Chapitre 44

Mme de Gorrestat, alias Ambroisine de Maudribourg, regarda autour d'elle avec humeur.

Elle se tenait devant sa coiffeuse qui, par instants, lui renvoyait ce reflet d'un visage auquel elle n'était pas encore tout à fait habituée.

Elle avait beau user de fards avec habileté, ramener les boucles de sa coiffure sur ses tempes et ses joues, il y avait certaines boursouflures, certaines cicatrices qu'elle n'était pas parvenue entièrement à effacer.

Elle se tenait là, au cœur de cette maison de grosses pierres trapues que ses hôtes de Montréal avaient mise à sa disposition, et si elle devait reconnaître que l'habitation était assez bien meublée, elle s'y sentait mal à l'aise depuis qu'elle avait appris qu'Angélique y avait été reçue avant elle.

La disparition de l'enfant Honorine lui était apparue comme un présage de mauvais augure.

Elle commença d'éprouver l'insolite des lieux où elle se trouvait.

Elle aurait dû se souvenir que les terres lointaines sécrétaient des forces étrangères. Elle avait éprouvé cela à Gouldsboro. Mais ici, c'était pire, car il y avait l'ennui en plus, qui venait saper sa fièvre d'action.

Ici, tout était tellement ennuyeux. Tandis qu'à Gouldsboro...

Tout d'abord, il y avait Angélique. Une femme si belle à regarder vivre, à conquérir, à faire souffrir. Et elle avait joué de chaque minute d'approche, de chaque coup porté. Quoi de plus savoureux que de voir foncer, sous l'aiguillon de l'inquiétude, la couleur verte de son regard, quand elle lui laissait entendre que Joffrey de Peyrac dont elle était si follement amoureuse, essayait de devenir l'amant de Mme de Maudribourg !

Mais à ce souvenir, c'était Ambroisine qui s'assombrissait.

Lui ! Lui ! Pourquoi cet homme galant au sang méridional n'avait-il pas cédé à ses avances ?...

Elle avait mis des années à comprendre.

« Il me méprisait. Il dévoilait tous mes mensonges. Dès le premier instant, il s'est méfié de moi. Je croyais qu'il tombait dans mes pièges alors que chacune de ses questions insidieuses avait pour but de me démasquer... »

Aujourd'hui encore, elle en grinçait des dents. Aujourd'hui, revenue à pied d'œuvre pour sa vengeance, elle sentait l'amertume l'envahir en se remémorant le long purgatoire vécu par la Démone abattue.

Ah ! Que d'années passées à feindre.

Et sans même pouvoir s'offrir le subtil et secret plaisir de torturer quelque sotte épouse de province en lui volant son mari, ou celui, plus voluptueux encore, de voir céder devant ses charmes les défenses masculines d'hommes réputés incorruptibles : ecclésiastiques ou hauts fonctionnaires dévots.

Elle devait être sage, inattaquable.

Durant toutes ces années, aucune faille ne s'était glissée dans son plan. Elle pouvait se féliciter de n'avoir donné aucune prise aux soupçons.

Une amère et inconcevable expérience, vécue sur la terre d'Amérique, l'avait rendue prudente.

Tout d'abord, elle fut une silhouette discrète glissant le long des rues et que l'on croyait voilée parce qu'elle vivait dans l'ombre d'un amant riche, un vieil homme revenu des colonies et qui en avait fait sa maîtresse, un nommé Nicolas Parys.

Il avait fallu attendre de laisser aux stigmates de son visage le temps de s'effacer.

À tout prendre bon compère, et bon complice ce vieux Parys.

L'un et l'autre s'en étaient tenus aux termes de leur contrat élaboré, un soir sinistre, sur la côte Est de Tidmagouche.

Il la voulait. Il l'avait toujours voulue et la voulait encore cette femme blessée, défigurée, mais dont le corps demeurait intact. Il voulait se vautrer sur elle comme un porc dans sa bauge.

Elle, elle voulait être sauvée et échapper à ses ennemis qui, si elle survivait, la livreraient comme assassine, sorcière et empoisonneuse, à la justice du roi.

Il lui fallait disparaître. Disparaître à jamais.

Le vieux Parys contenterait son besoin de chair, à elle. Elle avait toujours préféré les vieillards chez lesquels le feu brûlant d'une virilité déclinante exige pour s'allumer maints artifices en lesquels, depuis son plus jeune âge, Ambroisine avait toujours été experte.

Le pacte fut conclu.

Aucun scrupule, ni chez l'un, ni chez l'autre, à assassiner Henriette Maillotin qui l'avait aidée à s'évader, à la défigurer et à la livrer aux bêtes sauvages de la nuit, qui achèveraient de la rendre méconnaissable, cette jeune femme qui allait la remplacer dans la tombe.

Le navire s'était éloigné.

La France grouillante permettait au couple d'effacer les dernières traces.

