Chapitre 5

– Ce Desgrez est un salaud.

Le vieux terme de la matterie lui revenait aux lèvres alors qu'elle réfléchissait à l'histoire de Bardagne.

À la Cour des Miracles, on l'employait pour désigner un traître, un faux jeton... Mais avec aussi une nuance d'indulgence et d'admiration :

– Un salaud !

– Un salaud, c'était un « mion » qui avait des idées pas ordinaires, disait-on encore à la Cour des Miracles, des idées « qu'on ne savait pas où il allait les chercher », des choses terribles, un génie pour mijoter des mauvais coups. Sournois, impensable, mais dont on ne pouvait pas dire non plus que ce qu'il entreprenait n'était pas de bonne guerre, que ce n'était pas franc-jeu. Un salaud, c'était celui qui savait se défendre et qui faisait flèche de tout bois pour y parvenir.

Angélique était seule dans le salon du Gouldsboro. Debout, devant son écritoire, elle pensait à Desgrez. C'était le soir. Une lampe de stéatite posée sur une console et garnie d'huile de phoque répandait sa lueur jaune et douce. Les sauvages Eskimos, du Grand Nord, échangeaient ces veilleuses primitives contre du sel, des perles. Elles éclairaient et chauffaient à la fois. Leur clarté était celle du miel, elle se répandait en halo vaste et intime. Dans la lumière, le visage d'Angélique se révélait songeur.

Elle n'était pas retournée à terre aujourd'hui. La « capture » de M. d'Arreboust avait suffi à l'occuper. Elle n'avait pas envie de revoir Bardagne.

Elle avait tout tiré de lui. Le Saint-Jean-Baptiste appareillait, disait-on, le lendemain.

Et, vogue la galère ! Il serait temps de retrouver son amoureux transi à Québec. Ce qui, derrière Bardagne, occupait son esprit, c'était Desgrez.

Desgrez, surgit. Desgrez la regardant dans la pénombre et lui disant : « Me voici, marquise des Anges. »

Alors, cela donnait le raisonnement suivant : si Desgrez intervient, c'est rassurant car il est très efficace, mais c'est aussi inquiétant car c'est la preuve que la situation est dangereuse. Desgrez est toujours intervenu quand cela allait très mal pour elle.

Il n'est pas seulement intervenu pour jouer un mauvais tour à Bardagne. Le comte de Bardagne ne sait rien. Il pense que Desgrez l'a envoyé en mission en raison de ses mérites.

Mais c'est Angélique qu'il cherche à travers lui. Il lui a envoyé un homme qui n'est pas dangereux pour elle. Un homme qui suivra ses instructions, car sinon il le renverra en prison.

À elle de jouer le jeu, maintenant. Là-bas ! Ici !

Le fait que d'Arreboust avait été arrêté, que Loménie-Chambord se trouvait presque disgracié, qu'une menace sérieuse pesait sur Villedavray, malgré sa faconde, et même sur l'intendant Carlon, pour le simple fait d'avoir accepté leur aide en Acadie, prouvait la force de la collusion de ceux qui voulaient les écarter.

Il y avait eu Ambroisine. Elle était presque un symbole, une quintessence du refus. Elle avait été comme un lien entre les complices des deux mondes, désignés pour combattre Angélique et Peyrac.

Elle avait disparu. Mais d'autres surgiraient.

C'était comme l'hydre aux cent têtes. Pourquoi ? En échange, Desgrez réapparaissait. Il reprenait sa place dans le ballet tournoyant. Sans doute, ne l'avait-il jamais quittée, la ronde qui les entraînait...

Elle fit un effort de mémoire.

Ambroisine lui avait parlé de Desgrez qui était sur le point d'arrêter son amie, la marquise de Brinvilliers, l'empoisonneuse. Elle avait dit : « Je me suis enfuie à cause de lui. Il était trop curieux, il était sur mes pas... »

Elle sursauta.

Une présence invisiblebougeait à ses côtés comme si un être s'approchait d'elle avec précaution, frôlant sa robe. Elle se rejeta en arrière, la bouche ouverte, prête à crier de terreur. Elle était restée terriblement nerveuse depuis l'histoire de la Démone.

