Chamarande Folle et cruelle Églé

Perversité de femme !… Quel plaisir, quel instinct la porte à nous tromper ?

STENDHAL, Le Rouge et le Noir

Bâti par François Mansart sur des jardins de Le Nôtre pour le plus discret et le plus efficace des secrétaires de Louis XIV, Pierre Mérault, le château de Chamarande – briques roses et chaînages de pierres blanches – a vécu dans le calme et la dignité jusqu’à ce qu’une très jolie femme en devînt châtelaine et transformât cette aimable demeure en antichambre de l’enfer à l’usage de son mari. Ce mari, Victor Fialin de Persigny, n’était pourtant ni un niais ni un innocent puisqu’il fut le maître d’œuvre du second Empire et l’ami le plus dévoué de l’empereur Napoléon III.

Louis Napoléon n’est encore que prince-président quand, dans la chapelle de l’Élysée, il préside au mariage de son fidèle Persigny avec l’une des plus ravissantes filles de la noblesse d’Empire : Églé Ney de La Moskowa, petite-fille du fameux maréchal Ney et du banquier Jacques Laffitte. C’est-à-dire un charmant condensé de la gloire et de la fortune des temps napoléoniens. Mais un condensé qui ne se montre guère, et c’est le moins que l’on puisse dire, à la hauteur d’une naissance qui aurait dû lui inspirer le sens de la grandeur ou tout au moins celui des convenances. Or nous sommes loin du compte.

À dix-huit ans – on est en 1852 – Églé est exquise : blonde, lumineuse avec des yeux d’un azur infini, un teint d’une incomparable fraîcheur, une silhouette adorable… et un léger zézaiement qui à son âge paraît irrésistible. En face de cette beauté, les quarante-quatre ans de Persigny ont flambé comme une allumette, d’autant que la fiancée s’est déclarée fort éprise de sa séduisante maturité.

C’est donc – chose rare dans un tel endroit – un mariage d’amour auquel l’Élysée sert de cadre. Mais, après les violons de la fête, il y a la vie quotidienne et le pauvre Persigny va s’apercevoir bientôt que, dans le genre enfant gâtée, il n’existe pas de créature plus insupportable que son Églé. Ses malheurs commencent, en effet, dès que le nouveau marié a été nommé ambassadeur de France à Londres, en 1855.

Églé qui, après un essai malheureux, vient de donner le jour à une petite fille, se comporte outre-Manche comme en pays conquis. Ne pouvant supporter de demeurer seule, elle mobilise pour son service tous les secrétaires de son époux puis se déchaîne en scènes affreuses dès que l’on fait seulement mine de lui refuser quelque chose. En outre, elle dépense sans compter, mettant parfois les finances de l’ambassade dans l’embarras. Mais surtout, et c’est le plus grave, elle compromet souvent par son attitude l’œuvre diplomatique de son mari. Quand leur présence est requise à Windsor, Persigny recommande son âme et son ambassade à Dieu.

Bien sûr, on ne s’amuse guère chez la reine Victoria. Mais on peut imaginer sans peine l’effet produit quand, arrivant en retard à un dîner présidé par la reine, Mme de Persigny déclare en manière d’excuse qu’elle s’est attardée au zoo pour assister au repas du boa. Ou bien, cet autre malheureux soir où, découvrant sur une autre femme une toilette identique à la sienne, elle se jette sur la malheureuse et la gifle à toute volée avant de sortir à grand fracas en jurant comme un charretier. Heureusement pour Persigny, son travail et sa personne sont vivement appréciés en haut lieu, tant anglais que français.