Au fond des provinces, on trouve sans peine, pour de bons écus sonnants et trébuchants, des notaires ou des hommes d'affaires, voire des curés, complaisants pour établir des papiers de mariage sur le seul énoncé d'un nom de baptême accompagné de date et de lieu de naissance tout aussi imaginaires.

Et pour s'amuser, Ambroisine s'était plu à se désigner comme native de la province du Poitou. Mais cette fantaisie lui coûta par la suite. Car cette identité factice ne cessa de lui rappeler que, si elle avait pu duper Angélique sur ce point de son origine poitevine, par la fin Angélique avait quand même été la plus forte.

Aussi, loin de l'amuser, cette évocation du Poitou la mettait chaque fois en rage. Ce qui était excellent, se disait-elle, pour la poursuite de sa vengeance.

Car, à force d'être si sage, effacée et discrète, n'aurait-elle pas fini par oublier qu'elle n'avait qu'un seul but à poursuivre : se venger d'« eux » et surtout d'« elle » ? Par oublier, ce qui était plus grave, qu'elle avait une mission à accomplir et infligée par un maître qui ne supportait pas l'échec ?

N'avait-elle pas été tentée, par instants, d'oublier ? Et des frissons de terreur alors la secouaient, réveillant sa haine envers « ceux » de là-bas qui l'avaient mise en échec.

Ah ! Que d'années à feindre et à guetter dans le miroir la guérison, puis la résurrection de son visage. Certaines traces ne s'effaceraient jamais. Ce n'était pas cela qui la touchait le plus. Elle n'était plus tout à fait la même et parfois elle s'en félicitait. Elle n'était plus tout à fait aussi belle, aussi jeune, et cela c'était la faute d'Angélique, se disait-elle, car il lui avait semblé qu'Angélique avait nourri de sa défaite sa propre beauté, sa propre jeunesse.

« Plus je descendais et plus elle devenait éclatante. Oui... même à Tidmagouche, lorsqu'elle était malade, et que je la tenais à ma merci... »

Dorlotant ses griefs, les années avaient passé pour Ambroisine, la recluse, l'effacée.

Les voilettes se firent moins épaisses. Les miroirs lui annonçaient qu'elle pouvait reparaître au grand jour et le temps vint pour le vieux Parys de décéder par l'effet de quelque potion. Et peu après, pour elle, sa veuve, de s'enfuir dans une autre ville et de se montrer à visage découvert et sous un autre nom.

Ensuite, tout avait suivi selon ses plans longuement ourdis et selon ses désirs.

Ce n'est qu'après avoir épousé, à Nevers, M. de Gorrestat, intendant de Province, qu'elle avait commencé de recruter ses « fidèles » : seigneurs désargentés ou valets sans scrupules, âmes noires de son espèce qu'elle attachait à sa fortune et qui, bien payés, bien récompensés de mille façons, se chargeaient, sur ses ordres, d'intriguer, d'acheter des alliances ou des complicités, et, s'il le fallait, de réduire au silence les gêneurs.

Le premier de ses serviteurs, sans le savoir, n'était-ce pas cet homme de peu d'intelligence et de beaucoup de vanité, mais nanti d'appuis sûrs et de relations brillantes dont elle avait fait son nouveau mari, M. de Gorrestat ?

Très vite, et à l'écoute de toutes les occasions, elle l'avait encouragé à s'occuper d'affaires coloniales, puis à briguer une charge en Nouvelle-France. De multiples interventions amenaient pour lui sa nomination comme gouverneur intérimaire, pendant le voyage du gouverneur en place, M. de Frontenac, obligé de se rendre à Paris pour s'expliquer avec son souverain. Les choses en étaient au point que l'on pouvait envisager la disgrâce certaine de Frontenac, et que son remplaçant pourrait se considérer comme vice-roi pour plusieurs années.

Pour Ambroisine, son épouse, qui se faisait appeler Armande, née Richemont, et que l'on admirait de le suivre si courageusement en ces lointains et rudes pays, il y avait eu une à deux semaines à Paris, où elle avait pu pointer son nez en quelques officines où, depuis un certain temps, elle avait demandé par correspondance, et envoi d'hommes de loi, de faire éclaircir l'affaire de La Licorne. Cela ne manquait pas de piquant que de réclamer, sous un prétexte de parenté, des nouvelles de Mme de Maudribourg et de son expédition.

Puis, elle se rendit à Versailles, pour une révérence au roi qui ne la remarquait point.

Une révérence de trop, cependant. Dans le battant d'une porte, le regard vert d'un adolescent s'était planté dans le sien avec une soudaine lueur.

Promptement, le carrosse des Gorrestat prenait la route du Havre, et Ambroisine se réjouissait de s'éloigner de la capitale, et de prendre la mer.

