Candé Épilogue du roman d’un roi

Vous devez me croire lorsque je vous dis que j’ai jugé impossible de continuer à assumer ma lourde responsabilité et d’accomplir comme je le voulais mon devoir de roi sans l’aide et le soutien de la femme que j’aime.

Duc de WINDSOR

« Au début de mars 1937 à 6 heures du matin, Katherine, Herman et moi partions pour Candé. L’inspecteur Evans étant depuis longtemps retourné en Grande-Bretagne, le gouvernement français avait délégué, pour assurer ma protection, deux inspecteurs de la Sûreté qui nous suivaient dans une voiture où avaient également pris place la femme de chambre de Katherine et la mienne. Nous partîmes sous une pluie battante qui ne cessa de tomber pendant tout le voyage.

« Après avoir passé la nuit à Roanne, nous arrivâmes au château le lendemain à la tombée du jour. Pour éviter les reporters qui – ainsi qu’on nous l’avait laissé prévoir – étaient déjà postés à la grille du château, nous pénétrâmes dans le domaine par le fond du parc et j’eus la première et plaisante vision de Candé, de ses épais murs gris, de ses tours élancées battues par la pluie. Mme Bedeaux nous accueillit sur le perron. Elle me frappa par sa beauté, par sa grâce et par son aisance. »

La femme qui, bien des années plus tard, écrit ces lignes ne s’appelle déjà plus Mrs. Simpson mais ne s’appelle pas encore la duchesse de Windsor. Pour quelques semaines elle a repris son nom de jeune fille : Wallis Warfield, de Baltimore, États-Unis. Mais pour le monde entier qui l’épie et la pourchasse depuis des semaines, elle demeure Mrs. Simpson, celle pour qui un roi d’Angleterre vient d’abdiquer après onze mois de règne.

Si elle vient à Candé, c’est pour s’y marier. Elle le peut à présent que son divorce – le second, hélas ! – d’avec Ernest Simpson vient d’être prononcé. Le château de Candé, appartenant à Charles Bedeaux, un industriel français, a été choisi pour toutes sortes de raisons : « Pas trop grand, suffisamment à l’écart pour décourager les curieux, situé au cœur d’un parc boisé, dans un paysage de rêve. » Mais, quand elle arrive chez eux, Mrs. Warfield n’a jamais vu les Bedeaux. Ce sont ses amis Rodgers, Herman et Katherine – qui l’accompagnent après lui avoir offert l’hospitalité de leur maison cannoise au plus fort de la tempête –, qui ont choisi Candé avec l’assentiment lointain du nouveau roi d’Angleterre.

La tempête en question a été terrible. Elle a secoué le Royaume-Uni et même l’Europe entière. Mais revenons quelques mois en arrière.

Au soir du 11 décembre 1936, le monde entier est à l’écoute de la BBC autour du peuple britannique qui vit là une crise sans précédent dans son histoire. Quelques heures plus tôt, le roi Édouard VIII, qui a accédé au trône le 26 janvier précédent, a signé le document suivant :

« Je, Édouard VIII de Grande-Bretagne, d’Irlande et des Dominions britanniques d’au-delà les mers, empereur des Indes, déclare par la présente ma décision irrévocable de renoncer au trône pour moi et mes descendants. Et je désire qu’effet soit immédiatement donné à cet instrument d’abdication. »

Il reste à celui qui s’en va à faire ses adieux à cette Angleterre qu’il aimait et qui l’aimait et où, en principe, il ne devra plus jamais revenir. Et c’est cela que le monde attend, en écoutant la radio anglaise.

À l’heure prévue, le téléphone est suspendu partout et, venue du château de Windsor, une voix émue se fait entendre :

« Me voici, après un long silence, capable de dire moi-même quelques mots. »

Le silence, en effet, a été imposé au roi durant la longue, l’épuisante bataille qu’il a soutenue, non contre un peuple qui lui était attaché et qui, peut-être, l’eût compris, mais contre son Premier ministre, Stanley Baldwin, et contre l’archevêque de Canterbury, sans compter – et ce fut le plus déchirant – contre sa mère et ses frères. On ne lui a pas permis de s’adresser à la nation mais à présent qu’il renonce à tout, qu’il n’est plus que Son Altesse royale le duc de Windsor (à noter que la duchesse n’aura jamais droit au titre d’Altesse royale), nul ne peut plus lui contester ce droit.

