La duchesse parpaillote :


Renée de France

— Alors, ma sœur ? quelle réponse devons-nous donner au duc de Ferrare ? Êtes-vous disposée à épouser notre jeune hôte, le prince Hercule ?

Assis dans l’embrasure d’une fenêtre donnant sur l’étang des carpes, à Fontainebleau, le roi François Ier regardait sa jeune belle-sœur avec un mélange d’amusement, d’affection et d’irritation. Cette jeune fille de dix-huit ans, plus charmante que vraiment jolie, s’intéressait selon lui un peu trop à la théologie et aux lettres les plus sérieuses, et pas assez à ce qui, d’après le roi, devait être la grande affaire d’une fille de son âge : l’amour. Il est vrai que, jusqu’à présent, Renée n’avait pas eu beaucoup de chance.

Seconde fille de Louis XII et d’Anne de Bretagne, elle avait perdu sa mère, la pieuse, sévère et intransigeante duchesse en sabots, à trois ans et demi, et vu, six mois après, son père reconvoler avec une donzelle de seize ans, Mary d’Angleterre, d’un tempérament tellement au-dessus de son âge que, six autres mois plus tard, le bon Louis XII en était mort.

Orpheline, Renée avait vécu dans l’ombre de la reine Claude, sa sœur aînée, créature douce, bonne comme la prune à laquelle on avait donné son nom, mais plutôt effacée, et la mère de François Ier, Madame Louise de Savoie, créature beaucoup moins douce, qui s’était chargée de son éducation. Or, si François Ier aimait et admirait profondément sa mère, il admettait volontiers qu’elle pouvait être assez redoutable, surtout pour une enfant timide comme Renée. Il est vrai que Renée avait aussi pu vivre dans l’orbite de la sœur chérie de François, Marguerite d’Angoulême, princesse lettrée et raffinée s’il en était, mais que l’enfant n’aimait pas beaucoup parce que sa mère, Anne de Bretagne, avait franchement détesté Louise de Savoie et sa fille.

Oui, Renée avait été élevée sévèrement, et son précepteur, Lefebvre d’Étaples, n’avait rien d’un joyeux luron. Il avait tenu la petite princesse rigoureusement à l’écart des fêtes de la cour la plus brillante d’Europe, et même lui en avait inculqué une certaine aversion, lui montrant messire Satan embusqué sous tant de sourires, de fleurs et de musique. Devenue jeune fille, Renée avait vu mourir sa sœur Claude avant de pâtir, comme tout le monde en France, de la captivité du roi après le désastre de Pavie. Certes, la cour n’avait plus rien de gai, à ce moment, et Madame Louise, régente du royaume, veillait de près à ce que chacun partageât sa douleur et son angoisse.

— Alors, ma mie ? répéta François. Que dirons-nous ?

La jeune princesse baissa la tête et détourna les yeux pour cacher une subite rougeur qui eut le don de mettre en joie le roi-chevalier.

— Nous dirons oui, Sire… s’il plaît à Votre Majesté.

— Il plaît, Renée, il plaît même beaucoup ! J’espère qu’il en est de même pour vous ?

Pour toute réponse, la jeune princesse rougit plus fort, tandis que son beau-frère l’embrassait en riant et en disant qu’il allait annoncer la bonne nouvelle à la cour. C’était vrai : Hercule d’Este, fils aîné du duc Alphonse de Ferrare et de sa défunte épouse Lucrèce Borgia, était un très beau garçon, âgé tout juste de vingt ans, fort cultivé, chose qui avait de l’importance aux yeux de Renée, très ami des arts (ce qui en avait moins, car elle était seulement sensible aux lettres) et excellent cavalier. Tout de suite, quand il était arrivé quelques jours plus tôt, le 22 mai 1528, elle l’avait trouvé charmant mais s’était bien gardée de fonder quelque espoir là-dessus. Tant de fois, on l’avait fiancée sans résultat ! Au duc de Savoie, au margrave de Brandebourg, au roi Henri VIII d’Angleterre et même à l’empereur Charles Quint ! Souvent, en évoquant tant de déceptions, Renée se prenait à soupirer mais, depuis qu’elle avait aperçu Hercule d’Este, elle en était venue à penser que c’était à tout prendre une bonne chose qu’aucun de ces mariages n’eût réussi.


Un mois plus tard, le 29 juin, dans la Sainte-Chapelle de Paris, le cardinal-chancelier Duprat célébrait le mariage de Renée de France et d’Hercule d’Este. Vêtue d’une lourde et somptueuse robe de pourpre et d’hermine, la fiancée rayonnait d’une beauté toute nouvelle.