Elle ne craignait pas les traversées. Et peu lui importait de commencer par la province de Canada, comme l'y obligeait son nouveau titre de femme de gouverneur. La première fois, elle était une Bienfaitrice, et libre de se rendre où elle voulait. Mais cette fois, il lui fallait passer par Québec, et à l'avance elle s'était armée de patience et avait préparé son sourire le plus suave.

Mais... qu'est-ce qu'ils s'imaginaient, tous ?...

Son but était autre que de se faire encenser par ces « ploucs » de coloniaux.

Elle n'avait jamais eu l'intention de moisir à Québec, une ville des antipodes glacées, qui avait encore la prétention de se faire passer pour une capitale. Un « petit Versailles », disait ce ridicule Ville-d'Avray. Et Frontenac, ce bouffon, y croyait.

Mais leur nouvelle fonction l'obligeait à y descendre, à s'y faire recevoir, et acclamer s'il le fallait, et d'autre part, ce n'était pas inutile, car elle comptait bien y régler certains contentieux avec ceux qui lui seraient désignés comme ayant plébiscité ses pires ennemis : Joffrey et Angélique de Peyrac, et ayant réclamé la disgrâce du Père Sébastien d'Orgeval. L'annonce de la mort de celui-ci l'avait aiguillonnée.

« Plus tard, Gouldsboro, s'était-elle dit. Patientons le temps qu'il faut... »

Elle avait eu raison.

Dès les premiers jours de navigation sur le Saint-Laurent, le présent lui livrait des visages du passé. Et déjà étaient morts ceux qui devaient mourir. Ah ! Combien elle s'était réjouie en voyant se balancer, pendu aux vergues de son navire-amiral, le lieutenant de Barssempuy qui la haïssait parce qu'elle avait fait exécuter Marie-la-douce, son amie.

– Ce sont des Anglais ! avait-elle réussi à convaincre son époux, le nouveau gouverneur. De traîtres ennemis qui ont réussi à pénétrer dans l'estuaire du Saint-Laurent... Exécutez-le pour montrer que vous n'êtes pas comme le gouverneur Frontenac, indulgents à ces ennemis de la France et aux huguenots français renégats qui s'allient à eux.

Dommage que, par la faute du brouillard, on n'ait pu capturer tout l'équipage du petit yacht qui naviguait en arborant le pavillon de franchise du comte de Peyrac.

Et à Québec, se sentant reconnue ou soupçonnée en certains regards, elle avait promptement fait justice.

Malheureusement, cette sotte de Delphine et la grosse tenancière du Navire de France, dont elle avait perçu l'antipathie, lui avaient filé entre les doigts... Pourquoi ? Comment ?... Elle s'inquiétait, sentant vaciller l'infaillibilité de ses ruses.

Elle avait considéré comme enfin un retour de sa chance et de la protection occulte sur laquelle elle commençait de douter, d'apprendre que la fille du comte et de la comtesse de Peyrac – la petite fille pour laquelle Angélique ramassait des améthystes sur les rivages de Gouldsboro – était pensionnaire chez les religieuses de la Congrégation de Notre-Dame, à Montréal.

Le hasard lui livrait l'enfant de ses ennemis. À l'avance, elle s'en pourléchait. Le Diable, cette fois, était pour elle. L'île de Montréal en amont du fleuve, était loin, mais les plaisirs qu'elle se promettait de cette capture et des souffrances qu'elle infligerait à la petite victime, valaient bien les ennuis de ces voyages fluviaux parmi les hommages qu'elle sentait faux et dangereux de ces colons-paysans grossiers qui voulaient qu'on les appelât « habitants » et qui se considéraient comme des seigneurs parce qu'on leur avait donné les droits de chasse et de pêche.

Mais plus elle les détestait et plus elle se réjouissait car elle aurait bien des occasions plus tard de leur faire payer leur arrogance. Et elle commençait à accepter, à la rigueur, une saison d'hiver dans les glaces a la petite cour de Québec, puisqu'on lui annonçait qu'on ne pouvait faire autrement.

« Plus tard, Gouldsboro !... Tu peux attendre. Gouldsboro, je te retrouverai ! La vengeance est un plat qui se mange froid. »

Et en se répétant le dicton, elle éclatait d'un rire strident.

« Très froid !... »

Elle pouvait attendre ce plat de résistance après s'être offert à Montréal celui d'enlever la petite Honorine, de la torturer à mort, et d'en envoyer une à une les preuves à son ennemie tant haïe, tant désirée, tant maudite, Angélique, à l'étonnante beauté, à l'incompréhensible pouvoir de séduction, Angélique, la mère de cette enfant.

– Vivement, partons pour Montréal, avait-elle dit à son époux, il faut que nous connaissions tous nos administrés avant l'hiver, et que nous effacions en chacun d'eux le souvenir du gouverneur précédent, M. de Frontenac.

Oui, tout avait bien marché jusque-là. Jusqu'à l'instant où elle s'était trouvée devant cette petite enragée qui s'était mise à hurler en la traitant d'empoisonneuse :

– C'est dame Lombarde ! C'est dame Lombarde, l'empoisonneuse...

