. Elle l’observait avec l’attention d’un entomologiste en face d’un insecte rare et finit par demander :
— Qu’allez-vous faire maintenant ?
Il y avait de l’inquiétude dans sa belle voix grave et il lui offrit un chaleureux sourire :
— Que puis-je faire d’autre que d’attendre ? Ne sommes-nous pas tous prisonniers de ce superbe navire ? Je vais m’efforcer d’achever cette traversée le plus agréablement possible. En prenant toutefois quelques précautions. Vous-même que comptez-vous faire de cet après-midi ? Vous conduirai-je au cinéma ?
— Non merci. Je voudrais écrire des lettres.
— Dans ce cas le salon de correspondance ? Il est agréable.
— Sans doute mais je préfère être seule quand j’écris. Dans cette jolie pièce on doit avoir l’impression d’être à l’école. Je rentre chez moi et vous devriez en faire autant : frôler la mort doit secouer un brin ? On se retrouvera au dîner.
Elle se levait et Aldo en fit autant pour l’accompagner mais elle le pria de rester et il s’inclina tandis qu’elle s’éloignait nonchalamment appuyée sur la canne dont elle faisait si bon usage. C’était décidément une femme étrange mais séduisante et combien attachante ! Que Vauxbrun soit amoureux d’elle n’avait rien d’étonnant. Lui-même, indépendamment du fait qu’il lui devait la vie, s’avouait être sensible à ce curieux mélange de camaraderie et de sensualité qu’elle dégageait.
Avant de regagner sa cabine il se rendit chez Gilles pour voir où il en était. Le médecin du bord en sortait et lui apprit que leur « malade commun » dormait à poings fermés.
— Demain il sera frais comme l’œil… s’il n’a pas la gueule de bois.
Et comme Morosini le regardait sans comprendre, l’officier ajouta avec un sourire goguenard :
— Un whisky ça va mais une demi-douzaine c’est beaucoup ! C’est l’ennui avec ce genre de médication plutôt agréable : on peut avoir tendance à forcer dessus !
Rassuré de ce côté-là, Aldo réintégra sa cabine. Il y trouva un carton à la marque de l’Île-de-France le priant de dîner à la table du Commandant. C’était une raison de plus pour effacer les traces de sa dernière mésaventure ! Et il s’étendit sur son lit après avoir tiré les rideaux et fermé soigneusement sa porte à clef.
À huit heures, sanglé dans un habit noir coupé à la perfection qui rendait pleine justice à son aristocratique silhouette, Aldo suivait le maître d’hôtel qui le conduisait à la table d’honneur à travers l’immense salle à manger étincelante de cristaux et d’argenterie, fleurie et illuminée par les flots de lumière tombant des caissons de verre dépoli et sculpté et par des torchères en forme de vases renvoyant une lumière douce et diffuse. Le spectacle du grand escalier que descendaient lentement des femmes en robes brillantes chargées et parfois coiffées de bijoux étincelants que mettaient en valeur les fracs noirs des hommes était féerique. La mode évoluait et les robes chemises n’avaient plus la cote. Les genoux se cachaient et, pour le soir, la ligne avait à présent tendance à plonger en arrière jusqu’aux talons. De même le droit-fil faisait place au biais utilisant pleinement l’élasticité des tissus pour mouler les formes féminines au grand désespoir de celles dont la plastique n’était pas irréprochable. Les décolletés souvent vertigineux révélaient le dos jusqu’aux reins mais pouvaient se voiler d’écharpes de satin, de mousseline, de dentelles ou de plumes. Et que ces tissus étaient donc somptueux ! Lamés d’or, lamés d’argent, brocarts, satins nacrés, crêpes brodés de perles, de strass ou de paillettes mais aussi mousselines et voiles s’effilant en longues pointes aériennes comme des flammes depuis les hanches souvent drapées de larges ceintures diaphanes retombant en longs pans. L’asymétrie était à la mode, la robe laissant une épaule nue, l’autre retenant l’étoffe par un ornement de pierreries ou de fleurs. Moins strictes aussi, les coiffures laissaient davantage leur chance à la beauté des cheveux, à la grâce d’une vague ou de boucles légères permettant à nouveau le port du diadème… C’était, sur les majestueux degrés de marbre couverts de tapis rouges comme un ballet scintillant, une sorte de pavane rythmée par quelque metteur en scène épris d’élégance et d’art de vivre.
Séduit par ce spectacle où il venait jouer un rôle minuscule, Aldo laissait son regard s’y attarder sans prendre garde à ce qui l’attendait. Ce fut d’abord le sourire épanoui de Pauline von Etzenberg qui vint au-devant de lui, superbe dans une robe de crêpe georgette de ce gris qu’elle affectionnait dont le corsage souple retenu par de minces épaulettes et les longs volants décalés faisaient briller à chaque mouvement les perles de cristal dégradées du blanc au noir. Aucun collier ne coupait la ferme colonne de son cou sur lequel ses cheveux de laque noire étaient noués en un chignon qui lui tirait la tête en arrière. Quelques étoiles de diamant y étaient piquées semblables à celles montées en longues girandoles qui tremblaient de chaque côté de son visage.
En venant prendre le bras d’Aldo avec l’aisance parfaite d’une femme du monde, elle murmura :
— Vous arrivez à point nommé pour avoir le temps de digérer la surprise avant l’arrivée des vedettes…
— Quelles vedettes avons-nous ?
— Adolphe Menjou, l’acteur de cinéma et surtout l’immense Cécile Sorel et son comte de Ségur de mari. Quant à la surprise…
— Merci, j’ai vu…
En effet, assise à la place indiquée par le maître d’hôtel, à la gauche du Commandant, la belle Alice jouait avec ses longs sautoirs de perles tandis que penché sur elle, Adalbert lui parlait de façon intime.
— Eh oui ! soupira Pauline. Nous allons dîner ensemble ! Ce que c’est que d’appartenir à d’illustres familles américaines ! Mais grâce à Dieu nous ne serons pas face à face, cette chipie et moi. Vous ne serez pas non plus trop près de votre « ami ». Ni de moi ajouta-t-elle avec une grimace. C’est votre égyptologue qui va être mon voisin mais comme il sera loin de sa belle, je crains qu’il ne soit pas très récréatif…
— Cela m’étonnerait. Il est brillant, en général et, croyez-moi, c’est fondamentalement un homme charmant. Qui avons-nous d’autre ?
