CHAPITRE 11 LE DÎNER D’OMBRES


La sortie brutale de Morosini fut-elle efficace ou bien le directeur de la police de Salzbourg était-il plus déterminé qu’il n’en donnait l’impression, toujours est-il que, le soir même, on arrêtait la baronne Hulenberg et son chauffeur. Après le départ du prince, Schindler s’était rendu chez elle avec un mandat de perquisition : on avait retrouvé sans peine la paire de gants mouillés et souillés de terre que l’on n’avait pas encore songé à nettoyer, et l’on s’était aperçu que le chauffeur cachait sous une fausse identité un ancien repris de justice. Aldo fut convoqué pour faire la déposition officielle que son coup de colère n’avait pas permise. Comme il n’aimait pas blesser les gens, il s’en excusa et félicita le policier.

– J’espère, ajouta-t-il, que vous retrouverez bientôt le frère. C’est lui le plus dangereux et, surtout, c’est lui qui a les bijoux...

– J’ai bien peur qu’il ne soit déjà passé en Allemagne ! La frontière est si proche de Salzbourg ! Tout ce que nous pouvons faire, c’est lancer un mandat d’arrêt international mais sans grand espoir d’aboutir à quelque chose étant donné l’état d’anarchie qui règne dans la République de Weimar.

– Il n’est pas certain qu’il y reste et, dans les pays de l’Ouest, la police est efficace.

– Surtout en Angleterre, fit Schindler mi-figue mi-raisin. Et on sépara sur cette flèche du Parthe...

La journée du lendemain parut d’autant plus longue que rien ne vint sinon, au courrier, une lettre de Venise qui laissa Morosini perplexe et inquiet.

Ce n’étaient pourtant que quelques lignes sous la plume de Guy Buteau lui demandant s’il pensait s’attarder encore longtemps en Autriche. La santé de la maisonnée était excellente, cependant tous souhaitaient que le retour du maître ne soit pas reporté aux calendes grecques. Et c’est ce côté anodin qui troubla Aldo. Il connaissait trop bien son fondé de pouvoir ! Guy n’avait pas l’habitude de lui écrire des fadaises. Sous les phrases conventionnelles, Aldo croyait deviner une sorte d’appel au secours.

– J’ai l’impression qu’il se passe quelque chose chez moi et que Buteau n’ose pas me le dire, confiât-il à Adalbert.

– C’est possible mais, de toute façon, tu comptais repartir prochainement ?

– Dans deux ou trois jours. Après la soirée de demain, je n’aurai plus rien à faire ici...

– A merveille ! Annonce chez toi que tu rentres ! ...

– Je vais faire mieux : je vais téléphoner !

Il fallait compter un minimum de trois heures d’attente pour Venise et il était déjà cinq heures du soir. Devant l’énervement visible de son ami, Vidal-Pellicorne proposa sa panacée personnelle : aller manger quelques gâteaux et boire un chocolat chez Zauner. Le temps était toujours aussi affreux mais l’hôtel n’en était pas loin.

– Rien de tel que quelques douceurs pour rendre la vie plus confortable, plaida l’archéologue qui était gourmand comme une poêle à frire. Et c’est bien meilleur que l’alcool...

– Comme si tu n’aimais pas ça aussi ! Tu ferais beaucoup mieux de me dire que tu en as un peu assez de la cuisine du Kaiserin Elisabeth ! Tu n’auras plus faim pour dîner.

– Eh bien, on se contentera de grignoter et on passera la soirée au bar. Si ça ne te dit rien, reste ici. Moi j’y vais ! Ce Zauner est le Mozart de la crème fouettée.

Comme d’habitude, il y avait foule dans la célèbre pâtisserie-salon de thé mais on finit par trouver dans le fond de la salle, un petit guéridon rond et deux chaises. On trouva aussi Fritz von Apfelgrüne...

Assis dans un coin, entre un panneau de verre gravé et trois dames rebondies qui, sans cesser de parler, faisaient disparaître une invraisemblable quantité de gâteaux, le jeune homme égratignait d’une cuillère mélancolique une tulipe de chocolat liégeois. Les coudes sur la table, la tête rentrée dans les épaules, il offrait une image misérable et les deux arrivants s’en émurent. Tandis qu’Aldo gardait la table, Adalbert alla vers lui. Il leva des yeux découragés sur l’archéologue et celui-ci put même voir des traces de larmes :

– Qu’est-ce qui se passe, Fritz ? Vous n’avez pas l’air bien du tout.

– Oh... je suis désespéré ! Asseyez-vous !

– Merci mais je suis venu vous chercher. Venez avec nous ! On pourra peut-être vous aider ?

Sans répondre, Fritz prit sa glace et se laissa enlever tandis que Vidal-Pellicorne indiquait à la serveuse en tablier de mousseline où il l’emmenait et qu’Aldo cherchait une troisième chaise.

– Vous devriez prendre un bon café, conseilla celui-ci quand ils s’installèrent. On dirait que vous en avez besoin !

Fritz lui adressa un regard d’épagneul battu :

– J’en ai déjà bu deux... avec une demi-douzaine de gâteaux. Maintenant j’aborde les glaces.

– Vous cherchez quoi ? À vous suicider par indigestion ? On y arrive peut-être mais ça doit être long et plutôt désagréable.

– Vous me conseillez quoi alors ? Le revolver ?

– Je ne vous conseille rien du tout ! Qu’est-ce qui vous prend ? Jusqu’à présent, vous étiez le rayon de soleil de la maison !

– C’est bien fini ! J’ai compris que Lisa ne m’aime pas, qu’elle ne m’aimera jamais... et peut-être même qu’elle me déteste !

– Elle vous l’a dit ? demanda Adalbert.

– Non, mais elle me l’a fait comprendre. Je l’énerve, je l’agace. Dès que j’entre dans une pièce où elle se trouve, elle s’en va... Et puis il y a l’autre !

– Quelle autre ?

– Cette Elsa sortie on ne sait d’où et que vous avez sauvée. Moi je n’avais jamais entendu seulement parler d’elle et maintenant elle règne sur la maison. On la traite en princesse. Elle accepte tout ça comme un dû et moi elle me déteste. Pourtant je suis toujours courtois avec elle.

– Vous devez vous tromper : elle n’a aucune raison de vous détester ? N’avez-vous pas pris votre part, la nuit où elle a été sauvée ?

– Oh, elle ne doit même pas s’en douter ! Elle a plutôt tendance à me considérer comme un meuble encombrant et, pas plus tard que ce matin, elle m’a demandé si ma seule occupation dans la vie était d’accabler Lisa d’un amour dont elle n’avait que faire. Elle a dit aussi que je ferais mieux de m’en aller avant qu’on me dise clairement que j’étais de trop...

– Lisa et votre grand-tante sont d’accord avec elle ?

– Je ne sais pas. Elles n’étaient pas là, mais je ne vois pas pourquoi elles ne le seraient pas : elles sont toujours ensemble et, quand j’arrive, on me traite comme si j’étais le petit garçon qui a échappé à sa gouvernante. C’est tout juste si l’on ne me dit pas d’aller jouer ailleurs !

– Trois femmes réunies, vous savez ! Elles doivent avoir des tas de choses à se dire, fit Aldo. C’est normal que vous vous sentiez un peu perdu !