– Ah ! C'est toi ... ? Tu m'as fait une belle peur ! ... ? Viens, mon chat...

Le chat l'avait suivie à son habitude presque dans son appartement. Ou bien était-il endormi sur le lit ?

Intrigué de la voir ainsi immobile debout, il s'approchait, sautait sur la table et maintenant il était tout près, effleurant sa joue de son petit museau de satin rose, ses yeux d'or plongeant dans les siens avec une curiosité dubitative : « Qu'est-ce qu'il lui arrive ? Est-elle malade ou bien veut-elle jouer ? »

Elle se mit à rire.

– Viens, mon chat...

Elle l'entoura de son bras, sondant ces prunelles impavides et mystérieuses.

« ... Toi, tu l'as vue ! songeait-elle. Tu as vu le feu de Satan qui auréolait son ravissant visage et tu te hérissais et crachais de fureur... Le Mal... Toi, tu le voyais, petit chat !...

Et l'Indien aussi, l'a vu. Piksarett ! « Une femme pleine de démons », disait-il. Et il a pris la fuite en me criant : « Fais tes prières. »

Retrouverait-elle Piksarett en Canada ? L'abandonnerait-il aux démons ?

Elle caressa le chat. Son tendre pelage était rassurant. Il avait de longs poils soyeux. En chat adulte, bien nourri, qui, enfin, n'a d'autres soucis que de se parfaire, il passait la plus grande partie de ses journées à se laver très activement. Pour le moment, il était calme, confiant en l'avenir. Il se roula en boule, s'installant près de la lampe pour un repos qu'il paraissait envisager long et sans rêves.

C'était en le retrouvant ensanglanté, dans la nuit du village, à Gouldsboro, les pattes brûlées, torturé par un invisible démon, qu'elle avait appris que le Mal rôdait... Le Mal qui s'attaque à l'Innocence.

Dans un boudoir de Versailles, jadis, la nuit encore, elle avait vu à la lueur des chandelles, un nouveau-né qu'on égorgeait avec une longue aiguille.

« Ne regardez pas au panier », disait aux gardes du Palais, la voix rauque de l'horrible sorcière, remportant, à l'aube, le petit cadavre immolé.

La même terreur nauséeuse lui revenait à l'évocation de ces souvenirs.

Angélique s'assit devant la tablette du secrétaire.

Le chat, les pattes repliées en manchon, les yeux à demi clos, n'en surveillait pas moins avec intérêt des préparatifs inusités :

Feuillets de vélin grège, un encrier, une plume d'oie soigneusement coupée, le grattoir, le canif, les bâtons de cire, la coupe d'écaille, sertie d'or, où reposait un sable fin. Ce dernier objet paraissait l'intriguer. De temps à autre, il avançait très doucement son petit nez curieux, reniflait, puis reprenait sa pose à la fois somnolente et vigilante.

Un élan impulsif amenait Angélique devant cet écritoire où elle s'asseyait rarement, la poussait à ouvrir la cassette renfermant ce qu'il fallait pour rédiger.

D'avoir vu Villedavray décidé à envoyer un suprême courrier vers l'Europe lui avait donné une idée.

Au-dehors, une corne de brume appelait dans un silence ouaté. Le brouillard retarderait le départ du Maribelle.

Quelque part, dans les entrailles du Gouldsboro, Villedavray griffonnait avec ardeur, ne négligeant pas ses chances de lancer une fois encore pardessus les mers des lignes bien appâtées destinées à lui ramener mille biens convoités : un page maure, un bibelot, une liqueur rarissime. Les amies et amis, là-bas en Europe, n'avaient qu'à se démener un peu pour lui. Qu'avaient-ils d'autre à faire ?

Angélique hésita, puis s'assit. Elle prit la plume. « Avec tout ce que je sais, j'en ferai taire de ces langues de vipère, de ces fielleux courtisans, de ces jaloux dévots toujours prêts à détruire. »

« Desgrez, mon ami Desgrez,

Je vous écris d'un pays lointain. Vous savez lequel. Vous devez le savoir ou vous vous en doutez. Vous avez toujours tout su de moi...