Ses premières paroles sont pour reconnaître la souveraineté de son frère, le duc d’York, qui vient de lui succéder sous le nom de George VI :

« Ceci, je le dis de tout mon cœur. Tout le monde sait pourquoi je m’en vais mais tout le monde doit savoir qu’en prenant ma résolution, je n’ai pas oublié le pays que je me suis efforcé de servir pendant vingt-cinq ans comme prince et comme roi. Mais vous devez me croire lorsque je vous dis que j’ai jugé impossible de continuer à assumer ma lourde responsabilité et d’accomplir comme je le voulais mon devoir de roi sans l’aide et le soutien de la femme que j’aime. »

Ces mots tout simples ont fait sortir nombre de mouchoirs parce qu’on les sentait venus du cœur. Mais, l’émotion est combattue par la déception, la colère aussi. On n’a guère de sympathie pour Mrs. Simpson et l’on pense qu’à son âge – il a quarante-deux ans –, Édouard VIII aurait pu avoir plus de raison. Il était le prince charmant de l’Europe et on ne comptait plus les princesses, jeunes et belles, ou les jeunes Anglaises de grandes familles qui eussent fait d’excellentes reines. Or Wallis Simpson n’est pas jeune – deux ans de moins que le roi – et pas belle non plus. Mais son charme et son élégance sont extrêmes et elle restera longtemps l’une des dix femmes les plus élégantes du monde. Néanmoins, à cet âge, on pourrait douter qu’elle réussît à donner un héritier à l’Angleterre, en admettant qu’il n’y eût pas d’autres empêchements car elle n’a pas eu d’enfants de ses précédents maris.

Le prince de Galles l’a rencontrée deux ans plus tôt et très vite s’est attaché à elle. Wallis et son mari anglais – le premier était américain et se nommait Earl Spencer – firent très vite partie de la petite bande qui fréquentait chaque week-end Fort-Belvédère, le château du prince où il s’adonnait avec passion aux joies simples du jardinage.

On parlait beaucoup de cette liaison mais le scandale n’a véritablement éclaté que durant l’été 1936 à propos d’une croisière en Méditerranée à laquelle participaient le nouveau roi et Mrs. Simpson, plus quelques amis mais moins Ernest Simpson. Au retour d’ailleurs partait la demande en divorce.

Tout de suite ce fut la bataille. Bataille contre la Society, contre l’Église, contre le Parlement, contre la presse, contre la famille royale, contre Wallis elle-même épouvantée par l’ouragan qui se levait. Le tout avec pour unique soutien l’amitié vigoureuse et la combativité féroce de Winston Churchill.

Mais la lutte était trop inégale, en dépit des manifestations d’affection du peuple anglais et singulièrement des suffragettes qui promenaient par les rues d’immenses pancartes aux termes desquelles ces dames intimaient à Stanley Baldwin l’ordre d’« ôter ses mains de sur le roi ». Néanmoins peut-être fût-on arrivé à un accord si le roi s’était contenté d’un mariage morganatique mais il n’en voulait pas : Wallis serait reine ou lui ne serait plus roi.

À présent, c’est chose faite. Celui qui s’en va achève son allocution :

« Et maintenant, nous avons tous un nouveau roi. Je lui souhaite de tout mon cœur, ainsi qu’à vous qui êtes son peuple, bonheur et prospérité. Dieu vous bénisse tous ! Dieu sauve le roi… »

Quelques minutes plus tard, le duc de Windsor monte en voiture et gagne Portsmouth par un temps détestable. Il est seul, sans escorte. Dans le port, un navire de guerre, le Fury, attend. Il appareille en direction de la France. Mais l’ex-roi ne fait que la traverser : le divorce de Wallis n’est pas encore effectif et il n’a pas le droit de rejoindre celle qu’il aime au point de lui sacrifier la plus grande couronne du monde. C’est en Autriche, au château d’Enzesfeld, près de Vienne, appartenant au baron Eugène de Rothschild, qu’il va attendre l’appel de Wallis.

Quand sonne l’heure de Candé tous deux savent que le revoir est pour bientôt. Le 4 mai, c’est chose faite : le duc arrive à Candé.

Le mariage a lieu le 3 juin suivant par un temps superbe. La mariée porte une robe de satin bleu pâle – le fameux bleu Wallis – qu’a signée le couturier Mainbocher et un chapeau assorti, œuvre de la grande modiste Caroline Reboux. Quelques amis seulement assistent à ce mariage, bien moins nombreux que la marée de journalistes qui assiège les grilles de Candé : Randolph Churchill, lord et lady Metcalfe, lady Selby, le baron et la baronne de Rothschild, George Allen et enfin Hugh Luyd Thomas. Sans compter bien sûr les Rodgers. Un prêtre anglican, le révérend R. Anderson Jardine, a bravé les foudres de son évêque pour marier son ancien roi. Quelques heures plus tard, le duc et la duchesse de Windsor partent pour l’Autriche et pour une union exemplaire qui durera trente-cinq ans, jusqu’à la mort du duc. Candé retombait au silence.

Trois mots, tout de même, du château. Il avait été construit en 1508, sur des fondations féodales, par le cardinal Guillaume Briçonnet qui, entré dans les ordres à la suite de son veuvage, atteignit les plus hautes fonctions : conseiller du roi Charles VIII, puis surintendant des Finances, il devint archevêque de Reims mais perdit son chapeau de cardinal pour avoir soutenu le roi Louis XII contre le pape Jules II. Le château appartint par la suite à la famille Brodeau puis à la famille de Fleury, aux Drake del Castillo jusqu’à ce qu’en 1927 Charles Bedeaux s’en rendît acquéreur.

Aujourd’hui, le château est la propriété du Conseil général d’Indre-et-Loire.


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