II


La captive aux chaînes d’or

Ce soir-là, Catherine demeura longtemps sur le rempart après que son amant eut disparu, sans doute pour aller chercher au fond d’un broc de vin l’oubli de la peur que lui inspirait César Borgia. Jamais comme cette nuit, elle n’avait éprouvé à ce point le besoin de solitude. Peut-être parce que son âme indomptable portait maintenant une fêlure.

Résister lui avait paru facile, vivifiant même, tant qu’elle avait imaginé que le cœur de celui qu’elle aimait battait à l’unisson du sien. Mais avec quelques phrases, l’idole avait vacillé sur ses pieds d’argile et s’était effondrée dans la boue. Un lâche ! Giovanni n’était qu’un lâche. Elle l’avait cru sans peur, sinon sans reproche, et à découvrir en lui un couard, elle éprouvait une sorte de malaise physique proche de la nausée.

Elle n’avait pas de chance, décidément. Hormis Jean de Médicis, tous les hommes qui avaient joué un rôle quelconque dans sa vie étaient des lâches, depuis Girolamo Riario, son premier mari, jusqu’à ce Giovanni da Casale, en passant par le beau et stupide Feo, son second époux. On eût dit qu’elle attirait les pleutres, elle dont la vaillance était célèbre dans toute la péninsule.

La dame de Forli allait enfin quitter le chemin de ronde pour prendre quelque repos quand une flèche siffla et vint s’enfoncer en vibrant dans la porte de l’escalier, non loin d’elle. Quelque chose de blanc, un papier sans doute, était attaché à l’empennage.

Elle le détacha, le lut, et un sourire mélancolique vint éclairer son beau visage. C’étaient des vers d’amour, un court poème écrit en français et qui célébrait à la fois son courage et sa beauté. Ce siège, décidément, n’avait rien d’habituel et si Borgia se révélait un ennemi acharné, les Français qui l’aidaient par ordre du roi Louis XII étaient de bien curieuses gens. Ils assiégeaient la forteresse d’une femme qu’ils couvraient de vers et de déclarations enflammées…

Car ce billet n’était pas un cas isolé. Il en tombait sur le chemin de ronde trois ou quatre chaque nuit, et ce n’étaient jamais des lettres anonymes ; poèmes ou billets doux étaient toujours signés, parfois de fort grands noms, et tous comportaient autant de passion que de fautes d’orthographe, ce qui n’était pas peu dire !

Fourrant le papier dans son aumônière, la comtesse se décida enfin à regagner ses appartements, mais sans qu’elle pût expliquer pourquoi, son cœur était un peu moins lourd. Ces hommages venus du camp ennemi apaisaient quelque peu sa déception, car elle était trop femme pour ne pas se montrer sensible, si peu que ce fût, à une dévotion qui employait de tels moyens pour se faire connaître.

Le lendemain matin, Borgia fit une nouvelle tentative de conciliation, encore plus mal reçue que la veille. La dame de Forli lui rit au nez, et comme il offrait pour caution de sa bonne foi les paroles d’honneur du bailli de Dijon et du seigneur d’Allègre, elle lui répliqua fort vertement que « là où manquait le principal, il n’y avait que faire de l’accessoire… ». On ne pouvait, selon elle, être bon gentilhomme, même si l’on était roi de France, en étant l’allié d’un bandit tel que César Borgia !

Naturellement, après une entrevue de cette aménité, le Valentinois rentra au palais de la cité à peu près fou de rage, jurant qu’avant peu, il aurait raison de cette femme indomptable. Et cela, par n’importe quel moyen !

Or, il se trouva que ce moyen vint à lui le soir même, sous la forme d’un homme masqué, entièrement vêtu de noir, qui se présenta au palais et demanda à lui parler personnellement :

— Si je vous livre la forteresse de Ravaldino, que ferez-vous de moi, seigneur duc ?

L’œil froid de César s’alluma brièvement, tandis qu’un sourire glissait sous le masque de velours noir. Ce langage lui convenait car il le comprenait. Un traître. C’était tout juste ce qu’il lui fallait. Mais il avait l’impression de connaître cette tournure, de l’avoir déjà vue plusieurs fois.

— Qui êtes-vous ?

