Le champ de bataille Au commencement étaient les d’Harcourt

Là tout n’est qu’ordre et beauté

Luxe, calme et volupté…

Charles BAUDELAIRE

Son nom sonne comme son quarteron de trompettes, claque comme les drapeaux au vent des canons… pourtant lorsque l’on contemple sa superbe ordonnance et la splendeur de ses jardins on se demande ce qui a bien pu lui valoir un nom pareil.

C’est qu’avant de rencontrer l’enchanteur Merlin en 1992 son histoire se résume en un seul nom : Harcourt ! Mais plongeons dans la nuit des temps !

L’auteur de cette noble maison était Bernard, dit le Danois, descendu un beau matin de son drakkar en compagnie de son parent Rollon. Un gros malappris qui devenant à Saint-Clair-sur-Epte le premier duc de Normandie et tenu de s’agenouiller, pour en recevoir l’investiture devant le roi Charles III le Simple et de baiser son pied, a jugé plus amusant de lever ledit pied jusqu’à ses lèvres, le faisant dégringoler de son trône. Et de rire ! Mais passons ! Autrement dit, la maison d’Harcourt est tellement normande, ses rudes ancêtres étant à la fois marins et soldats, qu’elle a commencé par être viking. On ne s’étonnera donc pas d’y trouver, au fil des âges, quatre maréchaux de France et trois amiraux plus un nombre impressionnant d’illustrations…

Mais voici donc venu le moment d’évoquer le combat si fameux que l’on n’a pas jugé bon d’octroyer un autre nom à ce bout de terre comme il est habituel de le faire. C’est qu’il fut d’une importance capitale. Pour la Normandie d’abord, pour l’Angleterre donc, pour la France ensuite. C’est là qu’en 935, notre Bernard le Danois, féal du duc Guillaume Longue épée comme il l’a été de son père implanté à quatre kilomètres dans un lieu-dit Harcourt, va barrer le chemin aux ambitions de Riouf, comte du Cotentin et fermement décidé à s’emparer du duché tout entier. Eût-il réussi qu’aucun de ses descendants n’aurait peut-être eu l’idée géniale d’aller s’installer de l’autre côté de la Manche… Quant aux quelques arpents où se déroula cet exploit – car Riouf l’ambitieux n’était pas un petit sire ! – ils sont restés Le Champ de Bataille, un point c’est tout !

Naturellement, lorsqu’en 1066 Guillaume le Bâtard – il est le fils du duc Robert et de la belle Arlette, la fille du pelletier de Falaise ! – s’en va conquérir l’Angleterre… et changer son sobriquet de bâtard en celui de Conquérant ! – il y a déjà plusieurs membres de la famille Harcourt autour de lui. Certains, après la bataille d’Hastings, se laisseront séduire par le climat anglais et donneront naissance à des lords Harcourt dont plusieurs reviendront en France avec le titre et l’apparat d’ambassadeurs. Chose étrange, des liens continueront d’exister entre la branche française et les cousins britanniques. Tendus parfois, brisés jamais !….

Au Champ de Bataille, toujours rien ou si peu. C’est à Harcourt que s’élève la puissante forteresse dont il reste de nos jours quelques tours et un mur d’enceinte…

Quant au Champ de Bataille, le domaine se transmet par mariages aux Warwick, aux Meullant, aux Harcourt, aux La Ferté-Fresnel et aux Vieuxpont pour en arriver aux Créqui en 1651. C’est là qu’apparaît l’élément fondateur en la personne de Jean-Baptiste de Créqui, lequel a épousé en 1624 Renée de Vieuxpont.

Frondeur, ami du prince de Condé et ennemi juré de Mazarin qui gouverne durant la minorité de Louis XIV, Jean-Baptiste se voit exilé sur les terres de sa femme par ledit Mazarin avec défense d’en sortir. Que faire alors pour occuper le temps, sinon construire ? Le modeste manoir existant ne lui convenant pas, il décide d’édifier un vaste château capable de faire enrager son ennemi au cas où il s’aventurerait en Normandie. Mais Mazarin qui meurt en 1661 ne viendra jamais jusque-là et, en outre, Créqui n’ira guère plus loin que son intention. C’est son fils, le comte Alexandre de Créqui, cousin du maréchal, qui réalise le rêve paternel et fait bâtir le château actuel de 1686 à 1701 sur les plans d’un architecte demeuré inconnu. Malheureusement il n’en jouira pas longtemps car il meurt un an après… sans héritier. Il lègue donc le château à son neveu, le marquis de Mailloc, qui avait épousé Lydie d’Harcourt, sœur du deuxième duc, à la fois maréchal de France et gouverneur de Normandie. Celle-ci entretiendra de son mieux la merveille qui, à sa mort en 1750, va rejoindre les biens Harcourt. Elle non plus n’a pas eu d’enfant.

