Le mariage mouvementé de Charlotte de Calvières

Une amoureuse précoce et obstinée

La tutelle d’une fille jolie et riche peut rarement être considérée comme une sinécure. Depuis qu’il avait été chargé de celle de sa nièce Charlotte, après la mort des parents de celle-ci, le très noble et très haut seigneur Marc de Calvières, baron de Conffoulens et d’Hauterive, conseiller au Parlement de Toulouse, et dame Madeleine de Cayres d’Entragues, Monsieur l’abbé de Psalmody ne vivait plus, ne dormait plus et perdait lentement toute joie de vivre. Pourtant, au début de cette année 1658, la jeune Charlotte n’avait guère que onze ans. Seulement… il est des filles chez qui la précocité confond et, à cet âge tendre, Charlotte était, comme le dit un chroniqueur du pays, « faite pour aimer et ses yeux le confessaient volontiers ».

Il est vrai qu’à cette époque, il était normal de marier les filles dès la puberté et il n’était pas rare qu’à vingt ans on eût trois ou quatre enfants. Quoi qu’il en soit, Charlotte n’avait pas atteint ses onze ans qu’elle avait déjà reçu quelque treize demandes en mariage. Demandes adressées à sa grâce incontestable mais aussi aux nombreux sacs d’écus qu’elle tenait tant de son père que de sa mère. Et le pauvre oncle Psalmody (François de Calvières, de son nom dans le siècle), grand ami de la douceur de vivre, n’avait pas tardé à trouver que la trop charmante Charlotte, avec ses cheveux dorés et ses yeux noirs un peu trop langoureux pour son âge, étaient une croix difficile à porter.

Comme il ne tenait pas à la garder chez lui, dans sa coquette demeure de Montpellier, pour ne pas risquer de voir ses nuits perturbées par tant de donneurs de sérénades, et ses jours assiégés par les épouseurs éventuels, il s’en était remis à la sagesse et avait placé Charlotte aux Ursulines de Montpellier. C’était un couvent de bon ton et de grand renom, tout indiqué pour parfaire l’éducation d’une jeune personne douée de tant de séduction. Sous la garde des bonnes sœurs, Charlotte deviendrait une femme accomplie, une épouse et une mère modèle quand le digne abbé aurait enfin trouvé l’oiseau rare digne de se marier avec cette merveille.

Le malheur était que Charlotte l’avait déjà trouvé toute seule, cet oiseau rare. Il se nommait Fulcrand Du Bosc, était fils de messire Gaspard de Clermont de Castelnau, vicomte Du Bosc, et de sa femme, Juliette de Roquefeuil. Il avait dix-neuf ans, une silhouette athlétique et une mine qui ne laissait indifférente aucune fille sur les terres de Bosc, à quelques lieues de Roger, et de Montmaton qui appartenaient aussi à sa famille. La famille était excellente, tant au point de vue réputation que sur le chapitre des titres de noblesse et de la fortune et, tout compte fait, on se demande bien pourquoi l’abbé de Psalmody (un bien joli nom pour un chantre de Dieu !) se crut obligé de refuser aussi la demande matrimoniale en règle que lui adressèrent les Du Bosc. Bien sûr, c’était la quatorzième, mais, Charlotte étant nubile depuis peu de temps, il eût évité bien du souci à toute la province, bien des tracas à lui-même et bien des larmes à Charlotte en acceptant tout de suite.

Mais l’abbé de Psalmody avait ses idées. Il voulait donner sa nièce à qui bon lui semblerait et n’avait pas voulu démordre de son plan : Charlotte irait chez les Ursulines, et qu’on ne vienne plus lui parler mariage !

C’était faire preuve d’une totale méconnaissance de la nature féminine en général, et de celle de la jeune Charlotte en particulier.

Dans tous les couvents chargés de l’éducation des demoiselles, il était de règle de les rendre à leurs familles pour les vacances. Ainsi des Ursulines. L’été 1658 revenu, la jeune pensionnaire partit pour la terre de Fontcaude-les-Bains, aux portes même de Montpellier, domaine du conseiller de La Roche dont la fille, Marthe, avait épousé deux ans plus tôt Antoine de Calvières, cousin de Charlotte. C’étaient des gens aimables, gais, chez qui la jeune fille se plaisait beaucoup mais, pour cette fois, elle n’avait vu dans son départ en vacances qu’une occasion d’échapper aux grandes portes de son couvent. Elle avait donc fait connaître au jeune Fulcrand Du Bosc le jour et l’heure de son départ pour Fontcaude.