– Pas à ce point-là ! Elles pourraient au moins me laisser les accompagner quand elles vont en promenade.

– En promenade ? Par ce temps ?

– Oh, ça n’arrête pas Elsa ! Elle veut sortir à tout prix, faire de longues balades à pied. Ça l’a prise d’un seul coup : elle dit que c’est indispensable pour sa santé, pour rester mince, mais elle exige que Lisa la suive. Hier après le cimetière, elles sont allées jusqu’à la cascade de Hohenzollern. Lisa était fatiguée mais pas Elsa. Elle a même voulu y retourner ce matin... et cet après-midi, elles sont parties je ne sais où. A pied ! Je pense qu’elle est un peu folle !

Aldo ne répondit rien, cette fois. Il pensait à cette autre femme un peu déséquilibrée que l’on appelait l’impératrice errante. Elle aussi tenait à accomplir de véritables performances à la marche, au point d’exténuer ses dames d’honneur.

– Est-ce qu’Elsa mange beaucoup ?

– C’est curieux que vous me posiez cette question ! Depuis qu’elle est au château elle n’avale presque rien. Ce qui tourmente beaucoup tante Vivi. Je l’ai même entendue dire à Lisa que, depuis son enlèvement cette femme n’était plus la même... Et quand elle n’est pas dehors, elle passe des heures tête à tête avec le buste de Sissi qui est dans le bureau de tante Vivi. C’est vrai d’ailleurs qu’elle lui ressemble. Est-ce que c’est ça qu’elle essaie d’accentuer ?

– Exactement ! approuva Morosini. Il faut espérer que cela passera quand elle sera à Vienne. L’impératrice n’aimait pas vivre dans la capitale et si Elsa s’obstine dans son nouveau comportement, il faudra l’installer ailleurs. Or, vous habitez Vienne, vous. Et Lisa ne passera pas sa vie à jouer les fidèles suivantes. Elle repartira...

– Moi aussi ! affirma Fritz. Je ne sais pas encore où mais je vais m’en aller.

– Pourquoi ne viendriez-vous pas avec moi à

Venise ? proposa Morosini avec gentillesse. Cela vous changerait les idées.

Ce fut magique. Le visage désolé du pauvre garçon s’illumina comme si un rayon de soleil venait de se poser dessus :

– Vous... vous m’emmèneriez ? Chez vous ?

– Chez moi. Vous verrez : c’est très distrayant et j’ai une excellente cuisinière... que Lisa connaît bien. Vous pourrez parler d’elle avec Cecina. Et puis vous parlerez français avec M. Buteau. Il a été jadis mon précepteur.

Il crut un instant que Fritz allait lui sauter au cou. Il se contenta de le remercier chaleureusement, acheva sa glace et prit congé. Il avait hâte de rentrer pour commencer ses préparatifs et répandre la bonne nouvelle. Adalbert le regarda voltiger à travers la salle pleine avec amusement :

– Tu joues les bons Samaritains maintenant ? Et avec un Autrichien ?

– Pourquoi pas ? Ce garçon n’est pas responsable de sa naissance et puis, si tu veux tout savoir, je le trouve plutôt amusant ! Surtout quand il parle français !

Après un dîner frugal – Adalbert s’était bourré de gâteaux jusqu’aux ouïes – on s’installa dans le bar pour y attendre la communication d’Aldo. À l’exception d’un couple âgé qui buvait des tisanes et d’un vieux monsieur à l’élégance surannée qui faisait disparaître derrière son journal déployé un nombre appréciable de petits verres de schnaps, plus, bien entendu, le barman, il n’y avait personne. Au bout de son deuxième cognac, Aldo commençait à perdre patience quand enfin on l’appela : il était neuf heures et demie mais on avait Venise !

A sa grande surprise, Aldo entendit au bout du fil la voix bougonne de Cecina. Il était inhabituel que la cuisinière répondît au téléphone – elle détestait cela ! L’abord fut d’ailleurs tout à fait conforme aux réactions de Cecina quand elle était de mauvaise humeur :

– Ah, c’est toi ? fit-elle sans manifester le moindre plaisir. Tu ne pourrais pas téléphoner plus tôt ?

– Ce n’est pas moi qui règle les communications internationales. Où sont les autres ?

– M. Buteau dîne chez Me Massaria. Mon vieux Zaccaria est couché avec la grippe. Quant au jeune Pisani, il court la prétentaine avec... « misse » Campbell ! Qu’est-ce que tu veux ?

– Savoir ce qui se passe. J’ai reçu de M. Buteau une lettre qui m’inquiète un peu.

– Il est temps que tu te décides à demander des nouvelles ! On ne peut pas dire que tu te sois beaucoup occupé de nous ces temps derniers ! Son Excellence disparaît et la maison pourrait brûler qu’il ne s’en soucierait pas plus que si c’était la niche du chien ! En plus...

Morosini savait que, s’il ne coupait pas court, il en aurait pour une heure de diatribe et une facture astronomique :

– Assez, Cecina ! D’abord, nous n’avons pas de chien et en plus je ne téléphone pas pour subir ta mauvaise humeur. Encore une fois, dis-moi s’il se

passe quelque chose d’inhabituel ?

Le ricanement de Cecina lui vrilla les oreilles :

– Inhabituel ? Tu veux dire que, quand tu rentreras, ce sera pour recevoir ma démission ! Tu sais ce que je t’ai dit : c’est elle ou moi !

– Mais de qui parles-tu ?

– Bé, de la belle Anny ! Je ne sais pourquoi tu dépenses ton bon argent à l’installer chez la Moretti, elle est tout le temps fourrée ici. Je ne peux pas faire trois pas sans la trouver dans mes jupons et elle se mêle de tout ce qui ne la regarde pas.

– Mais qu’est-ce qu’elle fait là ?

– Tu le demanderas à ton secrétaire. Il en est coiffé ! Tu disais qu’on n’avait pas de chien ? Eh bien, on en a un maintenant : un toutou bien dressé qui mange dans la main de sa maîtresse et qui s’appelle Angelo !

– Sa maîtresse ? Il aurait osé...

– Je n’ai pas tenu la chandelle alors je ne sais pas s’il couche avec mais ça m’étonnerait pas à voir la façon dont il se comporte. Elle passe sa vie ici, je te dis ! Même que ça gêne beaucoup M. Buteau pour faire régner la discipline en ton absence...

– Rassure-toi, je rentre dans deux ou trois jours et je mettrai bon ordre à tout cela ! Il n’y a pas eu de visites suspectes ? ajouta-t-il en pensant aux craintes exprimées par Anielka au sujet des révolutionnaires polonais.

– Si tu veux dire des bandits avec des escopettes et des couteaux entre les dents, non, on n’a pas eu ça !

– Bon. Alors écoute bien ! Je n’ai pas téléphoné et tu ne sais pas que je rentre ? Compris ?

– Tu veux leur faire une surprise ? Tu auras du mal.

– Pourquoi ?

– Parce que ton secrétaire paie un gamin pour aller à chaque arrivée des grands trains.

– Tiens donc ? Amoureux mais prudent ? Rassure-toi, je rentre en voiture. J’ai acheté une petite Fiat et je la laisserai à Mestre chez Olivetti... Va rejoindre ton mari, Cecina, et dors bien !

