Chapitre 3

Les deux charpentiers ne quittaient plus leur fosse. Du matin au soir, l'un perché sur la poutre qu'ils débitaient en planches, l'autre dans le trou ; ils maniaient l'énorme scie avec des mouvements d'automate. Certains parmi les autres hommes abattaient des arbres, les ébranchaient, les équarrissaient. Peupliers pour les planches des cloisons et les bat-flanc, chêne noir pour les murs extérieurs, les bastions, sapin pour les goulottes, les meubles, les bardeaux du toit. D'urgence on agrandissait, on surélevait. Tout d'abord la salle principale du poste gagna le double de sa longueur, on y adjoignit une grande chambre dans laquelle logeraient les Jonas et les enfants. Un petit réduit qui, par le fait de la disposition rocheuse du terrain, se trouvait situé un peu au-dessus du reste de l'habitation, fut débarrassé des outils et des tonneaux qui l'encombraient et on l'aménagea en chambre pour le comte de Peyrac et sa femme. On y perça une fenêtre et l'on bâtit un âtre de galets qui serait relié à la cheminée centrale.

On ajoutait un grenier où l'on rangerait les provisions et qui, formant matelas d'air, permettrait d'entretenir plus facilement la chaleur dans le reste de l'habitation. Le comte de Peyrac fit également creuser une cave pour les boissons, dans le roc, édifier une remise, un abri pour les chevaux. Les échos résonnaient des bruits de cognées contre les troncs, des coups de marteau, du chant monotone et grinçant de la scie, des bruits de planches et des poutres qu'on empilait.

Vint un jour où tout le bâtiment étant à ciel ouvert, on s'installa de nouveau pour camper dans la prairie, comme durant le voyage, parmi les coassements des grenouilles et les bavardages des canards dans les roseaux.

Par bonheur, le ciel était redevenu pur.

La rémission prédite par les augures canadiens se réalisait. Les derniers jours d'octobre, les premiers de novembre s'étirèrent dans une subite et miraculeuse sécheresse, une tiédeur délicieuse. Seules les nuits étaient froides et parfois, au matin, le poudroiement du gel bleuissait les montagnes.

Dès le premier matin, Angélique avait vu que ses impressions se confirmaient. Wapassou, dont le nom signifiait « le lac d'Argent », était un endroit caché, à l'écart de tout, un endroit où l'on hésitait à pénétrer. Le plus urgent était de préparer l'hivernage. Les provisions de Wapassou, à part le maïs et le porc que l'on y avait engraissé pendant l'été, étaient presque épuisées ; les quatre mineurs s'apprêtaient à redescendre vers Katarunk lorsque la caravane était arrivée. Katarunk n'existait plus et une trentaine de personnes devraient survivre auprès du lac d'Argent, plus une paire de chevaux.

S'abriter, se chauffer, manger. Il fallait bâtir, chasser, pêcher, accumuler les provisions de bois et de nourriture.

Angélique disputait aux oiseaux les derniers fruits rouges du sorbier et ceux, noirs, du sureau. Avec ces baies, elle soignerait les fièvres, les bronchites, les douleurs, les maux de reins... Elle envoyait Elvire et les enfants à la cueillette de tout ce que l'on pouvait trouver encore de comestible sur les buissons, dans les halliers ou dans les landes, baies diverses, airelles, myrtilles, petites pommes ou poires sauvages et rabougries. La récolte semblait dérisoire au regard des nombreux appétits qu'il faudrait rassasier, mais sa valeur était grande, car ce serait peut-être une pincée de ces fruits sèches qui les sauverait du scorbut vers la fin de l'hiver. Le scorbut, le mal des marins. Mais aussi celui des longs hivernages dans les régions inconnues. Et c'est pourquoi les marins, eux, l'appellent le mal de la terre. Savary avait enseigné à Angélique, au cours de ses voyages, à attacher de la valeur à la moindre écorce de fruit. Ici, il n'y en avait guère et l'on n'en reverrait pas mûrir d'ici longtemps. Mais les baies séchées seraient salutaires.

