Le mariage est une des plus importantes actions de la vie mais c’est peut-être celle de toutes où l’on examine le moins les convenances.
En ce mois de janvier 1467, le seigneur Guillaume-Armand de Polignac se prenait à trouver la vie morose. L’hiver est rude en Haute-Loire et la neige montait le long des murs de son gros château, puissante citadelle érigée sur une falaise de basalte au-dessus de la route du Puy-en-Velay. Des troncs entiers brûlaient dans les cheminées sans parvenir à réchauffer réellement le triste seigneur.
À cette humeur lugubre deux causes : la goutte d’abord qui l’empêche de bouger son pied gauche sans de cruels élancements et ensuite le fait que le seigneur Guillaume-Armand est au plus mal avec son suzerain suprême, le roi Louis, onzième du nom : un personnage avec lequel il n’est pas bon de plaisanter.
À vrai dire, le seigneur de Polignac n’a pas plaisanté : il s’est seulement rebellé quand, avec le duc de Bourbon dont il est aussi vassal, il a adhéré à cette fameuse ligue du Bien public soutenue par le duc de Bourgogne. Or, à la bataille de Montlhéry, le jeune roi, payant de sa personne avec un beau courage, a ramené ladite ligue à la raison et, depuis, les hauts seigneurs discutent. Mais Guillaume-Armand, en ce qui le concerne, a jugé qu’il serait certainement plus prudent de regagner ses montagnes vellaves sur la pointe des pieds et en essayant de se faire aussi petit que possible – ce qui n’était guère facile vu son tour de taille – laissant ainsi au roi tout le loisir de statuer sur son cas. S’il prenait fantaisie à Louis XI de réclamer la grosse tête de Polignac, du moins aurait-il quelque peine à venir la prendre derrière les grands murs noirs de sa forteresse.
C’était ce que notre sire se disait pour se rassurer et certes il avait pleine confiance dans ses grosses tours et ses bonnes murailles mais il n’en scrutait pas moins l’horizon matin et soir pour voir si quelque armée ne s’y montrait pas. Heureux père de huit enfants plus un en préparation, Guillaume-Armand se trouvait un peu jeune pour faire un mort.
Et voilà que, vers le milieu du jour, les guetteurs signalent une troupe armée. Une troupe ? Quel genre de troupe ? Cinquante hommes environ… Voit-on les bannières ? On en voit deux : l’une sans danger qui signale le jeune Gilbert de La Fayette, un voisin, mais l’autre… l’autre c’est la bannière de France et celui devant qui on la porte, c’est Berry, le héraut d’armes, favori de Louis XI.
Tout de suite, c’est l’affolement. Que faire ? Mettre le château en défense ? La Fayette n’a jamais eu de mauvaises intentions. Quant au héraut… eh bien ! mon Dieu, il n’amène pas une armée. La comtesse Amédée, femme de Guillaume-Armand, appelée en consultation (elle est de grande race elle aussi, c’est une Saluces), est d’avis qu’il faut recevoir. Son seigneur et maître se récrie : il est bien trop malade ! Que dame Amédée reçoive, elle, mais qu’elle fasse entendre que le seigneur des lieux est à l’agonie.
Dame Amédée fait bien remarquer que sa grossesse est fort avancée, un peu trop visible pour les convenances. Raison de plus : on ne l’en traitera qu’avec plus d’égards. Et Guillaume-Armand se calfeutre dans sa chambre tandis que sa femme s’en va en soupirant donner des ordres pour l’accueil et le souper. Quand on est Polignac, c’est-à-dire d’une lignée qui remonte à la nuit des temps, on se doit de déployer un certain faste. Et dame Amédée le déploie.
Le festin est superbe. Selon la coutume du temps, la comtesse partage son plat avec messire Berry tandis que le jeune Gilbert de La Fayette est admis à l’honneur de partager celui d’Ysabeau, la fille aînée de la maison. Une jouvencelle de quinze ans dont les fleurs promettent des fruits savoureux. De son côté, Ysabeau pense à part elle que Gilbert est un bien beau garçon mais elle se garde de le lui laisser voir, se contentant, avec lui, d’un aimable « fleuretage ».
Tout se passe à merveille et dame Amédée reprend pleine confiance quand, à la fin du repas, ses hôtes la remercient chaleureusement de son accueil… et lui réclament les clefs du château. Au cas où elle serait tentée de refuser, il est bon qu’elle sache que la troupe royale garde à présent toutes les issues. C’est la catastrophe !
Tandis que la jeune Ysabeau lui saute pratiquement au visage comme un chat en colère, La Fayette s’explique : il n’a nullement l’intention de garder Polignac. Simplement, il entend en extraire messire Guillaume-Armand qu’il doit conduire à Clermont auprès du grand maître de France, messire Antoine de Chabannes. Colère ni pleurs n’entament en rien sa détermination. Que le seigneur soit malade, tant pis pour lui. Il voyagera en litière au lieu de faire la route à cheval et devra s’estimer satisfait.