— Que vous importe si je vous donne ce que vous souhaitez.

— Je n’aime guère les gens masqués quand ce n’est pas pour une raison aussi valable… que la mienne.

— Elle est aussi valable, croyez-moi… peut-être craigné-je moi aussi de faire horreur. Mais nous perdons du temps ! Que m’offrez-vous contre la forteresse ?

— Vous croyez-vous en mesure de vous montrer fort exigeant ? Tôt ou tard, Ravaldino tombera. Il faudra bien que le comtesse Catherine cède, car je sais qu’aucun secours ne lui viendra.

— Mais dans combien de temps ? Croyez-moi, si je vous dis que vous pouvez encore être retenu ici jusqu’au printemps. Qu’en sera-t-il alors de votre réputation ? Ne fût-ce qu’aux yeux de vos alliés, qui déjà n’ont que trop tendance à admirer leur ennemie.

Il y eut un silence. Puis, à nouveau, César sourit. Il savait maintenant qui était l’homme assez lâche pour livrer une femme.

— Venez, fit-il en se dirigeant vers une petite porte basse. Nous allons en discuter dans mon cabinet.

Le 12 janvier 1500, les crieurs de César Borgia parcoururent les rues de Forli, ordonnant aux habitants de se rendre aux bords de la forteresse en apportant chacun une fascine. Celui qui mettrait quelque mollesse à l’accomplissement de cette tâche serait pendu quels que soient son âge ou son sexe.

— Nous sommes dimanche, clama César depuis le balcon du palais et vous verrez que mardi, la comtesse sera entre mes mains. J’ai parié trois cents ducats qu’il en serait ainsi. Malheur à celui qui me fera perdre !

Il n’était pas question de discuter. Chacun obéit, certains avec un affreux sentiment de honte, d’autres avec l’espoir de toucher une fabuleuse récompense, car l’on disait que Borgia avait promis cinq mille ducats à qui lui livrerait la forteresse et la comtesse. Sans se douter d’ailleurs le moins du monde que le futur bénéficiaire des cinq mille ducats était déjà trouvé. Le traître était prêt à agir.

Le jour même, les troupes pontificales se ruèrent à l’attaque. Les canons avaient enfin réussi à ouvrir deux brèches en tirant sur deux points de la muraille dont rien ne révélait extérieurement la faiblesse, mais qu’un avis judicieux leur avait signalé. Les assiégés se précipitèrent pour les colmater, mais durent se replier sous une véritable rafale de projectiles. La comtesse comprit que sa ruine était imminente, mais pas un instant l’idée de capituler n’effleura son âme vaillante.

Les assaillants avaient jeté dans les fossés tant de fascines, de pierres et de pontons qu’ils pouvaient maintenant les franchir sans peine. Aussi s’élancèrent-ils à l’assaut, passant seize à la fois. Mais là aussi, l’objectif de l’assaut avait été soigneusement choisi, car sur la grosse tour qui commandait le lieu de l’attaque et portait la bannière frappée de la vipère Sforza, les canons se taisaient. C’était le poste de combat de Giovanni da Casale, l’amant de la comtesse.

Un Suisse, nommé Cupizer, escalada cette tour, en arracha la bannière et l’agita en l’air en signe de triomphe.

— Venez, venez, nous avons la victoire ! voici la bannière ennemie !

Mais la victoire n’était pas encore acquise et la comtesse pas encore prise. Avec une poignée d’hommes, elle s’était enfermée dans le donjon non sans avoir craché son mépris à la face de son amant.

— Lâche ! aucun homme n’est plus lâche que toi ! et peut-être aussi n’es-tu qu’un traître ! Que t’a promis Borgia pour que tu laisses passer l’assaut sans tirer ?

Mais l’heure n’était pas encore aux explications. Le combat reprit, féroce, acharné. Plusieurs fois, entourée de ses derniers fidèles, la dame de Forli tenta des sorties. Elle combattait elle-même, alors que César, laissant faire ses troupes, avait préféré regagner son palais de la cité pour y attendre la fin des combats en préparant la suite de ses campagnes.