Cela remontait à très loin. Depuis le temps où il l'accompagnait aux étuves de maître Georges, rue Saint-Nicolas, depuis celui où il la pourchassait avec le chien Sorbonne, à travers les rues.

« Tiens, je te le rends ton flingue... »

Dans la nuit acre de Paris, un poignard tombait à ses pieds. Son poignard... Le policier s'en allait, se fondant dans l'ombre. Desgrez sur ses traces. Partout surgissant, disparaissant.

À La Rochelle, il l'avait laissée s'enfuir.

« Desgrez, mon ami Desgrez,

Voici ce que j'ai à vous dire :

Il y a six ou sept années, vous aviez voulu connaître de moi certains secrets sur de grands personnages que vous soupçonniez de crimes. Je viens vous les livrer aujourd'hui. »

Elle écrivait maintenant, rapidement.

« Je sais une petite maison à l'angle de la rue des Blancs-Manteaux sur la place Triquet. Loge là, y logeait il n'y a guère, une devineresse du nom de Deshayes-Monvoisin. Elle a encore à La Gravois, du côté du faubourg Saint-Denis, une fort belle demeure et d'autres repaires, et c'est là qu'elle prépare ses filtres et ses poisons. Là aussi que sont égorgés les enfants... »

La plume courait sur la feuille avec un grattement léger. Le chat, soupçonneux, suivait du coin de l'œil le frémissement de cette aile blanche qui, au bout des doigts d'Angélique, palpitait. Par instants, il essayait d'y donner un coup de patte léger.

La plume dérapait. Mais Angélique n'en avait cure. Elle était toute à son mémoire. Les choses secrètes, qu'il y a quelques années M. de La Reynie et François Desgrez avaient essayé en vain de lui faire avouer9, elle les révélait aujourd'hui.

À l'époque ce qu'elle savait pouvait faire écrouler un monde, livrer toute la Cour à l'opprobre des foules et certains à la hache des bourreaux, voire au bûcher de l'Inquisition, vouer des princes au sommet des honneurs, à l'exil, bouleverser des fortunes et des carrières et enfin atteindre le Roi au cœur. Les yeux des magistrats levés vers elle ne cachaient pas leur certitude. Ils savaient qu'elle savait et ils l'adjuraient.

– Parlez, madame, insistait M. de La Reynie. Quelle est votre ennemie et qui est la sorcière payée par elle ?

Elle s'était tue... Mais aujourd'hui...

Aujourd'hui que l'affrontement avait lieu à nouveau, ou plutôt atteignait sa phase ultime, combat forgé d'obscures traîtrises, d'ostracismes jaloux, de souterraines manœuvres, de secrets sur eux dévoilés, exploités à leur encontre, de calomnies dangereuses et qui semblaient destinées à les repousser une fois encore dans leur lutte de survie, à leur donner le coup de grâce, aujourd'hui, où ce qu'elle savait pouvait faire taire ses invisibles ennemis, elle parlerait.

« Cette femme, la Voisin, a ses entrées à Versailles. Si vous mettez la main sur une demoiselle Desœillet... »

Desgrez aurait attendu longtemps cette heure. Il ne pouvait lui-même, sans dénonciation, pénétrer dans Versailles et y atteindre les criminels. Il savait qu'il fallait aller toujours plus haut.

« Par cette fille, vous tiendrez le bout de l'écheveau. Cette personne est suivante d'une des dames les plus considérables de l'entourage du Roi. C'est par là qu'il faut chercher. »

Elle s'arrêta et évoqua Mme de Montespan, son amie de jadis, la toujours triomphante maîtresse du roi, et celle qui, la considérant comme sa rivale près du monarque, avait essayé de l'assassiner.

Elle ajouta : C'est bien cette dame de haut rang qui me fit préparer jadis « la chemise » par les soins de ladite Monvoisin...

Elle hésitait à écrire en toutes lettres le nom fulgurant : Athénaïs de Montespan.

Baste ! Desgrez comprendrait.

Ou bien cette lettre lui parviendrait, ou bien si elle tombait entre des mains étrangères, il vaudrait mieux qu'on ne comprit pas tout.