L’idée de regagner Venise en automobile lui était venue spontanément. Ce serait aussi plus simple, puisqu’il pensait emmener Fritz. Quant au reste, Aldo n’aimait pas du tout la conduite d’Anielka. Et pas davantage celle de ce jeune imbécile qui s’était laissé prendre dans ses filets.

– Nous partirons après-demain ! conclut-il après avoir mis Adalbert au courant. Je commence à trouver bizarre l’attitude d’Anielka. Elle arrive en suppliant qu’on la cache, qu’on la sauve de ses ennemis, je la mets à l’abri et elle n’a rien de plus pressé que faire de l’occupation chez moi !

– Il fut un temps où ça t’aurait fait plutôt plaisir ?

– Oui, mais ce temps-là n’est plus. Il y a trop d’ombres, trop de non-dit, trop d’obscurités sur cette créature si lumineuse en apparence ! Trop d’amants, surtout, j’en ai peur et je ne suis même pas certain d’éprouver encore pour elle de la sympathie.

– Je suppose qu’elle t’imagine toujours follement amoureux d’elle et je te rappelle qu’en s’installant chez toi elle s’est présentée comme ta fiancée.

– Je lui ai très vite ôté cette idée de la tête...

– Que tu crois ! Je jurerais qu’elle n’a pas renoncé à devenir princesse Morosini.

– En couchant avec mon secrétaire ? Ce n’est pas le bon moyen.

– Ce n’est qu’une supposition gratuite ! Je croirais plutôt qu’elle essaie d’inscrire, dans ton paysage personnel, son image... à titre indélébile. Tu auras du mal à t’en débarrasser...

– À moins que je ne réussisse à faire arrêter son père ou, mieux encore, à l’abattre !

Vidal-Pellicorne considéra un instant sans rien dire le visage crispé de son ami, les traits énergiques encore durcis par la colère, la longue silhouette nonchalante, le regard bleu pétillant si souvent d’humour ou d’ironie. Même avec une différence de vingt ans, pensa-t-il, ce ne devait pas être facile de renoncer à un tel homme ? Et grand seigneur pardessus le marché !

– Ne t’y fie pas ! finit-il par soupirer. Même avec Chimène, ça n’a pas marché.

Toutes ses fenêtres éclairées intérieurement par une forêt de chandelles – l’électricité semblait bannie ce soir – Rudolfskrone brillait dans la nuit de novembre comme un reliquaire au fond d’une crypte. Il semblait prêt à accueillir l’une de ces fêtes nocturnes, douces et raffinées, telles que les aimaient les siècles passés. Pourtant, quand à huit heures juste, la petite Amilcar rouge déposa ses occupants, il n’y avait aucune autre voiture en vue.

– Tu crois que nous sommes les seuls invités ? fit Adalbert quand le moteur arrêté leur permit d’entendre l’écho de violons jouant une valse de Lanner.

– Je l’espère ! Si cette comédie de fiançailles doit continuer, je préfère qu’elle ait le moins de témoins possible...

Un valet en livrée amarante ouvrit la portière tandis qu’un autre, armé d’un chandelier d’argent, s’apprêtait à précéder les invités dans le grand escalier :

– Mme la comtesse attend ces messieurs dans le salon des muses, leur confia ce dernier.

On avait dû, pour cette soirée, razzier toutes les fleurs de la région. Il y en avait partout et les deux hommes comprirent pourquoi ils avaient eu tellement de mal à dénicher la brassée de roses blanches dont ils s’étaient fait précéder dans l’après-midi. Elles montaient à l’assaut des grands candélabres de bronze chargés de bougies allumées, s’épanouissaient en corbeilles sur le palier et au bas de la rampe de marbre. Grâce à elles et aux petites flammes qui doraient toutes choses, le château baignait ce soir dans une atmosphère irréelle dont Aldo ne pouvait dire si elle lui était agréable ou non. Il pensait surtout qu’il allait devoir jouer ce rôle agaçant d’amoureux devant le public le plus difficile qui soit : les yeux de Lisa ! Ou il serait trop bon et elle mépriserait son talent, ou il serait mauvais et elle le jugerait ridicule.

– Fais une autre tête ! souffla Adalbert. Tu as l’air de monter à l’échafaud.

Le veinard qui pouvait s’abandonner au simple plaisir de passer un moment auprès de la femme qu’il aimait ! Car, pour Morosini, il ne faisait plus aucun doute que son ami s’était épris de Mlle Kledermann...

– C’est à peu près ça, marmonna-t-il. Superbe en velours amarante soutaché de noir,

Josef les accueillit en haut des marches pour les guider jusqu’au salon des muses mais, arrivé à la moitié du palier, il se retourna :

– Mon Dieu, j’allais oublier ! ... monsieur le prince, Mlle Lisa m’a recommandé de vous préparer à une surprise...

Il ne manquait plus que ça !

– Une surprise ? De quel ordre ?

– Je n’en sais rien, Excellence, mais je pense qu’elle doit être d’importance pour que l’on m’ait chargé de vous avertir.

– Merci, Josef !

Ni l’un ni l’autre ne remarqua une forme blanche qui écoutait, appuyée d’une main à la balustrade de l’étage supérieur...

Le salon des muses précédait la salle à manger. Des fresques dans le goût italien mais d’une facture honnête sans plus le décoraient, et elles ne retinrent pas l’attention de Morosini. Il la consacra tout entière à la vieille dame qui se tenait debout au milieu de la pièce, près d’une énorme potiche vert céladon posée à même le sol et d’où jaillissait un feu d’artifice de roses blanches.

– Elles sont superbes ! dit-elle en souriant et en offrant aux lèvres de Morosini sa belle main chargée de bagues.

Elle aussi l’était. Une fortune en diamants étincelait à ses oreilles, sur la dentelle noire de sa robe à col baleiné et, sur ses cheveux blancs coiffés en hauteur, un diadème fait de minces baguettes scintillantes mettait une auréole précieuse. Auprès de cette reine, Friedrich en habit et l’air très malheureux passait inaperçu...

Le regard d’Aldo cherchait Lisa. Le sourire de sa grand-mère se teinta d’une douce ironie.

– Elle est auprès de Son Altesse qu’elle aide à s’habiller.

Aldo fronça le sourcil tandis que ceux d’Adalbert se relevaient.

– Son Altesse ? émit celui-ci. Est-ce ainsi que nous devons l’appeler ?

– J’en ai peur. Mes chers amis, il me faut vous prévenir que, depuis son sauvetage, Elsa n’est plus la même. Il s’est passé quelque chose qui nous échappe et je pense, prince, que vous la trouverez différente de ce qu’elle était lors de votre entrevue...

– Est-ce à dire que je ne suis plus tenu de jouer le rôle que vous m’avez demandé ? demanda Morosini plein d’espoir.

– En vérité, je n’en sais rien ! murmura la vieille dame assombrie. Pas une fois elle n’a parlé de vous, elle ne vous a plus réclamé... En revanche, elle exige les égards, la déférence, les honneurs dus à une altesse et nous ne nous sentons pas le courage de les lui refuser. Après tout, elle devrait y avoir droit ! Je crois, ajouta-t-elle, en se tournant vers son petit-neveu, que Fritz vous en a déjà parlé ?

– En effet, dit Adalbert. Nous pensons l’un et l’autre qu’elle fait ce qu’en psychiatrie on appelle un transfert en s’efforçant de ressusciter son impériale grand-mère. Vous devriez peut-être demander une consultation au célèbre docteur Freud quand vous serez à Vienne ?

