Chapitre 17

Démonologie, possession, folie !...

Hantée par ces mots, elle s'éveillait de son sommeil fiévreux et pendant quelques instants tout semblait calme.

Une nuit, sur le golfe, des hommes endormis qui ronflaient, un Indien accroupi près des braises, rongeant à petits coups de ses dents de belette une poire de graisse d'orignal, la lune voguant derrière le brouillard translucide.

Ses craintes, ses soupçons, tout semblait fou. Péniblement, il lui fallait se rappeler qu'en quelques jours deux femmes étaient mortes et que pesaient sur eux des menaces latentes, nées des fantasmes homicides d'un être en folie.

Du fond de la nuit, quelque chose grinçait, rythmé et taraudant. Les tambours des Indiens et leurs flûtes stridentes. « Ils commencent à se saouler », avait dit Villedavray. Dans les forêts qui les cernaient allaient se déchaîner des peuples en délire, abîmés dans la magie de l'alcool, l'eau-de-feu, la limpide, la brûlante, la corrosive source des songes qui reliait aux dieux invisibles.

Par-derrière eux : ces bois dangereux, par-devant : la mer saumâtre à l'horizon clos de brouillards, d'où il semblait qu'aucun recours ne pourrait jamais surgir.

Pourtant elle leur avait amené, la mer, l'arche de Noé d'Aristide. Il semblait que les démons trompés, laissant passer ces grimaçants spécimens d'humanité, avaient pris pour les leurs ces êtres de nulle part, voguant à la crête des vagues sous le signe de la Quincaille et du Rhum frelaté, le Négrillon, l'Ours, la Prostituée, le Colporteur, le Vaurien...

Masques de farce antiques, ils étaient venus s'immiscer dans cette tragédie trop bien réglée, sans qu'on pût savoir de quelles coulisses ils sortaient et c'était peut-être le signe que la Démone commençait à faiblir devant la faconde des humains et leur incroyable désordre à, vivre, brouillant tout à coup, sans scrupule, les cartes du jeu si savamment distribuées. Cantor s'était échappé, Cantor trouverait son père, comme il l'avait trouvé jadis...

Les cris d'Ambroisine, au cours de sa crise feinte ou réelle, avaient trahi une inquiétude, un égarement. Certaines images perdaient leur force contondante, se dégonflaient comme baudruche sous le coup d'épingle d'une naïve réalité terrestre. Angélique se débattant dans un demi-rêve voyait un œil de saphir s'implanter dans le front d'Ambroisine, chevauchant l'animal mythique, la Licorne blanche et cruelle qui vit au fond des forêts.

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