— L’attraction d’hier : ma petite cousine Dorothy et son chevalier ailé…
— Il a décidé de rester avec nous ?
— Le moyen de faire autrement ? De toute façon et même s’il n’a pas le sou sur ce bateau, il en a largement les moyens. Le Commandant qui est un vrai gentleman, le traite en invité privilégié… et lui a même prêté un smoking. Il y a aussi un jeune couple adorable : Vladimir Ivanov et sa femme Caroline. C’est un Russe blanc naturalisé américain et elle appartient à l’une de nos bonnes familles, les Van Duysen…
Ils approchaient de la table où il allait bien falloir faire quelques présentations, ce dont Aldo se réjouissait secrètement, quand une énorme ovation mit tout le monde debout : le maître du navire descendait le grand escalier entouré du jeune Van Laere et de Dorothy Paine, jolie à croquer dans une robe on ne pouvait plus virginale, en tulle blanc piqué de petits bouquets de roses pompons de la même teinte que ses joues : elle vivait là avec son héros une heure de gloire. Arrivés à destination, l’officier fit les présentations.
D’aspect sévère avec un beau visage énergique et d’épais cheveux grisonnants, le Commandant Blancart n’en était pas moins renommé pour sa courtoisie et sa galanterie. Son courage et son audace aussi. Le bruit courait encore du premier voyage de l’Île-de-France en direction du Havre au sortir des chantiers de Saint-Nazaire où l’officier signait les derniers papiers avant de donner l’ordre d’appareillage : une manœuvre criminelle avait, à sa place, ordonné de mettre les machines en marche. Le bateau avançait dans un bassin où tout écart était impossible et l’espèce de pont-levis qui séparait ce bassin de la sortie du port était fermé. L’ordre de stopper vint aussitôt mais le bateau courait sur son erre. Une belle tentative de sabotage qui aurait rendu fou n’importe quel commandant de bord mais Blancart n’était pas n’importe qui. Il fit corner l’ordre d’ouvrir le pont et, prenant en personne la barre en main, dirigea l’Île-de-France droit sur l’étroit passage en pensant que son coup d’audace pouvait payer, vaincre l’incroyable concours de circonstances et que les dégâts seraient moindres. Et il réussit : le pont se leva presque à ras de l’étrave et s’écarta suffisamment pour que le bateau pût franchir le goulet sans une égratignure, salué par les acclamations de la foule massée sur les quais.
C’était ce même marin qui, un sourire un peu timide aux lèvres, recevait à présent en homme du monde confirmé, présentant ses invités les uns aux autres. Il y avait là outre Pauline, Aldo, la princesse Obolensky et Adalbert, Van Laere et Dorothy Paine, le jeune couple américano-russe annoncé : le comte et la comtesse Ivanov. Lui un magnifique gaillard taillé pour porter la tenue des anciens chevaliers-gardes, elle, née Caroline Van Druysen, une grande fille blonde, rieuse et charmante, élégante aussi dans une robe de velours noir et une parure de fort beaux rubis, s’assortissaient magnifiquement. On échangeait baisemains et shake-hands quand Menjou souriant et volubile arriva en hâte s’excusant sur les aléas du poker et chacun prit sa place.
— Tout le monde n’est pas arrivé ? émit le Commandant en constatant que la place en face de la sienne restait vide ainsi qu’une autre entre Caroline Ivanov et l’aviateur.
Un éclat de rire de Pauline lui répondit :
— Quand on invite Célimène, Commandant, il faut s’attendre à ce qu’elle n’arrive que le théâtre plein et le rideau levé depuis un moment. La grande Sorel ne saurait entrer comme vous et moi.
— Sans doute mais comme cette dame n’est pas chef d’État ni tête couronnée, je n’ai aucune raison de faire attendre d’autres dames et je vais ordonner que l’on serve…
L’instant suivant, un silence de la salle saluait l’arrivée de la comédienne et en vérité il y avait de quoi. Sur l’escalier, vide à présent, se dressait la silhouette majestueuse et insolente de celle qui à la Comédie-Française remplaçait Sarah Bernhardt pour le faste et l’excentricité et continuait d’interpréter Célimène, Phèdre ou Andromaque la quarantaine passée mais avec quelle allure ! Drapée d’une sorte de simarre cardinalice sur une longue robe de lamé argent, la tête orgueilleusement rejetée en arrière coiffée d’aigrettes pourpres sur un bandeau de diamants, sa longue main posée sur l’épaule de son époux, le comte Guillaume de Ségur, elle resta immobile un instant, somptueuse et insolite si l’on s’en tenait à la mode qu’elle dédaignait avec superbe, regardant cette salle comme elle l’eût fait depuis la scène du Français. Des applaudissements crépitèrent et Célimène acheva noblement sa descente, accueillie au bas des marches par celui que la courtoisie obligeait à l’y chercher.
Lorsqu’elle fut près de lui – il allait avoir l’honneur d’être son voisin – Aldo s’avoua qu’elle était encore belle – le cheveu blond vénitien, l’œil bleu agrandi par un maquillage parfait, la large bouche carminée s’ouvrant sur des dents un peu trop régulières peut-être, cette comtesse de Ségur d’un nouveau genre répandait autour d’elle autant de parfum qu’une cassolette orientale. En outre, elle parlait – toujours pour la galerie ! – d’une voix de tête avec parfois des intonations graves donnant l’impression qu’elle était en scène. À peine fut-elle assise que toute conversation devint impossible. Comme une reine recevant sa cour, la grande Cécile tint une sorte de conférence destinée à distribuer à chacun de ses compagnons des sortes de satisfecit qui leur démontra qu’elle savait exactement qui ils étaient.
— Elle a dû se faire communiquer la liste des invités, chuchota Pauline qui avait trouvé le moyen de changer de place pour rejoindre Aldo et qui s’était entendu déclarer pour sa part quelle « maniait le ciseau comme Molière sa plume… », c’est assez habile : les compliments font toujours plaisir.
Chacun y eut droit et comme le tour de table s’achevait par Aldo occupé à déguster le homard thermidor que la tragédienne dédaignait superbement, il bénéficia, à sa surprise, d’un régime particulier. Après lui avoir déclaré à haute et intelligible voix qu’il était « le magicien des fastes du passé », la grande Cécile baissa notablement le ton pour lui demander – tout en se décidant à attaquer son crustacé et alors qu’un bienfaisant silence permettait d’achever le plat tranquillement – ce qu’il savait du sort exact des « autres » diamants du Collier de la Reine. Elle était persuadée d’en posséder un qu’elle portait à l’annulaire gauche entouré d’autres plus petits. Aldo se pencha sur la belle main qu’elle lui tendait et observa avec attention la bague en question.