M. d'Arreboust avait dit : « Mon valet continuera le voyage. Il souhaitait retourner en Europe. Mais chargé de toutes les missives qu'il vous agrée, et des plus confidentielles. Il les fera parvenir à destination. »

Desgrez, enfin, allait découvrir la charnière qui ferait s'entrouvrir la porte sur la forteresse des crimes. La forteresse était bien gardée. Peuple de la Cour, arrogant, amoral, assuré de ses privilèges, orgueilleux de ses vices, prêt à tout pour les satisfaire et autour duquel gravitait tout un peuple de complices : valets, suivants, confesseurs, commerçants, trop intéressés à se maintenir dans le sillage des grands pour ne pas donner au secret son empire.

Les griffes noires des « grimauds » de La Reynie glissaient sur cette carapace brillante, sans pouvoir jamais en entamer l'armure. On repêchait des cadavres transpercés dans la Seine, on récoltait quelques bruits à propos d'une mort subite, d'un procès trop vite réglé, on se faisait sacquer pour avoir voulu avancer trop loin son nez. De toute façon, les plus hardis policiers n'arrivaient jamais à saisir que du vent.

La duchesse de Maudribourg était un exemple de ce beau gibier poursuivi en vain. Elle avait quand même fini par trouver nécessaire de prendre le large, quitte à continuer ses exploits au-delà des mers. Angélique se souvenait qu'en arrivant à Gouldsboro, Ambroisine savait beaucoup de choses sur son passé : qu'elle avait été à la Cour, qu'elle s'y nommait Mme du Plessis-Bellière, qu'Athénaïs la haïssait toujours. Desgrez avait quand même réussi à atteindre cette Mme de Brinvilliers. Mais, toutes proportions gardées, la redoutable empoisonneuse n'était que du menu fretin. Elle se présentait comme un personnage en marge, opérant dans le cercle étroit, fermé, de sa famille, de ses amants, de quelques relations, pour son plaisir et sa satisfaction personnelle. Glazer, son fournisseur d'arsenic, devait être un bonhomme prudent et certainement moins prolixe de sa marchandise que la débrouillarde Monvoisin qui ravitaillait tout Paris.

Ayant mené la Brinvilliers à l'échafaud, le policier risquait de se retrouver, tout quinaud, sa mâchoire claquant sur du vide. L'autre oiseau, Ambroisine, s'était envolé. Et les grands demeuraient inaccessibles. Comment l'amener à un point de départ positif qui, au lieu de le faire débuter par en bas, le ferait partir d'en haut, à l'autre bout de la chaîne ? Car il n'était pas certain que la Voisin, même sous la torture, parlerait.

Subitement, un détail revint à la mémoire d'Angélique. Dans un élan qui fit tressaillir le chat dont le ronronnement s'était interrompu sous l'empire du sommeil, elle reprit sa plume et écrivit.

« Pour tout savoir, vous ouvrirez ce pli que j'ai remis à M. de La Reynie, telle date, le priant de ne l'ouvrir que si l'annonce de ma mort lui parvenait. Je ne suis pas morte, mais je vous dis aujourd'hui : Rompez les sceaux sur ma demande. Là sont consignées toutes choses qu'il vous est nécessaire d'apprendre quant à l'attentat dont j'ai failli être victime à Versailles.

Vous y lirez ainsi des noms dont la connaissance vous permettra de rechercher et de dénoncer avec succès les misérables qui, sûrs de l'impunité, n'hésitent pas à attenter à la vie de leurs semblables et à se livrer à Satan. »

Elle biffa toute la fin de cette phrase. La recopia sur une autre page en s'arrêtant aux mots : tout ce qui vous est nécessaire d'apprendre. Pas besoin de commentaires... Elle se souvenait que dans ce pli remis à La Reynie étaient livrés, en sus du nom de Mlle Desœillet, la suivante de Mme de Montes-pan qui, sur les ordres de sa maîtresse, introduisait au Palais des drogues aphrodisiaques pour le Roi, ceux des portiers et des gardes qui recevaient de l'or pour laisser entrer la Voisin, de nuit, au Palais. Ils n'ignoraient pas que dans son panier elle apportait un enfant nouveau-né destiné à être égorgé quelques instants plus tard sur l'autel de Satan.

