Chapitre 11
– Ils vous découvriront, dit Peyrac, et leurs yeux s'ouvriront sur un monde nouveau : la Beauté !...
« La Beauté qui ne se renie pas. La Beauté qui enchante et console de l'injustice de vivre.
– Suis-je donc si belle ? Quelle est donc cette légende ?
– Elle va au-delà de vous, murmura-t-il. Et même si vous ne faites rien pour l'accréditer, il faut répondre à leur attente.
Angélique sourit. Elle sourit aux paroles qu'il prononçait. Elle sourit à son image que renvoyait le miroir.
– Avec tant de munificence, ce n'est guère difficile.
Il l'avait aidée à revêtir et à essayer des robes. Elles étaient toutes magnifiques.
Elle portait alors la robe pourpre, aux reflets profonds. Les plis du velours étoffaient sa silhouette, et ce qui caractérisait cette robe un peu lourde mais somptueuse c'était une allure majestueuse.
Joffrey passa derrière elle.
Sur la naissance de ses seins, sur ses épaules, il posa une parure de diamants. Chacun était surmonté d'un petit rubis. C'était comme un plastron, d'une valeur inestimable.
Très droit, très sombre près de sa blancheur et de sa blondeur, il l'examinait d'un œil critique dans le miroir, et elle revit le jour ancien où, à son cou frêle de dix-sept ans, il avait noué son premier présent. Elle frémissait sous la caresse de ses mains impérieuses. Il était resté le même, le Troubadour du Languedoc, la même flamme ardente brillait dans son regard.
« Sommes-nous revenus, après tant d'années, à notre point de départ ? » se dit-elle.
Vivre avec Joffrey de Peyrac était une aventure qu'on ne pouvait connaître que par lui.
Grâce à Joffrey de Peyrac s'effaçait la réalité, le fleuve livide, l'angoisse, l'amertume des présages.
Des objets merveilleux, des vêtements de toutes les capitales, des cadeaux variés et sans prix, il y en avait sur tous les meubles, à travers la pièce et dans les cales encore. En plus de ce que le Gouldsboro avait rapporté d'Europe après l'hiver il y avait encore ce que Joffrey avait trafiqué avec Vaneireick sur la plage de Tidmagouche.
C'est à lui qu'on pensait en fredonnant la chanson de France :
J'ai trois vaisseaux dessus la mer jolie...
L'un chargé d'or, l'autre de pierreries...
Le troisième c'est pour promener ma mie...
Tous ces cadeaux ! Pour le gouverneur, les dames, les nonnes, les orphelins, les pauvres et les riches, les vertueux et les pécheurs.
Elle n'avait pas pris garde à tout ce déballage. Elle était encore sous le coup du drame proche et ne pouvait concentrer sa pensée sur des distractions futiles. Lui, si. Et le sang n'était pas séché sur la grève de Tidmagouche qu'elle l'avait vu avec Vaneireick penché sur des coffres, examinant des bibelots, des tableaux...
Tous ces cadeaux ! On se demandait comment il pouvait conserver sans faillir son goût pour les beaux objets et comment il trouvait le temps à travers tous les hasards de continuer cette chasse raffinée, délicate, faite pour embellir la vie, la rendre plus légère. Elle, parfois, n'imaginait plus l'existence qu'avec un goût de terre, de labeur, de larmes et de désastres. Mais lui, soudain, ouvrait sa main où dormait un bijou fulgurant ou bien il décidait de réjouir les foules, mettait les tonneaux en perce ou bien il faisait distribuer aux pauvres immigrantes, à chacune, un miroir, afin de leur rendre courage.
Sa faculté d'admiration et de plaisir ne s'était laissé émousser par aucune des épreuves dont il avait été accablé, au contraire ; on avait l'impression qu'il attachait une plus grande valeur, et comme une sorte de respect et de tendresse, aux biens de ce monde, et qu'il ne se lasserait jamais de contempler l'œuvre d'un artisan où celui-ci aurait mis, sans compter, tout son talent.
La même lueur admirative et heureuse se lisait dans son regard sombre tandis qu'il savourait le reflet de cette belle silhouette dans la robe pourpre qui en faisait une reine digne du Louvre.
Il mesurait le pouvoir qui émanait d'une apparition si parfaite.
À Québec, en ce moment, une foule de gens « tiraient des plans », dressaient leurs batteries, mais parlaient plus de défendre leur ville que leurs cœurs.
Ils ignoraient ce qui allait leur arriver. Il se prit à sourire.
– Vous avez l'air d'un chat qui se pourlèche, dit-elle.
– Il y a de ça. Je pense à nos ennemis et à ce qui va leur arriver.
– Vous avez l'intention d'être très méchant ?
– À peine. Vous allez seulement vous avancer au-devant d'eux.
– Joffrey ?
– Oui, mon beau chef de guerre.
– Suis-je assez forte pour réussir ce que vous attendez de moi et vous aider à triompher ?
– Vous l'étiez jadis. Une ville, qu'est-ce pour vous ? Vous avez su conquérir la Cour, le Roi.
– Vous auriez pu les avoir tous à vos pieds si vous l'aviez voulu...
– Ce n'est peut-être pas tout à fait la même chose aujourd'hui. Je suis différente. Moins... moins féroce, peut-être. L'Amour affaiblit. Ce qui m'effraye le plus c'est de me trouver en face du père d'Orgeval.
– Je serai là, dit-il avec douceur.
Et son appréhension se dissipa. Il serait là. Il serait son rempart. Un homme plein d'esprit et de vigueur, qui l'aimait, elle, sa femme, plus que tout au monde.
Elle inclina la tête et posa sa joue, d'un mouvement caressant, contre la main qui tenait son épaule. Il se pencha et l'embrassa longuement sur la nuque.
– ... Je veux qu'ils s'inclinent, murmura-t-il. Ils vous aimeront tous. Je verrai la ville à vos pieds. Et lui aussi. Je veux le voir vaincu, votre ennemi qui, emporté par un fanatisme coupable, a osé s'attaquer à vous, et vous calomnier, et vous susciter de dangereux ennemis. Un jour, il connaîtra le pouvoir de l'Amour.
« Un jour, lui aussi il vous aimera. Et ce sera sa punition.