Nantes La mort de Gilles de Rais

Il faut prier car c’est l’heure du Prince du Monde.

Paul CLAUDEL, Ténèbres

Le 15 septembre 1440, une forte troupe de soldats du duc de Bretagne se présente à la barbacane du château de Machecoul à une dizaine de lieues de Nantes. À leur tête le capitaine d’armes Jean Labbé, assisté du notaire Robin Guillaumet agissant au nom de Mgr Jean de Malestroit, évêque-chancelier de Bretagne. C’est un déploiement de forces impressionnant car il s’agit d’arrêter l’un des plus hauts seigneurs du royaume : Gilles, seigneur de Rais et d’une foule d’autres fiefs, maréchal de France, ancien compagnon de Jeanne d’Arc, sur lequel pèse une terrible accusation de crimes multiples accompagnés de sodomie.

Contrairement à ce que l’on pourrait craindre, Gilles se laisse arrêter sans tenter le moindre effort pour se défendre. Il est las, peut-être, du monde de ténèbres et d’horreur dans lequel il vit depuis bientôt neuf ans… depuis que Jeanne est montée sur le bûcher de Rouen. Privé de l’ange, il s’est tourné vers le diable.

On le ramène à Nantes et on l’enferme dans la tour du Bouffay, l’une des plus fortes du château. Le procès qui s’ouvre peu après découvre un monde d’horreur : quelque trois cents petits garçons ont été égorgés dans les différents châteaux de Gilles : à Champtocé, à Tiffauges, à Machecoul, à Bourgneuf, après avoir servi aux plaisirs contre nature du monstre. Les derniers de ces enfants ont, de plus, été sacrifiés au cours d’évocations diaboliques.

Les juges, peu sensibles pourtant à cette rude époque, voient défiler devant eux la navrante cohorte des parents des petites victimes que la peur ne bâillonne plus. Tout est découvert, des orgies nocturnes, des affreuses débauches dans lesquelles l’homme s’est vautré avec délices. Avec lui seront jugés ses complices, des serviteurs trop zélés et surtout un certain Italien, du nom de François Prelati, son mauvais génie qui, durant des mois, l’a berné en prétendant avoir un commerce régulier avec Satan.

Devant les juges, Gilles de Rais tout d’abord a nié, opposant son orgueil, son mépris, son grand nom à ses accusateurs. Mais soudain, c’est le coup de théâtre : on vient de l’excommunier et, devant ce qu’il pense être le prélude de la damnation éternelle, il « craque ». Son revirement est éclatant, démesuré comme tout ce qui lui est propre. Il avoue tous ses crimes et, au milieu d’un torrent de larmes, il implore le pardon de ceux qui ont eu à souffrir de lui. Et ce repentir est si sincère, si visiblement venu des profondeurs secrètes de l’âme, qu’au jour de sa mort ceux qui prieront pour lui avec le plus de ferveur seront ceux-là mêmes dont il a tué les enfants.

Le 26 octobre, Gilles de Rais et deux de ses complices sont tirés du château et conduits au supplice sur la place du Bouffay. Une immense procession à laquelle participe même sa femme, Catherine de Thouars, vêtue de blanc – elle n’a pas connu beaucoup de bonheur avec Gilles et vit séparée de lui depuis plusieurs années –, mène les condamnés vers le lieu du supplice. Gilles de Rais, très droit, les yeux au ciel, marche à la mort en chantant des cantiques. Quelques minutes encore et on lui passe la corde au cou puis on allume le bûcher dressé sous la potence.

Le corps sera retiré du brasier avant d’être consumé et remis à la famille qui l’enterre dans l’une des églises de Nantes : Notre-Dame-du-Mont-Carmel. À l’emplacement du bûcher, Marie de Rais, fille de Gilles, fit élever quelques années plus tard un monument expiatoire que les Nantais appelaient le monument de Barbe-Bleue.

Des salles où se déroula le procès, il ne reste rien. Vingt-six ans plus tard, le duc François II de Bretagne décidait de faire reconstruire son château et faisait élever par Mathelin Rodier – qui est aussi l’architecte de la cathédrale – le superbe logis que l’on peut encore admirer aujourd’hui. Le duc François y épousait, en 1471, Marguerite de Foix qui devait lui donner son unique enfant : cette petite duchesse Anne qui est apparue jusqu’à nos jours comme le symbole même de la Bretagne.

Duchesse en titre, Anne le devient en 1488 à la mort de son père : elle a alors douze ans. Mais elle ne manque pas de prétendants : entre autres son cousin Alain d’Albret et surtout l’empereur d’Allemagne Maximilien à qui on la fiance en 1491. Mais le mariage prévu inquiète le jeune roi Charles VIII de France et plus encore sa sœur qui fut régente. Anne de Beaujeu1 conseille à son frère d’épouser lui-même la jeune duchesse et c’est ce qui se produira le 16 décembre suivant au château de Langeais.

Anne demeurait souveraine et, après la mort de Charles, elle revint à Nantes. Pas pour longtemps : en 1499, dans la chapelle aujourd’hui détruite, Anne épouse le successeur de son mari, Louis XII, et devient reine de France pour la seconde fois. Mais avec elle s’éteint la réalité de la souveraineté de la Bretagne rattachée désormais à la France.