— Il se peut que vous ayez raison, Madame. Votre diamant doit peser trois carats. Il y en avait huit de ce poids dans le fameux collier qui, si ma mémoire est fidèle et s’agissant des diamants ronds en comptait vingt-six : un de onze carats, quatorze de dix, trois de cinq, huit de trois plus six cent trois petits diamants ronds sans compter les dix-huit en forme de poire. Le vôtre peut fort bien être l’un des huit. Où l’avez-vous acheté ?
— À Londres, chez un antiquaire dont j’ai oublié le nom. Il m’a assurée de son authenticité. Donc celui-ci n’est pas en question : c’est le sort des autres qui m’intéresse…
— En dehors de ceux que possèdent les ducs de Sutherland et de Dorset les autres ont été éparpillés et remontés dans d’autres bijoux…
— Oh j’aurais tant aimé savoir ! Voyez-vous je rêve d’en acheter encore quelques-uns et si pouviez m’aider je vous en aurais une reconnaissance infinie…
« Ça y est, pensa Aldo. Encore une qui me prend pour une espèce de détective privé qui n’a rien d’autre à faire qu’attendre le client ! » Son regard, à ce moment, croisa celui d’Adalbert qui, séparé de sa belle par une bonne longueur de table, s’ennuyait visiblement comme un rat mort en faisant des efforts surhumains pour entretenir la conversation avec sa voisine. Il y vit luire un instant l’étincelle de la vieille complicité – tout à l’heure, ils avaient échangé une poignée de main correcte mais sans plus avant qu’Aldo fût admis à saluer Alice Obolensky – mais ce fut très fugace, les yeux de Vidal-Pellicorne revenant aussitôt vers Alice en train de bavarder avec le Commandant Blancart. Mais il fallait répondre à son impérieuse voisine :
— Vous me demandez l’impossible, Madame. À moins que l’une des deux maisons ducales que je viens de citer n’annonce une vente – ce qui me paraît impensable ! – je ne vois pas comment je pourrais retrouver des pierres isolées, peut-être retaillées et incluses dans différentes pièces de joaillerie. À moins d’un miracle…
— N’êtes-vous pas justement l’homme des miracles ? intervint Cyril Ivanov qui suivait la conversation avec attention. Je parierais que votre présence ce soir s’explique par la traque de quelque joyau ? Je me trompe ?
Ivanov possédait la beauté froide d’une statue grecque mais son sourire était charmant. Morosini le lui rendit à sa manière nonchalante :
— Sans doute perdriez-vous. Il se peut que je souhaite visiter une collection privée… ou répondre à l’appel d’une importante personnalité empêchée de se déplacer… par son âge par exemple ?
— Comme le maître de la Standard Oil ? John Rockefeller est, en effet, très âgé. Cependant à quatre-vingt-dix ans, il joue encore au golf sur les links de sa propriété de Pocantico Hills…
Aldo eut un rire bref :
— Lui ou un autre ! Et pourquoi mon voyage ne serait-il pas motivé par le simple désir de revoir les États-Unis où je ne suis pas retourné depuis la guerre ? L’écho de son exceptionnelle prospérité…
— Ah c’est bien vrai ! s’enthousiasma aussitôt le jeune homme. Depuis l’élection du Président Hoover nous connaissons une incroyable période. Le niveau de vie ne cesse de monter. Songez que d’après une récente statistique, un Américain moyen ne possède pas moins de vingt costumes, douze chapeaux, huit pardessus et vingt-quatre paires de chaussures !
— Je suppose que vous en possédez beaucoup plus ? fit Morosini avec une pointe d’insolence…
— Ma foi je n’en sais rien ! Je renouvelle souvent mais une chose est certaine, les fortunes s’édifient chez nous à grande vitesse ! Depuis que Chrysler a institué une sorte de vente à crédit, les voitures de luxe encombrent les rues de New York et, tenez, si l’on regarde votre partie, prince, à la fin de l’année dernière, Black Starr et Frost, les joailliers de la 5e Avenue, ont proposé un extraordinaire collier de perles roses qu’ils avaient chiffré 685 000 dollars. Ils ne l’ont pas gardé huit jours. Celui qui l’a acheté ne s’est pas fait connaître mais d’après les vendeurs il s’agissait d’une « fortune récente et modeste » ! Tout se vend, tout s’achète et jusque dans les journaux on trouve des annonces vantant des zibelines à 50 000 dollars…
— Prodigieux, en effet !
— Et absolument exact, approuva Pauline mais vous devriez ajouter que c’est dû à une spéculation effrénée. Le Stock Exchange(14) flambe sans cesse et pour ma part je me demande si ce n’est pas dangereux ? Il y a des moments où je crains que mes compatriotes soient plus ou moins pris de folie.
— Pourquoi donc ? s’écria Ivanov. N’est-il pas naturel que chaque homme cherche à se procurer toujours plus de confort, toujours plus de richesse ? Et puisque le Marché est porteur il est normal que tous veuillent en profiter. Quand nous serons tous fabuleusement riches nous régnerons sur le monde !
— Je me demande parfois, intervint doucement le Commandant, si ce n’est pas dû à ce que les Américains s’ennuient…
— Que voulez-vous dire ?
