La gloire se donne seulement à ceux qui l’ont toujours rêvée.
À château fantastique, histoire fantastique. À ce rêve de pierre blanche ne pouvait correspondre que la démesure. Son bâtisseur ? Un jeune roi haut de deux mètres. Son but ? Le sourire d’une femme. François Ier, roi chasseur, roi galant et fastueux mécène, qui d’un diamant désabusé gravera un jour sur l’une de ses vitres : « Souvent femme varie, bien fol est qui s’y fie », l’a construit pour plaire à Mme de Châteaubriant, sans doute, mais aussi pour que les siècles à venir eussent quelque idée de la splendeur de sa cour et des extrêmes beautés auxquelles il était destiné à servir de cadre. Les femmes aimèrent toujours Chambord qui convenait si bien à leur éclat mais qui, pourtant, jamais n’appartint à une femme…
À l’aurore de leur commune passion, Louis XIV y mène la superbe Montespan et, pour elle, le 14 octobre 1670, Molière donne la première du Bourgeois gentilhomme. Tant que le fabuleux Versailles n’éclatera pas sous le ciel d’Île-de-France, le grand roi, à huit reprises, y donnera chasses et festins. Après quoi le château s’endort.
Il ouvre un œil quand le roi Louis XV y installe ses beaux-parents, le roi de Pologne Stanislas Leczinski et sa femme la reine Catherine. Mais l’humidité forestière ne vaut rien à leurs rhumatismes et moins encore les émanations des étangs voisins. Aussi la petite cour de l’ex-souverain se hâte-t-elle d’aller se mettre au sec. Chambord ne la regrettera pas : elle était trop modeste pour lui.
Il va trouver beaucoup mieux. En effet, vers la fin du mois de mai 1745, toutes les cloches de France sonnent pour la victoire de Fontenoy – « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » – et Chambord devient la récompense du vainqueur. Le roi accorde à son « cousin » le maréchal de Saxe, avec le droit d’entrer en carrosse dans ses palais royaux et celui de s’asseoir en sa présence, un privilège quasi royal : celui de tenir sa garnison à Chambord et d’y garder son propre régiment tout comme un prince régnant. Ce qu’il devrait être d’ailleurs, sans sa naissance irrégulière, ce prodigieux bâtard né des amours du roi Auguste de Saxe avec la très belle Aurore de Königsmark.
Voilà un personnage à la dimension du château ! Au physique, c’est un géant qui plie un fer à cheval entre ses deux mains. Blond, l’œil bleu, le sourire arrogant, Maurice de Saxe emporte la vertu des femmes plus facilement encore que les places fortes. Princesses ou comédiennes – la grande Adrienne Lecouvreur est morte de l’avoir trop aimé – elles raffolent de ce guerrier en qui se retrouve le charme célèbre des Königsmark. Seule la charmante Mme Favart saura résister à la poursuite, assez effrayante d’ailleurs, du héros et cela pour une bien simple raison, extrêmement rare il est vrai dans ce siècle libertin : elle aime sincèrement son mari.
Donc, voilà le maréchal qui s’installe à Chambord. Et quelle arrivée spectaculaire car il mène avec lui Saxe-Volontaires, son fameux régiment de cavalerie : cinq cents uhlans polonais, allemands, valaques et même tartares, cinq cents cavaliers d’élite précédés de leur brigade colonelle, composée uniquement de Noirs gigantesques ! Tout cela monté sur des chevaux blancs, tout cela vêtu d’éclatants uniformes verts, rouges et blancs et casqué de cuivre doré à crinières blanches. Au bout des lances, les flammes blanches voltigent au vent léger et au pas cadencé des chevaux. Une inoubliable vision que les paysans de Chambord ne sont pas près d’oublier et leurs filles moins encore. Quelques mois plus tard, en effet, le curé du village commence à baptiser d’étranges bébés dont la couleur s’éloigne curieusement de la blancheur tourangelle.