Par quatre fois, François Ier, époux de Claude de France, fille et héritière d’Anne de Bretagne, séjourne à Nantes en 1518, 1520, 1522 et, enfin, en 1532 où le rattachement de la Bretagne à la France est solennellement proclamé au château de Nantes.

Le château désormais servira surtout quand les rois viendront en Bretagne mais, à partir de 1592, quand les travaux de défense ordonnés par le duc de Mercœur, gouverneur de Bretagne, s’achèvent, le château va tourner de plus en plus à la prison d’État. Vit-on jamais plus belles et plus solides murailles ? Lorsque Henri IV, l’ancien adversaire du duc de Mercœur, vint à Nantes, après la réconciliation des Ponts-de-Cé, il ne cacha pas son admiration :

« Ventre-saint-gris ! s’écria-t-il, ces ducs de Bretagne n’étaient pas de petits compagnons ! »

C’est à Nantes, d’ailleurs, qu’il promulgue le fameux édit réconciliateur que la sottise de Louis XIV, poussé par Mme de Maintenon, révoquera un jour, privant ainsi la France d’une part non négligeable de sa population et assurant définitivement la réputation de l’horlogerie suisse.

Si superbes que soient les murs, on peut tout de même s’en évader. Témoin le cardinal de Retz, le trublion de la Fronde, que l’on y enferma en 1654. Prison assez douce si l’on en croit les Mémoires du joyeux cardinal :

« Tout le monde me voyait. On me cherchait même tous les divertissements possibles ; j’avais presque tous les soirs la comédie. Toutes les dames s’y trouvaient. Elles y soupaient souvent. »

Pourtant, il n’est si bonne prison qui ne se quitte si l’on en a la possibilité. Le 8 août 1654, en plein jour – il est cinq heures de l’après-midi –, deux des domestiques du cardinal, Rousseau et Vacherot, descendent leur maître le long de la muraille au moyen d’une corde, d’une sangle et d’un bâton passé entre les jambes. Ce faisant, d’autres sont chargés d’amuser les sentinelles. Mais ils n’auront guère de peine à se donner grâce à certain dominicain qui choisit de se noyer dans les douves au moment où Monseigneur effectue sa descente. Sautant alors à cheval, le cardinal pique des deux mais il est mauvais cavalier et le cheval qu’on lui a trouvé en réclame justement un bon. Il se cabre et Retz, vidant les étriers, s’en va donner de l’épaule contre l’angle d’une porte cochère. La douleur est violente mais il ne faut pas s’attarder. Et il racontera plus tard qu’au cours de cette première chevauchée il a dû se tirer les cheveux pour s’empêcher de perdre connaissance.

En septembre 1661, Louis XIV réunit à Nantes les États de Bretagne. Le roi a convoqué son surintendant des Finances, Fouquet le Magnifique, dont il n’a pas encore digéré la fête fabuleuse qu’il lui offrit au château de Vaux-le-Vicomte. Au sortir d’un entretien avec le roi qui réside au château, Fouquet est arrêté par d’Artagnan, capitaine-lieutenant des Mousquetaires, enfermé dans un carrosse et ramené au château de Vincennes où il attendra que s’ouvre son procès.

Autres prisonniers, les nobles bretons convaincus d’avoir conspiré contre le Régent avec le prince de Cellamare, ambassadeur d’Espagne. L’arrêt a été rendu le 26 mars 1720 et porte que « les sieurs de Guer de Pontcallec, de Montlouis, de Talhouët et du Couedic, prisonniers es prison du chasteau de ceste ville de Nantes, atteints et convaincus de crimes de lèse-majesté et de félonie sont condamnés d’avoir la teste tranchée sur un échafaud qui sera dressé à cet effet dans la place publique de ceste ville de Nantes ». La place publique en question c’est cette même place du Bouffay qui vit mourir Gilles de Rais. Les quatre gentilshommes bretons ne sont pas, eux, des assassins. Ils sont seulement des braves gens qui ont cru rendre à la Bretagne ses droits et libertés. Ils appartenaient à la meilleure noblesse du pays et surent mourir dignement.

Les prisons de Nantes verront d’autres prisonniers, bien sûr, mais le dernier qu’il faut évoquer ici est une femme singulièrement attachante : elle se nomme Marie-Caroline, elle est duchesse de Berry et elle a tenté d’arracher le trône de France à son oncle le roi Louis-Philippe au bénéfice de son fils, le petit duc de Bordeaux. Cachée à quelques pas du château dans la maison des demoiselles du Guiny, la duchesse a été trahie par un certain Simon Deutz, un misérable à qui l’on tendra son salaire avec des pincettes. Elle eût peut-être échappé si un gendarme n’avait eu l’idée de faire du feu dans une cheminée derrière laquelle elle se tenait cachée avec trois amis. Il fallut se livrer… ou brûler.

Restauré en 1881, le château a été cédé par l’État à la ville de Nantes qui y abrite plusieurs musées.


HORAIRES D’OUVERTURE

Cour et remparts (en accès libre) :

Tous les jours de 10 h à 19 h

(9 h-20 h en juillet et août)

Intérieurs du château, musée et exposition :

Tous les jours de 10 h à 18 h, sauf le lundi (10 h-19 h en juillet et août)

Fermé le 1er janvier, le 1er mai, le 1er novembre et le 25 décembre.

http://www.chateau-nantes.fr/


1- Voir Amboise.

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