Les enfants récoltèrent ensuite des noix de carryer, des champignons dans les fonds restés humides, des noisettes, des glands pour le porc. Puis on les chargea de ramasser des galets dans la moraine au-dessus du lac, pour les maçons lorsque ceux-ci entreprirent de rehausser la grande cheminée centrale à quatre foyers et d'en bâtir une autre dans le fond de la pièce principale.

Après quoi ils durent surveiller les berges où s'abattaient les oiseaux migrateurs, afin de protéger l'herbe et les plantes nécessaires aux chevaux. Ils pataugeaient tout le jour en poussant de grands cris contre les volatiles, et entre-temps déterraient dans le sable du pémac, des sortes de patates douces en grappes, disputant ce régal aux oies sauvages. Mme Jonas s'était chargée de faire la cuisine pour tout le monde. Chaque jour elle mettait à bouillir dans les marmites maïs, purée de courges, viandes et poissons... À deux bras, elle tournait une louche de Dois aussi grande qu'elle dans trois grands chaudrons, posés sur des foyers rudimentaires. Elle demanda à son mari de lui fabriquer dans une vieille corne à poudre une trompe d'appel qui lui permettrait de rassembler tout son monde au moment des repas. Le reste du temps, on la voyait bondir alertement de droite à gauche, parmi les copeaux et les outils, afin de porter de l'eau-de-vie ou de la bière aux charpentiers, aux bûcherons dans la forêt, aux ouvriers dans la maison. Ses joues étaient rouges et vernies. Elle riait et disait qu'elle avait toujours rêvé d'être cantinière.

La plus grande partie des viandes et des poissons rapportée par l'équipe des chasseurs et des pêcheurs dont faisaient partie Florimond et Cantor était destinée au fumage. On avait dressé des claies sous lesquelles brûlaient sans cesse des feux d'herbes sèches et odoriférantes. Angélique, assistée de Kouassi-Ba et d'Eloi Macollet, prit en main l'opération. Elle passait ses journées agenouillée dans l'herbe souillée par le sang du gibier et des entrailles qu'on rejetait, les manches troussées, les mains poissées, à couper et débiter en tranches très minces des quartiers de viande désossés au préalable par le vieux Macollet. Kouassi-Ba disposait les tranches au-dessus des feux. On avait suspendu tout travail de mine devant l'urgence des besognes et le vieux nègre ne quittait plus Angélique d'une semelle. Comme autrefois, il ne cessait de lui faire des confidences, évoquant le passé, racontant ses aventures avec le comte de Peyrac en Méditerranée et au Soudan, toute cette partie de la vie de son mari qu'elle ne pouvait qu'imaginer.

– Il n'était pas heureux sans toi, médème, disait le vieux nègre... Le travail, oui, la mine, l'or, les voyages, les trafics avec les sultans, le désert, oui tout cela contentait son esprit... Mais pour les femmes, c'était fini...

– Humm... Je ne te crois guère.

– Si, si ! Crois-moi, médème ! Les femmes, c'était pour le corps seulement. Mais pour le cœur... c'était fini.

Et elle écoutait parler son ami Kouassi-Ba, tandis que, de sa main experte de restauratrice du Masque Rouge, elle coupait, tranchait, allait même jusqu'à désosser d'une poigne énergique un jarret ou une épaule ou brisant des côtes d'un coup précis de tranchoir. Eloi Macollet la surveillait du coin de l'œil. Il aurait bien voulu critiquer, mais il n'y avait rien à dire.

– Y a pas, on dirait que vous avez passé toute votre vie dans un wigwam.

La tête penchée, les yeux rougis par la fumée, les mains rouges de sang, Angélique ne se laissait pas distraire de sa besogne. Chaque pile de tranches bien fumées qui s'empilait dans les paniers d'écorces ou d'herbes tressées, c'était un repas de gagné ; chaque panier rempli, c'était un jour de survie...

Daims, cerfs, chevreuils abattus étaient traînés sur la prairie et les couteaux aiguisés se mettaient promptement en besogne. Il y eut même un ours que Florimond avait tué, en lui sautant sur l'échine, et en plongeant son coutelas au défaut de la nuque une première fois, puis lui tranchant la carotide d'un second coup porté plus avant.

– Jamais je n'ai entendu parler d'un ours tué de cette façon-là, disait Nicolas Perrot.

