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Saint-Pétersbourg, décembre 1910

—Mesdemoiselles, c’est un grand jour pour notre école, un jour à marquer d’une pierre blanche. J’attends le meilleur de chacune d’entre vous. Aujourd’hui, vous devrez briller de mille…

La directrice s’interrompit et arqua ses sourcils impeccablement dessinés d’un air offusqué. Les élèves retinrent leur souffle. Quelle malheureuse victime allait subir ses foudres ? Avec sa robe sombre au col fermé par un camée, Mme Petrova marchait de long en large devant les bancs de la grande salle de l’institution Ekaterininski, un pensionnat pour jeunes filles, passant en revue ses troupes avec l’œil affûté d’un général.

— Mademoiselle Nadia ! dit-elle sèchement.

Le cœur de Valentina se serra pour son amie qui avait taché sa blouse d’encre.

— Tenez-vous droite ! Ce n’est pas parce que vous êtes au dernier rang qu’il faut vous laisser aller. Vous voulez que je vous attache un balai dans le dos ?

— Non, madame, répondit Nadia en redressant les épaules.

Elle prit soin de garder les mains sur la tache d’encre.

La directrice poursuivit son inspection.

— Mademoiselle Alexandra, écartez donc cette boucle de votre joue ! Mademoiselle Emilia, serrez les pieds, vous n’êtes pas un cheval, que diable. Mademoiselle Valentina, cessez de vous agiter !

Valentina rougit et baissa les yeux. Si ses doigts tapotaient nerveusement ses genoux, c’était parce qu’ils étaient frigorifiés. Pas moyen de jouer avec les doigts transis ! Pourtant, elle les replia docilement, le cœur battant à tout rompre, comme avant chacune de ses prestations. Elle avait travaillé ce nocturne jusqu’à ce qu’il hante son sommeil presque autant que les hennissements affolés des chevaux le jour de l’explosion. Elle n’était pas remontée en selle depuis et n’avait pas l’intention de recommencer de sitôt. Ce bruit ne la quittait pas, quelle que soit la force avec laquelle elle appuyait sur les touches du piano.

— Mademoiselle Valentina.

— Oui, madame.

— Rappelez-vous pour qui vous jouez, aujourd’hui. Pour le tsar en personne.

— Oui, madame.

Cette fois, elle interpréterait mieux que jamais le Nocturne no. 2 en mi bémol majeur de Chopin.

Jens Friis observa l’élégante pendule sous globe. En cet après-midi glacial, le temps s’écoulait au ralenti, transi de froid, lui aussi, au point que Jens eut du mal à réprimer un bâillement.

Irrité, il tendit les jambes et changea de position. Il en avait assez de ces poèmes et chansons interminables, sans parler de cette chaise ridicule et inconfortable qui n’était pas conçue pour un homme élancé. Pire encore, il en voulait à la comtesse Serova de l’avoir contraint à assister à ces frivolités d’écolières alors qu’il avait du travail. Il devait modifier les plans du nouveau projet, reçus le matin même. Dieu qu’il faisait froid dans cette salle ! Comment ces malheureuses le supportaient-elles ? Sur des bancs disposés le long du mur, les élèves étaient alignées, bien droites, en robe sombre, avec une cape et un tablier blancs. Elles ressemblaient à de délicates sculptures de neige.

Ses yeux se portèrent vers l’institutka qui chantait. Sa voix était morne mais assez jolie, sans toutefois être exceptionnelle. Elle interprétait un de ces interminables Lieder allemands qu’il détestait. Il regarda la porte avec convoitise. Existait-il la moindre chance de battre en retraite ?

— Jens, lui murmura la comtesse Natalia Serova, assise à côté de lui, tiens-toi bien.

— Je crains que ces distractions élitistes ne dépassent mon esprit rustre.

Elle le foudroya de ses yeux bleus, puis se détourna. Il huma son parfum, sans doute en provenance de Paris, comme son chapeau, une amusante création en soie et en plumes. Son long manteau ajusté d’un vert pâle soulignait sa silhouette juvénile, alors qu’elle devait avoir au moins trente ans. Des émeraudes scintillaient à ses oreilles et autour de son cou. Elle avait un goût exquis. Fils d’un imprimeur danois, Jens avait grandi à Copenhague dans la puanteur de l’encre. À vingt-sept ans, il apprenait à apprécier les parfums plus raffinés qui flottaient dans les salons de Saint-Pétersbourg.