— Oh c’est simple : la prohibition les empêche de boire, les paris sur les jeux de hasard sont interdits par la loi, alors ils spéculent. Une façon comme une autre de se procurer des émotions…
Pauline opina soutenue par l’acteur de cinéma mais, comme Ivanov après une protestation indignée se lançait dans ce qui menaçait d’être une philippique contre un officier d’une compagnie n’ayant qu’à se louer des flots d’argent américain, celui-ci coupa court en demandant à Adolphe Menjou des nouvelles de Hollywood et de ses prochains films, ce qui permit à Célimène, après que l’acteur eut répondu avec sa bonne grâce habituelle, de reprendre la conversation en main et de ne plus la lâcher en la faisant rouler, non sans une certaine habileté, sur l’Art en général et le Théâtre en particulier. On put y participer, après quoi des entretiens privés s’établirent entre voisins. Sorel bavardait avec le comédien, le comte de Ségur – un gentilhomme massif et assez taciturne – avec l’aviateur et Caroline Ivanov, Pauline avec Aldo qui, du coin de l’œil observait Adalbert. Lui ne parlait à personne, se contentant, en buvant peut-être un peu plus que de raison, de contempler Alice que le Commandant Blancart interrogeait sur l’Égypte. Et cela, Aldo n’aimait pas, même sachant d’expérience que l’archéologue tenait bien l’alcool. Mais s’il avait pu enregistrer quelques « cuites » mémorables auxquelles il lui était arrivé de prendre part, cela se passait toujours dans la bonne humeur qui était d’ailleurs le climat normal d’Adalbert. Cette fois une morne tristesse émanait de cet homme en train de vider verre après verre en regardant sa princesse égyptienne rire avec le Commandant. Fallait-il qu’il fût atteint pour avoir ce regard affamé, douloureux ? Et jusqu’à quel point ? Quel droit la fille de l’insensible Ava lui avait-elle donné – ou fait semblant de donner ! – sur sa personne et sur son cœur ? Était-elle sa maîtresse ? S’était-elle promise afin de s’approprier au moins une partie de sa profonde science archéologique ? Et que faire dans ce cas puisque Adalbert n’accordait plus à Aldo les privilèges de l’amitié donc le droit de l’aider ?
Quand on se leva de table, pas une fois il n’avait croisé son regard. Vidal-Pellicorne se détourna même quand il se mit debout pour marcher d’un pas encore ferme – peut-être un peu raide et automatique ! – vers la jeune femme à qui Ivanov offrait déjà son bras pour la conduire au salon de conversation où il y aurait concert, après quoi on allait danser. Aldo le vit s’interposer d’une façon trop autoritaire pour être polie puis entraîner Alice qui se laissa emmener sans protester et avec un sourire qui détendit le visage crispé de son pauvre amoureux.
Étouffant un soupir, Aldo s’apprêta à le suivre quand la main de Pauline se posa sur son bras :
— Si nous allions entendre Ravel ensemble ? proposa-t-elle. Il me semble que ce serait plus amusant ? Ou bien aurais-je démérité moi aussi ?
— Pardonnez-moi ! Si vous pouvez vous contenter d’un compagnon aussi peu récréatif que moi ?
— Vous ? Mais à côté de votre ami vous pétillez de franche gaieté, mon cher prince ! Il est sinistre ce soir et si je devais plaindre quelqu’un ce serait cette garce d’Alice. Écouter la « Pavane pour une infante défunte » en compagnie de ce joyeux drille devrait la mener tout droit chez les Carmélites !
— Ne soyez pas cruelle, baronne ! Cela ne ressemble pas à une femme qui possède ce beau regard droit et cette bouche généreuse ! Vous feriez mieux de m’aider à trouver un moyen d’opérer un sauvetage qu’à chaque instant je devine de plus en plus nécessaire. Adalbert jouant les amoureux transis, voire les Othello ce serait à pleurer de rire si ce n’était à pleurer tout court…
— Elle l’a changé à ce point ?
— Vous ne pouvez imaginer. Si vous l’aviez connu…
— Ah non, pas ça ! coupa-t-elle. Il n’est pas mort que je sache et il n’y a aucune raison pour en venir aux regrets éternels. Surtout si nous pouvons l’empêcher ?
— Nous ? Me proposeriez-vous une association ?
— Pourquoi pas ? Rien ne me ferait davantage plaisir qu’arracher une proie à cette chère Alice. Voyez-vous, continua-t-elle avec la franchise brutale qui lui était particulière, j’ai été la maîtresse de Serge Obolensky et nous devions nous marier quand elle me l’a soufflé sous le nez. Ce sont des choses qui ne s’oublient pas.
— Si j’en crois son regard quand il se pose sur vous, elle ne vous aime pas beaucoup plus ?
— C’est parce qu’elle n’a pas le sens de l’humour. Nous nous retrouvons de temps à autre, Serge et moi et elle le sait. Allons entendre un peu de bonne musique ! C’est excellent pour l’élévation de l’âme !
Renonçant à explorer plus avant celle des femmes américaines, Aldo se laissa entraîner jusqu’à un confortable fauteuil où il faillit bien s’endormir bercé par le rythme solennel de la Pavane exécutée par un quatuor tchèque au nom imprononçable. Il eut au moins le loisir de réfléchir. Si Pauline en mélomane avertie applaudit chaleureusement les œuvres interprétées, elle n’en garda pas moins le silence absolu pendant la durée du concert. À deux rangs devant eux, Aldo pouvait voir les épaules et les têtes souvent rapprochées d’Alice et d’Adalbert et cela lui donna tant à penser qu’il finit par ne plus avoir envie de dormir… Comment faire pour briser le sortilège ?
Un moment plus tard, les invités du Commandant se retrouvaient sur la piste de danse du grand salon, brillamment éclairée par la pluie de lumières tombant comme des feuilles d’or des caissons dorés à la feuille du plafond tandis qu’autour les tables où l’on se reposerait en buvant du champagne restaient dans une agréable pénombre. Le jazz remplaçait Ravel et l’orchestre du bord s’en donnait à cœur joie.
Aldo venait d’entamer, avec Pauline, un slow un rien langoureux qu’il appréciait parce que la jeune femme était une bonne partenaire. Le parfum complexe mais délicat qui émanait d’elle rendait fort agréable le rapprochement de leurs corps lorsqu’une main se posa sur son épaule :
— Si tu le permets, c’est mon tour maintenant !
Et Gilles Vauxbrun, tiré à quatre épingles, comme à son habitude lui enleva d’autorité sa danseuse. Celle-ci se mit à rire :
— Vous voilà ressuscité, on dirait ? Mais que vous êtes donc beau !
— Il fallait que je vous rejoigne ! Je ne pouvais plus supporter l’idée de vous savoir éloignée de moi. Ça ne te contrarie pas que je prenne ta place ? ajouta-t-il, un rien acerbe, à l’adresse d’Aldo. Et sans attendre de réponse, il disparut avec Pauline au milieu des danseurs.