Florimond ne faisait jamais les choses comme tout le monde. Il s'en tira avec son justaucorps déchiré et une estafilade causée par un coup de griffes.

Sur cette jeune poitrine encore lisse, Angélique posa une compresse rafraîchissante tandis que Florimond lui contait son exploit en détail en dévorant une aile de dindon rôti. La force de Florimond était prodigieuse et il se créait déjà une légende à son endroit. Les colons d'Amérique aimaient les superlatifs. Florimond était en train de devenir « le jeune homme le plus fort de l'Amérique septentrionale ». En le regardant avec fierté, Angélique se rappelait combien il avait été frêle étant petit.

La graisse de l'ours fut mise à fondre pour alimenter les lampes et sa peau fut tannée afin de faire une couverture supplémentaire pour l'hiver.

Bien qu'il fût tardif, l'hiver maintenant arrivait à grands pas. Parfois un coup de vent rêche venu on ne sait d'où passait brutalement au ras de la cime des arbres. De rouge en rosé, de rosé en mauve, la forêt était devenue grise. Les sommets ronds des montagnes, plantés de pins et de sapins, semblaient coiffés d'une calotte plus sombre, brun violacé, qui soulignait le relief ondulant des Appalaches. L'haleine de la forêt avait perdu son parfum surchauffé de bête fauve et de fruits de ronces. Les animaux à fourrure, ours, renards et marmottes, commençaient à se retirer dans leur trou ; restait une senteur de champignons et de mousse, de feuilles mortes et d'écorces qui était déjà celle de l'hiver. De plus en plus nombreux chaque soir, des troupeaux d'oiseaux migrateurs, canards et oies surtout, s'abattaient sur les lacs et les étangs. De jour, le ciel en était obscurci. Ils manifestaient une panique bruyante, celle des gens qui se sont attardés en chemin et qui essaient de rattraper le temps perdu. On ne pouvait plus les chasser des prairies. Un jour, Angélique, armée d'un bâton, dut défendre Honorine contre les attaques d'une grosse bernache blanche, noire et grise.

Devant le corps de la bête qu'elle rapporta par le cou à Mme Jonas pour le prochain repas, elle songea aux bienfaits de la graisse d'oie dans les maladies de l'hiver, les cataplasmes pour les bronches, les onguents pour les brûlures et aussi qu'il serait bon de manger de savoureuses potées de volaille pour se délasser du pemmican. Tout ce gibier d'eau qui grouillait là à profusion, que ne pouvait-on s'en emparer, l'enfermer dans des terrines pour les jours déserts ?... Comment le conserver ? Elle réfléchit. Il y avait une abondante provision de graisse d'ours. Peu à peu l'idée germa en elle d'enrober chaque volatile dans une couche de graisse comme l'on conserve le confit d'oie dans les Charentes ou le Périgord. Joffrey de Peyrac approuva ce projet, confirmant que la graisse protégerait les volailles des altérations causées par le contact de l'air. Pour plus de précautions, il conseilla de les fumer légèrement auparavant. On prépara pour récipients des vessies de femelles d'élan, et d'ours, que les chasseurs ont coutume de conserver à cet usage car elles ont une grande contenance. Une cabane à boucan fut construite pour permettre un fumage rapide et l'on y entassa du bois de genévrier.

Chaque soir une équipe d'hommes armés de bâtons descendait vers le lac. C'était une tuerie parmi la gent ailée. Têtes vertes, violettes, rouges, blanc candide, huppées, scintillantes, s'abattaient, fracassées, dans un grand éclaboussement de plumes. Les trois femmes, assises un peu plus loin, plumaient, plumaient à en avoir les doigts écorchés, vidaient des entrailles, troussaient, coupaient des cous et des pattes. Les enfants couraient disposer les bêtes ainsi préparées sur les claies de la cabane. Le lendemain matin, on les retirait, dûment fumées, et, après les avoir disposées dans les précieuses vessies ou, quand celles-ci manquèrent, dans des récipients d'écorce, de bois ou de vannerie, on les arrosait de graisse chaude. Quand il n'y eut plus de récipients, on alla jusqu'à coudre les bêtes dans des sacs de peaux de biche. Les enfants, à force de cueillir des brassées de genévrier, avaient les doigts couverts de piqûres. Angélique, pour sa part, n'osait plus regarder ses mains. Noircies, rugueuses, blessées, elles étaient affreuses.