– Mais j’y songe... si toutefois nous arrivons à la lui présenter.

– Et c’est elle qui vous a demandé cette soirée en grand apparat ? dit Aldo.

– Oui. Étrange soirée, n’est-ce pas, où le faste d’une fête est déployé alors que nous serons six, mais elle espère la venue de ce qu’il faut bien appeler des ombres. Et le couvert est mis pour vingt personnes.

Fritz alors explosa. Jusque-là, il s’était contenté, après avoir serré la main des deux hommes, de tenir les yeux fichés en terre tout en s’efforçant de creuser un trou dans le tapis avec son talon :

– Pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom. Elle est folle ! Et vous avez tort de vous prêter à ses manies, tante Vivi. Elles ne feront que croître et embellir !

– Un peu de calme, veux-tu ? Il s’agit d’un soir... un seul. Elle l’a d’ailleurs spécifié : un dîner d’adieux !

– A qui, à quoi ?

– Peut-être à Ischl. Elle a appris que nous partons demain. Peut-être à autre chose mais je ne me suis pas sentie le courage de le lui refuser et Lisa m’approuve.

– Oh, si Lisa approuve, alors...

Et Fritz parut se désintéresser de la question pour se consacrer à la coupe de Champagne qu’un valet lui offrait sur un plateau. Il dut la reposer, car Josef ouvrit les portes du salon et annonça d’une voix forte :

– Son Altesse impériale !

Et Elsa apparut, toute de blanc vêtue. Un blanc tirant un peu sur l’ivoire ; sa robe à traîne était de celles que l’on portait au début du siècle : satin et dentelle de Chantilly, relevée, drapée, retenue par quelques piquets de roses assorties. Le même tissu arachnéen retenait, sur la chevelure coiffée en hauteur avec deux anglaises glissant sur le long cou, un diadème d’opales et de diamants qui ne pouvait appartenir qu’à Mme von Adlerstein.

Les trois hommes s’inclinèrent, tandis que la comtesse plongeait dans une révérence qu’elle réussit à rendre parfaite en dépit de sa jambe malade mais, en se redressant, Aldo et Adalbert sentirent le souffle leur manquer : au creux du profond décolleté de la princesse, nichée dans le satin bouillonné à l’endroit où elle la portait à l’Opéra, l’aigle de diamants au corps d’opale brillait avec insolence...

Le regard de Morosini chercha celui de Lisa qui venait à trois pas derrière. Elle lui répondit d’un haussement de sourcils : c’était cela, bien entendu, la surprise annoncée. Il faut avouer qu’elle était de taille ! Pourtant, si stupéfait qu’il fût, Aldo n’en remarqua pas moins combien Lisa était charmante dans une robe à l’ancienne mode, en tulle vert amande, qui rendait pleine justice à son cou gracieux, à ses jolies épaules et à une gorge que, jeune homme, Aldo eût qualifiée d’intéressante.

Tenant en main un éventail assorti à sa robe et où était fixée la rose d’argent, Elsa vint droit à la comtesse qu’elle aida à se relever :

– Pas vous, ma bonne ! protesta-t-elle gentiment. Puis, se tournant vers les trois hommes qui attendaient sur une seule ligne, elle tendit ses deux mains à Morosini :

– Cher Franz ! J’ai attendu cette soirée avec tant d’impatience ! Elle doit être celle où tout recommence, n’est-ce pas ?

Le faible espoir que le pseudo-Rudiger avait entretenu s’évanouit. Même en figurant un autre personnage, Elsa continuait à voir en lui son fiancé perdu. Il s’inclina néanmoins sur la main gantée en murmurant qu’il en était infiniment heureux, plus quelques autres fadaises qui lui semblaient convenir au personnage.

Mais elle ne l’écoutait pas, réservant à présent toute son attention à Adalbert. Cela permit à Aldo de la regarder plus attentivement. Le profil qu’elle lui offrait était à ce point semblable à celui du buste, dans le petit salon, qu’il en fut impressionné ; pourtant certains détails annonçaient qu’il ne s’agissait pas du modèle : la coupe de la paupière, un pli de la bouche. Sans la blessure qui marquait l’autre côté du visage, cette femme eût pu soulever les enthousiasmes, faire croire à une miraculeuse résurrection, causer des troubles peut-être. Les dentelles dont elle s’entourait la tête en public n’étaient pas seulement un abri pour sa coquetterie atteinte, elles étaient nécessaires dans un pays où les imaginations ne demandaient qu’à prendre feu dès qu’il s’agissait d’un membre de l’ancienne famille impériale... Restait à éclaircir l’histoire de l’aigle à l’opale !

Aldo s’approcha de Lisa qui caressait d’un doigt l’une des roses de l’énorme bouquet et se trouvait un peu à l’écart d’Elsa :

– Comment avez-vous fait pour trouver ces merveilles ? demanda-t-elle avec un sourire.

– Ravi qu’elles vous plaisent mais ce n’est pas ça qui m’intéresse. Je croyais que les bijoux s’étaient envolés avec Solmanski. En avez-vous extrait l’opale avant de les laisser partir ?

– Je ne les ai pas eus entre les mains et je n’ai pas demandé à les voir. En fait, c’est Elsa elle-même qui s’en était emparée, bien avant d’être enlevée. Dès son retour de Vienne, elle s’est mise en tête que, si elle gardait l’opale de l’impératrice sur elle, il ne lui arriverait plus rien de douloureux.

– Elle a obtenu qu’on la lui laisse ?

– Non parce que ses malheureux gardiens se méfiaient un peu de son esprit instable. Ils avaient aménagé une cachette dans une poutre de la salle mais Elsa les a observés et, quand elle s’est trouvée seule, elle est allée reprendre le bijou qu’elle a tenu caché sur elle jusqu’à ce soir. Elle est très contente d’avoir joué un bon tour à tout le monde...

– Un bon tour ? J’en suis moins sûr ! Que va faire Solmanski, selon vous, quand il s’apercevra qu’il n’a pas l’opale ?

– Il se contentera du reste du trésor. Il y a des perles sublimes et un certain nombre d’autres pièces magnifiques...

– Moi, je vous dis que c’est l’opale qu’il veut et pour des raisons que je vous ai expliquées, – J’entends bien, mais il peut difficilement revenir sur ses pas. La police se ferait un plaisir de le cueillir.

– Oui, mais vous partez demain. Soyez certaine que ce suppôt de Satan l’apprendra et que tout sera à recommencer...

D’un geste vif, Lisa cueillit une rose pour la porter à ses lèvres. Ses yeux mi-clos laissèrent filtrer un regard moqueur :

– Et naturellement vous avez une solution ?

– Moi ? Et laquelle, mon Dieu ?

– Oh, c’est fort simple : vous remettre l’opale ! N’est-ce pas pour elle, et pour elle seule, que vous êtes venus jusqu’ici, vous et Adalbert ?

– Me croyez-vous assez vil pour arracher à une pauvre folle ce qu’elle considère comme son talisman ? Encore que ce serait la meilleure solution. Elsa, qui a tout perdu, aurait de quoi vivre et surtout, en cas de visite déplaisante, il n’y aurait plus qu’à détourner le danger sur l’acheteur c’est-à-dire moi, mais si...