Droite dans la mêlée, ses longs cheveux blonds dénoués flottant sur ses épaules, elle abattait inlassablement la hache d’armes qu’elle maniait comme un homme. Autour d’elle, les siens accomplissaient des prodiges de valeur. Cinq cents cadavres jonchaient les abords du donjon. Mais la lutte était par trop inégale, et Catherine comprit qu’elle allait voir fondre ses troupes sans parvenir à vaincre.

— En arrière ! cria-t-elle. Retirez-vous dans le donjon ! Je le ferai sauter plutôt que de le rendre.

Ce n’était pas une menace en l’air. Dans les caves du donjon, dont les murailles lisses défiaient l’escalade, il y avait une grosse réserve de poudre. Donnant l’exemple, la comtesse voulut regagner son ultime retranchement tandis que ses hommes, reculant peu à peu, couvraient sa retraite.

Soudain, une exclamation de stupeur partit des rangs des combattants.

Le drapeau blanc !

En effet, sur les créneaux du donjon, quelqu’un hissait l’emblème de la capitulation, tandis qu’en bas une main criminelle refermait la porte de l’ultime refuge de Catherine. Giovanni da Casale parachevait sa trahison et s’assurait les cinq mille ducats promis par César Borgia.

L’instant de stupeur et de colère qui s’empara de la comtesse et de ses hommes leur fut fatal. Les Suisses se ruèrent en avant…

Quelques instants plus tard, l’un d’eux s’emparait de Catherine au nom du bailli de Dijon, son capitaine. D’abord furieuse, celle-ci se calma très vite, jeta sa hache ensanglantée désormais inutile tandis qu’un sourire, le premier depuis bien longtemps, apparaissait sur son visage las.

— Le bailli de Dijon ? Soit donc, Monsieur. Sachez que je me rends à lui et au roi de France ! C’est de votre maître suprême que je me déclare prisonnière.

C’était, en effet, très certainement le salut. La comtesse n’ignorait pas que la loi française interdisait qu’une femme fût prisonnière de guerre et c’est très calmement que, encadrée par les Suisses, elle quitta sa forteresse à demi ruinée et gagna le tertre où l’attendaient ses vainqueurs.

César Borgia, qui s’était hâté de revenir, s’y tenait auprès du duc de Vendôme, du bailli de Dijon et du seigneur Yves d’Allègre. Voyant s’avancer cette femme pâle aux cheveux défaits répandus sur sa robe déchirée et sanglante, ce dernier sauta à bas de son cheval et s’inclina profondément, balayant la poussière des plumes noires de sa toque. Puis il se redressa et, à pleine voix, ordonna :

— Soldats ! Au nom du roi de France, saluez !

Les tambours roulèrent, les trompettes sonnèrent, tandis que des larmes montaient aux yeux de la guerrière vaincue. Et ce fut en reine, saluée par les vivats de toute l’armée, qu’elle approcha des capitaines.

Vivement, à l’exemple d’Yves d’Allègre, le duc de Vendôme avait mis pied à terre et force fut à César Borgia, si furieux qu’il en grinçait des dents, d’en faire autant.

Le soir venu, une violente discussion éclatait entre les chefs de guerre. César Borgia exigeait que la prisonnière lui fût remise. Yves d’Allègre s’y opposait farouchement.

— Vous êtes ici pour me servir, hurlait le fils du pape. Le traité que j’ai signé avec le roi votre maître indique que les conquêtes seront miennes !

— Les conquêtes, oui, pas les femmes ! Madame de Forli est sous la protection du roi de France et je suis prêt à soutenir, les armes à la main, que ma cause est juste. Êtes-vous prêt, Monseigneur, à en faire autant ?

Il n’en était évidemment pas question. Borgia parut céder. Il se contenterait donc de la ville et de sa forteresse… Cependant, il restait encore, dans l’État un point chaud : la petite citadelle de Forlimpopoli qui ne semblait pas désireuse de se rendre, sans doute parce qu’elle ignorait la chute de Ravaldino. Monseigneur d’Allègre accepterait-il de s’en charger ?

Allègre accepta. Ce n’était d’ailleurs qu’une formalité : la comtesse vaincue, Forlimpopoli ne résisterait pas plus de quelques heures, et il voulait tout de même faire preuve de bonne volonté.

— J’y vais, dit-il. Demain, je serai de retour !