L'odeur du boucan et des fritures qui stagnait au fond de la vallée close se mêlait à celle de bois frais du bûcheronnage.

Un nuage bas, épais, s'étendait loin au-dessus des lacs portant jusqu'à leurs confins des parfums de sève, de résine, d'herbes et d'épines, de sang et de l'acre chair sauvage. Des hommes travaillaient là...

Les quelques Indiens qui passaient encore sur la piste des Appalaches flairaient ces odeurs insolites et se rapprochaient de l'emplacement du camp. Ils étaient sans bagages, des errants, des familles solitaires, à la recherche d'un étang où pêcher le castor en hiver. Ils suivaient la crête au-dessus du lac et, avant de disparaître de l'autre côté de la falaise, se penchaient pour guetter curieusement, à travers les draperies noires des conifères, le camp du lac d'Argent, tout sonore des coups de hache contre les troncs, tout bleu sous la nappe de fumée qui s'élevait des claies de boucanage.

Les Blancs cherchaient-ils à demeurer ici quand viendrait l'hiver ? se demandaient-ils. Ils étaient trop nombreux. Ils étaient fous, ils mourraient... C'était un lieu tabou. De plus ils avaient d'étranges animaux qui paissaient sur les berges. Ni des orignals ni des bisons... Ceux-là exigeaient aussi de manger. Quoi donc en hiver ? Effrayés, les Indiens s'enfuyaient prestement : cela n'annonçait rien de bon.

Cependant, un matin, Angélique, toujours occupée à couper de la viande, éprouva le poids d'une main impérieuse sur son épaule. Levant les yeux, elle reconnut Mopountook, le Sagamore des Métallaks. Toujours superbe, et demi-nu malgré le froid vif, il lui fit signe de se lever et de le suivre.

Il l'emmena tout d'abord sur la rive du premier lac, toucha le sable, goûta à plusieurs reprises l'eau près des berges et celle d'un petit ru qui se déversait là formant un bassin tranquille avant de s'écouler dans le lac. Comme certain cristal de roche qui garde en ses transparences des reflets d'ambre, l'eau limpide était brune. C'était de l'eau des marais, de l'eau mimique, c'est-à-dire filtrant à travers l'humus. On y faisait des lessives merveilleuses. Angélique comprit que Mopountook lui demandait si elle était satisfaite de la qualité des eaux en cet emplacement. Elle hocha la tête à plusieurs reprises affirmativement. Il l'entraîna donc plus loin, lui fit remonter la côte, puis descendre l'autre versant, l'arrêtant devant des étangs, des ruisseaux et des sources.

– Ware ! Ware ! disait-il.

C'est-à-dire : l'eau. C'était un mot abénakis qu'avec lui elle finirait par savoir !

Plus loin on rencontra une eau très claire mais qui avait un goût de calcaire dur. Donc une eau ennemie. Angélique secoua la tête, fit mine de recracher l'eau et déclara qu'on ne pouvait en boire.

Mopountook approuva hautement. La femme blanche avait bien du discernement. La promenade continua et ils rencontrèrent des eaux rousses, ferrugineuses, des eaux troubles et inquiétantes mais savoureuses.

Alors, tard dans l'après-midi, il lui découvrit une source presque invisible au sein d'une petite clairière, une eau qui jaillissait et disparaissait simultanément, sans un frémissement, aussitôt bue par le terrain spongieux, une offrande silencieuse et ininterrompue de la terre, une eau à la saveur verte. On avait par elle le goût de la feuille sur la langue. Le printemps y revivait : cresson, sauge, menthe mêlés. Le charme de cette source agit sur Angélique jusqu'à lui faire perdre la notion du temps.

D'abord, elle avait essayé de faire comprendre à Mopountook qu'elle ne devait pas trop s'éloigner du poste. Plus tard, elle dut renoncer car ils avaient tellement tourné en rond dans la forêt qu'elle craignait de s'égarer en le quittant.

