Chapitre 5
Ce pourpoint était le seul vestige qu'elle eût relevé du passage de Joffrey de Peyrac à Tidmagouche.
S'il était vrai, comme l'affirmait Ambroisine, qu'il avait mis la voile l'avant-veille, après avoir séjourné plus d'une semaine dans ce port, son séjour, avec tout le désordre qu'entraîne le repos à terre d'un équipage, laissait remarquablement peu de traces. À croire qu'il n'y était jamais venu. Il faudrait qu'elle interrogeât autour d'elle : les pêcheurs, les quelques habitants fermiers qu'elle avait entrevus, et aussi Nicolas Parys, le propriétaire de la côte, qui les conviait ce soir à venir manger en son manoir fortifié sur la falaise.
Le reste de la caravane était arrivé en fin d'après-midi. Les gens étaient fourbus, dévorés par les moustiques et les sangsues des marécages.
Le marquis de Villedavray vint, à l'heure du souper, gratter à l'huis de la cahute où elle s'était installée avec son fils et ses bagages.
– Êtes-vous prête, chère amie ?
Angélique l'admira de se présenter fringant dans une redingote de soie prune ouverte sur un gilet brodé de petites roses et chaussant des souliers à boucles.
– J'emporte toujours une tenue de rechange avec moi, expliqua-t-il.
Non sans mérite, il avait encadré son visage boursouflé de piqûres de moustiques d'une perruque poudrée.
– Je connais les habitudes du vieux. Il réclame un certain protocole. À part cela, je vous avertis tout de suite, nous allons nous trouver dans la plus belle assemblée de bandits qu'on puisse rencontrer à cent lieues à la ronde. Nicolas Parys a le don de s'entourer de crapules sans gloire. Il les attire, semble-t-il, à moins que les gens ne débauchent à son contact.
Il regardait autour de lui avec appréhension.
– L'absence du comte rend notre situation encore plus difficile. Une vraie malchance ! Qu'avait-il besoin d'aller se promener à Plaisance ! Mais on affirme qu'il sera de retour dans moins de deux semaines... De toute façon, ne nous séparons pas, chuchota-t-il. J'ai demandé à être logé dans votre voisinage. Veillez aussi à votre nourriture. Ne mangez que ce que vous aurez pris dans le même plat que les invités et attendez pour porter la nourriture à votre bouche qu'ils aient commencé de manger. J'en ferai autant, et j'ai fait également cette recommandation à votre fils Cantor.
– Si les autres convives sont dans le même état d'esprit et si nous attendons tous, dit Angélique avec un rire nerveux, ça va être drôle !
– Ne plaisantez pas !
Villedavray était sombre.
– Je suis très inquiet. Nous voici dans l'antre de Messaline et du roi Pluton.
– L'avez-vous vue ? interrogea Angélique.
– Qui cela ?
– La duchesse !
– Non, pas encore, répondit le marquis d'un air qui prouvait qu'il n'avait aucune hâte de la rencontrer. Et vous ?
– Oui, je l'ai vue.
L'œil du marquis s'alluma.
– Et alors ?...
– Nous avons échangé quelques paroles, assez vives je le reconnais, mais, comme vous le voyez, nous sommes encore en vie toutes deux.
Le marquis de Villedavray l'examinait.
– Vous avez les yeux rouges, dit-il, mais vous ne semblez pas abattue. Bien ! Cramponnez-vous. J'ai comme un pressentiment que la partie va être serrée.
Pour une fois la langue acérée du marquis de Villedavray parut à Angélique s'être montrée au-dessous de la vérité et avoir fait des hôtes de Nicolas Parys et de lui-même une description, après tout, assez indulgente.
En les dénonçant comme une assemblée de bandits, il n'avait pas traduit l'impression inquiétante que l'on éprouvait, en la présence de Nicolas Parys et de ses hôtes et voisins. Ils semblaient le produit à la fois de la vie rude, de la débauche sans frein, d'une avidité de rapaces à thésauriser tout ce qui pouvait tomber sous la main ou se monnayer dans les parages de ce nid d'aigles. Une sorte d'hérédité de noblesse donnait à ces hommes exilés sur la terre d'Amérique un goût du faste, grossier et comme dégénéré mais assez impressionnant.