Durant deux années, Chambord vit une existence digne du Roi-Soleil. Bals, fêtes, chasses et banquets se succèdent. Le maréchal est un hôte prestigieux qui aime à s’entourer de jolies femmes sans doute, mais aussi d’artistes, de philosophes et d’écrivains. Il réserve aux intellectuels de l’époque un accueil si chaud que l’on croit bon de lui offrir un fauteuil à l’Académie. L’idée le fait beaucoup rire ainsi que l’on peut s’en convaincre dans ce court billet où il donne la pleine mesure de son orthographe :
« Il veule me fera de la Cadémie ; sela m’iret comme une bage à un chas ! »
Donc pas de fauteuil ! En revanche, il y en aura mille huit cents dans le théâtre qu’il fait construire pour ses invités. Pourtant, s’il a de nombreux amis, il ne manque pas d’ennemis ainsi qu’en fait foi l’étrange épisode qui marque la fin de sa vie.
Le 26 novembre 1750, alors que le maréchal garde la chambre sur l’ordre formel de son médecin Sénac – il a un beau début de grippe – son vieux valet de chambre Mouret lui apporte une lettre qu’un courrier vient de déposer. Le malade ouvre la lettre, la lit, la relit puis, rejetant ses couvertures, il ordonne à son valet de l’habiller puis d’aller chercher son aide de camp.
Le jour se lève à peine – un jour gris et pluvieux d’automne grincheux – quand les deux hommes descendent dans le parc et se dirigent vers le mur d’enceinte. Sous les arbres, il y a deux hommes enveloppés de manteaux sombres qui attendent auprès d’une chaise de poste.
Le maréchal et son aide de camp rejoignent ces deux hommes tandis que Mouret, qui a discrètement suivi son maître, observe la scène de loin. Il voit l’un des deux hommes rejeter son manteau, se défaire de son habit tandis que le maréchal fait de même. Puis les épées sont tirées et le fer engagé.
La rencontre est brève. Quelques passes et Maurice de Saxe qui se bat assez mollement, gêné sans doute par sa fièvre et le désavantage de l’âge – il y a longtemps qu’il ne s’est battu en duel – chancelle et s’écroule dans l’herbe, atteint à la poitrine. Mouret alors accourt et, avec lui, un vieux fermier, le père Desfri, qui a vu le duel lui aussi. En arrivant, le valet entend alors son maître ordonner d’une voix faible :
« Partez, monsieur ! Partez vite ! Vous voilà satisfait et le secret vous sera gardé. »
Soutenu par Mouret et par son aide de camp puis par son neveu, le comte de Friesen qui vient à la rescousse, le maréchal regagne sa chambre en grelottant. Sénac, qui arrive en coup de vent, n’a pas le temps de s’indigner : on exige de lui le secret absolu comme on l’a exigé de tous les spectateurs de la rencontre. Et, quatre jours plus tard, le maréchal de Saxe meurt d’une très officielle fluxion de poitrine. Avant de s’éteindre, il a murmuré, pour les seules oreilles de son médecin : « Mon ami, voici la fin d’un beau rêve. »
Le secret si fermement exigé serait tout de même parvenu aux oreilles du roi Louis XV par le truchement du comte de Grimm, l’auteur des Contes, ami intime du maréchal, qui se trouvait alors à Chambord. Usant de son privilège royal, le roi aurait relevé Grimm du serment que l’on avait extorqué de lui et aurait exigé la vérité mais pour se ranger ensuite à la volonté du défunt. D’autant plus que l’adversaire heureux était prince du sang : Louis-François, prince de Conti qui aurait jugé bon de venger, avec quelque retard sans doute, l’honneur de son père.
Quelques années auparavant, en effet, Maurice de Saxe était l’amant de la ravissante princesse de Conti, Louise-Élisabeth de Condé, qui le recevait secrètement durant les absences de son mari. Un mari qu’elle n’aimait pas. Une nuit, surpris pas l’arrivée inattendue du prince, de Saxe ne réussit à lui échapper qu’en sautant par la fenêtre d’une hauteur de deux étages tandis qu’une explication violente éclatait entre les deux époux.