Hélas, l’apparente courtoisie de Borgia avait trompé le Français, qui n’avait encore qu’une faible idée de la duplicité du personnage. Il ne vit aucun inconvénient à ce que l’on offrît à Catherine de résider dans la maison de l’un des notables de Forli, un certain Numai, ignorant que Borgia venait d’y transporter ses quartiers personnels à la suite de l’effondrement du toit du palais de la cité sous un boulet de canon.

Le soir même, Catherine et son ennemi se trouvèrent face à face et seuls. Borgia ne crut pas utile de conserver plus longtemps la façade d’amabilité que lui avaient imposée ses alliés. Brutalement, il mit la comtesse en demeure de lui livrer ses enfants, que l’on n’avait pu trouver.

Elle lui éclata de rire au nez.

— Mes enfants ? Me croyiez-vous donc assez stupide pour les laisser à votre merci ? Il y a longtemps qu’ils ont quitté la région et le véritable seigneur de Forli, mon fils, Ottaviano, est en sûreté à Florence. Vous pouvez me tuer, ma famille vous échappe !

Un affreux juron, bien regrettable chez un ancien cardinal, échappa à Borgia. Cette femme avait raison, une fois de plus. Tant qu’il ne pourrait pas éteindre complètement la race des maîtres légitimes de Forli, il risquerait de faire figure d’usurpateur. Était-il donc écrit qu’elle le narguerait toujours ? Fou de rage, il s’avança vers elle, le meurtre dans les yeux.

Dédaigneuse, un sourire railleur sur les lèvres, elle le regardait approcher. Un éblouissement passa, comme un voile rouge, devant les yeux de l’homme et sa main se porta machinalement vers la poignée de sa dague. La comtesse suivit le geste du regard.

— Vous voulez me tuer ? C’est là une excellente idée qui me rendra grand service.

Ce dernier défi arrêta Borgia. Il laissa retomber sa main tandis qu’un sourire mauvais passait sur son visage encore boursouflé.

— Vous tuer ? Ce serait trop facile ! Je préfère vous punir d’une autre façon.

Lentement, sans la quitter des yeux, il reprit sa marche vers elle. Il y avait tant de haine dans ce visage nu, encore ravagé par le mal, que la comtesse frémit malgré son courage. Elle venait de comprendre quelle était la nature exacte de la punition qu’il entendait lui infliger.

Quand il posa la main sur son épaule, elle se tordit comme la vipère de ses armes célèbres, le mordit sauvagement au poignet comme n’importe quelle fille des ruisseaux de Rome. Alors il frappa, brutalement, aveuglément, sans autre souci que faire mal et réduire enfin l’orgueil et la résistance de cette femme qui le narguait encore. Elle résista cependant, luttant contre lui avec ses seules mains nues aussi courageusement qu’elle l’avait fait avec ses armes.

— C’est bien la première fois que je te vois combattre, Borgia ! lui jeta-t-elle. Il est vrai que, pour un brave de ta sorte, une femme est un ennemi convenable.

— Vous n’êtes pas une femme, vous êtes un démon !

Malheureusement, elle était épuisée par le combat livré dans la journée, par l’angoisse et des nuits entières passées sans sommeil. Lui était pleinement dispos et beaucoup plus vigoureux qu’elle. La lutte se fit moins âpre. La comtesse, désespérée, sentit qu’elle était à bout. D’un dernier coup de poing, il la jeta à terre à demi assommée… Elle y resta immobile…

Alors il bondit sur elle pour en triompher de la plus ignoble façon, car le viol était aussi l’une de ses spécialités.

Quand Yves d’Allègre revint, le lendemain, elle n’osa pas lui avouer le traitement qu’elle avait subi. Elle était en effet de ces femmes qui savent lire sans peine dans le regard et le cœur d’un homme, et il ne lui avait fallu qu’un instant pour comprendre que celui-là l’aimait. D’ailleurs il avait été l’un des signataires des nombreuses lettres que les flèches lui avaient apportées durant le siège.

Par contre, elle frémit en apprenant que le roi Louis XII le rappelait à Milan avec ses soldats, car il était impossible qu’il l’emmenât avec lui.