Que de patience encore et d'abnégation apparente à déployer pour effacer la mauvaise impression de la scène. Ces gens de Canada avaient une propension ridicule à adorer leurs enfants et à leur donner raison en tout.

Elle avait réussi à écarter Mère Bourgeoys en la faisant convoquer par l'évêque à Québec, à écarter aussi son oncle et sa tante, car c'est avec déplaisir qu'elle apprenait que se trouvait dans les parages un frère d'Angélique, et tout cela était extrêmement contrariant, car il faut se méfier de la coalition occulte des membres d'une même famille, car il se crée entre eux, même entre ceux qui se connaissent peu et ne s'entendent pas, une complicité de nature, d'une sorte mal connue, mais aux ondes puissantes.

Elle avait donc réussi à écarter de l'enfant ses protecteurs importants, et venant la chercher au couvent et apprenant que la petite s'était enfuie, elle avait même réussi à la rattraper. Et puis, à nouveau, un inexplicable revers. Sa proie disparaissait. S'évanouissait serait plus juste. Toutes les recherches, une fortune distribuée, avaient été vaines.

Ambroisine voyait clair maintenant. Ce n'était pas par la faute d'un affaiblissement personnel de ses facultés qu'avait altérées une trop longue inertie pendant ces années de relégation en la France provinciale, ce n'était pas par la perte de la protection satanique dont elle n'avait jamais manqué, ce n'était même pas parce que les Français et les Indiens de Canada se révélaient moins malléables, moins faciles à duper que les humains de l'ancien monde, qu'Ambroisine-la-Démone se voyait tenue en échec. Mais parce qu'une fois de plus, elle s'était attaquée à « eux ». Et il lui fallait donc conclure que la petite était aussi dangereuse que sa mère.

Pire encore !...

Qu'y avait-il donc dans cette famille qui lui était si contraire ?...

Elle dispersa devant elle, sur sa coiffeuse, le contenu des deux coffrets trouvés dans le havresac de l'enfant.

Et devant ces objets hétéroclites d'inégale valeur, une turquoise, par exemple, et des plumes, des coquillages, une dent de cachalot gravée, elle devinait que certains avaient dû appartenir à Angélique avant qu'elle les eût donnés à sa fille.

Traînait par là, floconneuse, une mèche de longs cheveux roux qu'elle avait elle-même arrachée à la tête de la fillette, en la malmenant dans sa rage. Elle prit cette mèche entre le pouce et l'index, et la fit glisser dans son autre main.

Où était-elle maintenant, la petite misérable ? Comment l'atteindre ? Lui porter malheur ?

« On peut faire beaucoup de choses avec des cheveux... »

À Paris, elle aurait eu pléthore d'utiles adresses, de noms de devins et de devineresses à visiter en leurs bouges. Mais ici ?...

« J'aurais dû m'assurer les services d'un magicien. »

L'aurait-elle pu, sans attirer sur elle l'attention de la police et entraîner à sa suite soupçons et enquête ?

Passant par Paris, elle avait voulu consulter la plus fameuse des sorcières, la femme Mauvoisin, dite La Voisin.

Approchant de la demeure, elle en avait vu sortir un groupe de « missionnaires », de ces prêtres appartenant à l'ordre fondé par M. Vincent de Paul pour prêcher les petites gens, et la chose lui ayant paru aussi inquiétante qu'insolite, elle s'était éloignée précipitamment. Deux jours plus tard, tout Paris apprenait l'arrestation de la devineresse en question. Ambroisine en tremblait encore. Et, derrière cette arrestation, toujours l'affreux policier François Desgrez.

À cause de ce personnage, son départ vers le Havre avait pris l'allure d'une fuite. Comme la première fois, lorsqu'elle lui avait échappé de justesse, alors qu'il venait d'arrêter son amie intime, la marquise de Brinvilliers.

Cette fois, le policier frappait au cœur de la forteresse des empoisonneurs.

Les nouvelles marchant vite, M. et Mme de Gorrestat ne s'étaient pas encore embarqués qu'on apprenait que La Voisin était accusée d'avoir voulu empoisonner le roi. Athénaïs de Montespan s'enfuyait de la Cour.

« Sous la question, elle donnera mon nom. J'ai été jadis, avec ma chère Brinvilliers, l'une de ses plus assidues clientes... Mais qu'importe qu'elle me nomme. Je suis morte, morte !... »

Elle eut un rire qui s'acheva en un ricanement macabre et sans écho.

– La duchesse de Maudribourg est morte ! fit-elle à voix haute.

Mais elle ne put s'empêcher de regarder autour d'elle peureusement.

N'était-ce pas injuste ?

Toujours s'enfuir. Toujours se cacher, toujours dissimuler.