Résigné, Morosini alla s’asseoir à une table, appela un serveur pour lui commander une fine à l’eau et resta un moment à contempler le joli spectacle des robes chatoyantes dont le mouvement allumait les reflets, des jambes gainées de soie claire, des pieds chaussés d’escarpins ou de fines sandales à hauts talons or ou argent. Quand la danse prit fin, il vit que Vauxbrun emmenait Pauline à une table de l’autre côté de la piste. Quant à Adalbert et Alice, ils n’étaient visibles nulle part. Pensant qu’il ferait mieux d’aller se coucher, Aldo finit son verre et quitta sa place pour rentrer chez lui. Il se sentit fatigué tout à coup sans qu’il eût rien fait pour justifier cette lassitude. Plus morale peut-être que physique. Après celle d’Adalbert – surtout sans doute à cause de celle d’Adalbert ! – la défection de Vauxbrun lui était aussi sensible que désagréable. Il avait la sensation d’être un pestiféré.
Avec un dernier regard à la piste illuminée où les couples s’enlaçaient pour le plus argentin des tangos, il se disposait à franchir le seuil du salon quand il se heurta à Ivanov.
— Vous partez déjà ? Il est à peine onze heures ! s’écria celui-ci avec une cordialité inattendue.
— Cela me paraît une heure excellente pour bouquiner dans son lit, répondit-il s’attendant à ce que le garçon se lance dans une apologie de la vie nocturne mais il n’en fut rien :
— Vous en avez de la chance ! J’aimerais tellement en faire autant, seulement ma femme aime danser et je ne peux pas faire moins que rester dans les environs.
— Vous ne dansez donc pas ?
— Non, je n’aime pas ! Je sais que ça peut paraître drôle parce qu’on imagine toujours les Russes accroupis bras croisés en train de lancer les jambes dans tous les sens en poussant des cris de Comanches mais les entrechats n’ont jamais été ma tasse de thé et encore moins depuis que je suis devenu américain. Je préfère le base-ball et… les pantoufles.
— Avec une aussi jolie femme la vie mondaine me paraît difficile à éliminer, fit Aldo amusé. Que faites-vous pendant que la comtesse danse ?
— Je fais de grands discours à la gloire de ma nouvelle patrie… et je joue. Un bridge ne vous tente pas ?
— À mon tour de dire : je n’aime pas.
— Un poker alors ?
— Pas davantage ! Je bluffe très mal et je me fais plumer. Je préfère le jeu des enchères quand l’adversaire est coriace c’est assez excitant…
— Je veux bien vous croire. Venez me raconter ça en buvant un dernier verre au bar ! Vous ferez une œuvre de charité : les parties sont organisées et je ne sais trop que faire de moi !
Difficile de refuser une invitation formulée avec une telle bonne humeur ! D’autant que Morosini trouvait Ivanov de plus en plus sympathique. Il était rare qu’un homme très beau le soit. Les spécimens aussi réussis que lui, couverts de femmes en général, ayant plutôt tendance à se prendre pour le nombril du monde. Celui-là ressemblait à un gamin qui a envie d’apprendre et tandis que le « dernier verre » se multipliait par deux Ivanov posa une foule de questions sur le métier d’Aldo, le jeu des enchères justement et surtout les joyaux illustres qu’il lui arrivait d’acquérir ou seulement de côtoyer. Il en savait peut-être un peu plus sur le sujet qu’il n’y paraissait car, après avoir commandé un troisième verre – qu’Aldo refusa ! – il dit soudain :
— Il y a quelque chose qui m’intrigue. Je me plais à lire les journaux français et anglais et j’ai gardé en mémoire certaines histoires où vous étiez mêlé – l’affaire Ferrals il y a quelques années et l’an passé cette histoire de perle de Napoléon ! – en compagnie d’un certain Vidal-Pellicorne, égyptologue de son état. Or nous venons de dîner avec un personnage du même nom et vous n’avez pas l’air de vous connaître ? Pardonnez-moi si je vous parais indiscret ?
Il avait surtout une trop bonne mémoire et Aldo pris de court se donna le temps d’allumer une cigarette qu’il venait de tirer de son étui.
— Non, dit-il en exhalant la première bouffée. Seulement nous sommes en froid depuis quelque temps.
Cyril Ivanov éclata de rire et dans la meilleure tradition yankee frappa sa paume de son poing fermé :
— Dix contre un que la charmante épouse de mon cousin Obolensky y est pour quelque chose ?
— Elle est votre cousine ?
— Plus pour longtemps puisqu’ils en sont au divorce. C’est une jolie fille mais elle est à moitié cinglée depuis qu’elle a mis le pied en Égypte pour la première fois. Alors un spécialiste de la question c’est du gâteau pour elle et c’est tant mieux que vous soyez brouillés.
— Pourquoi donc ?
— Parce que si vous la laissez faire, je ne donne pas six mois à votre ex-ami avant de se prendre pour Ramsès II. C’est drôle que vous soyez sur le même bateau ?
— Simple coïncidence dont j’ai été le premier surpris après l’escale de Plymouth.
— Je sais : la belle Alice, ses trente malles et son nouveau toutou préféré ont embarqué avec nous. Il faut espérer que ce pauvre homme remettra les pieds sur terre avant qu’il ne soit trop tard ! Vous pourrez peut-être l’y aider ?
— Certainement pas ! affirma Morosini en se levant. Je me rends à New York pour une affaire. Une fois celle-ci conclue, je rentre… par le premier bateau…
— Si vous n’avez pas vu l’Amérique depuis longtemps, ce serait dommage. Laissez-nous, ma femme et moi, vous montrer à quel point elle peut être séduisante !
— Merci de l’offrir ! Nous en reparlerons… À présent, je vous abandonne si vous le permettez j’ai vraiment sommeil !
— Moi aussi et je vais aller voir où en est Caroline !
Les deux hommes se serrèrent la main et chacun partit de son côté.
Dans les trois jours qui suivirent, Aldo eut l’impression, non seulement de vivre dans un monde à part ce qui était assez normal, mais dans un monde tournant à l’envers. Alors qu’il s’agitait dans le même espace clos que ses meilleurs amis, il côtoyait surtout des gens qui lui étaient inconnus comme les Ivanov, Van Laere et sa fiancée, l’acteur français dont il appréciait l’humour et l’élégance naturelle. C’était particulièrement sensible avec Adalbert qui l’ignorait de façon quasi systématique. Auprès de Gilles Vauxbrun, Aldo retrouvait encore l’ancienne cordialité mais seulement quand ils étaient seuls. Dès que la baronne Pauline s’inscrivait dans le paysage, l’antiquaire se ruait sur elle comme si Aldo eût été une bombe à retardement capable de la faire exploser. Ce qui au fond amusait la jeune femme qui ne protestait pas, se contentant d’un clin d’œil complice au passage. Ni elle ni Aldo n’avaient envie de faire de la peine au brave Gilles saisi visiblement d’une de ces passions dévorantes dont il était coutumier. En temps normal Aldo considérait ces flambées de façon débonnaire mais, cette fois, cela finit par l’agacer. La veille de l’arrivée à New York, il accéléra sa toilette en vue du dîner et alla frapper à la porte de son ami chez lequel ces préparatifs prenaient un temps fou. Il entra sans attendre la réponse.