La messe noire célébrée, la devineresse repassait avec le même panier où gisait le petit cadavre, et le suisse, les gardes, recevaient leur salaire d'écus sonnants et trébuchants.

Il serait bien étonnant que ces braves gens, sur le chevalet, ne donnassent pas le nom de Mme de Montespan... À la longue, elle devrait rendre gorge elle aussi, l'ambitieuse.

Des milliers d'enfants égorgés ainsi pour obtenir par les maléfices l'amour, la mort, la beauté, la jeunesse, la fortune.

Des milliers de fioles de poison circulant sous le manteau.

Angélique respira profondément.

Ils avaient éclaté de rire l'autre soir lorsqu'elle leur avait jeté : « Et les empoisonneurs... »

Quels que fussent les bruits qui couraient dans Paris ou ailleurs, on éclaterait toujours de rire : « Non, mais ! des empoisonneurs à la Cour ? Vous y croyez, vous, à ces ragots ? »

Il n'y avait que Desgrez assez coriace, assez cruel, pour faire cesser ces rires et les transformer en pleurs et grincements de dents, de terreur, en crainte du châtiment...

« Mon ami, considérez le bien que je vous veux par ces révélations. Cependant, je vous conjure désormais d'être attentif à ce que l'on dira de nous – il devinerait qu'elle parlait d'elle et de Joffrey – à repérer les ennemis que nous avons dans le royaume et qui dans un dessein de seule puissance œuvrent encore pour notre perte, si loin que nous soyons. De grâce, dans la mesure de votre influence, cherchez à soutenir nos intérêts près du Roi. »

Elle biffa encore cette phrase. Desgrez était bien capable d'y penser tout seul à soutenir leurs intérêts près du Roi. Car c'était le Roi qui tenait le sort de tous entre ses mains.

Elle se contenta d'ajouter :

« Merci, grimaud du diable. »

Puis hésita, avant de signer :

Marquise des Anges.

Ainsi, il la reverrait, fuyant légère – une enfant encore – dans les rues de Paris. La nuit putride, nauséabonde. Le chien la poursuivait.

– Sorbonne, dit-elle à mi-voix.

Il devait être mort, le chien Sorbonne. Cette terreur qu'elle éprouvait ! Comment son cœur ne s'était-il pas rompu dans cette course ! Sorbonne ! Sorbonne !

Ainsi Desgrez la reverrait. Lorsqu'il l'avait relevée dans ses bras, si frêle, échevelée, marquise des Anges...

« Qu'est-ce qu'il toque son palpitant... »10

Elle releva les yeux, regarda le chat qui la regardait.

Nous sommes bien ici, mon petit. La vie s'est écoulée. Nous voici en son mi-temps, sur un navire. Mais nous l'emportons quand même avec nous, avec tout son poids. La vie. Tu comprends !

Le chat ronronna.

Peut-être arrivons-nous au bout de la course ? Au sommet ? À la victoire ?

Elle regardait l'épître, raturée par endroits.

Un message qui rejoindrait Desgrez, Paris, la Cour, et les drames obscurs dont leur sort dépendait.

Elle la sabla. Ajouta dans le bas quelques mots encore :

« Il se pourrait que nous ayons besoin, un jour proche, d'un rapport sur la duchesse de Maudribourg. Pourriez-vous nous en rassembler les pièces ? Notifiez tout ce que vous savez d'elle sans conteste. Et, si vous pouvez disposer d'un courrier sûr, faites-le-nous parvenir. »

La duchesse de Maudribourg était morte, mais si un jour « on » leur demandait des comptes sur sa disparition, il serait préférable de pouvoir dévoiler, preuves à l'appui, la dangereuse personnalité de celle qui se faisait appeler « la Bienfaitrice ».

Puisqu'on se battait à coups de délations, de révélations, d'enquêtes, eh bien ! elle aussi sortirait des tiroirs, de quoi confondre un monde qui se prétendait seul droit et juste. Elle le combattrait avec ses propres armes. Les navires étaient là pour cela et les distances comptaient peu dans l'alerte échange des secrets corrosifs.

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