Cependant Ambroisine s'était sentie soulagée de pouvoir prendre la mer, de se réfugier au Nouveau Monde où son incognito serait mieux préservé, comme la première fois, dans un retour imprévisible des circonstances, elle fuyait ce Desgrez et son maître, le lieutenant de police du royaume, M. de La Reynie, tous deux les chiens courants du roi.

Il valait mieux ne laisser aucune piste à renifler sur leurs traces.

De magicien, elle comptait sur M. de Varange, expert en art de sorcellerie, et qui l'attendait à Québec.

Or, voici qu'on lui annonçait qu'il était mort... et depuis longtemps. Disparu, en fait. Sa disparition avait coïncidé avec la visite que M. et Mme de Peyrac avaient faite à Québec.

Pourquoi Varange a-t-il disparu au moment où « ils » arrivaient ? Comme s'il avait voulu leur céder la place...

Un soupçon effrayant commença de s'emparer d'elle.

« Ils sont encore derrière cette mort... cette disparition », se dit-elle.

– C'est elle qui l'a tué ! s'écria-t-elle.

Si assurée dans son pressentiment, qu'elle ne pouvait plus discerner si elle se laissait aller aux divagations d'une obsession, ou si elle était magiquement avertie de la réalité.

Angélique avait tué M. de Varange. Ce ne pouvait être qu'elle. Où ? Quand ? Pourquoi ? Comment avait-elle deviné que le vieux débauché était son complice ? Impossible de le savoir. Mais c'était Angélique qui avait tué le comte de Varange.

« Je vais crier partout que c'est elle qui l'a tué, et... on me traitera de folle. On me regardera avec suspicion... Même ce Garreau d'Entremont qui n'attend qu'une dénonciation dans ce sens... Lui aussi sait que c'est elle qui a tué Varange. »

Mais il demandera des preuves...

Cette nouvelle police que le roi avait mise en place exigeait des preuves. Autrefois, il suffisait de crier à la délation, à l'accusation, à la sorcellerie.

Aujourd'hui, ils voulaient des preuves.

Et la fleur de noblesse de France allait être envoyée à la Bastille ou en exil, voire à l'échafaud par la faute des cadavres des enfants nouveau-nés qui avaient été immolés dans les messes noires payées de beaux écus, pour être dites sur un ventre de putain. Quelle vision ridicule et disproportionnée ! Quelle importance avaient ces bébés sans noms, véritables larves humaines, en regard des grands personnages qui payaient si bon prix leur immolation.

– Des larves humaines, d'ignobles vers blancs se tordant et bâillant, se répéta-t-elle en tordant sa bouche dans une grimace de dégoût, sans nom et même pas baptisés... Ah ! Si. Il paraît que La Voisin ou une autre commère les baptisait avant de leur enfoncer l'aiguille dans le cœur... L'idiote. Elle va payer cher d'avoir arraché sa proie à Satan...

Des preuves ! Elle ne pouvait accuser Angélique sans apporter de preuves !

Elle arrêta brutalement la marche folle de sa pensée. Il ne fallait plus faire de projets. La peur la prenait. La Peur ! C'était la première fois. Pour ne l'avoir jamais éprouvée, elle devinait que c'était la peur qui la saisissait à la gorge.

Elle avait eu tort d'oublier.

D'oublier ce qui était arrivé en Acadie. La Défaite ! La Déroute totale ! Mais n'avait-elle pas survécu pour un seul but : achever sa mission. Sinon, elle n 'avait aucune raison de survivre. Si elle ne réussissait pas cette fois, on ne lui accorderait plus de survie. La peur et la haine gonflèrent son cœur, éveillant en elle des spasmes voluptueux. Ses mains s'ouvraient et se refermaient dans le désir d'étreindre un cou d'enfant, un petit cou blanc et ferme très droit, très beau, celui d'Honorine, qui en elle portait la douleur possible d'Angélique.

« Ah ! Comme je les hais toutes deux... »

La frustration et le désir des visions entrevues la tourmentaient jusqu'à l'égarement.

« Quelle volupté », se répéta-t-elle, avec un long soupir né du profond de ses entrailles.

Ses entrailles se réveillaient. Dieu merci ! aurait-elle dit, si un pacte intérieur passé avec les puissances infernales ne lui eût interdit d'employer ce vocable, autrement qu'à voix haute et pour tromper. Qu'il est donc difficile d'habiter une chair si faible ! Voici qu'en dehors de toute stratégie, elle souhaitait une étreinte amoureuse pour calmer des ardeurs presque douloureuses que les évocations lubriques de ses projets frustrés, de sa vengeance inachevée, lui inspiraient.

Elle voulait bien jouir, mais non souffrir, et son corps lui apparut faible, subjugué, dépassé par les forces qu'elle avait déchaînées.

« Suis-je devenue réellement, moi aussi, une créature humaine ?... » se demanda-t-elle avec effroi.

La voix d'un domestique l'informant qu'un jeune homme la demandait lui parvint.