— Ce que tu es agaçant ! Écoute plutôt Maria, souffla-t-elle.

Ce rossignol était donc Maria, la nièce de la comtesse. Il se la rappelait vaguement car la comtesse l’avait traîné à un concert, deux ans plus tôt, lors duquel Jens avait eu l’honneur de rencontrer le tsar Nicolas II. La comtesse Natalia Serova l’avait introduit à la Cour, et il ne devait pas l’oublier. Il lui devait tant ! Même si, en retour, son mari profitait largement des compétences d’ingénieur de Jens, sur leur domaine.

Aujourd’hui, le tsar trônait au milieu de la salle. Il était impossible de savoir s’il s’ennuyait ou s’il s’amusait tant les muscles de son visage étaient impassibles. Cet homme de petite taille cachait son menton fuyant derrière une barbe châtain et dissimulait sa carrure modeste sous divers uniformes militaires destinés à impressionner le peuple. Ce jour-là, il était resplendissant avec sa tunique bleu vif couverte par les médailles et les galons dorés.

Jens n’était pas le seul à considérer que Nicolas Alexandrovitch Romanov n’était pas à la hauteur de son rôle, au contraire de son père, Alexandre III, un tsar impétueux et brutal qui culminait à près de deux mètres et qui n’hésitait pas à user de sa poigne de fer. Plus que jamais, la Russie était en danger et risquait de se saborder faute d’un souverain réunissant force et sagesse.

— Bravo ! lança le tsar. Quel talent, mademoiselle Maria !

Les applaudissements crépitèrent. Jens soupira. Dieu merci, la nièce avait terminé ! Il allait pouvoir s’en aller et se remettre au travail. Hélas, un piano à queue installé au fond de la pièce prit soudain vie. Ses notes résonnèrent dans le salon à haut plafond. Jens grommela dans sa barbe. Chopin, à présent ! Un compositeur qu’il trouvait plaintif et désespéré, avec ses airs lancinants.

La pianiste était une jeune fille fluette de dix-sept ou dix-huit ans. Son visage était encadré d’une épaisse chevelure brune retenue par un bandeau noir. Avec son uniforme de l’institution Ekaterininski, elle aurait pu être aussi quelconque que ses camarades. Ce n’était pas le cas. Il y avait quelque chose de captivant dans les mouvements de ses mains, comme si elles faisaient partie intégrante de la musique.

Ses doigts graciles mais puissants volaient sur les touches, mus par une force intérieure qui n’appartenait qu’à elle. La musique enfla et, sans crier gare, émut Jens par sa beauté. Captivé, il ferma les yeux pour sentir la mélodie vibrer en lui. Les notes envahirent les recoins secrets de son âme pour la laisser meurtrie. Au prix d’un gros effort, il rouvrit les yeux et observa cette jeune fille capable de transformer la musique en une arme redoutable.

Elle ne se balançait pas avec emphase. Seules ses mains et sa tête se mouvaient en rythme. Elle avait un teint d’ivoire, un visage sans expression, à l’exception de ses yeux, immenses et sombres, pleins d’une émotion qui paraissait plus proche de la furie que du ravissement. Où une personne aussi jeune allait-elle chercher des sentiments aussi profonds ? Elle semblait les puiser dans chaque souffle.

Enfin, la musique se tut. La jeune fille baissa la tête et posa sagement ses mains sur ses genoux. Ses cheveux masquèrent son visage et son dos trahit un unique frisson. Le silence se fit dans la salle. Jens jeta discrètement un coup d’œil au tsar. Des larmes coulaient sur les joues de Nicolas, qui applaudit de ses mains impériales. Aussitôt, l’assemblée l’imita. La jeune pianiste avait tourné la tête de côté. Ses yeux graves et lumineux étaient rivés sur Jens. C’est absurde : il aurait juré qu’elle était en colère contre lui.