– Son Altesse impériale est servie !

Clamée depuis le seuil de la salle à manger par l’organe vigoureux de Josef, l’annonce coupa net la phrase d’Aldo qui hésita un instant sur la conduite à tenir dans l’immédiat, vit qu’Elsa se dirigeait seule dans sa grandeur vers les doubles portes ouvertes, et alla offrir son bras à Mme von Adlerstein qui le remercia d’un sourire tandis qu’Adalbert soufflait, de justesse, la main de Lisa sous le nez de Fritz qui dut se résoudre à fermer la marche.

Et ce fut le dîner le plus incroyable, le plus délirant, le plus angoissant aussi qu’eût jamais vécu Morosini. La table somptueuse – vaisselle de vermeil, cristaux de Bohême ordonnés sur une nappe de dentelle autour d’un fouillis de lis, de roses et de hautes chandelles nacrées dans des candélabres de cristal taillé ! – était mise pour une vingtaine de personnes et comme aucune autre lumière n’éclairait la vaste pièce tendue de tapisseries à personnages, ce couvert fastueux baignait dans une atmosphère étrange. A chaque bout de la table était placé un fauteuil à haut dossier : ceux du maître et de la maîtresse de maison, mais Elsa, sans hésiter alla prendre place dans le premier que, d’ailleurs, Josef écartait pour elle. Aldo se pencha pour murmurer à la comtesse :

– Où dois-je vous conduire, madame ?

– En vérité, je n’en sais rien, chuchota-t-elle. C’est Elsa qui a tenu à tout régler ici ce soir. Je voulais vraiment lui faire plaisir mais je commence à me demander si je n’ai pas eu tort...

L’incertitude ne dura guère : la vieille dame fut gracieusement invitée à s’asseoir à la droite de la princesse. Supposant qu’il devait, selon les rites de la société, prendre place à son côté, Aldo s’y préparait quand la voix d’Elsa s’éleva :

– Un instant, s’il vous plaît ! Ce siège ne vous est pas destiné. Puis, plus doucement parce que le ton employé était sec, elle ajouta : Voyons, cher, c’est il me semble tout à fait naturel que vous preniez place en face de moi. Cette fête n’est-elle pas la nôtre ? Nous devons la présider ensemble...

De nouveau, il s’inclina et gagna l’autre extrémité de la table où un valet l’attendait déjà. Il pensait que les quatre autres convives allaient être répartis entre les deux pôles de la table mais il n’en fut rien : Elsa fit asseoir Lisa à sa gauche, puis Adalbert et, de l’autre côté, le jeune Apfelgrüne plus renfrogné que jamais s’installa auprès de sa grand-tante. Morosini resta dans sa superbe solitude, séparé des autres par une dizaine de chaises vides et la curieuse impression, tout à coup, de se trouver en face d’une espèce de tribunal. Sans les fleurs et les petites flammes dansantes qui surchargeaient la table, l’effet eût été saisissant mais il n’était pas homme à se laisser troubler par un caprice de femme et, comme si c’eût été la chose la plus naturelle du monde, il déplia sa serviette et l’installa sur ses genoux. Là-bas, à Vautre bout, personne n’osait le regarder et, si la comtesse tenta d’émettre une légère protestation, elle fut très vite priée de s’en tenir là.

Le repas débuta dans un silence pesant. Quelque part dans la maison, des violons jouaient du Mozart en sourdine. En dépit de son envie de fuir cette assemblée fantomale, Aldo s’obligeait à garder son calme. Il sentait qu’il allait se passer quelque chose, mais quoi ? Là-bas, au bout de l’interminable chemin fleuri, Elsa dégustait son potage avec une lenteur extrême, la tête droite et les yeux dans le vague. De temps en temps, elle souriait, s’inclinait un peu vers la droite ou vers la gauche, s’adressant à l’une des chaises vides comme si elle y voyait quelqu’un. Autour d’eux, le ballet feutré des valets déroulait son rite...

On servait le second plat qui était une carpe à la hongroise quand, soudain, retentit le bruit métallique d’un couvert reposé sur l’assiette. La voix de Lisa s’éleva, tendue, nerveuse, à la limite du cri :

– C’est intolérable ! A quoi rime ce repas sinistre ? N’avons-nous rien à nous dire ?

– Lisa, je t’en prie ! murmura sa grand-mère. Il ne sied pas que nous parlions quand Son Altesse ne le souhaite pas...

Mais Fritz faisait déjà chorus :

– Elle a raison, tante Vivi ! C’est ridicule cette comédie qu’on nous fait jouer ! Tout comme l’idée envoyer Morosini s’ennuyer tout seul au bout de la table comme s’il était puni. Venez près de nous, mon vieux, et tâchons au moins de souper agréablement.

Elsa se leva d’un jet, écrasant le malheureux sous un mépris royal :

– Que vous soyez un rustre n’est pas une nouvelle pour moi. Quant à cet homme dont je ne doute pas un instant qu’il ne soit votre ami, sachez que je l’ai placé là afin de voir jusqu’où il pousserait l’effronterie... jusqu’où il mènerait son odieuse imposture !

Aussitôt Aldo fut debout. En quelques enjambées, il parcourut la vaste salle et s’arrêta devant celle qui l’attaquait ainsi. Son visage demeurait impassible mais la colère faisait étinceler ses yeux devenus verts :

– Je ne suis, madame, ni un rustre, ni un effronté, ni un imposteur...

– Ah non ? Vous allez peut-être soutenir encore que vous êtes Franz Rudiger ?

– Je ne l’ai jamais soutenu, madame...

– Dites Votre Altesse Impériale !

– Si vous y tenez ! Sachez donc, Altesse Impériale, que c’est vous, et vous seule, qui vous êtes obstinée à voir en moi celui que vous regrettez ! J’aurais dû peut-être vous détromper mais vous veniez de subir une si cruelle épreuve que j’ai eu peur pour vous d’un nouveau choc.

– Et c’est nous, Elsa, qui l’avons prié de continuer, jusqu’à ce que vous alliez mieux, à jouer ce rôle ! Oh, ma chère petite, vous étiez dans un tel état, plaida la comtesse. Vous nous avez fait si peur et, en outre, la seule idée à laquelle vous vous accrochiez était celle, merveilleuse, d’avoir été sauvée par celui que vous aimez. Vous étiez sûre de l’avoir reconnu, vous avez voulu le voir, lui parler, et là encore vous étiez certaine que c’était Franz... Gela nous désolait mais comment vous ôter cette illusion sans vous blesser ? Vous le disiez même plus beau qu’avant.

– Dites tout de suite que je suis folle ?

– Non, dit doucement Lisa, mais il y a tant d’années que vous n’avez vu Rudiger ! Et vous n’en possédiez aucun portrait. Je pense que, sans vous en rendre compte, vous avez un peu oublié son visage.

– Il était inoubliable !

– On dit toujours ça et cependant vous vous êtes trompée. Quand vous êtes-vous aperçue de votre erreur ?

La voix chaleureuse de la jeune fille semblait agir comme un baume apaisant. Elsa la regarda et ses yeux perdirent leur expression égarée.