– Faites entrer !

Elle sentit une présence sur le seuil de la pièce, à quelques pas, et se retourna.

Elle eut un frisson violent. Mélange de peur et de satisfaction.

Celui qui venait d'entrer était une réponse à ses doutes et ses indécisions. Elle préférait le corps à corps avec l'adversaire.

Dans le corps à corps, elle était la plus forte. Et quand il s'agissait d'un beau jeune homme comme celui-ci, la victoire était assurée d'avance. Elle pouvait faire pleurer les femmes, les briser, détruire leur existence, mais non pas les dompter, à part quelques-unes. Tandis que ces mâles imbéciles, esclaves de leur sens et de leur vanité, c'était presque trop facile de les amener à composition, tremblant à ses genoux.

Cependant, il y avait aussi la peur.

Depuis qu'elle s'était sentie reconnue par lui à Versailles dans l'antichambre du roi, une sourde certitude l'habitait qu'il ne s'en tiendrait pas là. C'est pourquoi elle avait voulu le faire tuer aussitôt. L'attentat avait donc échoué ?

La crainte n'avait cessé de la tarauder. Ridicule ! Puisque, ayant gagné le Havre avec son époux, elle s'embarquait pour la Nouvelle-France.

Malgré cela, elle ne cessait de se l'imaginer, ce Cantor de Peyrac, qui avait les yeux de sa mère, cherchant à en savoir plus long sur elle. S'embarquant peut-être à sa poursuite, elle en était si intimement persuadée, qu'avant de quitter Québec pour Montréal, elle avait prévu sa venue, l'avait décrit à ses gens qu'elle laissait en place, leur avait donné des ordres précis à son sujet, et pour le « glouton » aussi. La bête avait été tuée, mais lui, comment leur avait-il encore glissé entre les mains ?

Il ôta son feutre avec grâce et salua profondément.

– Madame, me reconnaissez-vous ?

– Certes, fit-elle en redressant la tête avec défi, et je n'y ai point de mérite, car depuis Versailles, vous me poursuivez, Monsieur. Puis-je savoir pourquoi ?

– Je vous ai reconnue, Madame, alors que tous vous croient morte depuis plusieurs années. N'est-il pas normal d'avoir voulu m'assurer que mes yeux ne m'avaient pas trompé ?

– Une curiosité si démesurée qu'elle vous presse à vous rendre aux antipodes pour la satisfaire ! Vous vous moquez, Monsieur !... ou vous mentez...

– Madame, à ma fougue et à ma passion qu'importent les mers à traverser... Voici peu de choses pour m'assurer de ce miracle. Vous êtes vivante. Et en effet, il s'agissait pour moi, en me lançant sur vos traces, de satisfaire bien d'autres désirs que celui d'une simple curiosité. Oh ! Madame, poursuivit-il, sans lui laisser le temps de percevoir en lui et en elle la fausseté de ces déclarations, que de pleurs j'ai versés, que de remords m'ont tourmenté, que de regrets m'ont déchiré. On vous a fort maltraitée sur la grève de Tidmagouche, et fort injustement. La folie des hommes n'a pas de limites quand la jalousie s'empare d'eux. Voilà, Madame, ce que j'avais à vous dire, et pourquoi j'ai traversé les mers puisqu'un hasard béni me permettait, en implorant votre pardon, d'apaiser ma conscience.

Le croyait-elle ? Il y avait dans les yeux allongés d'Ambroisine des lueurs froides et fixes, meurtrières. Elle répéta :

– On vous a vu courir dans Québec...

– J'étais à votre recherche.

– Je ne vous crois pas, beau page.

Qu'il était beau, ce Cantor de Peyrac. Son nom et sa beauté lui faisaient à la fois grincer des dents et monter l'eau à la bouche.

À Versailles, lorsqu'elle y était passée, des commérages lui étaient parvenus à l'oreille à propos d'une des dames d'honneur de la reine qui en était folle. Au point que, plutôt que de la blâmer et de s'en défaire, la reine, qui tenait à elle, lui avait accordé un congé d'amour illimité, la laissant « poulotter » son jouvenceau tout son saoul.

Petit dieu, petit seigneur déjà plein de puissance et de morgue, voici qu'il était là en ces roturières provinces, ayant tout quitté pour elle, affirmait-il.

– Vous me blessez, Madame, en doutant de mon souvenir et de ma ferveur. De quelle façon mieux vous les prouver qu'en commettant cette folie de vous poursuivre. Que rechercherais-je dans cette course insensée ? Voyez ! Ayant cru vous reconnaître, j'ai abandonné sur-le-champ mes charges à la Cour. Je risque la disgrâce... Mais je n'ai pensé à rien !... Qui accomplirait un tel geste sans être poussé par le brûlant et sincère sentiment que j'ose vous confesser. Le méconnaître, c'est me désespérer et méconnaître aussi la puissance des feux que vous m'inspirez. Ah ! Madame de Maudribourg. Je prononce ce nom sans y croire.