— Je crois que nous avons enfin là un couple heureux, confia le roi au connétable de Montmorency. Ferrare possédera là une bonne souveraine quand le duc Alphonse aura quitté ce monde, et j’espère qu’en échange, la grâce et la légèreté de ces terres italiennes agiront sur notre trop sage princesse. Ces Este sont des artistes-nés.

— Sans doute, Sire, sans doute. Mais dans ce cas, pourquoi avoir permis à Madame Renée d’emmener avec elle Mme de Soubise, qui fut sa gouvernante et la vieille amie de sa mère, ainsi que les Pons, ses fille et gendre ?

Le roi haussa ses larges épaules.

— Le moyen de les lui refuser ? Renée m’a instamment prié de permettre leur départ et le jeune Hercule ne s’y est point opposé.

— Parce qu’il ne les connaît point. Je gage, Sire, qu’il ne tardera guère à s’en repentir. Mme de Soubise est encore plus sévère et intransigeante que ne l’était la feue reine Anne.

— Et ce n’est pas peu dire, fit le roi en riant. Mais l’amour opère bien des miracles, mon compère. Et Madame Renée est amoureuse.

C’était vrai. Renée était vraiment amoureuse et Hercule le lui rendait. Tous deux firent à travers la France un long et fastueux voyage de noces au milieu de villes en fête et de paysages ensoleillés. Le 12 novembre seulement ils entrèrent à Modène, première ville du duché, et le 1er décembre ils gagnèrent enfin Ferrare.


C’était alors, avec ses rues neuves tirées au cordeau et ses palais magnifiques, l’une des plus belles et certainement la plus moderne des villes d’Italie. Ingénieurs (leur fonderie de canons était célèbre) et artistes, les princes d’Este l’avaient voulu ainsi et leur cour était à juste titre réputée brillante. La teinte rose des briques dont était bâtie la ville contrastait heureusement avec la tristesse de la plaine du Pô, d’une lugubre grisaille en ce début de décembre. Renée pensa qu’elle aimerait Ferrare, mais en apercevant l’austère et médiéval palais du duc, avec ses tours carrées, ses douves et ses créneaux, l’enfant du doux Val de Loire eut un mouvement de recul. Allait-on l’enfermer dans cette forteresse ?

— Nous n’y vivons que l’hiver, la rassura tendrement Hercule. Dès les beaux jours, nous avons Belriguardo et bien d’autres agréables villas que vous aimerez.

Au château, Renée vit enfin son beau-père, le duc Alphonse, bel homme lui aussi et qui se consolait de son veuvage avec de belles créatures, son frère, le cardinal Hippolyte et sa sœur, la célèbre marquise de Mantoue, Isabelle d’Este. Mais la sympathie de la princesse française alla seulement à son beau-père. Isabelle avait une façon protectrice de la regarder qui ne lui plaisait pas et le beau cardinal Hippolyte lui déplaisait encore davantage. Pour la piété austère, déjà teintée de protestantisme, de la jeune femme, ce cardinal mondain, parfumé et grand amateur de femmes ne pouvait qu’être un objet de scandale. En outre, de déplaisantes histoires couraient sur son compte…

Elle en éprouva une impression si pénible que même la beauté intérieure du palais, la perfection achevée de sa collection d’œuvres d’art, et son luxe extrême ne parvinrent pas à l’effacer.

— Je ne sais pas pourquoi, mais ici, j’étouffe, confiat-elle à Mme de Soubise.

La dame d’honneur haussa ses maigres épaules :

— Bah, c’est tout simple, Madame : sous leurs dehors raffinés, ces Este ne sont que des barbares et je ne comprends pas le roi…

— Il suffit, coupa la princesse avec une ferme douceur. Le roi n’a fait qu’exaucer le désir de mon cœur.

Mais Mme de Soubise n’avait pas l’intention de s’en tenir là. Quelques jours plus tard, elle rapportait à la jeune femme une horrible histoire : dans la tour des Lions, la maîtresse tour du château, vivaient à peu près emmurés, condamnés à la détention perpétuelle après avoir été éborgnés par les ordres du duc Alphonse, ses deux frères : Ferrante et Jules.

— On prétend qu’ils ont conspiré contre le duc. Mais il paraît aussi qu’il y aurait eu, à l’origine, une histoire de femme…

Renée de France refusa de croire ce qu’elle considéra de prime abord comme une affreuse calomnie. Hélas, elle dut bientôt se rendre à l’évidence et ce fut Hercule lui-même qui la renseigna.