Force est à Polignac d’obéir. On l’installe dans une litière, bien emballé dans les fourrures, et fouette cocher ! On l’emporte.
Dans son cahotant véhicule qui lui fait endurer mille morts, Guillaume-Armand n’en mène pas large. Il est au plus mal avec Chabannes dont il a refusé la fille pour son fils aîné. Et sans parler du roi lui-même ! Sûrement, c’est l’échafaud qui l’attend !…
Or, comme on arrive à Issoire, La Fayette, qui joue le rôle du gardien-chef, décide soudain de faire une pause. Il fait réveiller les consuls de la ville, leur confie son prisonnier avec toutes sortes de recommandations puis, à bride abattue, reprend la route de Polignac, après avoir informé Guillaume-Armand qu’il s’en allait épouser sa fille !
Quand Gilbert arrive à destination, son retour inattendu répand presque la terreur dans la demeure où règnent déjà le deuil mais aussi une certaine agitation car, à peine la litière avait-elle disparu, que dame Amédée commençait à sentir les douleurs. Et quand La Fayette arrive, elle est tout bonnement en train d’accoucher.
On devine dans quelle disposition d’esprit la jeune Ysabeau accueille l’insolent qui vient l’arracher de la chambre de sa mère avec la prétention d’en faire sa femme sur l’heure. À nouveau, elle crie, elle hurle, elle se débat mais, à nouveau, il lui faut baisser les armes. On la traîne à la chapelle où l’attend le chapelain de la maison plus mort que vif. Furieux aussi et, dans sa colère, il trouve le courage de refuser ce mariage forcé.
Il ne veut pas les unir ? Qu’à cela ne tienne : La Fayette va passer toute la maisonnée au fil de l’épée.
Que répondre à pareil argument ? Le chapelain bénit. Ysabeau pleure mais prononce le « oui » fatal, terrifiée d’avance à la pensée des heures à venir. Mais, décidément, les atrocités ne sont pas pour ce soir. Avec une soudaine gentillesse, Gilbert la remet à ses femmes, prend congé, remonte à cheval et repart, laissant la nouvelle dame de La Fayette légèrement ahurie.
À Issoire, Gilbert recouvre la charge de son prisonnier-beau-père et, cette fois, l’emmène à Clermont, noble ville, mais dans laquelle le gros seigneur croit entrevoir sa dernière étape terrestre.
Pourtant, aucun gibet n’est encore dressé et même Antoine de Chabannes reçoit assez bien son ancien ami. Entendons par là qu’il lui fait comprendre que, personnellement, il n’est pas tellement pressé de lui faire sauter la tête. Encouragé par ce semblant de bienveillance, Guillaume-Armand supplie que l’on veuille bien faire prévenir son jeune frère, le seigneur de Chalençon, qui a l’oreille du roi. C’est le meilleur avocat qu’il puisse espérer.
On va envoyer chercher Chalençon mais, en attendant, on mettra le sire de Polignac dans une bonne prison, point trop inconfortable mais solide tout de même. On l’y nourrira assez sobrement pour que son accès de goutte disparaisse.
Ce qu’il ignore, c’est que Chabannes lui-même avait reçu à l’origine commission d’arrêter son ancien ami. Mais le grand maître n’était guère tenté par la corvée. Il espérait toujours arriver à conclure le fameux mariage qui lui tenait fort à cœur. Aussi avait-il trouvé plus simple d’envoyer le jeune La Fayette. Qui d’ailleurs ne s’était pas fait prier.
On a vu comment quelques heures passées en compagnie de la jolie Ysabeau lui avaient donné à penser et comment, en faisant les affaires de son grand maître, il avait fait les siennes par la même occasion.
En fait, Chabannes et lui s’étaient donné bien du mal sans se douter le moins du monde que leurs vues personnelles entraient tout à fait dans celles du roi. L’arrestation de Polignac n’avait, dans l’esprit de Louis XI, d’autre but réel qu’obliger le gros seigneur à donner son fils à la fille de Chabannes. Le mariage de La Fayette n’était sans doute pas prévu mais ne pouvait en rien contrister le roi. Le seigneur de Chalençon n’eut donc à jouer qu’un rôle facile. Il enfonça seulement les portes que l’on tenait largement ouvertes devant lui.
La conclusion eut lieu le 14 avril suivant, dans la cathédrale du Puy où Jacqueline de Chabannes épousa Claude de Polignac tandis que l’on bénissait de nouveau, et de façon fort orthodoxe, cette fois, le mariage d’Ysabeau et de Gilbert. Une Ysabeau qui n’en voulait plus du tout à son bourreau. Elle le lui prouva en lui donnant seize enfants.
Quant au château, abandonné peu après, il devint la ruine superbe que l’on peut encore contempler lorsque l’on se rend d’Ambert au Puy.
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