« Si vous savez vous montrer vaillant et résolu, comme tant de fois vous m’avez assurée que vous le seriez pour toutes les choses qui me touchent, ce même soir je serai dans vos bras », lui écrivit-elle avec une détermination et un sens des réalités rares à cet âge.

Or, non seulement Fulcrand était vaillant et résolu, mais encore il brûlait de tenir dans ses bras le corps infiniment prometteur de sa jeune amie. Avec quelques serviteurs, il se porta sur le passage du carrosse mais beaucoup trop près de Fontcaude. Les hurlements de la duègne qui accompagnait Charlotte n’eurent aucune peine à alerter les gens du château qui accoururent en rangs serrés… et Fulcrand en fut pour sa honte.

Charlotte aussi. Les La Roche, peu désireux de courir de tels risques, avertirent l’abbé de Psalmody de la chose et le bon tuteur vint incontinent récupérer sa pupille et la ramener sous bonne garde à son couvent, avec l’agréable perspective d’y passer ses vacances pour sa peine. Cela d’ailleurs n’intimida guère la jeune amoureuse. Elle se contenta de hausser les épaules et d’envoyer une nouvelle lettre à Fulcrand pour l’avertir du changement survenu dans son programme, et l’inviter à faire travailler de nouveau son imagination.

La seule solution était d’attaquer le couvent. Mais même pour un garçon aussi déterminé que Fulcrand, l’attaque d’un couvent n’était pas une mince affaire. Il pensa qu’il lui fallait du renfort et s’en alla conter ses peines à son cousin Jules de Clausel, fils du président à la Cour des comptes, aides et finances de Montpellier.

— Avant d’attaquer, il faut d’abord approcher le couvent, dit le cousin Jules qui était un garçon d’expérience. Or, je connais, en face des Ursulines, une excellente auberge, Le Cheval Blanc, où nous serons à merveille pour observer ce qui se passe dans la maison qui t’intéresse tant.

— Cela nous avancera à quoi de pouvoir contempler ces murs barbares ? dit Fulcrand, déjà désappointé.

— À guetter les occasions qui pourraient s’offrir à nous, mon fils, à connaître ses fournisseurs, par exemple, à connaître les nouvelles le concernant. Crois-moi, il est bon de s’installer au Cheval Blanc.

Fulcrand se laissa convaincre et, flanqué de Jules, alla s’installer à l’auberge avec une solide escouade de valets. Parmi ceux-ci se trouvait un certain Saintonge, en qui son maître mettait toute sa confiance à cause de son astuce et de son talent à se déguiser en n’importe quoi. Et l’on attendit.

Au bout d’une semaine qui parut interminable à notre amoureux, on apprit une petite chose : Mademoiselle de Calvières s’était commandé un habit neuf et avait chargé de ce soin un grand tailleur de Montpellier chez qui, justement, les deux cousins se fournissaient. Bien entendu, ce fut un jeu pour Fulcrand et Jules de circonvenir le bonhomme et de se faire remettre l’habit en question. Après quoi Jules de Clausel, qui était plus âgé que Fulcrand et pouvait davantage donner le change, s’habilla en tailleur, attira Saintonge de façon à ce qu’il pût passer pour son aide et pria Fulcrand d’avertir sa douce Charlotte de ce qui se préparait. Fulcrand prit sa plume, écrivit à Charlotte une lettre pleine de beaux sentiments ; l’on chargea le jardinier du couvent de lui remettre puis, le jour du coup d’audace venu, alla se poster à la fenêtre pour voir le faux tailleur agiter avec componction la cloche du tour, tandis que le pseudo-aide portait révérencieusement sur ses deux bras l’habit neuf destiné à Charlotte. Quand il les eut vus entrer, il alla chercher un grand carrosse qu’il avait préparé dans une rue adjacente, avec ses gens, et vint s’installer à une petite porte du couvent.

Il n’eut pas longtemps à attendre. Une demi-heure ne s’était pas écoulée que Jules reparaissait avec Saintonge, escorté d’une forme féminine qui fit battre plus fort le cœur de l’amoureux Fulcrand. C’était bien entendu Charlotte elle-même qui se jeta dans ses bras avec fougue, riant et pleurant tout à la fois. Et, tandis que le carrosse, le cousin Jules à la portière, prenait au grand galop le chemin du Bosc, les deux tourtereaux, à l’abri des mantelets de cuir, entamèrent la longue litanie amoureuse qui forme le fond de la conversation chez les gens qui s’aiment. C’était le 4 septembre 1658.

