Chapitre 23

Ils étaient arrivés la veille à Tidmagouche, sur la côte est. L'annonce leur étant donnée que la rade était encombrée par la flotte de pêche saisonnière et à laquelle s'ajoutaient des navires en partance pour l'Europe, d'autres arrivant, à bout de traversée, ils avaient jeté l'ancre plus au sud, dans un havre faisant face à l'île Saint-Jean, et s'étaient rendus au poste par terre, accompagnés de membres de l'équipage et des gens de leur maison qui transportaient sur la tête, à dos d'homme, à la perche d'épaules, sacs et coffres pour une installation sommaire.

L'endroit restait assez pauvre, à part les aménagements portuaires, entrepôts et baraquements où logeaient les pêcheurs malouins et bretons qui louaient les « graves » chaque année.

L'ancienne maison fortifiée de Nicolas Parys recevait le comte de Peyrac et sa femme lorsqu'ils s'y arrêtaient pour quelques jours.

On n'avait pas encore eu le temps de la rendre plus spacieuse et plus avenante.

Chaque fois, le comte se promettait d'ordonner des travaux, mais il manquait d'homme de confiance en la place pour les diriger, à part le vieux Job Simon, occupé de ses pêcheries pour son commerce et de son atelier de sculptures et dorures de figures de proue, pour sa consolation ou le gendre de Nicolas Parys, peu amène et sans capacités pour ouvrir et surveiller un chantier de construction en leur absence.

Tidmagouche demeurait donc une escale.

Angélique n'y revenait jamais volontiers, quoique happée par l'excitation des journées intenses et décisives qu'elle y avait vécues lors de son duel avec la Démone, et qui avaient eu ce coin perdu de la côte pour théâtre. Des épisodes lui revenaient en mémoire dès que le vent lui portait aux narines l'odeur saumâtre des poissonneries, mélangée à celle balsamique de la forêt surchauffée de l'été, en arrière-plan.

Tidmagouche était aussi la halte à mi-chemin entre Québec et Gouldsboro. Donc éveillant, malgré tout, un sentiment d'impatience heureuse à l'idée, soit de retourner dans leurs domaines du Sud, ou bien, comme cette fois-ci, de retrouver en sus de leurs amis de Québec, Honorine qu'ils voulaient visiter longuement à Montréal, ainsi que la famille du frère d'Angélique retrouvé.

Pour toutes ces raisons, Angélique se serait fort bien arrangée de ne pas rester ici plus de vingt-quatre heures. Mais c'était un point de rencontre et Joffrey y avait toujours beaucoup de questions à traiter.

Cette année-ci, les jumeaux avaient fait partie du voyage du Kennébec, ramenant les hivernants de Wapassou vers leur port d'attache Gouldsboro. La question s'était débattue de les emmener aussi jusqu'en Nouvelle-France. Mais la double escorte qu'exigeait le déplacement des petits princes, les tracas qui pouvaient en résulter sans nécessité pour un voyage à la fois aussi court et trop long pour de jeunes enfants, avaient fait abandonner le projet. Ils jouissaient déjà à Gouldsboro d'une cour se disputant leur faveur. Abigaël les prenait sous sa surveillance.

Laissant M. Tissot et sa troupe mettre de l'ordre dans la maison sur laquelle venait de s'élever la bannière bleue à l'écu d'argent, elle sortit, reconnut du haut du terre-plein, à mi-côte où était édifiée l'habitation, le vaste amphithéâtre de la baie sous ses brumes matinales, plissa les paupières sous la lumière diffuse, écouta les bruits confus qui montaient vers elle avec une sorte de paresse comme si les activités menées en contrebas : travaux des pêcheurs sur les échafauds pour préparer les morues, allées et venues des barques, ou de groupes de marins se déplaçant pour venir chercher de l'eau à la source, ou bien livrer leurs pêches aux coutelas des trancheurs, etc., l'eussent été par des fantômes.

Et, c'était irrésistible, elle ne pouvait s'empêcher d'évoquer celle qui, dans ses robes excentriques, avec sa finesse de statuette de Tanagra, son sourire innocent, ses grands yeux émouvants, s'était plu à régner un temps sur ce royaume déshérité, peuplé d'hommes isolés, solitaires, naïfs ou brutaux, candides comme des enfants ou vicieux comme des démons, que les hasards et les obligations de la pêche à la morue jetaient là sur les grèves, le temps d'un été, au pied des côtes et des falaises, hors l'espace et le temps, comme sur l'île maudite d'une étoile perdue.