L’antiquaire était occupé à nouer avec précaution la cravate neigeuse qui était comme le point d’orgue de l’habit de soirée. Il sursauta, rata sa coque, ce qui l’exaspéra :
— Tu pourrais frapper ! Qu’est-ce que tu veux ?
— Un j’ai frappé. Deux j’ai une question à te poser.
— Laquelle ?
— Est-ce que tu te souviens de ma femme ?
— Ben… oui ! émit Vauxbrun désarçonné.
— Tu n’as pas oublié, j’espère, son visage, sa silhouette, son charme ?
— Ben… non !
— On ne le dirait pas. Penses-tu sincèrement que lorsqu’on a épousé quelqu’un comme elle, on puisse se lancer à l’assaut de la première belle créature qui se présente ? Je commence à en avoir assez de vous voir, toi et Vidal-Pellicorne me traiter en lépreux. Vous devriez chanter Othello en duo !
Vauxbrun ôta la cravate froissée, s’assit et alluma une cigarette d’une main qui tremblait un peu :
— Tu as raison, c’est idiot. Je veux que tu saches cependant que ce n’est pas toi que je crains : c’est elle ! Je sais bien que tu aimes Lisa et que jamais tu ne ferais la cour à l’amie d’un ami. Seulement cette amie a des yeux et je ne peux pas l’empêcher de faire des comparaisons qui ne seront jamais à mon avantage. Quand tu es là j’ai l’impression d’être Quasimodo…
— …et moi cet imbécile de Phœbus ? Merci beaucoup !… Mais dis-moi c’est nouveau chez toi ? Tu m’as souvent présenté tes conquêtes sans faire un complexe, parfaitement ridicule d’ailleurs ?
— J’en conviens et tu as certainement raison mais vois-tu, cette fois, c’est sérieux ! Je crois vraiment que je l’aime, murmura-t-il.
— À merveille ! Épouse-la et je serai ton témoin. C’est une femme formidable ! Est-ce qu’elle t’a dit qu’elle m’a sauvé la vie ?
Et Aldo raconta ce qui s’était passé sur la plage arrière au second jour de navigation :
— Elle manie l’épée comme feu d’Artagnan, conclut-il. Une véritable amazone et comme c’est aussi une artiste vous irez fort bien ensemble !
Tout en parlant, Aldo allait fouiller dans les petits tiroirs d’une malle cabine, en tira une cravate fraîche et s’approcha de son ami :
— Laisse-moi faire ! Tes mains tremblent…
— Est-ce que tu te rends compte de ce que tu viens de dire ? Quelqu’un a essayé de te tuer et tu n’as pas averti le Commandant ?
— Ça n’aurait servi à rien. L’homme s’est fondu dans la masse et l’attaque ne s’est pas renouvelée. Tiens-toi droit et relève le menton !
Sous les doigts agiles d’Aldo le papillon neigeux s’épanouit à la perfection mais Vauxbrun ne retrouva pas pour autant le sourire.
— Qui peut vouloir ta mort sur ce bateau ?
— Je ne le sais toujours pas. Comme tu le penses, j’ai veillé, pris des précautions mais je n’ai plus rien remarqué de suspect et j’en suis venu à me demander si l’attaque ne m’était pas adressée par erreur ?
— Une erreur sur la personne ? Difficile à croire ! Il n’y a pas beaucoup d’hommes avec qui on pourrait te confondre.
— Il suffit d’une mauvaise description. Mon meurtrier n’était sans doute qu’un exécutant.
— Ou alors il n’aura pas osé recommencer mais une fois à terre tu devrais ouvrir l’œil… au cas où ce ne serait pas une méprise. Cela dit tu aurais dû m’en parler plus tôt !… Je suis ton ami que diable !
Et Vauxbrun, les larmes aux yeux, prit Morosini aux épaules pour une brève accolade qui donna la mesure de son émotion. Cette dernière soirée les deux hommes et la baronne Pauline la passèrent ensemble et le plus joyeusement du monde. Retrouver son Vauxbrun habituel avait fait beaucoup pour le moral d’Aldo : l’impression qu’un étau se desserrait…
Le lendemain, ils regardaient tous les trois depuis le pont supérieur approcher les côtes américaines.
Accoudée au bastingage entre les deux hommes, Pauline von Etzenberg enveloppée d’une immense et fine écharpe gris argent dont les pans flottaient au vent voyait se dégager peu à peu de la brume dorée du matin la poignée de « gratte-ciel » dont un demi-siècle avait saupoudré l’île de Manhattan(15). L’Île-de-France avait réduit ses machines et avançait lentement sur l’eau calme de l’immense baie de New York tandis que sur ses ponts, les appareils photos cliquetaient pour immortaliser la statue de la Liberté jadis offerte par la France et devenue le symbole même de l’Amérique.
À proximité, le beau navire noir, blanc et rouge s’arrêta pour laisser accoster une vedette portant des douaniers et des médecins. On n’entrait pas aux États-Unis sans montrer patte blanche et l’île proche d’Ellis Island avec ses bâtiments bas et ses quatre tourelles attendait pour de longs examens les candidats à l’immigration. Image grinçante tempérant la gloire de ce matin ensoleillé aux yeux de ceux pour qui la grande dame au flambeau de cuivre vert représentait l’espoir.
Oubliant son nom allemand et se retrouvant américaine cent pour cent, Pauline situait pour ses amis les principaux buildings en s’efforçant de les pointer du doigt : le Woolworth, le New York Téléphone, le Liberty, le Cunard, le Standard Oil, le Pulitzer, le Park Row, celui de la Bank of Manhattan et bien entendu l’imposant édifice municipal abritant la Mairie de la ville. Elle semblait tout à coup si heureuse de rentrer quelle en perdait une quinzaine d’années pour redevenir une adolescente enthousiaste. Et comme Aldo lui en faisait la remarque amusée, elle répondit :
— Vous avez raison. J’adore l’Europe mais chaque fois que je revois ma ville, je me demande comment il peut m’arriver de vivre loin d’elle.