Mais on ne s’échappe pas d’un couvent sans qu’il en résulte quelques troubles. L’alarme fut donnée presque aussitôt. Monsieur de La Roche et son gendre Antoine de Calvières armèrent à la hâte leurs gens et se lancèrent à la poursuite des ravisseurs, qu’ils atteignirent d’ailleurs à environ quatre lieues de Montpellier. Avec un beau courage, Jules de Clausel fit face aux circonstances, se battit comme un lion avec ses gens et bien entendu Fulcrand, sorti momentanément de son carrosse. Les deux cousins luttèrent si vaillamment qu’ils tuèrent plusieurs hommes et quelques chevaux… et Monsieur de La Roche dut repartir comme il était venu, plus mal en point qu’il ne l’avait imaginé, tandis que le carrosse reprenait sa route vers l’amour.

Le mois de septembre est toujours admirablement beau en Languedoc et Charlotte, folle de bonheur, trouva un charme délicieux aux tours sévères du château du Bosc (qui devait plus tard connaître la célébrité en abritant les jeunes années d’Henri de Toulouse-Lautrec). Fulcrand était plus charmant, plus épris que jamais et elle l’adorait.

Mais toute cette idylle laissait parfaitement indifférent l’oncle de Psalmody qui, outré d’avoir été si lestement joué, ne l’entendait pas de cette oreille. Huit jours plus tard, le 12 septembre, il déposait une plainte au Parlement de Toulouse qui, bientôt, condamna les coupables et leurs complices par défaut : Saintonge à être roué vif, Fulcrand et le cousin Jules à être décapités, les châteaux du Bosc et de Clausel à être rasés jusqu’aux fondations « pour marque d’infamie perpétuelle », enfin Charlotte à faire retour immédiat au logis de l’abbé.

La sentence était sévère. Encore fallait-il l’appliquer. Les Du Bosc eux non plus ne manquaient pas de relations. Ils en appelèrent au conseil de Roi qui dépêcha l’intendant de Bezons pour interroger la victime (toujours au Bosc).

Charlotte reçut avec beaucoup d’aménité l’envoyé du Roi, usa sur lui de son charme irrésistible, et finalement lui déclara avec beaucoup de sang-froid :

— C’est de mon plein gré que j’ai suivi Monsieur Du Bosc et Monsieur de Clausel quand ils sont venus me chercher aux Ursulines. Outre que des sentiments très vifs et très profonds m’unissent à Monsieur Du Bosc, je ne pouvais plus endurer l’existence dans ce couvent, où j’étais en butte aux tracasseries d’une personne que je préférerais ne pas nommer.

— Et pourquoi donc ? demanda Monsieur de Bezons, qui bien entendu brûlait d’en savoir davantage.

— Parce que c’est une bâtarde de mon oncle Psalmody et que je ne voudrais pas porter tort à un homme d’Église ! répondit la jeune personne qui, décidément, ne manquait ni d’astuce ni d’esprit.

On devine comment l’abbé prit cette déclaration. Il s’entremit pour que le jugement du Parlement de Toulouse entrât enfin dans sa phase exécutoire. Flanqué du capitaine Delapierre, exempt des gardes du corps, il se lança vers le Bosc, fouilla le château sans rien trouver puis tous ceux de la région, sans plus de succès. Bien entendu les Du Bosc ne l’avaient pas attendu, et tandis qu’il venait visiter leurs terres, ils s’en allaient tranquillement s’installer dans leur château de Montmaton.

Furieux et ne se tenant pas pour battu, l’abbé réunit, toujours sous le commandement de Delapierre, une troupe de cinq ou six cents hommes et, à la tête de cette force armée, s’en vint mettre le siège devant Montmaton et fit les sommations d’usage.

Celles-ci étant demeurées sans réponse, l’attaque fut lancée. On prit le château… pour s’apercevoir qu’il était vide. Alors, il faut bien admettre, quelque répugnance que l’on en ait, que la troupe de l’abbé de Psalmody et de Delapierre se comporta comme se comportent les bandits de grand chemin. Le village fut livré aux atrocités : vols, incendie, meurtres, profanations et viols. Après quoi on plaça des mines sous les tours du château et l’on fit sauter le tout. Enfin, las de cet inutile carnage, les soudards se retirèrent, bredouilles.

Charlotte n’était pourtant pas loin, réfugiée avec sa famille d’adoption chez des amis des environs. Le drame du Bosc acheva de la gagner au clan de son bien-aimé.

— Il faut mettre l’irréparable entre ces gens-là et moi, dit-elle à Fulcrand. J’ai désormais le droit de me marier. La loi me le permet et Dieu le veut. Épouse-moi !