— Mademoiselle Valentina, déclara le tsar d’une voix chargée d’émotion, merci. Merci infiniment. Ce fut une prestation magnifique. Inoubliable. Il faudra jouer pour ma femme et mes chères filles la prochaine fois qu’elles résideront au palais d’Hiver.

La jeune fille se leva et fit une révérence.

— Ce serait un grand honneur, répondit-elle.

— Félicitations, mon enfant. Vous deviendrez une grande pianiste.

Pour la première fois, elle sourit.

— Merci beaucoup. Votre majesté est trop bonne…

Son murmure étonna Jens qui faillit éclater de rire, mais le tsar ne parut pas déceler la moindre moquerie dans les propos de la jeune fille.

— Tu vois, souffla la comtesse, tu as au moins apprécié le morceau de Chopin, à défaut des chansons.

— C’est vrai, admit-il.

— Friis ! Que diable faites-vous ici, mon vieux ?

Le tsar Nicolas II s’approcha de ses courtisans, histoire de se dégourdir les jambes avant le numéro suivant. Chacun se leva. Il était bien plus petit que Jens et avait la manie de se balancer d’un pied sur l’autre. Les femmes firent bruire leurs toilettes et les hommes penchèrent la tête en signe de respect.

— Friis, poursuivit le tsar, vous n’êtes pas venu badiner avec ces jeunes filles, j’espère.

— Non, majesté. Je suis invité par la comtesse Serova.

— Ne devriez-vous pas être en plein travail ? C’est ce que j’attends de vous, vous savez, au lieu de vous voir parader devant les jeunes filles de bonne famille de Saint-Pétersbourg.

Jens s’inclina et fit claquer furtivement ses talons.

— Dans ce cas, je vais prendre congé.

Nicolas II se fit plus sérieux :

— Votre présence est requise ailleurs, Friis. Je ne peux me permettre de gaspiller les compétences d’un ingénieur compétent pour ces… (Il balaya la salle d’une main ornée de bagues)… falbalas.

Jens s’inclina encore et fit volte-face, non sans adresser un dernier regard à la pianiste, qui l’observait toujours. Il lui sourit sans obtenir de réponse. Il lui adressa donc un signe de tête avant de quitter les lieux. Lorsque la porte se referma, il eut l’impression de laisser une précieuse partie de lui-même sur le parquet ciré du vaste salon.

— Jens !

Il se figea.

— Ah, Natalia… Comme tu le vois, je suis pressé.

— Attends !

Ses pas résonnèrent dans le long couloir jaune et désert de l’école tandis qu’elle cherchait à le rattraper.

— Jens, je suis désolée. Je ne pensais pas que le tsar te rabrouerait ainsi.

— Ah non ?

— Non. Pardonne-moi !

— Natalia, dit-il en prenant sa main gantée pour la porter à ses lèvres. Il n’y a rien à pardonner.

Son ton sec époustoufla la jeune femme.

— Ne sois pas arrogant, Jens. Pas avec moi.

Elle se hissa sur la pointe des pieds et l’embrassa sur la bouche de ses lèvres douces et attirantes. Jens eut un mouvement de recul. Natalia afficha un air de reproche, puis s’éloigna.

Au diable cette femme. Qu’elle aille au diable !

Jens se drapa dans sa lourde cape. Un brouillard gris enveloppait ses vêtements, ses cheveux, et même ses cils. Il chevaucha tel un fantôme à travers la ville, franchit des ponts à la lueur des réverbères allumés de jour comme de nuit, en hiver. Les voitures étaient presque invisibles et les automobiles émettaient des coups de Klaxon. Les piétons s’accrochaient à leurs sacs à main et portefeuilles. C’était une journée idéale pour les voleurs et pickpockets.

Cette année-là, l’hiver était particulièrement rigoureux à Saint-Pétersbourg. La Moïka était gelée et la Neva disparaissait sous le suaire de brouillard qui couvrait la ville. Dans les usines, les grèves faisaient rage et les magasins manquaient de vivres. Les troubles s’intensifiaient. Pleins de fureur et de ressentiment, les ouvriers se rassemblaient au coin des rues, fumant leurs cigarettes de makhorka bon marché. Jens mit son cheval au trot pour s’éloigner des grands boulevards, laissant derrière lui la perspective Nevski, ses fourrures et ses soieries.

