Chapitre 14
Angélique rouvrit les yeux. Un malaise l'oppressait. L'eau du bain lui parut tiède. Elle comprit qu'elle avait dû s'assoupir. L'une des chandelles s'était éteinte. La lumière des autres, sur leur fin, vacillait.
Angélique revit dans le miroir, au-dessus d'elle, son apparence. Une femme nue, allongée dans le scintillement de l'eau, avec sa chevelure dispersée en auréole et ses yeux qui brillaient dans la pénombre, effrayés.
Pourquoi Joffrey n'était-il pas là ?
Ce bref moment qu'elle venait de sacrifier au sommeil avait suffi pour défigurer à ses yeux le décor qu'elle avait trouvé si charmant.
Le silence lui parut chargé de menaces.
Au-dehors une grave horloge sonna trois coups. C'était la voix de la ville endormie. La ville-piège.
Elle respirait à peine, ne voulant pas laisser la peur arriver jusqu'à elle.
Où était Joffrey ? Où étaient ses soldats ? Ses hommes d'équipage ? Ses Espagnols ? Les officiers ?
Les pires images fondaient sur elle comme un vol d'oiseaux noirs. Elle commença de craindre que l'accueil enthousiaste qu'on leur avait fait n'eût été qu'un mirage, une affreuse comédie destinée à endormir leur méfiance, afin de pouvoir appréhender sans coup férir l'homme qui menaçait l'hégémonie du roi très chrétien sur les vastes territoires de l'Amérique du Nord.
Dans le miroir, elle vit s'inscrire la vérité en lettres de feu « Ils l'ont arrêté... »
L'imagination d'Angélique, très vive, le lui montra, pénétrant au château Saint-Louis, et aussitôt entouré de gentilshommes, l'épée à la main.
« Monsieur de Peyrac, nous avons ordre de vous arrêter. Au nom du Roi ! »
Tout recommençait...
Et lorsqu'elle entendit un bruit, en bas, dans la maison devenue sombre comme un four, elle ne douta pas que ce fût comme autrefois, le tragique Kouassi-Bâ, à nouveau l'appelant et gémissant : « Médème ! Medeme !... Ils ont pris mon grand sabre ! »
D'un élan elle s'arracha à son inertie. Dans un grand jaillissement d'eau elle se ruait hors de la baignoiree. Elle attrapait un drap et s'en entortillait.
Le gosier bloqué sur des cris qu'elle retenait à grand-peine, prête à laisser éclater son désespoir elle se précipitait sur le palier.
Un homme était là, au pied de l'escalier.
Un homme vêtu de noir.