Pas de femmes ici, à part Ambroisine et Angélique ce soir, ou des Indiennes concubines qui erraient aux alentours de l'habitation, insolentes ou abruties d'alcool.
Nicolas Parys avait eu une fille d'une Indienne qu'il avait épousée. Il l'avait fait élever aux Ursulines et l'avait mariée au fils d'un hobereau du voisinage, lui donnant en fief la presqu'île de Canso et l'île Royale.
À la lueur fumeuse de grosses torchères de résine plantées dans des anneaux de fer au mur et dans des candélabres, la table apparut emplissant la pièce comme pour un banquet, surchargée de victuailles de toutes sortes parmi lesquelles s'alignaient tant bien que mal les écuelles de bois destinées aux hôtes du festin ainsi que quelques cuillères et couteaux disparates.
On comprenait qu'en bien des cas les doigts devaient faire office de fourchettes.
En revanche, pour le vin il y avait de véritables hanaps d'or ou de vermeil, et Villedavray guigna immédiatement dessus. Ainsi que sur des petits verres de cristal taillé destinés à l'alcool.
La boisson ici était reine. On la comprenait à cet apparat dont on l'entourait et aux nez généreusement allumés des participants. Il y avait des fûts dans les coins, des tonnelets posés sur pied, des cruches pleines, et des fiasques de rhum en verre noir, à long col.
L'ensemble, dans ce clair-obscur enfumé, rappela à Angélique l'ambiance qu'elle avait rencontrée jadis, durant son voyage en Méditerranée, dans un petit château sarde où régnait, mi-naufrageur, mi-pirate, un seigneur au même regard de loup et à la même superbe dangereuse que ses hôtes du moment.
Ils se tenaient cinq ou six ou peut-être plus – mais on voyait mal – autour de la table, et quand les dames entrèrent, toutes ces trognes rubicondes s'éclairèrent de sourires avenants, tandis que sur un signe du sieur Nicolas Parys, ils s'inclinaient dans une révérence à la française. Le mouvement galant fut d'ailleurs interrompu à peine ébauché par l'irruption de deux monstres, qui, couchés devant l'âtre, bondirent avec des grognements épouvantables et foncèrent sur le groupe entrant.
Le vieux Parys décrocha un fouet à mèche du mur et frappa un peu à l'aveuglette.
Il réussit à ramener au calme les deux monstres qui se révélèrent être d'énormes chiens d'une espèce inconnue. On les trouvait, paraît-il, en l'île de Terre-Neuve, où l'on racontait qu'ils étaient un croisement d'ours et de dogues abandonnés en cette île par une expédition coloniale. Il est vrai qu'ils tenaient de l'un et de l'autre par leur taille gigantesque et massive et leurs poils touffus comme une fourrure. Leur maître assura qu'ils nageaient comme des marsouins et pêchaient le poisson.
L'objet de leur colère subite avait été l'apparition de Wolverines le glouton, s'introduisant sans timidité excessive sur les talons de Cantor et des invités.
Il se tenait maintenant en arrêt sur le seuil, son ample queue en panache et découvrant toute sa mâchoire méchante aux dents aiguës, prêt à affronter les colosses en combat singulier.
– Ho ! Ho ! Qu'est-ce que c'est que ça ? s'écria un des hommes.
– Un glouton, constata Nicolas Parys, la plus féroce bête de la forêt. Celui-ci a dû sortir des bois, par erreur. Mais c'est curieux : il n'a pas l'air effrayé.
Cantor intervint.
– Il est apprivoisé. C'est moi qui l'ai élevé.
Angélique s'aperçut qu'Ambroisine tremblait de tous ses membres.
– Votre fils a encore amené cette horrible bête avec lui ! C'est intolérable, fit-elle d'une voix dont elle contrôlait avec peine la tonalité prête à virer à l'aigu. Regardez-le. Il est dangereux. Il faut l'abattre.