L'an dernier, au retour de son voyage en Nouvelle-France, sous le coup du trouble qu'avait jeté en son esprit les élucubrations de Delphine du Rosoy et l'interrogatoire du lieutenant de police Garreau d'Entremont, elle avait essayé de chasser de sa pensée des soucis nébuleux, et d'éviter, pour laisser au temps le loisir de décanter ces informations, certaine démarche. Aujourd'hui, en ce voyage d'allée qu'elle effectuait en compagnie de Joffrey et qu'elle comptait bien accomplir avec lui jusqu'au bout, elle se sentait en meilleure disposition.

Un courrier qui l'attendait ici de Mme de Mercouville, toujours prolixe épistolière, lui annonçait que Delphine du Rosoy attendait un enfant pour la fin août, ce qui, calcula Angélique, leur permettrait d'être là pour l'heureux événement, au moins pour le baptême. Une autre lettre affectueuse de Marguerite Bourgeoys, datée du mois de juin, car confiée aux premières barques qui pouvaient gagner l'embouchure du Saint-Laurent dégagée de ses glaces, lui donnait des nouvelles détaillées et satisfaisantes sur la petite fille, et le message était accompagné d'une feuille couverte de grosses lettres appliquées :

Ma chère mère, Mon cher père...

Cela n'allait pas plus loin, car suffisant à remplir la feuille, mais cette première preuve tangible de la bonne santé et gentillesse d'Honorine et de ses progrès en écriture les avait remplis de joie.

La crissante fanfare des insectes célébrait la belle saison.

Angélique s'engagea sur le sentier et monta à travers les hautes herbes déjà presque réduites à paille par la chaleur. C'était la première fois qu'elle se risquait par là et jusqu'alors, quand elle avait fait halte à Tidmagouche, elle évitait de tourner la tête dans la direction des bois.

Elle trouva la tombe.

Autant qu'elle s'en souvenait, ayant dû par convenance assister à l'enterrement, c'était bien là.

Malgré la végétation envahissante, la croix de bois se dressait, à peine rejetée un peu de guingois par un travail actif, à ses pieds, d'une colonie de fourmis.

Apparemment, personne ne s'était préoccupé d'aller nettoyer autour de cette tombe au cours des années. Après l'ensevelissement, sur la terre fraîchement refermée, Joffrey de Peyrac avait fait poser une dalle pesante, et il avait donné une confortable obole à l'un des pêcheurs bretons, sculpteur de pierre en son pays, afin qu'il y gravât les nom et prénom, sans épitaphe, de la riche, noble et pieuse duchesse française, venue mourir tragiquement au Nouveau Monde, sur un rivage déshérité.

Le Breton avait fait son travail avec conscience, et s'il avait dû éprouver des difficultés pour faire tenir le prénom d'Ambroisine et le nom de Maudribourg sur toute la pierre tombale, il y était parvenu en allant à la ligne et en serrant un peu les lettres vers la fin. Il avait réussi à fignoler encore une petite croix et en dessous la date du décès. La date de naissance étant inconnue.

« S'il fallait en croire sa duègne Pétronille Damourt, elle aurait été plus âgée que moi, se souvint Angélique. Mais elle donnait à penser par ses façons timorées qu'elle l'était beaucoup moins. Encore une qui avait trouvé le secret de l'éternelle jeunesse. Mais par l'intervention de Méphisto ! »

À y réfléchir, avait-elle été si belle et si jeune ? Ou était-ce l'effet d'un charme qui émanait de sa personne et jetait des écailles sur les yeux des gens ?

Angélique se pencha afin de déchiffrer l'inscription que rongeait une dentelle arachnéenne de lichens dorés. Elle gratta, écarta un peu plantes et dépôts de poussière incrustés et son doigt suivit le tracé de chaque lettre :

Ici repose


dame


Ambr-


-oisine de


Maudri-


-bourg

Elle se redressa, et s'écarta de quelques pas afin de regarder de loin la tombe. Elle n'éprouvait en cet instant nul sursaut de crainte ou de ressentiment comme chaque fois que le nom de cette femme était prononcé devant elle.