Le soir tombait lorsqu'on la vit réapparaître sur les talons du grand diable rouge. Elle était fourbue. Une fois de plus, on avait cherché dans l'inquiétude la comtesse de Peyrac. Mopountook se rengorgea. Il était extrêmement satisfait de sa journée de prospection des sources et des heureuses dispositions d'Angélique à les reconnaître. Digne et familier, il entoura d'un bras protecteur les épaules du comte, plutôt mécontent, et lui dit que son cœur se réjouissait.

La femme blanche, expliqua-t-il, était, naturellement, comme toutes ses pareilles, les femmes, assez rebelle, et un peu trop encline à persuader un homme qu'il ne savait pas ce qu'il faisait, mais elle reconnaissait l'eau des sources et elle savait en distinguer le goût. C'était un grand don. Un don bénéfique. Lui, le chef local, car le lac Umbagog était de leur voisinage, il souhaitait que les Blancs demeurassent longtemps au lac d'Argent, et la piste des Appalaches renaîtrait, cette piste que les Indiens suivaient jadis en commerçant depuis le grand fleuve du Nord jusqu'aux rives de l'Océan.

Il se révéla que cette journée eut des conséquences bénéfiques. Car, dès le lendemain, les Indiens Métallacks se présentèrent disant qu'il serait bon que les Blancs vinssent participer avec eux à une dernière grande chasse avant l'hiver. Les Blancs apporteraient leurs fusils, poudre et balles et, en échange de l'aide mutuelle, on leur laisserait une part des bêtes piégées.

Les orignals ou élans commençaient à descendre du Canada vers les régions moins âpres du Maine. Mopountook, en revenant de Wapassou, était venu secouer ses Indiens, leur reprochant leur paresse juste au moment où le gibier connaissait une recrudescence passagère, qu'aussi bien leur indolence était la cause des famines qui les accablaient chaque année. Ils se figuraient toujours avoir assez de provisions, mais on n'a jamais assez de provisions pour traverser le long hiver. D'ailleurs, Mopountook avait fait un songe : le Manitou leur ordonnait d'organiser une dernière grande chasse et d'y convier les Blancs du lac d'Argent qui avaient affronté les féroces Iroquois et s'en étaient tirés vivants avec leurs cheveux sur la tête, par l'habileté de leurs langues et de leurs magies ! Et il en fallait pour convaincre un Iroquois de renoncer à sa vengeance. Ces Blancs avaient payé le prix du sang par l'incendie de leurs marchandises. Suivait alors la nomenclature de ces nombreuses et splendides marchandises, sacrifiées au feu et que les Indiens Métallaks récitaient sur un ton de litanies en se délectant. Cent balles de fourrures, de l'eau-de-vie, des couvertures d'écarlatine, etc. L'Homme du Tonnerre n'était pas un Blanc comme les autres. Il avait des pouvoirs. Mieux valait s'en faire un ami. Mopountook et les siens, les tribus du lac Umbagog, leurs voisins, les prenaient sous leur protection.

Nicolas Perrot, Florimond, Cantor et un des Anglais partirent, en leur compagnie, pour quatre ou cinq jours vers l'Ouest, afin d'organiser la plus grande chasse de l'année, tandis que l'effort des autres se portait à l'achèvement du poste.

Quand les chasseurs du lac Umbagog revinrent vers la fin de la première semaine de novembre, il y eut recrudescence de besognes et de travaux. Enfin, l'on put considérer que la réserve de vivres était suffisante. Avec de la chance, un printemps précoce, quelques bonnes pièces prises aux pièges qu'on placerait dans la neige, on franchirait l'hiver. Eloi Macollet hochait la tête, rassuré.

– On ne sera peut-être pas obligés de se manger entre nous.

– Que racontez-vous là ! Quelle horreur !...

– Hé ! c'est arrivé, ma bonne dame.

Il plaisantait à peine.

Angélique, en l'entendant, se sentait étreinte d'une brusque appréhension. Elle oscillait d'un état d'euphorie que lui inspirait la beauté de l'endroit désert et caché à celui d'une crainte naturelle, lorsqu'elle envisageait l'épreuve qui les attendait et combien ils étaient peu armés pour l'affronter. Ces hommes et ces quelques femmes entassés dans un espace restreint avec des vivres insuffisants, pas de remèdes, l'isolement total, pesant, dans un cercle fermé, ces enfants surtout, vies fragiles, devraient survivre à l'hiver.

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