— En effet, mon père retient prisonnier ses frères, ou plutôt son frère Ferrante et son demi-frère Jules, mais c’est avec justice, car ils avaient vilainement conspiré contre lui.

— Contre lui, ou contre le cardinal Hippolyte ? demanda Renée qui avait eu d’autres renseignements par sa dame d’honneur. On dit que celui-ci et don Jules se sont disputé l’amour d’une belle cousine de votre mère, dona Angela Borgia ?

— La raison importe peu, coupa Hercule avec raideur. Seul demeure le complot contre la vie du duc. Ils ont mérité leur sort… et si vous avez de la pitié de reste, Madame, veuillez la reporter sur quelque objet de plus d’intérêt.

Ce fut là leur première querelle, mais Renée prit peu à peu en grippe le grand château rose qui lui semblait maintenant pétri de sang. Est-ce que l’un des premiers princes d’Este n’y avait pas fait décapiter sa femme et son propre fils, coupables d’adultère ? Non, jamais elle n’aimerait cette maison et elle commençait à regarder avec méfiance ces Italiens dont la grâce semblait cacher tant d’horreur.

Elle montra son désaccord en refusant d’apprendre l’italien. Elle pensait que le latin et le français étaient amplement suffisants et espérait garder ainsi une sorte de barrière entre elle et ces gens inquiétants. Cela ne fit que la priver de belles joies littéraires dans une cour où le grand homme était l’Arioste. Mais seuls les écrits qui touchaient à la religion intéressaient réellement la jeune femme, et elle réunit autour d’elle tous ceux qui lui semblaient les plus aptes à contenter ce penchant. Néanmoins, charmée par la grâce des villas d’été de Belriguardo et de Schifanoia, elle y donna des fêtes et tint son rang avec grâce.

Elle devait également tenir son rang en donnant à son mari cinq enfants : Anne (1531), Alphonse, le futur héritier de Ferrare (1533), Lucrèce (1535), Léonore (1537) et Luigi (1538).

Mais en 1534, le duc Alphonse mourut et la vie, peu à peu, se fit singulièrement difficile pour la nouvelle duchesse de Ferrare.


Devenue duchesse régnante, Renée s’aperçut qu’en perdant un beau-père qui l’aimait beaucoup, elle avait aussi perdu son meilleur appui. L’amour d’Hercule s’était mué en une tendresse certaine mais assez calme et, comme son père, comme tous les princes d’Este, il avait commencé à s’intéresser aux autres femmes. La duchesse en profita pour attirer à sa cour le plus de Français possible, surtout ceux de la nouvelle religion que les édits du royaume pourchassaient et qui préféraient mettre quelques frontières entre eux et les gardes du roi. Parmi eux, le poète Clément Marot, qui sentait largement le fagot, d’autant plus qu’il profita de son séjour à Ferrare pour s’occuper activement des demoiselles d’honneur de la duchesse.

Autre sujet de discorde : Mme de Soubise. Hercule en eut bientôt assez de cette dame revêche qui semblait avoir pris à tâche de faire tout au monde pour que son ménage allât de travers. La dame ayant poussé l’impudence jusqu’à conseiller à Renée un voyage en France sans l’aveu de son mari, la colère d’Hercule éclata :

— Demain, cette femme devra avoir quitté Ferrare.

Les larmes, les prières de Renée n’y purent rien. Le duc tint bon et Mme de Soubise, pâle de fureur, dut laisser sa jeune maîtresse. Elle gardait tout de même un sujet de consolation : sa fille, Mme de Pons, et surtout son gendre restaient. Or, M. de Pons semblait plaire beaucoup à la duchesse, qui l’appelait volontiers pour lui demander conseil.

Le calme revint pour un temps, mais ne dura pas. L’affaire du « petit chantre » n’allait rien arranger, bien au contraire.

Voici les faits : le vendredi saint, 14 avril 1536, au moment de l’adoration de la Croix, en pleine cathédrale, un jeune chantre de la maison de la duchesse, un Français nommé Jehannet, sortit de l’église en courant et en proférant d’affreuses injures. Le scandale fut minime, personne n’ayant paru remarquer l’incident mais le soir même, Jehannet fut arrêté.

Alors l’antagonisme larvé qui commençait à se manifester entre le duc et sa femme prit les formes d’un duel. Renée multipliait les démarches pour obtenir la libération de son chantre et Hercule, furieux, répliquait en faisant arrêter d’autres serviteurs de sa femme.