— Je croyais que vous aimiez Paris ? émit Vauxbrun d’un ton qui traduisait sa déception.
— Mais certainement j’aime Paris ! Comment pourrait-on ne pas aimer Paris ? C’est une ville sublime et tellement amusante où j’ai de nombreux amis et j’y retournerai, soyez-en sûr, à maintes reprises mais c’est ici que l’épisode allemand terminé, j’entends planter ma tente…
Le pauvre amoureux ne fit aucun commentaire mais le soupir qu’il poussa en disait long et Aldo ne put s’empêcher de compatir. Après une Tzigane inaccessible, cette Américaine fantasque dont il réussirait peut-être à faire une maîtresse mais en aucun cas l’épouse dont il commençait à rêver ! L’arrivée tumultueuse des Ivanov et de Dorothy Paine outrée d’avoir dû laisser son chevalier volant, dépourvu bien entendu de visa, s’expliquer avec les services de l’immigration, changea la direction de ses idées. Pauline, naturellement, se précipita au secours de la jeune fille changée en fontaine en s’efforçant de la réconforter mais celle-ci ne voulait rien entendre.
— Nous avons préféré l’écarter, expliqua Ivanov. Elle était sur le point de sauter à la figure des fonctionnaires parce qu’ils ont déclaré que son Vincent ne pouvait pas débarquer dans ces conditions. Le Commandant Blancart et le Commissaire Villar ont eu beau déclarer qu’ils répondaient de lui et nous en avons tous fait autant mais la loi est la loi. Il va devoir rentrer en France.
Rien ne semblait pouvoir faire tarir les larmes de Dorothy. N’ayant pour les affronter que de minuscules carrés de batiste ornés de dentelles, les deux femmes se trouvèrent vite débordées.
— Donnez-moi votre mouchoir, Cyril ! ordonna Caroline et son époux s’exécuta en riant mais, entre sa poche et la main tendue de la jeune femme, il y avait Morosini et la senteur qui imprégnait le tissu blanc lui sauta aux narines.
C’était, il l’aurait juré, le Vétiver de Guerlain. Sa remarque partit aussitôt :
— Voilà une odeur que je connais, dit-il. Vous êtes un fidèle client de Guerlain ?
— Malheureusement oui, cher ami !
— Je ne vois rien là de si tragique ?
— Hé si ! J’ai égoutté sur ce mouchoir le tréfonds de mon dernier flacon et je m’en trouve à présent démuni : la fiole que j’avais achetée avant de partir et que je tenais en réserve m’a été volée dans ma cabine et il m’est impossible d’en trouver ici. Vous me voyez inconsolable !
— Un vrai drame ! renchérit sa femme. Comme s’il n’y avait au monde que les parfums français ! Surtout pour un homme ! Qu’utilisez-vous, prince ?
— Une lavande anglaise… répondit Aldo presque machinalement.
— Là, vous voyez bien, Cyril !
— Quand on est né Russe, seules les eaux françaises…
La discussion se poursuivit entre les époux sur fond des sanglots de Dorothy mais Aldo s’en désintéressa, s’écarta même de quelques pas. Un instant – non sans stupeur ! – il avait cru qu’Ivanov était son agresseur. N’en avait-il pas la taille, la stature ? Quant à la raison pour laquelle ce jeune homme brillant, marié à une riche héritière, aurait voulu le rayer du nombre des vivants, elle lui échappait complètement… comme, d’ailleurs, celle d’un tueur anonyme caché dans les flancs du paquebot, n’en sortant que pour cambrioler les cabines de luxe et jeter les gens par-dessus bord !
— À quoi penses-tu ? demanda Vauxbrun qui l’avait rejoint et lui offrait une cigarette.
— Tu veux le savoir ? À rentrer chez moi le plus vite possible parce que j’en arrive à me demander ce que je viens faire dans ce pays…
— Ton métier, je suppose ?
— Non. Je viens me mêler de ce qui ne me regarde pas…
— Quoi ? Pas le moindre joyau à la clef ?
— Si, bien sûr mais je ne suis même pas certain qu’il y soit ! Et ce que je n’aime pas c’est que le feu sacré a l’air de m’abandonner depuis que nous avons quitté Le Havre…
— Il ne s’appellerait pas un brin Vidal-Pellicorne, ton feu sacré ?
— Peut-être finalement ! Je trouve cette histoire tellement grotesque !
— Ah ça je te l’accorde ! Tourner le dos à un ami comme toi pour faire plaisir à une femme, c’est franchement idiot, fit sans rire le bon Gilles Vauxbrun avec une sainte indignation qui du coup remonta le moral d’Aldo. Sa main s’abattit sur la clavicule de Gilles :
— Ne t’inquiète pas ! Je m’en remettrai…
À présent guidé par des remorqueurs, le beau seigneur de la mer remontait l’Hudson en direction du « pier » de la Compagnie Générale Transatlantique. Sur le pont supérieur la meute habituelle de journalistes se lançait à l’assaut des personnalités dont les noms avaient été relevés sur la liste des passagers. La grande dame de la Comédie-Française en avait sa bonne part ainsi qu’Adolphe Menjou mais aussi Alice Astor. De sa place, Aldo pouvait la voir accrochée au bras d’Adalbert au milieu d’un groupe d’appareils photos. En revanche, il ne vit pas venir à lui une jeune femme armée d’un bloc et d’un stylo derrière laquelle trottait un photographe.
— Prince Morosini, je présume ? Nelly Parker du New-yorker. Puis-je avoir quelques mots ?
Il la regarda avec une franche stupeur : c’était bien la première fois que la Presse l’accueillait en pays étranger mais la petite journaliste était charmante avec ses cheveux fous et roux dépassant d’un incroyable béret écossais.
— Vous présumez juste, Mademoiselle, mais en quoi puis-je vous intéresser ?
— Vous plaisantez ?
— Pas le moins du monde.
— Vous êtes l’homme des joyaux célèbres et vous avez fait rêver de nombreux lecteurs. Quel est le but de votre voyage ? Affaires, je suppose ? Apportez-vous quelque pièce rare à l’un de nos milliardaires ou bien venez-vous en acheter ? Nous en avons vous savez ?