Qui reposait là ? Elle, le corps, la dépouille mortelle de la Démone, l'esprit succube dénoncé par le père jésuite Jean-Paul Maraîcher de Vernon, ou une pauvre fille dévouée à sa maîtresse, Henriette Maillotin, exaltée, prête à tout pour celle qu'elle idolâtrait, et qui, par elle et ses complices cachés, avait été odieusement trompée, sacrifiée, assassinée ?

Angélique, au moment où l'on rapportait de la forêt, sur un brancard, la dépouille mortelle de la duchesse de Maudribourg, n'avait pas voulu, à bout de force nerveuse, s'approcher du cadavre dont elle avait seulement reconnu de loin des lambeaux de jupe maculés, jaune et bleu canard de ses étranges atours.

Mais Marcelline au grand cœur voulant donner quelques soins pieux à ce corps mutilé, l'envelopper au moins dans un linceul avant qu'il fût porté en terre, lui avait parlé de ce visage méconnaissable...

« Une bouillie de chair et d'os... comme si on l'avait frappée, écrasée à coups de maillets... »

Personne n'avait relevé son observation qu'elle n'avait d'ailleurs pas communiquée à tous. On en restait de préférence à l'intervention des loups et des lynx.

« Et les cheveux, Marcelline ?... Comment étaient ses cheveux ?... Longs ?... Noirs ?... »

Sans doute poissés de sang, arrachés par touffes... Néanmoins, il faudrait qu'un jour elle pose la question à Marcelline.

Elle revint s'asseoir près de la tombe.

Dans ce bourdonnement des insectes, l'endroit demeurait doux, serein. Et elle s'étonna, car ici elle ne ressentait pas le malaise de Tidmagouche. Des épilobes mauves, des verges d'or étincelantes, hautes comme des cierges poussant follement à leur manière, l'entouraient, l'abritant du vent qui faisait onduler leurs cimes dans un mouvement continu de berceuse. Des ancolies blanches, des petits asters mauves au cœur jaune, le rose lupin des prés, se mêlaient aux herbes envahissantes et un liseron commençait d'investir la croix, d'une liane innocente.

« Elle n'est pas là ! Si elle était là... les fleurs ne pousseraient pas », se dit Angélique.

Puis elle se releva et s'éloigna, après avoir eu quand même le courage de faire un signe de croix, et en se redisant que sa réflexion à propos des fleurs était puérile car la nature se moque bien de ces nuances.

À supposer que par sa malice et son emprise sur Nicolas Parys ou un autre de ces hommes qu'elle subjuguait, la duchesse de Maudribourg ait pu sauver sa vie, Angélique ne pouvait plus l'imaginer réapparaissant aussi dangereuse qu'avant.

Ces luttes qui sont des épreuves, ces combats, ne doivent pas pouvoir se renouveler dans les mêmes conditions et avec les mêmes personnages, car les uns et les autres en sortent changés.

En ce qui concernait le passé, elle estimait qu'elle ne s'était pas trop mal battue mais qu'aujourd'hui, elle se laisserait moins désarçonner par les ruses et les sourires enjôleurs de la rouée. Puis elle eut un frisson, et s'inclina avec humilité en se souvenant de certaines lueurs dans les yeux d'Ambroisine qu'elle avait vues briller à travers l'ambre de ses prunelles de femme séductrice et qu'on ne pouvait attribuer à un être humain. Par ces yeux de femme, le démon parfois regardait. Devant une telle rencontre avec l'esprit des ténèbres, nulle créature ne peut se vanter de ne pas trembler, et les plus forts eux-mêmes de ne point succomber, paralysés, comme des lapins devant l'œil du serpent.

« Mea culpa ! se dit-elle. Si j'ai acquis quelque expérience à ce combat, au moins que ce soit celle de ne pas me croire plus forte que l'être infernal. C'est par cette prétention que je risquerais encore de me faire abuser. »

« On ne plaisante pas avec ces choses-là, disait le marquis de Ville-d'Avray, tout badin qu'il fût. J'ai reconnu l'écriture de Satan sur ce grimoire. Ma chère, n'y touchez pas ! »

Il avait fait analyser la signature de Mme de Maudribourg par le jésuite Jeanrousse, et celui-ci, paraît-il, s'était signé plusieurs fois.

