Montargis Renée de France, duchesse de Ferrare

La foi qui n’agit point, est-ce une foi sincère ?

RACINE

Le cortège qui pénètre dans Montargis, le 14 janvier 1560, a fait sortir toute la ville dans les rues en dépit du froid et de la neige. C’est à la fois service commandé et curiosité car il s’agit d’accueillir la châtelaine de la ville, Madame Renée de France, fille du roi Louis XII et d’Anne de Bretagne, veuve depuis le 3 octobre précédent d’Hercule d’Este, duc de Ferrare en terre d’Italie. Une châtelaine qu’à vrai dire on ne connaît pas du tout, car il y a trente-deux ans qu’elle a quitté la France pour suivre son époux au-delà des Alpes.

Évidemment, ce n’est plus une jeune femme. Elle a atteint la cinquantaine mais elle garde, en dépit d’un maintien assez sévère, de la grâce et du charme. Elle a de très beaux yeux, bien fendus, et son deuil est fastueux car elle a toujours aimé l’élégance et la splendeur des atours, comme il sied à une femme qui a été élevée à la cour du roi François Ier dont elle était la belle-sœur.

L’accueil de Montargis se montre donc suffisamment enthousiaste pour être payé de quelques sourires et d’aimables paroles. En revanche, l’aspect du château où l’on monte après la remise des clefs de la ville n’a rien de bien souriant. Madame Renée le trouve « fort déchu et démoli ». On dirait que personne n’y a touché depuis les rudes sièges subis pendant la guerre de Cent Ans, et le premier soin de la nouvelle venue sera d’ordonner de grands travaux que l’on va entamer sur-le-champ tandis qu’elle s’installe du mieux qu’elle peut. Grâce au ciel il y a dans ses chariots suffisamment de meubles et de tentures pour donner quelque confort même à un vieux château glacial. Au moins, le froid abolit l’odeur des tanneries qui s’alignent en bas, le long du ruisseau du Puiseaux. Et puis, pour la première fois depuis longtemps, Renée se sent chez elle, vraiment chez elle. Elle y serait aussi à Chartres dont elle est duchesse ou à Gisors dont elle est comtesse, mais c’est Montargis qu’elle a aimé jadis, au temps de sa jeunesse, et c’est là qu’elle veut vivre. Et il faudra bien que le vieux château des Courtenay s’arrange pour lui être un logis agréable… Il est si doux de revenir vivre non loin de la Loire !

Elle était heureuse, cependant, quand, en septembre 1528, elle quitta la France avec l’époux qu’on lui avait choisi, cet Hercule d’Este de vingt ans qui était un brillant cavalier, aimable, cultivé et beau garçon, ce qui ne gâtait rien. Il avait tout de suite plu à Renée qui était un peu lasse des nombreux fiancés – dont l’empereur Charles Quint – qu’on lui avait déjà proposés. Hercule parlait avec passion de son pays, de son père, le vieux duc Alphonse, veuf de la belle Lucrèce Borgia, de sa sœur, la brillante duchesse de Mantoue, du soleil italien et de la splendeur de ses palais. Renée écoutait, rêvait…

Orpheline de bonne heure – elle avait trois ans à la mort de sa mère, cinq à celle de son père – elle a été élevée royalement mais sévèrement par Louise de Savoie, la mère de François Ier, et elle a cherché très tôt dans l’étude, et singulièrement dans celle de la théologie qui l’approchait de Dieu, de quoi apaiser un cœur qui ne demandait qu’à aimer. La question religieuse est alors à l’ordre du jour. Les livres de Luther commencent à pénétrer en France et Renée, guidée par son précepteur Lefèvre d’Étaples, s’y est intéressée sans pour autant se détourner de l’Église. Simplement, elle a trouvé dans la nouvelle doctrine des éléments qui lui plaisent…

Mais quand elle suit son époux sur la route qui mène à Lyon, aux Alpes, que l’on franchira au Mont-Cenis, et à Ferrare, la sage Renée n’est rien d’autre qu’une jeune femme en voyage de noces. Elle attend des merveilles et elle les aura, mais le premier abord va lui être pénible. La plaine du Pô est sinistre en décembre et, si la ville de Ferrare est une belle ville, le château des Este avec ses douves et ses tours carrées paraît bien rébarbatif à une jeune femme de dix-huit ans qui a quitté le Val de Loire dans tous les ors d’une fin d’été…