— D’abord, je ne « livre » jamais. Quand un client m’achète un bijou, il se charge lui-même de son transport. Ensuite… je fais tout simplement un voyage d’agrément. Il y a longtemps que je ne suis venu dans ce beau pays et l’idée m’est venue de le revoir…
— Sans votre femme ?
— Sans ma femme… mais avec des amis : Monsieur Gilles Vauxbrun l’antiquaire renommé de la place Vendôme ici présent et la baronne von Etzenberg. Ils m’ont convaincu du plaisir que l’on retire d’une traversée sur l’Île-de-France.
— Sans autre raison ? Je sais que tous les passagers de ce bateau chantent ses louanges…
— Ils ne les chanteront jamais assez ! C’est simple : à part une allée cavalière pour les passionnés d’équitation, une route pour les fanatiques de l’automobile et un bois pour les amoureux de promenades en forêt, il ne manque absolument rien de ce qui peut rendre la vie agréable. En résumé : je suis en vacances, Mademoiselle. Et très heureux de l’être !
Sous ses sourcils froncés l’œil bleu de Nelly se chargea de soupçons :
— Je ne vous crois pas ! déclara-t-elle sans ambages.
— Libre à vous ! C’est pourtant la vérité !
— Sûrement pas ! Quand on habite un palais à Venise…
— Quand donc cessera-t-on de me servir ce cliché ? Un palais à Venise, c’est exactement comme un château en France ou un appartement sur votre 5e Avenue : il vient toujours un moment où l’on a envie d’en sortir. Surtout quand, en outre, on y travaille…
— Vous avez l’intention de rester longtemps ?
— Je ne sais pas encore. Demandez à Monsieur Vauxbrun ! ajouta Aldo avec malice…
— Et pourquoi pas à moi ? intervint Pauline. Je reviens aux États-Unis pour y rester et je souhaite montrer à mes amis quelques-uns des agréments de la vie new-yorkaise… certaines fêtes notamment et, ajouta-t-elle en prenant chacun des deux hommes par un bras, ce qui offrit au photographe l’occasion d’un bon cliché, nous allons bien nous amuser !
Pour Aldo il était évident que la jeune personne ne la croyait pas plus que lui. Mais elle avait encore de la ressource :
— Ils vont descendre chez vous dans Park Avenue ?
— Chez mon père ? Certainement pas ! Quant à moi j’habite Washington Square et mon atelier tient presque toute la place disponible. Mais il y a ici d’excellents hôtels, ironisa Pauline plus baronne que jamais. Voilà, je crois que vous savez tout à présent…
Ce n’était pas l’avis de la journaliste. Elle ne bougea pas d’une ligne, continuant d’écrire Dieu sait quoi sur son bloc :
— Lequel ? demanda-t-elle sans regarder les trois compères.
— Le Plaza ! lâcha Morosini agacé. Et maintenant Mademoiselle, nous souhaiterions aller saluer le Commandant Blancart et le remercier avant de quitter son navire…
— Mais faites donc ! dit Nelly en refermant son carnet et en lui décochant un large sourire. Et amusez-vous bien !
D’une main ferme, elle renfonça sur sa tête le bonnet aux vives couleurs qui lui donnait l’air d’un lutin et que le vent dérangeait puis toujours suivie de son photographe elle rejoignit ses confrères et la masse des passagers qui s’apprêtaient à quitter le bateau maintenant à quai. Un quai où il y avait autant de monde qu’au départ. Ce n’étaient pas les mêmes mais déjà le trépidant vacarme de New York sautait au visage, cacophonie de klaxons, de sirènes, de bruits de chantiers, de ronflements de moteurs et d’une clameur imprécise, un bourdonnement continu qui était la voix même de cette ville qui ne dort jamais.
S’attardant sur le pont, Morosini vit Vidal-Pellicorne descendre l’un des premiers avec sa compagne reçue avec autant d’empressement qu’une star de Hollywood et monter à sa suite dans une énorme limousine noire conduite par un chauffeur en livrée blanche. Il se demanda si la belle Alice allait déposer Adalbert dans un hôtel ou bien lui offrir l’hospitalité ? Et il comprit qu’il avait pensé tout haut quand Pauline lui répondit :
— Les Astor possèdent plus de deux mille maisons dans l’État de New York. Vous pouvez être sûr qu’elle va l’installer sinon chez elle, ce qui serait délicat étant en instance de divorce, du moins à portée de la main. Donc pas question d’un lieu aussi public qu’un hôtel où il pourrait vous rencontrer !
— J’aimerais savoir ce que je lui ai fait ? Elle me regarde comme si j’étais son ennemi juré !
— Vous êtes son rival et elle doit vous exécrer d’autant plus qu’en d’autres temps et en d’autres circonstances elle se fût certainement donné un mal fou pour vous séduire et vous enchaîner à son char mais si j’ai un conseil à vous donner, essayez donc de mettre votre amitié entre parenthèses. Ou je connais mal Alice ou elle se lassera quand elle aura fini d’extraire toute la substantifique moelle de son égyptologue. Il sera peut-être bon, alors, de vous trouver là pour ramasser les morceaux.
— Je n’ai pas l’intention de m’éterniser ici, fit Aldo avec raideur.
— Elle non plus, soyez-en persuadé. On est beaucoup trop loin de sa chère Égypte et d’une Europe qu’elle adore. Passé la saison de Newport, je vous parie qu’elle ramènera son toutou à Paris à moins qu’elle ne lui ait déjà enlevé son collier pour l’envoyer japper ailleurs !
C’était peu réconfortant, cependant Aldo décida de suivre le conseil d’écarter le plus possible Adalbert de son esprit. Ce ne serait pas facile mais il avait besoin de garder – outre un jugement clair ! – sa liberté de mouvements puisqu’il foulait à présent la même terre qu’Aloysius Cesare Ricci et – peut-être – les joyaux de la Sorcière vénitienne… Un moment plus tard il roulait dans un taxi jaune vers l’hôtel Plaza en compagnie de Gilles Vauxbrun tandis qu’une grosse Chrysler grise – moins imposante que la limousine noire ! – avec chauffeur assorti ramenait la baronne von Etzenberg chez elle. Un fourgon à bagages suivait car sans aller jusqu’à trente malles, celle-ci, qui voyageait d’ailleurs avec sa femme de chambre, en alignait tout de même une douzaine. Un train un peu inhabituel pour un sculpteur. Son atelier n’avait sans doute que peu de rapports avec ceux des artistes besogneux de Montparnasse… ou de Montmartre.