Il y avait une telle détestation dans le regard qu'elle fixait sur Cantor qu'on eût cru presque qu'elle parlait de lui et Angélique frémit de crainte pour son fils.
– Pourquoi l'abattre ? Laissez cette bête tranquille, moi elle me plaît, dit le vieux Parys.
Et, tourné vers Cantor :
– Bravo, mon garçon ! Apprivoiser un glouton, c'est rare. Tu es un vrai coureur de bois. Et beau comme un dieu avec ça. Hé ! Hé ! Gouverneur, il doit vous plaire ce garçon, pas vrai ? Mange, rassasie-toi mon fils ! Mesdames, allez-y !
Le propriétaire des plages du golfe Saint-Laurent était un peu bossu, un peu borgne, mais sa personnalité contondante qui en avait fait, à coups de rapines, d'audace, de complots habiles, le roi de la côte est lui ressortait par tous les pores. En sa présence on se plaçait instinctivement sous sa dépendance.
Un des fils de Marcelline ou un des frère Defour ne lui paraissant pas avoir fait assez de frais pour lui dans son habillement, il le pria d'aller se mettre en « tenue de cour » comme il disait. L'autre protesta qu'il sortait des marécages...
– Bon, ça va ! concéda l'hôte, va dans ma chambre prendre une perruque et colle-toi ça sur ton crâne de brute, je m'en contenterai pour ce soir.
Il avait fait placer les deux femmes présentes à chaque extrémité de la longue table et lui-même étant assis au milieu, son œil chassieux allait de l'une à l'autre avec une évidente satisfaction tandis qu'un sourire étirait sa bouche édentée. Cependant, ce qui lui restait de dents ne l'empêchait pas de faire honneur au festin qui se composait surtout de gibiers à plume accompagnés de sauces fortement épicées, et de trois ou quatre cochons de lait rôtis sur des braises dans leur peau craquante. Pendant quelques instants on n'entendit que le craquement des os et le bruit des mâchoires et des clappements de langue. Deux grandes miches d'un pain bis à la croûte presque noire permettaient aux amateurs de saucer largement leurs écuelles de bois, ce dont personne ne se privait.
À travers la pénombre embrumée, Angélique distinguait en face d'elle le pâle et ravissant visage d'Ambroisine. La vapeur exhalée des mets comme celle de la fumée du tabac que pétunaient quelques Indiens estompaient les traits de la jeune femme. Elle était là-bas comme une apparition surgissant de l'encens de quelques offrandes maléfiques et dans la nacre de sa face, ses prunelles sombres semblaient immenses. Angélique les sentait fixées sur elle, tandis que les lèvres entrouvertes souriaient sur l'étincelle de ses dents enfantines.
Un malaise régnait.
– On n'y voit goutte, chuchota Barssempuy penché vers le marquis, son voisin.
– C'est toujours comme ça chez lui, répondit de même Villedavray. Je ne sais pas s'il s'imagine que son luminaire est excellent ou s'il fait exprès, mais lui ça ne le gêne pas. Il voit dans l'obscurité comme les chats, il guette comme eux.
Et, en effet, les yeux du vieux Parys par-dessus les carcasses qui s'amoncelaient de plus en plus devant lui ne cessaient d'examiner autour de lui, tandis que les autres se débattaient tant bien que mal avec ce qu'ils avaient dans leurs assiettes.
Les regards de Nicolas Parys s'attardaient sur Angélique, sur Piksarett qui avait pris place d'office à la droite de sa « captive », sur Cantor qui se trouvait à sa gauche. Puis les vins ayant été versés dans les hanaps d'or, les langues se délièrent et l'on commença à échanger des histoires.
Au premier abord et trompée par la semi-obscurité, Angélique s'était imaginé que tous les hommes présents lui étaient inconnus mais elle reconnut dans l'un d'eux le capitaine de La Licorne Job Simon, l'homme à la tache violette. Sa barbe touffue et sa chevelure hirsute avaient encore grisonné. Il était encore plus voûté et ses yeux globuleux sous ses sourcils hérissés regardaient fixement devant lui.
