Chapitre 24

Soudain quelqu'un cria :

– Attention ! Il s'enfuit !...

Profitant de ce que tous les regards étaient fixés sur Job Simon et s'étaient entièrement détournés des captifs, le Pâle venait de s'élancer. Il courait vers le rivage puis il commença de bondir à travers les rochers découverts par la marée basse. Sa fuite était insensée. Même s'il atteignait la mer et s'y jetait, y nageait des heures, quelles seraient ses chances d'échapper, de survivre ?

Mais la créature était si diabolique que tous eurent l'impression en voyant s'amenuiser à travers les nappes frémissantes de chaleur et de lumière des brumes, la silhouette du Démon blanc, qu'il allait disparaître à leurs yeux, happé par l'horizon, comme il en était apparu un soir parmi la plaine miroitante des algues à nu et que rien ne l'empêcherait de reparaître un jour pour poursuivre ses méfaits sur la terre.

– Rattrapez-le, criait-on. Rattrapez-le.

On eût dit maintenant un lutin follet, dansant à la pointe des roches, tout au loin. Il atteignait la mer, la mer qui toujours avait été la complice de l'assassin-au-gourdin-de-plomb, il allait la rejoindre et elle le dissimulerait aux yeux des hommes. C'est alors qu'Hernani d'Astiguarza bondit, venu de la droite. Les grandes jambes se déployaient comme celles d'un danseur dans ses bonds, de roche en roche. Il fit halte, campé en silhouette noire sur le ciel jaunâtre, et son bras tenant le harpon se déploya puis se détendit avec la force d'un ressort.

Le trait siffla, entraînant le filin qui se déroula, sautant et tressaillant comme un serpent fou tronçonné.

Un cri atroce vogua sur la baie.

Hernani le Basque remonta la grève, la corde passée sur son épaule, halant derrière lui sa proie.

Parvenu devant le comte de Peyrac et Angélique, il attrapa son harpon par une extrémité et jeta devant eux, comme il aurait fait d'un requin, le corps de l'homme empalé. Puis il l'empoigna par les cheveux et le redressa afin que tous pussent voir et reconnaître cette face hideuse aux yeux fixes et vitreux, à la bouche ouverte, et à peine plus livide dans la mort que dans la vie.

Morte la Bête...

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