– Chut ! fit-elle vivement. En effet, ne le prononcez pas.

Elle regarda autour d'elle avec effroi. Son être se dédoublait.

Elle était encore, mais avec difficulté, Mme de Gorrestat, femme du nouveau gouverneur, ayant déjà conquis les édiles de la colonie, et établi sa réputation de dame d'œuvre pieuse et chaste, mais, depuis qu'il avait surgi, elle était surtout cette femme aventurière du Nouveau Monde – combien ce rôle lui avait plu ! – qui, quelques années plus tôt, avait traversé sur les rivages d'Acadie une odyssée secrète dont les péripéties n'avaient cessé de nourrir de fantasmagories ses souvenirs.

– Tidmagouche !... fit-elle avec amertume.

Les coins de sa bouche s'abaissèrent et elle devina que la grimace l'enlaidissait. Mais elle n'avait pu la retenir.

– Tidmagouche, je n'ai point souvenir que vous m'y ayez traitée avec justice.

– Je n'étais qu'un enfant.

– C'est cela qui me plaisait, fit-elle entre haut et bas, avec un sourire sournois et cruel.

« Damne-moi, Seigneur, pour mon péché, pensa-t-elle, mais, au moins... que ma chair serve à cela !... l'étourdir, l'égarer, la mystifier ! »

Elle était prise d'un tremblement. Allait-elle éclater en insultes, crachant feu et flammes, comme sur la plage de Tidmagouche, ou au contraire, ce frémissement était-il le signe avant-coureur de sa reddition ? Il avait noté ses faiblesses, ses craintes. Il fallait appuyer là-dessus, à la fois pour la ramener au passé et pour lui faire craindre le présent. Elle ne voulait pas être reconnue. Elle n'avait pas encore éliminé assez de témoins dangereux de son passé. Il y avait plusieurs points où elle manquait d'assurance, où elle avait besoin d'être rassurée. Sa beauté, entre autres, ses chances de séduction...

– C'est donc bien vous, chuchota-t-il, feignant d'être ébloui. Vous avez réagi à votre nom. Un doute me restait...

– Pourquoi ?... jeta-t-elle avec anxiété. Ai-je donc tant changé ?

– Oui, vous avez changé, mais cependant, je vous ai reconnue. Par quelle grâce se fait-il que vous soyez plus belle que dans mon souvenir, plus proche de mon rêve, madame de...

– Ne me nommez pas, intima-t-elle à nouveau.

– Ambroisine, alors ! Ambroisine ! Ce nom plein de charme a hanté mes nuits, n'a cessé de chanter en moi...

Il avançait à pas imperceptibles vers elle.

Les yeux verts affrontaient le regard d'ambre, puis s'en emparaient, et ces deux lumières s'anéantissaient dans une sorte de trêve, un effacement passager de la lutte.

Elle sentit proche d'elle cette chair drue de très jeune homme, et elle décida de le croire car de cela, de cette solide et sûre sensualité primitive, elle avait désormais une faim et une soif dévorantes. Son besoin de lui ravageait tout, secouait son corps, mais se heurtait au flot contraire de sa méfiance démoniaque. D'où, en elle, un débat incohérent. Ramenée à une vie lointaine, oubliée, effacée, où il avait été presque le même devant elle, sur une plage, à peine plus jeune, plus enfant, elle perdit le contrôle de ses propos.

– Vous vous êtes pourtant mêlé à ceux qui se sont jetés sur moi pour me massacrer !

– Dieu m'en garde, Madame, j'ai eu pitié, au contraire, de la violence qui vous était faite en cet instant. Croyez-moi.

Les prunelles d'Ambroisine eurent un éclair venimeux.

– Je ne vous crois pas, répéta-t-elle. Je me souviens de votre méchanceté lorqu'à Gouldsboro, j'essayais de vous caresser.

– Je n'étais qu'un enfant, Madame, effrayé par l'amour et l'œuvre de la chair qui m'étaient inconnus.

– Je vous ai pourtant offert de vous initier.

– J'ai tremblé.

– Vous craigniez la colère de votre mère qui me jalousait. Pour ma beauté, rivale de la sienne. Et qui me haïssait parce que j'avais réussi à séduire votre père et que j'attirais le regard des autres hommes.

Cantor se sentit devenir blanc.

L'horreur et le dégoût lui nouaient la gorge.

Heureusement pour lui, elle s'était retournée vers le miroir et s'y examinait, inconsciente de trahir par cette attitude une inquiétude quant à la pérennité de sa beauté et de ses pouvoirs. Puis elle souriait, rassurée.

– Par la suite, il me renia et il mentit pour la satisfaire, elle. Et vous aussi, pauvre petit benêt... Vous n'avez pas osé la contrecarrer... N'est-il pas un peu tard aujourd'hui pour venir implorer mon pardon ?...