— Nous avons passé un accord avec monseigneur Borgia, lui dit-il. Vous serez, Madame, conduite à Rome, où vous serez traitée avec honneur et où vous résiderez en attendant que le roi mon maître ait pris une décision pour votre avenir.

— Croyez-vous vraiment à la parole d’un Borgia, demanda-t-elle tristement, même pape ?

— Je n’ai pas de raison d’en douter, Madame. J’ajoute que si vous-même n’y croyez pas, je vous supplie au moins de croire à la mienne, que je vous engage, et à celle du roi Louis. C’est un dépôt sacré qu’en votre personne il remet au pape. Un dépôt dont il demandera compte.

— En êtes-vous bien sûr ?

— Comme de moi-même. D’ailleurs, l’oublierait-il que je serais là et moi, Madame, je ne vous oublierai jamais à moins que je ne sois mort ! Mais tant que je vivrai, je serai votre défenseur et votre serviteur fidèle.

Elle lui sourit, émue par cet amour qui s’avouait aussi franchement puis, spontanément, lui tendit les deux mains.

— À cause de vous, j’essaierai d’avoir confiance. Mais ne m’oubliez pas.

Malheureusement, les pressentiments de la comtesse n’étaient que trop fondés. À Rome, elle devait expérimenter ce que valaient les paroles des Borgia, même celles d’un pape. D’abord traitée avec quelques égards et logée au Vatican dans le palais du Belvédère, elle dut bientôt faire face à une invraisemblable accusation de tentative de meurtre contre le Souverain Pontife. L’accusation, bien entendu, n’avait aucun fondement sérieux, mais on s’en servit pour l’arrêter et la jeter dans l’un des cachots de château Saint-Ange.

On l’en tira pour la faire figurer dans le triomphe que César Borgia voulait s’offrir à la manière des anciens empereurs. Et le peuple romain, qu’elle avait jadis ébloui de son faste et de sa beauté, vit passer, traînée au char du vainqueur, une femme enchaînée vêtue d’une robe de bure brune. Les chaînes étaient pesantes… mais elles étaient d’or massif. Et pas un cri ne s’éleva sur son passage, car cette femme en qui chacun devinait une victime était plus noble et plus imposante que le principal acteur de ce triomphe grotesque.

La représentation terminée, on la rejeta dans son cachot, l’un des plus noirs et des plus malsains du château fort. Elle allait y rester un an… jusqu’à ce qu’Yves d’Allègre revînt en Italie.

La mauvaise chance de Catherine avait voulu que de Milan, il fût envoyé en France, où rien n’était venu lui apprendre ce qui s’était passé à Rome, mais à peine fut-il revenu, conduisant de nouvelles troupes, que la rumeur publique lui apprit comment les Borgia entendaient l’expression « traiter avec honneur ». Il n’hésita pas une seconde.

Sautant à cheval avec une petite escorte, il gagna Rome et fit irruption plutôt qu’il ne se présenta devant Alexandre VI.

Stupéfait, celui-ci s’entendit signifier d’une voix impérieuse l’ordre de remettre en liberté immédiate la comtesse de Forli, prisonnière du roi de France et indûment détenue par l’Église. Le pape n’eut même pas la possibilité de discuter.

— Au cas où Votre Sainteté n’accepterait pas, ajouta le capitaine, qu’elle sache bien que mes troupes se trouvent actuellement à Viterbe et qu’avant une semaine, si j’en donne l’ordre, mes canons seront braqués sur Rome !

Peu désireux de s’attirer une aussi mauvaise affaire, le pape accorda la libération de la captive, qu’Yves d’Allègre alla lui-même chercher dans sa prison. Mais ce fut une femme aux cheveux blancs, complètement épuisée, qu’il ramena à la lumière du jour. Alors, lui qui avait rêvé de la ramener en France, il écouta sa prière et la fit conduire auprès de ses enfants, à Florence.

Elle y vécut huit années encore, dans la belle villa di Castello, se consacrant tout entière à l’éducation du petit Jean, son dernier fils qu’elle aimait plus que les autres parce qu’elle se reconnaissait en lui, jusqu’à ce 28 mai 1509 où s’éteignit enfin, pour entrer dans la légende, celle qui avait été la glorieuse dame de Forli.

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