Néanmoins l’intérieur est fastueux et l’accueil du duc Alphonse particulièrement chaleureux. C’est encore un bel homme qui adore les femmes, les fêtes et, pour sa petite belle-fille, il en a ordonné qui dureront un mois. Il souhaite lui plaire et autour de la nouvelle venue ce ne sont que plaisirs divers, comédies, bals, banquets. L’Arioste jouera à cette occasion sa première comédie. Les Este possèdent au plus haut point le goût du luxe et de la vie fastueuse… On entoure la sage Renée, on l’adule, on l’entraîne dans un véritable tourbillon de joie…

« Pourtant, Renée souffrait de solitude au milieu de tous ces Italiens et avait la nostalgie de la France lointaine… », écrit l’abbé Mathieu qui a consacré à Renée de France une minutieuse étude. D’abord, elle n’entend pas l’italien et, en fait, elle ne l’apprendra jamais. Grave erreur pour une jeune épouse qui souhaiterait jouer un rôle politique auprès d’un mari qui se montre sans doute amoureux mais qui aime un peu trop la chasse. Chez Renée, on trouve une sorte de méfiance envers son entourage. Il est vrai qu’à la cour brille de tous ses feux la belle Laura Dianti, la maîtresse du duc Alphonse, et cette situation choque les idées peut-être un peu austères de la jeune femme…

Néanmoins, les premières années de mariage se passent assez bien, en dépit de quelques nuages conjugaux provoqués par les réticences de Renée qui ne veut ni s’italianiser – car elle entend rester française envers et contre tout – ni se séparer de son entourage français, en particulier de Mme de Soubise qui a été sa gouvernante, possède sur elle une grande influence, et qu’Hercule déteste… Mais les enfants arrangent bien les choses et Renée en donnera cinq à son époux.

En 1534, meurt le duc Alphonse, et Renée, aux côtés d’Hercule, devient duchesse régnante mais, en perdant son beau-père, elle a perdu son meilleur appui et les difficultés vont commencer pour elle.

Désespérant de détacher son époux de l’empereur et du pape envers lesquels la situation géographique et politique de Ferrare l’oblige à de nombreuses concessions, Renée attire sans cesse de nouveaux Français à sa cour, et en particulier ceux qui sont obligés, pour une question de religion, de quitter leur pays. Parmi eux, le poète Clément Marot, qui sent le fagot, fait trop parler de lui en poursuivant de ses assiduités les demoiselles de la duchesse, et surtout crible d’épigrammes désobligeantes le pape et les cardinaux. Ce qui rend la position d’Hercule, vassal de Rome, plus ou moins délicate.

Les difficultés atteignent leur paroxysme quand, en 1536, Renée accueille auprès d’elle Calvin et en fait son directeur de conscience. C’est malheureusement à ce moment-là que surgit l’affaire du « petit chantre » : le vendredi saint, au moment de l’adoration de la Croix, un jeune chantre de la maison de la duchesse nommé Jehannet sort soudain de l’église en proférant des injures et des blasphèmes. Il est arrêté le soir même et une véritable guerre commence entre Hercule et sa femme pour la libération ou non du garçon… qui finira par s’évader.

Cette affaire sonne le glas des Français. Mme de Soubise, son gendre et sa fille, M. et Mme de Pons, partiront successivement. Quant à la duchesse, elle ira « se reposer » au lointain château de Consandolo.

Elle en reviendra mais, aussi obstinée que le fut sa Bretonne de mère, elle continuera à attirer les protestants à Ferrare, au point que le pape Jules III finit par intervenir en demandant à Hercule d’agir sur sa femme. La duchesse, en effet, ne se confesse plus, ne va plus à la messe et à Ferrare le scandale est à son comble. D’autant que des années ont passé dans cette lutte incessante.