— Il apparaît clairement que ma maison est de plus en plus infectée d’hérésie, confiait-il à l’un de ses conseillers. Je ferai en sorte de demeurer le maître chez moi ! Je suis bon fils de l’Église catholique et j’entends le rester.

L’affaire se termina sans vainqueur. Le 14 juillet, Jehannet s’évadait sans que personne sût dire comment.

Mais le malheur voulut qu’au milieu de ces difficultés, la duchesse accueillît à Ferrare Calvin, venu secrètement sous le pseudonyme de Charles d’Épeuveille. Le chef de l’Église de Genève eut de nombreux entretiens secrets avec Renée et devint en quelque sorte son directeur de conscience. Le terrain s’avérait dangereux. Renée n’était plus seulement une souveraine trop française qui refusait d’apprendre l’italien, elle visait maintenant à faire de ses États le centre d’un mouvement subversif destiné à implanter le calvinisme en Italie, menaçant le Saint-Siège jusqu’aux portes de son territoire.

Irrité par la présence de Calvin qu’il n’ignorait pas, Hercule prit ombrage de l’étroite intimité qui semblait unir sa femme à M. de Pons et saisit le premier prétexte pour dépêcher celui-ci en France, avec une mission assez importante pour durer longtemps. Renée, désolée du départ de son ami, se mit à lui écrire lettre sur lettre, et le malheur voulut que plusieurs d’entre elles tombassent sous les yeux du cabinet noir du duc. Sans faire d’éclat, il envoya sa femme « se reposer » dans le lointain château de Consandolo, exil à peine déguisé sous les formes du protocole tandis que Mme de Pons devait s’enfuir précipitamment. Mais la correspondance avec Calvin demeura, étroite, intime.

Hercule d’Este n’était pas méchant. Il gardait de plus à sa femme une certaine tendresse, et s’il la tenait éloignée de lui, c’était dans l’espoir qu’elle en viendrait enfin à composition. Mais Renée préférait ses convictions à la vie de famille même, et ce fut le duc qui céda. Comme le pape Paul III annonçait sa visite, il rappela Renée auprès de lui.


Le vieux pontife et la duchesse parurent s’entendre à merveille. Paul III était plein d’indulgence et de mansuétude. Il affecta de voir dans la déviation religieuse de la duchesse une sorte de maladie infantile, et pour la mettre à l’abri d’elle-même comme des sévérités maritales, lui délivra une sorte de bref de tolérance, en souhaitant seulement qu’elle y mît quelque discrétion.

Mais comme sa Bretonne de mère, Renée de France était obstinée, attachée à ses idées comme à ses objectifs, et y mettait de l’entêtement. Elle profita du bref papal pour avancer les affaires des réformés et continua, plus librement que jamais, ses relations avec Calvin.

Elle avait compté sans l’âge de Paul III. Le vieux pontife mourut et fut remplacé par Jules III, beaucoup moins accommodant. Il y avait bien trop longtemps qu’il entendait parler de la duchesse de Ferrare et du foyer de révolte qu’elle entretenait dans cet État. On disait même qu’elle n’accomplissait plus du tout ses devoirs religieux. Il était temps de sévir. Il écrivit au duc Hercule et celui-ci fit sans tarder connaître à sa femme la volonté du pape.

— Elle est, Madame, qu’aux Pâques prochaines, vous accomplissiez publiquement vos devoirs religieux.

On ne vous voit plus jamais au tribunal de la Pénitence, pas plus qu’à la Table sainte !

— Et l’on ne m’y verra plus ! Je n’accomplirai pas ce que vous appelez mes devoirs, et qui sont pour moi choses sans signification désormais.

Hercule, épouvanté, tenta vainement de mettre sa femme en garde contre une révolte aussi ouverte. Avec obstination, Renée refusa de céder.

— Alors, soupira Hercule, vous m’obligez à employer les grands moyens.

— Lesquels ? La tour des Lions ?

Un seul prisonnier demeurait encore dans la tour. Ferrante y était mort quelques années auparavant. Seul Jules y restait encore, fantôme aveugle et désormais privé de réaction. Hercule détourna les yeux.

— Une autre tour, Madame, où vous aurez vos aises. Mais vous ne reverrez vos enfants que lorsque vous serez enfin venue à composition.

— Alors, j’y mourrai moi aussi.

On enferma la duchesse, mais le pape entendait briser cette révolte et ne s’en contenta pas. Il ordonna que Renée, duchesse de Ferrare, fût traduite devant le tribunal de l’Inquisition. Elle risquait le bûcher, ni plus, ni moins.

