L’agence Rubis m’appelle le lendemain, en fin de journée. Au bout du fil, une jeune femme charmante et efficace, Delphine. Elle peut me fournir le dossier sans problème, il date de plus de trente ans… J’ai juste besoin de passer dans leurs locaux pour qu’on vérifie mon identité et que je signe un ou deux papiers.

La circulation est difficile et le trajet interminable, de Montparnasse à l’Opéra. Coincé dans les embouteillages, j’écoute la radio en respirant profondément pour ne pas laisser l’angoisse s’installer. Ces dernières semaines, je n’ai pas très bien dormi. Des nuits blanches pleines de questions en suspens. À me sentir oppressé. J’ai sans cesse envie d’appeler ma sœur pour lui révéler ce que j’ai appris, mais je repousse encore le moment. Je veux moi-même connaître toute l’histoire d’abord. Je veux avoir toutes les cartes en main. À commencer par le dossier Rey que l’agence Rubis s’apprête à me remettre. Puis le dossier médical du docteur Dardel. Enfin, je pourrai réfléchir et trouverai les mots pour le dire à Mélanie.

Delphine m’oblige à attendre dix bonnes minutes dans une salle d’attente cerise et ivoire un rien tape-à-l’œil. C’est donc au milieu de ce genre de décor que les épouses soupçonnant leur mari d’adultère attendent dans la fébrilité et l’angoisse. Il n’y a personne à cette heure tardive. Delphine apparaît enfin, tout en rondeurs, vêtue de rouge, avec un large sourire. Les détectives privés ne ressemblent guère à Columbo de nos jours.

Je signe une décharge et présente ma carte d’identité. Elle me tend une grande enveloppe scellée à la cire. Personne ne l’a ouverte depuis des années. Le nom « Rey » est tapé dessus en gros caractères noirs. Elle m’informe que cette enveloppe contient les originaux de ce qui a été envoyé à ma grand-mère. Une fois revenu dans ma voiture ; je n’ai qu’une hâte, l’ouvrir, mais je m’oblige à patienter.

À la maison, je me fais un café, j’allume une cigarette et m’installe à la table de la cuisine. Puis je respire un bon coup. Il est encore temps de jeter cette enveloppe. De ne jamais l’ouvrir. De ne jamais savoir. Je parcours des yeux la pièce familière. La bouilloire fumante, les miettes sur le plan de travail, un verre de lait à moitié bu. L’appartement est calme. Lucas est certainement en train de dormir. Margaux doit être encore devant son ordinateur. J’attends, sans bouger. Longtemps.

Puis je prends un couteau et j’ouvre l’enveloppe. Le sceau cède.

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