En 1554, le duc Hercule demande au roi Henri II de lui envoyer « un convertisseur habile et énergique » et celui-ci ne lui envoie rien de moins que le grand inquisiteur Mathieu Ory qui s’en vient chapitrer la duchesse. Celle-ci paraît céder d’abord, mais Calvin veille de loin et envoie du renfort. Dès lors, Ory perd son temps…

Hercule en vient aux mesures sévères : sa femme est enfermée chez elle, privée de ses filles et, finalement, chose inouïe, se retrouve, elle, fille de Louis XII, devant un tribunal de l’Inquisition comme une vulgaire hérétique.

Elle risque gros : rien de moins que le bûcher. Ses juges cependant se contentent de la condamner, le 6 septembre 1555, à la prison perpétuelle et à la confiscation de ses biens. Cette fois c’est dans une véritable geôle qu’elle est enfermée… Et puis, une semaine plus tard, coup de théâtre : la duchesse se repent, elle abjure ses erreurs. Le 21 septembre, elle fait savoir qu’elle désire entendre la messe et, le dimanche suivant, elle communie. Ory a disparu en direction de la France. Le cauchemar est fini.

Que s’est-il passé ? Lassitude ? Désir de retrouver une position tout de même plus agréable que celle de prisonnière ? Regain des tendres souvenirs d’autrefois ? Toujours est-il que le couple ducal se reforme et que tout redevient comme par le passé. Renée, désormais, ne déviera plus du droit chemin… En apparence tout au moins.

Quand son mari meurt, elle décide de rentrer en France où sa fille Anne est mariée au duc de Guise. Son fils Alphonse, qui devient duc, la déteste et est farouchement opposé aux protestants. Il n’hésiterait pas à s’en prendre à sa mère. Et Renée quitte Ferrare sans regrets, pensant qu’en France elle pourra peut-être venir en aide à ceux qu’elle nomme tout bas ses frères.

C’est ce qu’elle va faire à Montargis, en dépit du fait que les mesures de rigueur s’y sont multipliées envers les huguenots. Mais Renée tient à ses idées. En 1562, une émeute éclate dans la ville. Malgré l’interdiction de la duchesse, un groupe de bourgeois en armes occupe l’église pour empêcher les protestants d’y entrer. De là, le tumulte gagne toute la ville. On assiège les réformés chez eux, jusqu’à ce que la duchesse envoie ses gentilshommes les dégager et les ramener au château qui devient un véritable refuge.

Le duc de Guise dépêche alors l’un de ses capitaines pour l’assiéger et nettoyer « la nichée de huguenots », mais Renée se défend énergiquement : « Avisez ce que vous entreprenez, crie-t-elle du haut d’une tour, car il n’y a homme en ce royaume qui me puisse commander que le roi et si vous en venez là je me mettrai la première sur la brèche pour essayer si vous serez si audacieux que de tuer la fille du roi !… » Le siège sera levé d’autant plus vite que Guise vient d’être assassiné par Poltrot de Méré en forêt d’Orléans. Renée va pouvoir entreprendre, à travers la France, un grand voyage pour venir en aide aux protestants malheureux. Elle est la générosité même et sème l’or sans compter.

De retour à Montargis après une visite à son ami l’amiral de Coligny, elle essaie de réconcilier dans son fief catholiques et protestants, fonde au château une petite école pour les enfants des réfugiés… et manque une fois de plus de se retrouver devant un tribunal d’Église. Mais le roi de Navarre épouse Marguerite de Valois, et il semblerait que la paix doive s’établir. Renée se rend aux noces à Paris… et n’échappe que grâce à la protection royale au massacre de la Saint-Barthélemy…

C’est la mort dans l’âme qu’elle rentre à Montargis. La sienne d’ailleurs n’est plus loin. À la suite d’un accès de fièvre, elle traînera, dolente, jusqu’en juin 1575 : le mercredi 15, à trois heures du matin, elle s’éteint dans le château qu’elle a fait refaire avec un soin extrême… et qui malheureusement sera en partie détruit en 1810.

Suivant sa volonté, son corps, porté par six pauvres, sera inhumé sous les dalles d’une chapelle qui ne servait plus au culte catholique, sans aucun signe qui laisse supposer qu’à cet endroit repose la princesse la plus courageuse, la plus généreuse… et la plus entêtée de cette époque troublée.


HORAIRES D’OUVERTURE

Les visites guidées se font sur demande auprès de l’Office de Tourisme de Montargis (02 38 98 00 87).

http://www.chateaudemontargis.org/

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