Le marquis prenait très au sérieux les dangers occultes qu'elle représentait, sans pour cela se départir de sa préciosité mondaine, et cesser de couvrir Ambroisine de compliments et jouer le naïf, ce qui était la meilleure défense.

« Quatre-vingts légions, ma chère enfant, ce n'est pas rien !... Oui, j'ai fait quelques études de démonologie », jetait-il, négligemment, le petit doigt levé tout en puisant un bonbon dans son drageoir...

À vivre près de lui les jours sinistres de Tidmagouche, elle avait pu s'apercevoir qu'il était en effet fort savant en toutes sortes de sciences.

Alors qu'attendrie à ce souvenir elle l'évoquait, voici qu'il apparut. Tel qu'en lui-même, marchant à pas comptés en lançant de côté sa canne à pommeau d'ivoire avec la même élégance souveraine que le roi, ses talons rouges écrasant avec assurance sur le sentier sablonneux les graviers de la plage, le satin de son habit et les fleurs de son gilet brodé miroitant magnifiquement au soleil barbouillé de brumes de la côte Est.

La découvrant, il fit halte. L'avenant sourire, qui ne cessait jamais de fleurir sur ses lèvres, s'épanouit.

– Angélique ! s'écria-t-il. vous ici ? Et je ne le savais pas !

Remise de sa stupeur, elle le considéra sans tout à fait en croire ses yeux.

– M. de Ville-d'Avray ! Je vous croyais en France !

– Mais, je suis venu voir Marcelline, lui dit-il comme s'il s'agissait d'une visite de voisinage.

– Vous avez traversé l'océan pour visiter Marcelline ?...

– Elle en est digne, répliqua-t-il avec hauteur. Et je voulais lui amener son fils à embrasser.

Comment allait ce « diable à quatre pattes » de Chérubin ? Fort bien, et devenu parfait homme de Cour, si l'on en croyait son père.

– Et puis, n'oubliez pas que je suis toujours gouverneur de l'Acadie. Croyez-vous que j'allais laisser les frères Defour et tous ses brigands de la région grossir leur magot en mon absence en s'imaginant qu'ils n'auraient jamais à me verser leurs dividendes ! Je ne parle pas pour M. de Peyrac. À Paris, son banquier m'a toujours remis sa dîme à date. Pourtant, étant donné le statut particulier de cette portion de la côte Est qui a toujours été considérée comme ex-territoriale, il aurait pu trouver prétexte pour s'en dispenser. Le vieux Parys ne s'est jamais beaucoup gêné pour me satisfaire, lui. Aujourd'hui, il est mort... En France et sur la paille !... C'est bien fait pour lui ! Son gendre vient de m'en avertir. Cela dit, je ne suis pas mécontent de ma tournée. Tout le monde a rendu gorge.

– Allez-vous poursuivre sur Québec ?

– Québec ! Il n'en est pas question ! Les choses y tournent trop au vinaigre. Cependant, je balance en mes projets. Voyez : j'étais hier à Shédiac et j'allais repartir pour Chignectou où j'ai laissé Chérubin, lorsque j'appris que M. de Frontenac allait relâcher à Tidmagouche. J'ai préféré venir l'attendre ici que de me rendre au-devant de lui, dans le golfe, où l'on s'égare à travers les îles.

– M. de Frontenac est en chemin pour la côte Est ?... Personne ne nous en a parlé.

– Je suis seul à le savoir... J'ai mes espions. Toujours très dévoués... Notez, si M. de Peyrac est avec vous, il ne va pas tarder à être averti, lui aussi. M. de Frontenac arrive sur La reine Anne, vaisseau amiral accompagné de L'indomptable et d'un petit trois-cents-tonneaux : Le vaillant. Une belle escorte que lui a envoyée le roi. Mais j'ai pensé à l'attendre. Il n'est jamais mauvais, pour une traversée, de se trouver en compagnie. Et puis, dans son cas, je suis persuadé que M. de Frontenac appréciera la présence d'un ami sûr, comme je le suis pour lui.

– Il compte partir en France ?

Ville-d'Avray hocha la tête, les paupières baissées.

– Sur ordre du roi.

Ayant regardé de tous côtés, il lui confia.