Ce que fut ce procès, on l’ignore encore, toutes les pièces en ayant disparu. On sait seulement que la duchesse fut condamnée, le 7 septembre 1554, à la prison perpétuelle. Mais cette fois, à une véritable prison.

Tirée de son confortable appartement, Renée fut conduite dans l’un des cachots de la forteresse. Elle allait y rester… huit jours.

Au bout de ce laps de temps, elle cessa brusquement de résister sans que l’on en sût la raison. Peut-être pensa-t-elle que son incarcération ne servirait en rien la cause protestante et qu’elle pourrait lui être infiniment plus utile libre que prisonnière. Peut-être aussi était-elle lasse d’une lutte stérile qui l’avait éloignée de ses enfants. Son fils, Alphonse, ne l’aimait guère, et ne s’en cachait pas. Sa fille aînée, Anne, l’une des plus jolies femmes de son temps, avait épousé, en 1548, le duc François de Guise, qui était à la tête du parti catholique en France, et vivait désormais dans ce royaume dont sa mère avait si souvent la nostalgie. Renée aspira peut-être au calme, au repos. Elle capitula.

Hercule, d’ailleurs, toujours indulgent, se contenta d’une abjuration de pure forme et réintégra aussitôt sa femme dans ses prérogatives entières. Elle reprit sa place.

Si elle ne changea pas d’opinion, du moins devint-elle plus prudente et préféra-t-elle se cacher. Elle se résigna à être la « correcte souveraine d’un État catholique ». Le temps du scandale était passé.

Vint celui du veuvage. En 1559, Hercule d’Este s’éteignit. Il avait été un bon mari, malgré tout, et n’avait montré de sévérité que contraint et forcé. Alphonse, son fils, sous le nom d’Alphonse II, montait sur le trône. Son premier soin fut de délivrer le sempiternel prisonnier de la tour des Lions. Il était là depuis cinquante-trois ans… mais fut si heureux de recouvrer la liberté qu’il en profita jusqu’en 1581. Hélas, avec sa mère, l’accord n’était pas possible.

Alphonse II, catholique convaincu, ne pardonnait pas à la duchesse le doute qu’elle avait fait planer si longtemps sur ses convictions, pas plus que d’avoir en quelque sorte implanté la Réforme à Ferrare. Renée comprit que sa présence n’était plus guère souhaitée. D’ailleurs, depuis si longtemps elle désirait revoir la France… et sa fille Anne.

Le 2 septembre 1560, elle quittait Ferrare pour n’y plus revenir. La cour l’accompagna jusqu’à Modène puis, avec ses gens, elle continua sa route jusqu’à son domaine de Montargis et décida de s’y installer. Le château était délabré et avait beaucoup souffert. La duchesse se consacra à cette restauration puis, libre enfin de ses actes comme de ses pensées, reprit avec bonheur ses relations avec la Réforme.

Mais bien des choses avaient changé en France. Le roi François était mort, et aussi son fils Henri II. Maintenant, c’était le débile François II qui régnait, en titre seulement, la réalité du pouvoir appartenant beaucoup plus à ce chef d’État en jupons qu’était sa mère, Catherine de Médicis. En France, les guerres de Religion faisaient rage. Force fut à la nouvelle dame de Montargis d’en tenir compte. Non sans douleur.

En 1562, une émeute éclata dans sa ville. Malgré l’interdiction de Renée, un groupe de bourgeois en armes occupa l’église et s’y opposa à l’entrée des protestants. De l’église, l’agitation gagna la ville, jusqu’au moment où les gentilshommes de la duchesse ramenèrent les assiégés au château.

Avec acharnement, aidée de son ami et voisin l’amiral de Coligny, Renée tenta de défendre les réformés, souvent au péril de sa vie. Elle ne dut qu’à l’affection de son petit-fils, le duc Henri de Guise, d’être épargnée lors de la terrible nuit de la Saint-Barthélemy. Prudent, le Balafré avait fait garder militairement la maison de sa grand-mère. D’ailleurs, la fin approchait.

Dans les derniers jours du mois de février 1575, la duchesse eut un accès de fièvre. On lui fit une saignée, mais elle était si faible que l’on craignit pour sa vie. Pourtant, elle demeura ainsi, faible et sans forces, jusqu’au 10 juin, où elle fut prise d’une terrible crise d’entérite, fatale cette fois. Le 15 juin mourait à Montargis Renée de France, duchesse de Ferrare et de Montargis, une femme secrète, étrange, sur les convictions religieuses de laquelle la lumière n’a jamais encore pu être faite.

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