Les rues se firent bientôt plus étroites, les demeures plus misérables, dans une atmosphère chargée de crasse et de désespoir. Trois chiens féroces se mirent à aboyer contre Héros, son cheval, qui leur répondit d’une ruade. Jens observa les visages fermés et les façades noircies. Le grand froid avait fissuré certaines fenêtres.

Voilà pourquoi il était là. Pour ces quartiers défavorisés, ces rues nauséabondes, sans eau courante, ces puits qui débordaient à chaque pluie et ces pompes gelées. Voilà pourquoi il se trouvait à Saint-Pétersbourg.

*

À quatre heures du matin, Valentina frappa doucement à la porte.

— Entrez, mon petit, lança une voix chaleureuse.

La jeune fille pénétra dans les quartiers de Sonia, l’infirmière. Les ombres dessinaient des formes étranges sur le tapis.

— Bonjour, chuchota Valentina. Comment va-t-elle ?

Âgée d’une cinquantaine d’années, l’infirmière était installée dans un fauteuil à bascule qu’elle actionnait du bout du pied. Ses rondeurs étaient drapées dans un vieux peignoir. Une Bible était posée sur ses genoux.

— Elle dort, répondit Sonia.

Katia dormait-elle ou faisait-elle semblant ? Sonia n’aurait su le dire. Au cours des six derniers mois, la jeune fille avait subi trois interventions destinées à réparer sa colonne vertébrale endommagée. Depuis la dernière, si elle avait gagné en mobilité, elle demeurait incapable de marcher. Katia n’était pas du genre à se plaindre. Cependant, ses cernes violacés et son regard hanté trahissaient l’intensité de sa souffrance.

— Que lui avez-vous donné ? s’enquit Valentina.

— Un peu de laudanum. La dose habituelle.

— Je croyais que vous réduisiez la dose.

— J’ai essayé, malichka, mon petit. Hélas, elle en a besoin.

Valentina se garda de tout commentaire. Que savait-elle du laudanum… à part ce qu’elle lisait dans les yeux de Katia ?

L’infirmière immobilisa le fauteuil à bascule pour dévisager la jeune fille d’un air inquiet quoique plein de sollicitude.

— La culpabilité est une chose terrible, affirma-t-elle en secouant la tête. Dieu nous pardonne.

Sa main caressa le fin papier de sa Bible.

Valentina s’approcha de la fenêtre et écarta l’épais rideau pour contempler les torches des traîneaux et des voitures qui sillonnaient la ville. Saint-Pétersbourg se targuait de ne jamais dormir. Une ville extrême où la vie était plus intense. Ses habitants ne se souciaient apparemment que de boire de l’alcool, de festoyer ou de flamber. Face à ce paysage nocturne, Valentina eut soudain envie d’une autre existence.

— Non, objecta-t-elle, ce n’est pas du pardon de Dieu dont j’ai besoin.

Elle se frotta les mains avec vigueur, mais c’était surtout à son âme qu’elle avait froid.

Il faisait encore nuit, une de ces nuits intenses et oppressantes qui embrument l’esprit. Les premiers bruits étouffés lui parvenaient dans l’escalier. Déjà, les domestiques allumaient du feu et ciraient les sols. Valentina était assise au bout du lit de Katia, une serviette étalée sur les genoux.

— Il paraît que Papa a acheté une nouvelle voiture pendant que j’étais à l’école, dit-elle.

— Oui. Une Turicum. Elle vient de Suisse.

— Elle a dû coûter une fortune !

— Sans doute. Figure-toi que le tsar vient de s’offrir une nouvelle Delaunay-Belleville. Tu sais ce qu’il en est, à la Cour. Les gens ne parlent que de cela et se battent pour l’imiter.

— Qui la conduit ?

— Papa a engagé un chauffeur. Il s’appelle Viktor Arkine.

— Comment est-il ?

— Très élégant dans son uniforme. Plutôt réservé et assez séduisant, dans le genre ténébreux.