Le légataire est son neveu par alliance, Anne-François d’Harcourt, duc de Beuvron et frère du troisième duc d’Harcourt. Celui-là, lieutenant général des armées du roi, y mena un train dispendieux et, fort amateur de spectacles, fit construire le petit théâtre et habiller certaines pièces d’admirables boiseries Louis XIV.

Il eut la gloire d’y recevoir le roi Louis XVI en route pour Cherbourg où celui-ci voulait examiner les importants travaux du port. On y construisait alors une digue gigantesque dont les fondations se composaient d’énormes cônes de bois et de fer que l’on immergeait en les remplissant de pierres. Toutes choses qui passionnaient un souverain très attaché à la marine et lui permirent peut-être d’oublier un instant qu’au même moment le parlement de Paris jugeait les protagonistes de la malheureuse « affaire du collier de la reine » qui allait ébranler son trône…

Pendant la Révolution, le duc de Beuvron et sa famille durent quitter la Normandie en raison des troubles. En 1795, une bande de vandales fit irruption dans le château où elle commit les pires dégâts en pillant et saccageant les meubles, les objets d’art, les tentures, sans oublier la cave !

Mais les Harcourt-Harcourt ? me direz-vous. Où étaient-ils implantés puisque l’on ne voit ici que la branche cadette ? Assez loin ! En plein Calvados et à peu près à mi-chemin entre Caen et Condé-sur-Noireau, les ducs avaient construit un château à Thury-Harcourt d’une dimension respectable qu’un incendie détruisit complètement en 1944. N’en subsiste que le charmant « Pavillon de Fantaisie » reconstruit par le dernier duc…

Le Champ de Bataille, lui, était toujours debout. Après son dépouillement, les enfants du duc de Beuvron le vendirent au comte de Vieuxpont auquel succédèrent en 1850 M. et Mme Prieur, puis un Anglais, M. W. Consette. En 1903, le comte d’Harcourt, descendant du duc de Beuvron, acquit ce qui restait du domaine puis le vendit à la ville de Neubourg voisine qui le transforma en hospice avant de servir de prison à la Libération puis d’être simplement abandonné.

Le duc d’Harcourt – le dixième ! – put alors le racheter grâce aux dommages de guerre versés par le ministère de la Reconstruction et celui des Beaux-Arts. Il put ainsi le remettre en état. N’était-il pas enfin devenu la demeure du chef de nom et d’armes des Harcourt ?

C’est là que le 2 juillet 1966 le duc put célébrer le « premier millénaire » devant 120 Harcourt, français et anglais, qui avaient répondu à son invitation. Ils seront accueillis, rapporte le cher Arnaud Chaffanjon, par la « jeune duchesse souriante et brune dans sa robe rose et avec tout son charme ; fille d’une Harcourt et descendante de Madame de Sévigné, elle avait tous les atouts en mains pour faire revivre les heures du Grand Siècle ».

La mort de son époux s’y opposa. Pendant vingt ans le château fut entretenu par un particulier qui créa l’actuel golf dans les bois tandis que s’y déroulaient des spectacles « Sons et Lumières » ainsi que de nombreux concours d’attelages… Jusqu’à ce qu’en 1992 le célèbre décorateur Jacques Garcia l’achète « par amour » et lui consacre sans compter son temps, son talent et sa fortune. Le résultat est fabuleux : les immenses jardins à la Le Nôtre n’ont jamais été aussi magnifiques et le château remeublé en authentique renferme à nouveau des collections d’œuvres d’art tout comme autrefois.

Un certain exotisme y parle de terres lointaines qui ne devraient pas déplaire aux ombres de ces Harcourt qui portèrent le titre prestigieux d’Amiral de France, ni à celle de Louis XVI qui y dormit une nuit et qui, au pied même de l’échafaud et les mains liées dans le dos, demandait :

— A-t-on des nouvelles de Monsieur de La Pérouse ?


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À ne pas manquer : les nouveaux jardins réalisés par Patrick Pottier.

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