– Cela va très mal pour lui. Ses ennemis, dont les Jésuites, sont sur le point d'avoir raison de sa réputation.

– C'est venu bien subitement ! Que peut-on avoir à reprocher au gouvernement de M. de Frontenac ?...

– L'intrigue est une arme qui ne se préoccupe pas de ces choses ! Ce qui est certain... et je suis seul à savoir... car il ne le sait pas encore, ne s'en doute même pas... mais je vous le dirai à vous... c'est que l'on parlait, lorsque je suis parti, de le démettre de son gouvernement en Nouvelle-France... Mais chut ! Il sera bien temps que cela s'ébruite ! S'il n'est pas au courant, de l'en avertir.

– N'exagérez-vous pas ?...

Angélique était consternée. Tout d'abord, elle ne s'habituait pas à discourir avec des personnes qui envisageaient les voyages à travers l'Atlantique comme une simple équipée en carrosse de Paris à Tours.

En Canada, il y avait deux races de gens bien distinctes. Ceux qui n'hésitaient pas à traverser l'océan pour aller disputer de leurs affaires en métropole sans souci des tempêtes, des pirates et du mal de mer, et ceux qui préféraient mourir que de remettre le pied sur le pont d'un navire. Sans décider de façon aussi extrême, Angélique était plus inclinée vers la seconde espèce que vers la première.

Les angoisses de leur premier voyage6 avaient gravé en elle des impressions de distances infranchissables et de séparation définitive.

Entendant parler du départ de Frontenac pour la France, elle ne pouvait concevoir qu'il fût de retour à Québec avant l'hiver comme il en avait l'intention, et envisageait cette annonce comme une catastrophe.

– Qui peut vouloir nuire à cet excellent gouverneur ? Vous qui avez vos entrées à la Cour...

– Oh, si peu ! fit le marquis avec un geste de regret. Vous savez que Sa Majesté ne m'aime pas. Lorsque je me suis présenté à Versailles, après pourtant des années d'absence, le roi, dont la mémoire est exceptionnelle, fronça les sourcils à ma vue. Prudent, je tenais ma botte secrète en réserve, et aussitôt lui parlai de vous. Depuis, il me supporte, mais je ne fais pas d'éclats. Pourtant, mes propos ne lui ont pas déplu, car, ayant fait allusion par hasard à votre science et votre goût pour les plantes et épices aromatiques et médicinaux, j'ai ouï dire qu'il a demandé de composer, à votre intention, un jardin d'herbes par M. Le Nôtre, dans un coin de son potager. Ah ! Vous n'êtes pas oubliée, chère Angélique. J'ai vu vos fils. Je vous en parlerai. Ils sont très aimés. J'ai entr'aperçu Mme de Castel-Morgeat très en beauté !...

Il lui adressa un petit clin d'œil dont, sur le moment, préoccupée, le sens lui échappa.

Ils rejoignirent sur la grève le comte de Peyrac auquel on avait signalé l'arrivée de navires de la Marine Royale venant de Québec, et à bord desquels le bruit courait que se trouvait le gouverneur, M. de Frontenac.

Ville-d'Avray confirma. Il jouissait de la surprise que causait son apparition, et plus encore de prouver qu'il était au courant de tout, avant les autres, même des affaires de la colonie.

Tandis qu'au loin apparaissaient des pyramides de voiles blanches déployées et les hautes tours dorées des vaisseaux de ligne, Joffrey posa au marquis la même question qu'Angélique.

– Voyez-vous qui peut chercher, en France, à nuire à M. de Frontenac ?

– Non, hélas ! Je me tiens un peu à l'écart des rumeurs, n'ayant pas intérêt à être remarqué... Une oreille que j'ai au ministère de la Marine m'aurait parlé d'un placet que l'ancien propriétaire de la côte Est, Nicolas Parys, aurait remis au roi à son retour d'Amérique, pour lui faire part de son œuvre au Nouveau Monde et réclamer une gratification ou une pension qu'il jugeait mériter. Mais il est mort aujourd'hui, ce qui diminue singulièrement la puissance de ses réclamations, et sans avoir, dirait-on, obtenu gain de cause.

« L'affaire serait plutôt dirigée contre vous, M. de Peyrac. Défendez-vous si son gendre se croit des droits à cause de ce placet.

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