Il y avait aussi le secrétaire Armand Dacaux et elle se demanda comment elle avait pu ne pas le reconnaître aussitôt, le confondre dans « cette assemblée de malandrins », car il lui avait toujours paru un homme de manières distinguées quoique un peu obséquieuses. Mais – jeu de la pénombre ou de son imagination inquiète – voici que la ventripotence discrète de M. Armand lui ressortait comme une obésité malsaine, son menton assez plein, ses lèvres épaisses ouvertes sur un sourire qui se voulait toujours aimable, trahissant une sensualité écœurante. Derrière les verres de ses lunettes brillait l'éclat d'un regard fixe, émerillonné, la monture des lunettes tout à coup paraissait énorme, lui donnait un air de hibou cruel, un peu fou.
Il y avait aussi l'aumônier de Nicolas Parys, un Récollet suant et congestionné, à la trogne allumée par l'alcool.
Non loin d'elle se trouvait le capitaine du morutier qui était à l'ancre dans la baie, l'homme du Faouët. C'était un autre type, plutôt maigre, taillé dans du granit. Elle s'aperçut qu'il buvait comme un trou, mais ne se laissait jamais aller. Ses libations se trahissaient par l'arête de son nez mince devenant de plus en plus rouge. À part cela, il restait raide sur son banc, riait à peine, mangeait solidement.
Villedavray sauvait l'atmosphère en racontant avec esprit des gauloiseries accessibles à tous et qui mettaient de bonne humeur.
– Je vais vous raconter ce qui m'est arrivé un jour, commençait-il de sa voix douce.
Il avait le don de tenir son auditoire en haleine jusqu'au moment où l'un de ceux qui l'écoutaient bouche bée grommelait :
– Gouverneur, vous nous faites marcher.
– Eh bien ! Oui, convenait-il, ce n'était qu'une plaisanterie.
– On ne sait jamais avec lui s'il ment ou s'il raconte la vérité, disait quelqu'un.
– Savez-vous ce qui m'est arrivé à mon dernier anniversaire ?
– Non ?
– Eh bien ! voilà, comme chaque année j'ai réuni tous mes amis à bord de l'Asmodée, ce ravissant bateau, un petit Versailles flottant... vous le connaissez tous... La fête battait son plein quand tout à coup...
– Quoi donc !...
– Le bateau a sauté.
– Ha ! Ha ! Ha ! s'esclaffèrent bruyamment les convives.
– Vous riez, dit Villedavay d'un ton peiné, et pourtant c'est la vérité. N'est-ce pas vrai, chère Angélique ? Et vous, Defour, n'est-ce pas vrai ? Le bateau a sauté, flambé, coulé...
– Fichtre ! dit Nicolas Parys, quand même saisi, comment vous en êtes-vous tiré ?
– Par intervention céleste, dit dévotement Villedavray en levant les yeux au ciel.
Angélique admirait Villedavray de se montrer si plein d'aisance ; il mangeait de bon cœur et ne paraissait plus songer aux recommandations qu'il avait faites à Angélique à propos de poison. Il est vrai que dans une telle pénombre il n'y avait rien d'autre à faire que d'adresser une prière au ciel à chaque bouchée et de penser à autre chose. Malgré elle, Angélique hésita lorsque le capitaine breton lui tendit une jatte remplie d'un liquide indistinct.
– Goûtez-moi cette sauce, madame. Tout est bon dans la morue quand elle est fraîche. La tête, la langue, le foie. On les délaye dans l'huile et le vinaigre avec un piment... goûtez cela.
Elle le remercia et l'entretint afin qu'il ne remarquât pas trop qu'elle ne faisait pas honneur au mets en question. Elle s'informa s'il était satisfait de la saison de pêche. Depuis combien d'années venait-il dans le coin ?
– J'y suis quasiment né. J'y venais déjà avec mon père quand j'étais moussaillon. Mais il ne faut pas se laisser prendre par l'Amérique. Si j'avais écouté le vieux Parys, je ne serais plus qu'une épave. Quatre mois l'an, cela suffit ! Les dernières semaines on est tous à moitié dingues. C'est la sécheresse, le travail de forçat... J'ai encore et encore de la morue à saler et des cales à remplir, je n'en vois pas le bout... Mon fils est malade, ça le prend chaque saison vers la fin, quand la poudre tombe des arbres... Il ne peut plus respirer. Je dois le laisser sur le navire en rade, il a plus d'air...
