PROLOGUE
La nuit de juillet était chaude mais pas trop obscure.
Tapi derrière un mur de refend dans le vieux château fort aux trois quarts démantelé de Stenay, le petit homme ne quittait pas des yeux la porte que l’officier avait franchie tout à l’heure, la cassette sous le bras. Quand il avait vu s’éclairer la fenêtre voisine, il s’était approché avec précaution pour voir à l’intérieur. Il y avait là une chambre sommairement meublée, éclairée par une bougie posée près du lit sur lequel l’officier, assis, commençait à se déshabiller en bâillant. Quant à la cassette, celui-ci n’avait pas songé un seul instant à la dissimuler : elle était bien en évidence sur une table auprès d’un encrier, d’une plume et de quelques paperasses. Tout juste comme si c’était une chose sans importance. L’indignation du petit homme monta encore d’un cran.
Tout à l’heure déjà, quand la lui voyant sous le bras, le marquis de Bouillé lui avait demandé ce qu’il portait et qu’il la lui eut offerte en murmurant que c’étaient les bijoux favoris de la Reine, Bouillé s’en était emparé en disant qu’il verrait plus tard ce qu’il convenait d’en faire et, au lieu de l’entourer de soins respectueux, s’était contenté de la donner à un jeune aide de camp pour qu’il veille dessus. Le petit homme aurait voulu protester contre un traitement si désinvolte et reprendre le précieux dépôt… seulement il n’avait pas osé. À présent il cherchait fébrilement le moyen de le récupérer. Lui au moins saurait qu’en faire !
Il venait de quitter une fois de plus l’abri de son mur pour se rapprocher de la chambre quand il vit soudain un militaire arriver à pas de loup en rasant le bâtiment. Celui-là était de haute taille, tête nue, mais il portait un masque. Dans son poing serré le reflet de la lumière fit luire la lame d’un couteau. Le cœur arrêté, l’observateur se tassa contre la muraille…
Brusquement le soldat se rua à l’intérieur, faisant claquer la porte que, par habitude de la consigne, l’officier n’avait pas fermée à clef. Aussitôt le bruit d’une lutte rejoignit le petit homme qu’un coup d’œil à la fenêtre renseigna. Emmêlés sur le lit de camp écroulé assaillant et assailli s’empoignaient avec ardeur sans porter la moindre attention à ce qui se passait derrière eux. Le petit homme y vit sa chance : la cassette était à sa portée à trois pas de lui ! Cette vue l’emplit d’un courage inattendu : s’élancer à l’intérieur, saisir l’objet et s’enfuir ne lui prit qu’un instant… et personne n’avait paru le remarquer.
Il traversa la cour à toute vitesse, franchit un mur à demi écroulé et courut vers son cabriolet qu’il avait dissimulé, cheval attaché, sous un bouquet d’arbres, prêt à partir. Deux minutes plus tard, ayant rejeté son manteau noir et même son tricorne, il lançait la légère voiture sur la route de la frontière tournant le dos à Stenay mais aussi à Varennes où, la nuit précédente, le roi Louis XVI et sa famille, en fuite vers Montmédy cependant si proche, avaient été reconnus, arrêtés et retenus dans la maison Sauce…
Mais à tout cela le petit homme ne voulait plus penser. Il était jusque-là le serviteur quotidien et un peu le confident de Marie-Antoinette. Tellement indispensable qu’elle avait voulu qu’il allât l’attendre à Montmédy.
Pour satisfaire cette exigence, il avait été « enlevé » – c’était le juste terme ! – par M. de Choiseul sans avoir pu rentrer chez lui prendre le nécessaire ni trouver le temps de prévenir Mme de Laage – une fidèle pourtant ! – qui l’attendait peut-être encore.
L’émotion passée et, à y réfléchir, les choses ne s’arrangeaient pas si mal, après tout ! Paris devenait angoissant avec ses imprévisibles bouffées de fureur. Au moins, lui était libre à présent, libre et riche d’un vrai trésor ! L’aube d’une vie nouvelle était devant lui et, sans un regret, sans une pensée pour celle qui l’avait fait célèbre et qu’il abandonnait à l’enfer, le petit homme respira largement l’air tiède de la nuit et poursuivit son chemin.
C’était le 22 juin 1791.
Le petit homme s’appelait Léonard Autié.
Depuis vingt-quatre heures il n’était plus le coiffeur de la Reine.