– Tout à l’heure, dit-elle. Quand nos invités sont arrivés, j’étais sur le balcon de l’escalier... Je... je voulais être la première à l’apercevoir... Et puis, j’ai entendu votre Josef appeler cet homme « monsieur le prince » et « Excellence ». Alors j’ai compris que l’on me jouait, que les ennemis de ma famille qui me poursuivent avaient trouvé un moyen d’introduire auprès de moi un être néfaste, chargé de s’emparer de mon esprit et de...

– N’exagérons rien, explosa Vidal-Pellicorne. Sauf le respect que je dois à Votre Altesse, il vous a sauvée au risque d’y laisser sa propre vie !

– En êtes-vous sûr ? Enfin, je veux bien vous croire...

C’était plus qu’Aldo n’en pouvait supporter :

– Chère comtesse, dit-il en s’inclinant devant son hôtesse, je crois que j’en ai assez entendu pour ce soir. Permettez-moi de me retirer.

Il n’eut pas le temps d’achever sa phrase : Elsa venait de frapper la table d’un coup d’éventail si violent qu’il se brisa.

– Il n’est pas question que vous partiez sans en avoir reçu permission ! Et j’ai des questions à vous poser : la première est : « Qui êtes-vous ? »

– Souffrez que je m’en charge, coupa Lisa qui poursuivit d’un ton solennel, destiné à frapper l’esprit incertain d’Elsa. C’est à moi, en effet, que revient l’honneur de présenter à Votre Altesse Impériale le prince Aldo Morosini, appartenant à l’une des douze familles patriciennes qui furent à l’origine de Venise et descendant de plusieurs de ses doges. J’ajoute qu’il est un homme de courage et de loyauté... sans doute le meilleur ami que l’on puisse avoir.

– C’est mot pour mot ce que je pense, appuya Adalbert, mais ce concert de témoignages ne semblait pas réussir à percer l’armure de défiance de la princesse dont le regard, troublé de nouveau, semblait contempler une scène invisible dans les profondeurs de la pièce.

– Venise nous hait ! ... Elle a osé hurler, injurier l’empereur et l’impératrice, ma chère aïeule...

– Il n’y a jamais eu de huées ni d’injures, rectifia Aldo. Rien que le silence. J’admets qu’il soit terrible, le silence d’un peuple. Les mots que l’on ne prononce pas, les cris qui ne sortent pas résonnent dans l’imagination de qui en est l’objet mais l’oppression n’a jamais été le bon moyen de se faire des amis... Mon grand-oncle a été fusillé par les Autrichiens et je n’ai pas d’excuses à offrir !

Curieusement, Elsa ne répliqua rien. Ses yeux revinrent se poser sur l’homme qui osait lui tenir tête, s’y attachèrent un moment puis se baissèrent :

– Offrez-moi votre bras, murmura-t-elle, et retournons au salon. Il faut que nous parlions... Restez, vous autres ! ajouta-t-elle. Je veux être seule avec lui... Ah ! ... Et puis, faites taire ces violons !

Ils sortirent avec une grande majesté mais, comme dans toute situation dramatique se glisse souvent un élément burlesque, Aldo, en quittant la salle à manger, entendit Fritz toujours aussi proche des réalités terrestres bougonner :

– La carpe froide ne vaut rien. Vous ne pourriez pas demander qu’on la réchauffe, tante Vivi ? ...

Et se mordit les lèvres pour ne pas rire. C’était le genre de réflexion de nature à vous garder les pieds sur terre et, à tout prendre, c’était une bonne chose quand on se sentait basculer dans l’irrationnel.

Revenue dans la pièce que l’on avait quittée tout à l’heure, Elsa choisit de s’asseoir près du grand bouquet de roses blanches et passa sur leurs corolles une main légère et caressante :

– J’aurais aimé qu’elles soient pour moi, murmura-t-elle.

– La coutume veut que l’on offre des fleurs à la dame qui vous invite, dit Aldo avec douceur. Et je ne suis pas le seul envoyeur. Peut-être d’ailleurs, n’aurais-je pas osé...

Elsa jeta sur un petit guéridon l’éventail blessé dont la rose d’argent retenait seule les deux morceaux de la maîtresse-branche :

– Ce n’est pas vous, il est vrai, qui m’avez donné ceci. Pourtant, l’autre jour, vous avez... osé m’embrasser ?

– Pardonnez-moi, madame ! Vous me l’aviez demandé...

– Et il était essentiel, n’est-ce pas, de jouer votre rôle ? murmura-t-elle avec une amertume qui toucha Morosini :

– Je n’ai pas eu à me forcer. Souvenez-vous de ce que je vous ai dit et, sur mon honneur, je jure que j’étais sincère. Vous êtes très belle et surtout vous possédez le charme qui surpasse les plus rares beautés. C’est bien facile de vous aimer... Elsa.

– Mais vous ne m’aimez pas ?

Sans le regarder, elle tendit vers lui une main d’aveugle à la recherche d’un appui. Une main parfaite et si fragile qu’il la prit entre les siennes avec une infinie douceur...

– Qu’importe, puisque ce n’est pas à moi que vous avez donné votre cœur ?

– Certes, certes... mais il a peu de chance d’obtenir ma main. Mon père ni Leurs Majestés n’accepteront un roturier. Vous, vous êtes prince, m’a-t-on dit ?

Aldo comprit que ses fantasmes la reprenaient :

– Un tout petit prince, fit-il en souriant. Indigne d’une archiduchesse. Un ennemi, de surcroît, puisque je suis vénitien.

– Vous avez raison. C’est un grave empêchement... Lui, du moins, est bon Autrichien et fidèle serviteur de la Couronne. Peut-être mon aïeul consentira-t-il à l’anoblir ?

– Pourquoi pas ? Il faudra le lui demander... Le terrain devenait tellement glissant qu’ Aldo n’y avançait que pas à pas. Il souhaitait en finir avec cette scène hors du temps mais, d’autre part, il aurait voulu pouvoir aider cette femme attachante, fantasque et malheureuse autant peut-être que l’avait été celle dont elle s’efforçait de ressusciter l’image.

L’idée qu’on lui suggérait dut lui plaire car elle se mit à sourire à une vision qu’elle était seule à contempler :

– C’est cela ! ... Nous allons le lui demander ensemble ! ... S’il vous plaît, allez dire à Franz qu’il vienne me rejoindre !

– Ce serait avec joie, Votre Altesse, mais je ne sais où il est.

Elle tourna vers lui un regard qui ne le voyait pas...

– N’est-il pas encore arrivé ? ... Oh, c’est surprenant ! Il est toujours d’une extrême exactitude. Voulez-vous voir s’il n’est pas dans l’antichambre ?

– Aux ordres de Votre Altesse !

Il sortit, en effet, fit quelques pas dans la galerie en réfléchissant puis revint dans le salon. Elsa s’était levée. Elle allait et venait sur le grand tapis fleuri en serrant ses mains sur sa poitrine. La traîne de sa robe l’accompagnait d’un bruissement soyeux.

Entendant rentrer Morosini, elle se retourna d’une pièce :

– Eh bien ?

– Il n’est pas encore arrivé, Votre Altesse... Un ennui mécanique peut-être ?

– Mécanique ? s’écria-t-elle d’un ton horrifié. Les chevaux ne sont pas des mécaniques et Franz ne saurait utiliser autre chose ! Lui et moi adorons les chevaux.

– J’aurais dû m’en souvenir. Veuillez me pardonner... Puis-je me permettre de conseiller à Votre Altesse de s’asseoir ? Elle se tourmente et se fait du mal.