Malgré la faconde du marquis, Angélique, lorsque ses yeux rencontraient ceux d'Ambroisine, ne pouvait surmonter sa tension intérieure. Par instants, sans même en avoir conscience, elle se tournait vers la porte. Joffrey allait-il surgir tout à coup ? S'il avait pu se dresser sur le seuil, sa haute silhouette de condottiere dominant l'assemblée, son regard d'aigle se posant sur ces faces diverses dans la pénombre, ah ! quel soulagement ! Peut-être un sourire caustique naîtrait-il à ses lèvres en les apercevant tous et elle parmi eux. Il connaissait son monde. Mais il ne craignait personne. Même ces hommes-ci devaient changer d'allure et de ton lorsqu'ils s'adressaient à lui, elle en avait la certitude. Ah ! Pourquoi n'était-il pas là ?... Où était-il ?
Une crainte affreuse l'envahissait. Et s'ils l'avaient tué ? Là, sur cette grève perdue, dans ce bouge du bout du monde, poussée par la Démone, ils l'avaient tué !
Sous le regard de Nicolas Parys qu'elle sentait revenant à elle continuellement, elle se forçait à avaler, craignant qu'il ne la traitât de mijaurée. Heureusement, il y avait à ses côtés Piksarett déchiquetant allègrement sa viande de ses dents de belette et Cantor absorbé à se réconforter avec la conscience pure d'un jeune homme qui a fait une longue étape dans la journée.
Le vieil homme essuya ses lèvres grasses avec un pan de sa perruque.
– Eh bien ! Vous voici, madame de Peyrac, dit-il tout à coup, comme répondant à une réflexion intérieure. C'est une bonne idée d'être venue me rendre visite. Cela me confirme dans mon désir de vous voir régner sur ces lieux.
– Que voulez-vous dire, monsieur ?
– J'en ai assez de ce bled infâme. Je veux retourner au royaume de France pour m'y distraire un peu. Je voudrais vendre mes domaines à votre époux... Mais, contre quoi, voilà la question... Je lui ai demandé de me donner en échange le secret de la fabrication de l'or. Il veut bien, mais cela me paraît compliqué...
– Mais non, c'est au contraire très simple, interrompit la voix enchanteresse d'Ambroisine. Vous qui avez l'esprit si délié, cher Nicolas, je m'étonne que vous vous effrayez de si peu. M. de Peyrac m'a tout expliqué, il n'y a rien de magique, il s'agit seulement de science de chimie et non d'alchimie.
Elle se mit à décrire l'un des processus de la fabrication de l'or que Joffrey de Peyrac avait mis au point particulièrement pour les mines de la région. Angélique reconnaissait au passage les termes familiers dont se servait Joffrey pour lui expliquer ses travaux.
– Comme vous êtes savante, chère petite madame ! s'exclama Villedavray en regardant Ambroisine d'un air ravi, c'est un plaisir de vous entendre et comme, en effet, tout paraît simple. Désormais il me paraît préférable d'amasser de l'or de la façon dont vous dites, plutôt que par des procédés arriérés, comme d'aller faire rendre gorge aux corvéables ou de collectionner les boutons d'habits ou d'uniformes des naufragés de nos côtes...
Nicolas Parys renifla et plissa son nez à plusieurs reprises en le regardant fixement. Le marquis souriait d'un air innocent.
Angélique profita du silence assez lourd qui régna un instant pour poser une question.
– Vous avez donc vu mon mari récemment, interrogea-t-elle en essayant de donner à sa voix un ton ferme et naturel. Il est venu ? Ici ?
L'autre se tourna vers elle d'un air bourru et interloqué et l'observa en silence.
– Oui, répondit-il enfin. Oui, je l'ai vu... (Et il ajouta d'un ton un peu bizarre :) Ici...