Fulcrand n’était pas très sûr que Dieu le voulût tellement, mais il souhaitait tant épouser la belle Charlotte ! Le 24 décembre, le contrat fut signé, le 28, les bans furent publiés et le 8 janvier 1660, dans l’église de Montmaton à demi ruinée, le mariage fut célébré.

— Maintenant, dit Monsieur Du Bosc à sa belle-fille, il faut, si nous voulons voir se terminer cette guerre entre les deux familles, que vous fassiez acte d’obéissance.

— Que voulez-vous dire ?

— Que nous allons vous rendre à votre tuteur. Il ne pourra que nous être reconnaissant de cette marque de déférence. Et de toute façon, il ne pourra plus rien contre vous puisque vous êtes très légalement mariée.

À vrai dire, ni Charlotte ni Fulcrand n’étaient très chauds partisans de cette solution. Mais si l’on voulait éviter la ruine totale des Du Bosc et, qui plus est, la disgrâce royale, il fallait tout de même faire preuve de bonne volonté.

— Le prince de Conti nous veut du bien, ajouta Monsieur Du Bosc. Il se fera notre interprète auprès du Roi et nous obtiendra des lettres de rémission.

C’était bien sûr la sagesse. Avec beaucoup de larmes, beaucoup de baisers, les jeunes époux se séparèrent en jurant de s’écrire constamment et Charlotte, les yeux rouges et la mine dolente, monta en voiture pour regagner le domicile de l’abbé à Montpellier.

Elle y arriva tout juste à temps pour le voir mourir. D’après Tallemant des Réaux, l’abbé de Psalmody se serait laissé mourir de faim par désespoir du décès d’une sienne cousine à laquelle il était tendrement attaché ; mais, Tallemant des Réaux étant une mauvaise langue et ce suicide par abstinence ayant quelque chose d’un peu trop mondain, nous nous bornerons à dire que nous ignorons de quoi mourut Monsieur l’abbé de Psalmody.

Cette fin tragique était pour Charlotte une vraie catastrophe. En effet, elle se faisait forte d’amener le cher oncle à composition. Or, voilà qu’il faisait défaut et qu’on lui offrait un nouveau tuteur, le sieur de Saint-Césaire, qu’elle détestait et qui était, en effet, détestable.

C’était un homme sans grands scrupules, doué au surplus d’un tempérament excessif et qui vit, dans cette jeune et tendre proie à lui confiée, la plus belle affaire de sa vie. Bien entendu, il ne fut pas question de renvoyer Charlotte aux Ursulines. Monsieur de Saint-Césaire se faisait fort de faire meilleure garde que les bonnes sœurs. Et pour commencer, il tenta de faire de sa pupille sa maîtresse, pensant ainsi pouvoir ensuite faire main basse sur sa fortune.

Charlotte, qui ne manquait pas de caractère, fournit une défense assurée et roula superbement le bonhomme en lui disant que sa fortune n’appartiendrait jamais qu’à son mari.

— Qu’à cela ne tienne, dit Saint-Césaire, je vais vous en procurer un.

— Au cas où vous l’auriez oublié, je suis déjà mariée.

— Ce mariage sera cassé avant peu et j’ai l’homme qu’il vous faut : Henri de La Fare, marquis de Tourniac. Il est jeune, beau, spirituel. Il vous adore…

Le plus grand charme de Monsieur de Tourniac, sur lequel Saint-Césaire ne s’étendit pas, c’est qu’il avait promis à ce dernier, une fois les noces faites, de partager avec lui le magot de Charlotte.

Sentant bien qu’elle n’avait rien à gagner à se battre à visage découvert, Charlotte fit mine d’accepter, reçut Monsieur de La Fare, se laissa courtiser… et écrivit à la fois au prince de Conti et à son cher Fulcrand.

On imagine sans peine l’effet qu’eut cette missive sur le bouillant jeune homme. Charlotte, sa Charlotte, livrée aux entreprises d’un coureur de dot ! Il n’y avait ni Dieu ni roi capable d’endiguer sa juste colère ! Courant à Montpellier, il leva une armée de cinq cents hommes et s’en vint tout bonnement camper devant l’hôtel de Calvières, prêt à mettre le feu partout, sans se faire faute de clamer à tous les vents qu’il était là pour enlever sa femme et que « ni le Roi ni la justice ne les empêcheraient d’exécuter ses projets » !

Épouvanté, Saint-Césaire appela à son aide le gouverneur de Montpellier, marquis de Castries, qui envoya aussitôt des troupes pour protéger l’hôtel contre les entreprises des Du Bosc, mais avec ordre de ne pas attaquer.