– Qui ne se tourmenterait quand le fiancé est en retard au soir le plus important de sa vie ? ... Que faire, mon Dieu, que faire ?

Son agitation allait croissant. Aldo comprit qu’il n’en viendrait pas à bout tout seul, qu’il fallait chercher de l’aide. Il prit fermement le bras d’Elsa pour l’obliger à s’asseoir :

– Calmez-vous, je vous en prie ! Je vais demander que l’on envoie à sa rencontre... Restez là, bien tranquille ! Surtout ne bougez pas !

Il la lâcha avec autant de précautions que s’il craignait de la voir s’écrouler puis, vivement relevé, il s’élança vers la salle à manger. Il n’y avait plus personne à table. Les valets avaient disparu. Seule Mme von Adlerstein était assise dans le haut fauteuil abandonné par Elsa. Auprès d’elle, Adalbert fumait comme une locomotive. Fritz, près d’une fenêtre, grignotait des pâtisseries posées sur une grande coupe. Quant à Lisa, elle marchait derrière le siège de sa grand-mère, les bras croisés, la tête penchée sur sa poitrine mais, en voyant entrer Aldo, elle courut vers lui :

– Eh bien ? ... Où est-elle ?

– A côté mais, Lisa, je ne sais plus que faire... Allez la rejoindre !

– Dites-moi d’abord ce qui s’est passé.

Aussi fidèlement que possible, il raconta son étrange conversation avec Elsa :

– Je vous avoue que je me sens coupable, conclut-il. Je n’aurais jamais dû me prêter à cette comédie.

– Vous l’avez fait à notre demande, dit la comtesse. Et nous l’avons désiré parce que nous pensions qu’un peu de joie pourrait lui être bénéfique. Ensuite, vous vous éloigniez et cela me laissait le temps de la ramener à Vienne pour la faire examiner...

– Sans doute, mais maintenant elle mélange tout et elle attend Rudiger. Et elle se tourmente pour lui. Je viens de lui promettre d’aller à sa rencontre parce qu’elle craint un accident...

– Bien. J’en sais assez. J’y vais, dit Lisa, mais sa grand-mère la retint par le poignet :

– Non. Attends encore un instant ! Il faut réfléchir... Elle redoute un accident, dites-vous ? Et nous, nous savons qu’il est mort... Ne vaudrait-il pas mieux en finir et saisir l’occasion pour lui apprendre... qu’elle ne le reverra plus ?

– Ce n’est peut-être pas une mauvaise idée, fit Adalbert, mais il est préférable de ne pas se hâter... de laisser faire les heures, les jours. Il faut qu’Aldo disparaisse de son horizon. Elle en est à la confusion, puisqu’elle ne démêle plus très bien s’il est Rudiger ou s’il ne l’est pas ?

– Oh, je suis tout à fait d’accord ! dit l’intéressé. J’ai trop peur de commettre une erreur quelle que soit mon attitude ! ... Allez-y Lisa ! Il ne faut pas la laisser trop longtemps seule.

– Nous te suivons ! dit la vieille dame. Josef !

Le vieux majordome qui s’était tenu dans les lointains obscurs de la salle reparut dans le halo de lumière :

– Madame la comtesse ?

– Je ne crois pas que nous finirons ce repas ! Renvoyez tout le monde mais servez-nous le café chez moi. Peut-être avec le dessert pour faire plaisir à monsieur Fritz ?

A ce moment, on entendit la voix de Lisa qui appelait :

– Elsa ! ... Elsa, où êtes-vous !

Elle reparut pour annoncer que la princesse n’était plus là !

– Je monte à sa chambre ! ajouta-t-elle.

Mais la chambre était vide, comme l’étage, comme toutes les autres pièces de la maison... Chose plus curieuse encore, personne n’avait vu Son Altesse... Quelqu’un émit l’idée qu’elle se promenait peut-être dans le parc :

– Cela n’aurait rien d’extraordinaire, dit Lisa. Si on la laissait libre d’agir à sa guise, elle serait dehors jour et nuit...

A cet instant, le galop d’un cheval se fit entendre, s’éloignant rapidement. On se précipita aux écuries avec des lanternes et, en effet, l’une des portes était grande ouverte. Manquaient une jument et une selle d’amazone, ainsi que l’affirma le chef palefrenier accouru au bruit :

– J’ai eu juste le temps d’apercevoir un éclair blanc, comme une longue écharpe de brume qui fonçait vers les bois... dit cet homme.

– Mon Dieu ! gémit Lisa en resserrant autour de ses épaules nues la cape de loden qu’elle avait prise en passant par le vestiaire du personnel. Gomment a-t-elle pu monter avec l’encombrement de cette robe de bal et par cette nuit froide ? Et où allait-elle ?

– Au-devant de Lui... dit Aldo en s’élançant vers les stalles. Rentrez, Lisa, nous allons essayer de la retrouver !

– Vous n’en ferez rien s’écria la jeune fille ! Où irez-vous, en pleine nuit et en habit alors que vous ne connaissez pas le pays, ni d’ailleurs nos chevaux... Oui, je sais, vous êtes un excellent cavalier mais je vous demande de rester ici ! Cela ne servirait à rien si vous vous rompiez le cou ! ... Appelez vos hommes, Werner, et dispersez-les dans la direction où vous avez vu l’éclair blanc. Prenez des lanternes pour essayer de suivre les traces... Monsieur Friedrich va se joindre à vous. Il connaît chaque pierre de cette région. Nous, nous allons rentrer et prévenir la gendarmerie. Il faut fouiller le nord d’Ischl...

– Mais ces bois vers lesquels on l’a vue partir, ils mènent où ? demanda Adalbert...

– Cela dépend ! La montagne... l’Attersee, le Traunsee. Partout des obstacles, partout des dangers et je crois qu’elle ne connaît pas le pays mieux que vous... ma pauvre, pauvre Elsa !

La voix de la jeune fille se fêla sur les derniers mots. Devinant qu’elle allait éclater en sanglots, Aldo tendit les mains vers elle mais, virant brusquement sur ses talons, Lisa s’enfuit en courant vers la maison.

– Laissons-la ! murmura Adalbert. Elle n’a besoin que de sa grand-mère... Allons plutôt prendre la voiture et essayons de jouer notre partie dans le concert délirant de cette nuit !

Sur les conseils de Josef qui les munit d’une carte routière ils remontèrent vers Weissenbach et Burgau, sur l’Attersee, s’arrêtant souvent pour écouter les bruits nocturnes. Il n’y avait pas de lune. Il faisait noir, froid et tous deux pensaient à la femme vêtue de satin et de fleurs qui galopait en aveugle à travers cette obscurité. Était-elle encore vivante ? Sa monture avait pu s’emballer, une branche basse la frapper. La nature si séduisante de ce coin d’Autriche constellé d’eaux jaillissantes et de grands lacs paisibles leur paraissait à présent menaçante, perfide, truffée de pièges dont beaucoup pouvaient être mortels.

– A quoi penses-tu ? demanda tout à coup Morosini après avoir allumé sa vingtième cigarette.

– J’essaie de ne pas penser...

– Pourquoi ? Tu as peur, n’est-ce pas, que la chevauchée d’Elsa soit une course à l’abîme ?