Jamais plus, se jurait-il, écœuré, il n'écouterait une seule femme lui murmurer des mots de rendez-vous et des promesses voluptueuses. Et, tandis qu'elle parlait, il la voyait tourner et retourner nerveusement autour de son doigt un long fil d'or rouge, un fil de cuivre, souple, chatoyant, qui ne cessait d'attirer son regard, malgré lui, jusqu'à ce qu'il comprît que c'était là quelques cheveux d'Honorine, quelques-uns des longs cheveux de la petite rouquine que la harpie avait sans doute arrachés au crâne de l'enfant en la malmenant, dans sa fureur.

« Je te tuerai, se dit-il, avec une sombre intensité douloureuse, seule capable de l'aider à maîtriser sa colère. Je te tuerai, Démone !... Que Dieu m'assiste et soutienne mon glaive !... »

– « Elles » m'ont tenu tête, marmonnait-elle, Elles !... Elles seules !... Elles m'ont échappé !... C'est inadmissible ! Cela exige punition !... Ah ! Combien je les hais toutes deux ! Lui, je ne lui en voulais pas... de m'avoir repoussée. Non. C'était un homme. L'homme, a tous les droits. L'homme a le droit d'être le plus fort. Car il est le plus faible. J'en fais ce que je veux, un jour ou l'autre. Mais les femmes, non, les femmes n'ont pas le droit de triompher de moi ! Les femmes m'appartiennent. Des femmes, je ne veux que des victimes ou des complices ! Quant aux hommes, ils ne sont pas à craindre. Mais elles, elles se sont jouées de moi...

« Ah ! Combien je les hais toutes les deux...

Un peu en retrait, derrière elle, il devinait qu'elle parlait d'Angélique et d'Honorine. Une brûlante indignation lui brouillait la vue. Sa mère ! Et une enfant, sa demi-sœur !... Quoi qu'il en soit, une enfant remise à sa protection puisqu'il était devenu son demi-frère aîné.

Comment osait-elle, l'horrible créature, en parler sur ce ton devant lui ?... Comme s'il lui était acquis sans nul doute !...

« Prends garde ! s'intima-t-il s'adressant à lui-même et vidant son cerveau de toutes pensées. Qu'elle ne soupçonne rien de ce qui t'agite... »

Et il surprit le regard qu'elle lui jetait dans le miroir. Cherchant à deviner ses sentiments, prête à se jeter sur lui, furie, au moindre signe, éclair de colère ou de répugnance qui pourrait lui faire soupçonner qu'il n'était pas entièrement à sa dévotion. À ses pieds... Enchaîné par le désir charnel qui l'aveuglerait, le rendant indifférent à tout ce qui n'était pas elle, sourd aux paroles effrayantes qu'elle prononçait comme par mégarde devant lui, afin de provoquer son ire. Au moindre soupçon de ce qu'il ressentait vraiment pour elle, c'était sa mort qu'elle déciderait.

Mais elle ne put lire dans les yeux clairs fixés sur elle autre chose qu'une impavide lumière, cette fixité absente, obsédée, presque imbécile, qu'une trop ardente convoitise jugulée donne parfois au regard des nommes.

Sensible à ce langage impérieux, elle eut un gloussement satisfait.

L'avait-il abusée ? Il voulait l'espérer. La sueur mouillait le dos du pauvre Cantor, dans la peur qu'il éprouvait de l'alerter par le fléchissement d'une seule de ses pensées.

Toute la ruse et le sang-froid de son père se rassemblaient en lui. Il comprenait maintenant cette force de dissimulation du comte de Peyrac qui souvent l'avait irrité ou déçu, blessant sa sensibilité enfantine, bien que, lui aussi, s'abritât à l'ombre de cette force et se félicitât de sa protection.

Il comprenait que l'arme se forge à la virulence de l'ennemi, à l'ampleur du danger, qu'on n'évite la traîtrise que par une traîtrise plus grande encore.

Il fit un nouveau pas vers elle.

« Que ma chair au moins serve à cela, songeait-il, que ma chair qui la subjugue serve à cela... Au salut de tous !... »

Elle voyait si proche sa bouche renflée, ferme, et ce fut elle qui capitula tandis qu'il murmurait :

– Où ?... et quand ?...

Cet ultimatum lui avait déjà réussi.

C'était Florimond qui lui avait indiqué quelques stratégies et formules qu'il prétendait irrésistibles.

Elle tressaillit toute. L'égarement avide qui apparut sur ses traits lui donna la nausée.

Elle répondit haletante :

– Ce soir, à la pointe de l'île, en aval du fleuve. Il y a un moulin désaffecté... entouré d'aulnes et de trembles. Et la brume ajoute à la nuit pour dissimuler ceux qui ne veulent pas être vus. Je vous attendrai là-bas, en lisière du boqueteau...

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