L’affaire n’eut pas de suites, en dehors d’une sévère foulure pour l’amoureux. Conti mourut assez peu de temps après, à l’âge de trente-six ans, laissant un fils, Louis-François, que la politique allait opposer presque continuellement au maréchal de Saxe et cela pour deux raisons, l’accession au trône de Pologne qu’ils briguaient l’un et l’autre, et une raison beaucoup plus obscure : Conti et Saxe appartenaient tous deux à ce service secret dont Louis XV était le seul chef et que l’on appelait le Secret du roi.
Or, en cette année 1750, ayant retrouvé une cassette de lettres donnant la preuve des relations adultères ayant existé entre sa mère et le trop séduisant maréchal, Louis-François de Conti aurait décidé d’en finir avec son ennemi et de venir à Chambord lui demander raison.
Mais les lettres ne furent peut-être qu’un prétexte. Les avis néanmoins se partagèrent. Certains s’en tinrent à la version officielle, comme la marquise de Pompadour qui soupira, assez cruellement : « Ce pauvre Saxe est mort dans son lit comme une vieille femme. » D’autres, quoique discrètement, demeurèrent partisans de ce qui fut, sans doute, la vérité.
Quelques jours plus tard, le maréchal de Saxe, que l’on avait embaumé sur une table à gibier, quittait Chambord pour Strasbourg. Il y entra cloches sonnant, canons tonnant comme il convenait au grand soldat pour y dormir son dernier sommeil au temple Saint-Thomas, aujourd’hui église Saint-Thomas, sous le superbe mausolée que sculpta pour lui Pigalle.
Peu d’années après, Chambord reçoit un hôte encore plus inhabituel : Louis XV loge au château le mystérieux comte de Saint-Germain qui lui a demandé une vaste demeure pour y installer un laboratoire. Il y poursuit des recherches sur les teintures végétales et plus encore sur les pierres précieuses et l’or.
La chose peut paraître étrange. Quoi ? Une telle demeure pour un aventurier ? Un charlatan succédant à un héros de légende ? Encore faudrait-il savoir qui était l’aventurier, le charlatan…
Le roi Louis XV était un homme fort peu crédule mais, en revanche, fort attaché aux quartiers de noblesse. Sorti de rien et n’ayant à sa disposition que quelques tours de magie et une folle imagination, Saint-Germain n’eût pas obtenu de lui un seul instant d’audience. Mais, à une profonde connaissance de l’Histoire, le comte joignait un grand talent de chimiste et professait des théories diététiques fort inhabituelles pour l’époque. En outre, il aurait confié au roi le secret de sa naissance illustre : il aurait été le fils de la reine d’Espagne Marie de Neubourg – la reine de Ruy Blas – et du grand amiral de Castille. En ce cas, le roi de France donnait simplement l’hospitalité à un sien cousin.
Avec ce travailleur, plus de fêtes à Chambord mais un studieux silence, que le départ de Saint-Germain ne trouble guère d’ailleurs quand, en 1760, il quitte le château pour accomplir en Hollande la mission secrète dont l’a chargé le roi. Il n’aura pas la possibilité de revenir. Et le silence se fait plus profond parce que c’est celui de l’abandon.
Plus tard, Napoléon Ier donne Chambord au maréchal Berthier qui n’y viendra que deux jours : tout juste le temps de faire graver son chiffre auprès de celui de François Ier, ce que personne jusqu’alors n’avait osé. Plus tard encore, le fils de la duchesse de Berry, titré d’abord duc de Bordeaux puis comte de Chambord, en prend possession et y séjournera parfois. Ses héritiers garderont le château jusqu’en 1930, date à laquelle l’État enfin le rachètera.
HORAIRES D’OUVERTURE
Du 2 janvier au 31 mars 10 h-17 h Du 1er avril au 30 septembre 9 h-18 h Du 1er octobre au 30 décembre 10 h-17 h Fermé le 1er janvier , les 25 et 31 décembre.
À la nuit tombée, en juillet et août, spectacle « Chambord, rêve de lumière ».
http://www.chambord.org/