— Tu as toujours admiré les hommes en uniforme…

Katia éclata d’un rire enjoué qui fit plaisir à son aînée. Certains jours, il en fallait bien davantage pour dérider la jeune fille. Ce matin-là, Katia avait le regard un peu voilé, comme si le brouillard flottant sur la Neva s’était insinué dans son esprit au cours de la nuit. Elle avait un pied posé sur la serviette ; Valentina massait sa peau délicate et manipulait ses articulations pour rendre un semblant de vie au membre paralysé. Une fine couche d’huile de lavande facilitait ses gestes répétitifs et parfumait la chambre de la malade.

Katia s’installa plus confortablement sur ses oreillers. Ses cheveux formaient une aura dorée autour de son visage.

— Parle-moi encore du tsar ! implora-t-elle en observant les mains de Valentina.

— Je te l’ai déjà raconté. Je l’ai trouvé séduisant, charmant et il m’a complimentée sur mon interprétation.

Katia plissa ses yeux bleus d’un air entendu.

— Tu crois que je vais gober tes mensonges, Valentina ? Que s’est-il passé, hier ? Pourquoi n’as-tu pas apprécié sa majesté impériale ?

— Évidemment que je l’ai apprécié ! Tout le monde aime le tsar.

— Je te préviens, je vais appeler Sonia pour qu’elle te mette à la porte si tu ne…

Valentina se mit à rire et cessa de masser le pied inerte de sa sœur, qui lui rappelait celui d’une poupée de porcelaine.

— Tu as gagné ! Tu me connais trop bien, Katia. Hier, je n’ai pas apprécié le tsar Nicolas, parce qu’il se pavanait dans la salle comme s’il était le maître du monde entier, et pas seulement de la partie qui appartient aux Romanov. C’est juste un petit bonhomme ostentatoire avec des bottes trop grandes pour lui.

Katia afficha un air faussement exaspéré et se frappa le front.

— Bien sûr ! Je me souviens, maintenant. Il t’a dit qu’il voulait que tu joues du piano pour sa femme et ses enfants, n’est-ce pas ?

— C’est ça. Et j’ai été assez stupide pour le croire, à l’époque. J’ai travaillé d’arrache-pied en attendant une invitation qui n’est jamais venue.

Elle reposa le pied de la jeune fille sur le drap.

— Je suis plus raisonnable, à présent, reprit-elle en souriant à sa sœur. Un tsar n’est pas digne de confiance. Les mensonges sortent trop facilement de sa bouche impériale.

— Il était encore là ? s’enquit Katia, curieuse.

— Qui ?

— La première fois que tu as joué devant le tsar, tu m’as parlé d’un homme…

— Non.

— Si !

Valentina prit l’autre pied de Katia et le posa sur la serviette, puis elle trempa les doigts dans l’huile de lavande et se mit à masser la peau sèche du talon.

— De quoi veux-tu parler ?

Elle garda les yeux rivés sur les orteils, qu’elle massa un à un.

— Il y avait un homme, avec le tsar, il y a deux ans, quand il est venu dans ton école, insista Katia. Je me souviens. Tu m’as raconté qu’il était…

— Ne dis pas de bêtises.

— Tu trouvais qu’il ressemblait à un Viking.

— C’est ridicule !

— Il avait une chevelure flamboyante et les yeux verts.

— Tu te fais des idées.

— Non ! C’est bien ce que tu m’as déclaré. Il se tenait près de la porte et tu as ajouté…

Valentina s’esclaffa et pinça un orteil.

— Je racontais n’importe quoi quand j’avais quinze ans.

— Tu m’as confié que tu étais tombée amoureuse de lui, poursuivit l’adolescente.

Valentina manipula la cheville de sa sœur.

— Si j’ai tenu ces propos, ce n’étaient que des rêveries de jeune fille. Je ne lui ai même pas parlé. Je me rappelle à peine son apparence.

Cependant, elle avait le rouge aux joues.

— Tu m’as assuré que tu avais l’intention d’épouser ce Viking, persista Katia.

— Dans ce cas, j’étais une imbécile. Je n’ai nullement l’intention de me marier.

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