– Je n’en ai pas peur, j’en suis certain... Ça ne peut pas finir autrement.

– À cause de l’opale ? Tu crois, toi aussi, à son pouvoir maléfique ?

– On a bien été obligés de constater celui du saphir et celui du diamant. Cette foutue pierre n’échappe pas à la règle. Seulement, cette fois, je me demande si notre quête ne va pas s’arrêter là. Admets qu’Elsa disparaisse ?

– Ne va pas lui prêter des pouvoirs surnaturels : même si elle en donne parfois l’impression ce n’est pas un fantôme. Alors essayons de raisonner avec réalisme ! Première hypothèse : elle a un accident et elle se tue. Je pense que nous réussirons à obtenir de la comtesse qu’elle nous vende un bijou qu’elle n’aura pas envie de garder. Et le plus tôt serait le mieux car il faut compter avec Solmanski. On pourrait le voir reparaître prochainement...

– Hm, hm ! grogna Vidal-Pellicorne. Deuxième hypothèse, on la retrouve, elle est en bon état... et alors ? Je te rappelle qu’elle voit dans cet objet un talisman.

– Je sais. En ce cas, il faudra en revenir à ce que nous avions décidé à Hallstatt : faire copier le joyau avec d’autant plus de chances de réussite qu’on pourra sans doute obtenir une photographie. C’est, évidemment, une solution très onéreuse mais c’est la meilleure : Elsa aura un véritable bijou en quoi elle pourra croire autant qu’elle voudra mais sans danger cette fois.

– Tu crois que Lisa sera d’accord ? Elle a toujours détesté l’idée de marchandage que notre présence suggérait.

– Et ça te fait beaucoup de peine ? fit Aldo sarcastique.

– Un peu, je l’avoue, et j’ai du mal à croire que ça ne te fasse rien à toi.

– Les sentiments sont sans commune mesure avec la mission que nous devons remplir. C’est elle qui est importante puisqu’il s’agit d’un peuple...

Adalbert ne répondit pas et se concentra sur la conduite de la voiture. Au cours de leur périple, les deux hommes rencontrèrent Fritz et l’un des palefreniers qui, le cheval tenu en bride et le nez à terre, cherchaient à retrouver la voie qu’on avait perdue. Ils n’avaient, bien sûr, encore rien vu. Et personne ne trouva rien...

Il faisait jour quand ils rentrèrent à Rudolfskrone où deux gendarmes régnaient sur une atmosphère de catastrophe. Ni Elsa ni la jument n’avaient reparu... Lisa, elle aussi, était invisible.

– Allez vite prendre un peu de repos ! leur conseilla Mme von Adlerstein dont le visage las et les yeux éteints disaient assez l’angoisse qu’elle endurait. Vous vous êtes comportés en amis véritables et je ne pourrai jamais assez vous remercier.

– Vous êtes certaine de n’avoir plus besoin de nous ?

– Certaine. Venez dîner ce soir. S’il y a du nouveau d’ici là, je vous avertirai.

– Où est Lisa ?

– Elle vient de repartir mais rassurez-vous, je l’avais obligée à dormir trois heures et à se restaurer.

Ce fut Fritz qui, deux heures plus tard, leur apporta la nouvelle : Lisa était revenue avec la jument... Lorsqu’elle était arrivée près de la cascade où Elsa aimait se rendre ces jours derniers, la jeune fille avait vu l’animal dont la bride, jetée au hasard peut-être, s’était accrochée à une branche... De la cavalière, pas d’autre trace qu’une mantille blanche retenue à l’angle aigu d’un rocher en contrebas. Plus bas encore, c’était le bouillonnement du torrent qui rebondissait en mouchetures neigeuses... Et puis les profondeurs grondantes de la chute.

– Elle était partie dans une autre direction, dit Fritz. On n’a pas cherché par là. On ne sait même pas par quel chemin elle a pu rejoindre la cascade... mais une chose est sûre : elle est dedans et pour l’en ressortir... C’est horrible, n’est-ce pas ? Tout le monde est accablé, là-haut.

– On le serait à moins, murmura Morosini qui se tourna vers son ami. Nous avions raison tous les deux : c’était donc bien la course à l’abîme.

– Elle a voulu aller au-devant de son fiancé et c’est la mort qu’elle a rencontrée. Elle lui a tendu les bras...

Dans le silence qui suivit, Fritz se sentit mal à l’aise.

– Je suppose qu’on vous verra tout à l’heure chez tante Vivi ? Naturellement, le départ pour Vienne est reporté. Et... vous ? Qu’est-ce que vous décidez ? ajouta-t-il après une légère hésitation.

– Je vais aller faire mes adieux, soupira Aldo. Il faut absolument que je rentre chez moi... mais mon invitation tient toujours.

– C’est gentil et je vous remercie mais il vaut mieux que je reste à Rudolfskrone tant que dureront les recherches. Après, peut-être, fit-il avec un regard de cocker qui espère une friandise. Quand Lisa repartira... ou quand elle m’aura assez vu !

– Vous serez toujours le bienvenu ! dit Aldo sincère. Il éprouvait une espèce de tendresse pour ce garçon maladroit mais touchant dans son amour obstiné dont il devinait bien qu’il était sans espoir. En dépit de sa passion pour les mécaniques modernes, celui-là s’était trompé de siècle : le temps des Minnesänger et des chevaliers soupirant leur vie entière pour une belle inaccessible lui eût beaucoup mieux convenu ! Venez à Venise, conclut-il en serrant la main du jeune homme. Vous verrez : elle fait des miracles. Demandez plutôt à Lisa !

– Le miracle, ce serait d’y aller avec elle mais ne rêvons pas !

Restés seuls, Morosini et Vidal-Pellicorne demeurèrent un moment enfermés avec des pensées qui se rejoignaient. Ce fut Adalbert qui, le premier, traduisit le sentiment commun :

– Cette fois, tout est bien fini ! Nous n’avons pas pu sauver cette malheureuse et l’opale gît avec elle au fond de l’eau. C’est une véritable catastrophe.

– On retrouvera peut-être le corps ?

– Je n’y crois guère. Cependant, si cela ne t’ennuie pas, je vais rester ici encore quelques jours pour attendre la suite des événements.

– Pourquoi crois-tu que cela m’ennuierait ? L’archéologue rougit soudain jusqu’à ses mèches

en perpétuel désordre :

– Tu... tu pourrais croire que je cherche des raisons de demeurer le plus longtemps possible auprès de Lisa.

– Pourquoi pas, après tout ? Je n’ai aucun droit sur Mlle Kledermann et pas davantage d’illusion sur les sentiments qu’elle me porte. Toi elle t’aime bien, alors...

– ¨Comme disait Fritz, ne rêvons pas ! Cela dit, ensuite, j’irai sans doute à Zurich pour essayer d’avoir une entrevue avec Simon. Il faut à tout prix qu’il soit mis au courant...

– Si j’étais toi, j’irais d’abord au palais Rothschild, à Vienne. Le baron Louis saura peut-être te dire où réside en ce moment son vieil ami, le baron Palmer... Et ça te vaudra quelques jours de plus auprès de Lisa.

Trop ému pour répondre, Adalbert prit son ami aux épaules et l’embrassa.

Le lendemain matin, Morosini quittait Bad Ischl au volant de sa petite Fiat. Seul...


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