Les deux troupes se trouvèrent donc face à face et, bien entendu, personne ne voulut céder du terrain. De son côté, depuis Paris, le prince de Conti se déclara hautement le partisan des Du Bosc et annonça qu’il entendait présenter lui-même l’affaire au Roi.

Le marquis de Castries était un homme sage et prudent. Il pensa qu’une bataille rangée n’arrangerait rien et envoya une fois de plus interroger la jeune Charlotte. Qui aimait-elle au juste ? Était-ce Fulcrand Du Bosc ou bien ce marquis de Tourniac qu’elle recevait si volontiers tous ces temps derniers ? Charlotte bien sûr n’hésita pas.

— J’aime d’autant plus Fulcrand Du Bosc que je suis son épouse devant Dieu et les hommes. Quant à Monsieur de Tourniac, ajouta-t-elle avec son désarmant sourire, je n’ai jamais fait que me moquer de lui !

Il était impossible de se montrer plus formelle. Devant cette affirmation de la volonté de la jeune femme, le marquis de Castries commença par confier Charlotte à un couvent, celui du tiers-ordre de saint François. Elle n’y resta pas, son cas paraissant un peu léger pour cette austère maison, et passa au couvent des Maltaises, où elle ne se plut pas. En définitive, on en appela au Roi, qui ordonna le transfert de la litigieuse enfant à Paris même. On la conduisit chez les Cordelières de Saint-Marceau, où elle arriva fin février 1663. Le 8 juin intervint un arrêt envoyant Charlotte au couvent de Sainte-Avoye et condamnant son tuteur à lui verser une pension de trois mille livres. Bien entendu celui-ci protesta, ne voyant pas pourquoi il donnerait de l’argent à une pupille qui, tout compte fait, lui avait causé bien plus de soucis que de joies… et une nouvelle décision du Conseil royal réexpédia Charlotte chez les Cordelières de Saint-Marceau.

Elle se plaisait beaucoup dans ce couvent agréable où l’on avait pour elle toutes les gentillesses… mais ce n’était tout de même qu’un couvent et les couvents, Charlotte commençait à en être saturée. Le temps passait. Elle avait maintenant seize ans et souhaitait mener une vie un peu moins bancale. Et surtout, surtout, vivre enfin en compagnie du cher Fulcrand. Mais il fallait attendre que les graves personnages des cours de justice se fussent enfin décidés à trancher son cas.

Cette attente, il faut dire que les Cordelières s’arrangèrent pour la lui rendre aussi douce que possible. Elles s’étaient, avec une belle unanimité, prises d’affection pour cette toute jeune femme aussi douce que belle, aussi belle que fidèle, qui leur parlait de son cher Fulcrand avec des larmes dans les yeux.

Il est inutile d’ajouter, bien sûr, que le cher Fulcrand s’était, de son côté, hâté de gagner Paris, où il fréquentait assidûment chez le prince de Conti et travaillait activement à ses affaires. Il en profitait aussi pour rendre à sa jeune épouse quelques visites au parloir du couvent, lesquelles ne faisaient qu’aiguiser le désir qu’ils avaient tous deux d’être un peu seuls ensemble, vraiment seuls.

Ce fut Charlotte qui trouva la solution. Elle feignit de se languir tant de sa liberté supprimée que les bonnes sœurs lui accordèrent quelques sorties dans la ville, sous la conduite bien entendu d’une religieuse. Elle obtint même un court séjour chez le prince de Conti. Et ce séjour s’avéra si agréable qu’à la fin de l’année, le couvent vit se dérouler dans ses murs austères un événement auquel vraiment il n’était pas habitué : la jeune Madame Du Bosc donna le jour à un beau garçon qui se mit à donner de la voix avec la dernière énergie.

Il n’était guère de Parlement qui tînt devant un événement de ce genre. Il fallait bien se décider à statuer et fixer enfin le sort de Charlotte. Mais les paperasseries étaient si bien installées dans ces honorables chambres qu’il fallut encore dix-huit mois de patience aux jeunes époux. Enfin, le 6 mai 1665, le Conseil royal prononça définitivement la validité du mariage de Charlotte de Calvières et de Fulcrand Du Bosc. La jeune femme et son enfant furent solennellement remis au jeune homme, et l’heureux couple, enfin, put prendre tranquillement le chemin du bonheur. Ils vécurent heureux, eurent beaucoup d’enfants et poussèrent même la magnanimité jusqu’à faire dire chaque année une messe pour le repos de l’âme inquiète de Monsieur l’abbé de Psalmody.

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