Le comté a d’abord traité sa femme-enfant avec indulgence mais peu à peu, à mesure que passaient les années, l’inquiétude puis l’angoisse remplacèrent le sourire car, en dépit de la naissance de cinq enfants – dont elle ne s’occupe guère –, Églé ne change pas. Elle ne s’intéresse qu’à elle-même, à ses toilettes, à ses bijoux et à l’effet qu’elle produit sur les autres hommes. D’ailleurs des bruits d’adultère de plus en plus fréquents se sont élevés autour d’elle au point que Persigny a songé au divorce. Puis il y a renoncé. Pour ses enfants d’abord puis parce qu’il ne peut guérir de son amour.

Le scandale véritable éclate dans l’été 1862, au château de Chamarande qui est la résidence estivale du couple. Une grande fête, honorée de la présence de l’empereur et de l’impératrice, vient d’avoir lieu. Les chambres du château sont pleines. Il y a là lord Malmesbury, la comtesse Walewska, le ministre Pietri et beaucoup d’autres. Mais on a pu remarquer la mine maussade affichée par la comtesse Églé tout au long de la réception. Et chacun d’ailleurs en découvre sans peine la raison : le duc de Gramont-Caderousse, dont on chuchote qu’il est l’amant en titre de la dame, ne s’est pas montré. Le couple impérial est à peine parti qu’Églé monte s’enfermer dans ses appartements.

Pas pour longtemps : une heure plus tard, elle quitte le château dans sa voiture sans prévenir personne. Intrigué, Persigny interroge d’abord son secrétaire, Henri de Laire, puis la femme de chambre de la comtesse. Celle-ci finit par avouer que sa maîtresse, ayant appris dans la journée que Gramont-Caderousse la trompait avec la Mogador, une danseuse de bal public, vient de partir pour ledit bal : le Château des Fleurs, situé rue des Vignes, aux Champs-Élysées.

Pensant que dans un tel endroit un scandale peut éclater, Persigny à son tour fait atteler et, en compagnie de Laire, se rend lui aussi au Château des Fleurs. Trop tard ! Au beau milieu de la salle, Églé est en train de se disputer avec la Mogador comme le feraient deux harangères. Gramont-Caderousse s’efforce de les séparer avant le pugilat. C’est Henri de Laire qui, pour épargner l’honneur et la sensibilité de Persigny, plongera dans la fournaise pour en sortir Églé, sans trop de douceur.

Hélas, quand elle retrouve son mari c’est pour l’accabler de sa cruauté : elle a vingt-cinq ans de moins que lui et le considère comme un vieillard, malade de surcroît, et qui ne présente plus pour elle le moindre intérêt.

Le lendemain, le drame éclate, énorme en dépit des précautions prises. L’empereur s’en mêle, car il aime bien son vieux compagnon. Sur son ordre, Gramont-Caderousse devra refuser de se battre avec Persigny mais celui-ci doit rendre son portefeuille de ministre de l’Intérieur. Pour le consoler, Napoléon III le fait duc en espérant que, devenue duchesse, l’insupportable Églé se tiendra enfin tranquille.

Certes, le titre l’enchante un court instant mais, son mari n’étant plus ministre, on ne quitte guère Chamarande où elle s’ennuie ferme. Tout à coup, elle décide de faire un séjour en Angleterre. Elle a fini en effet par s’enticher de ce pays qu’elle déclare le plus agréable du monde. Elle en copie les modes, les habitudes et truffe son langage de tant de locutions anglaises, inventant ainsi le franglais sans s’en douter, que les Britanniques amusés l’ont surnommée lady Persington.

Deux mois après l’aventure du Château des Fleurs, Églé s’embarque pour Douvres, sans même laisser d’adresse, pensant qu’elle donnera de ses nouvelles quand il lui plaira.

Habitué, Persigny se résigne mais il n’en va pas de même de sa belle-mère. La princesse de La Moskowa, mère d’Églé, passait pour avoir l’esprit légèrement dérangé ; en fait elle était beaucoup moins folle que sa fille. De son père, le banquier Laffitte, elle tenait du bon sens. Elle le prouva en débarquant un beau matin à Chamarande où elle trouva son gendre entouré à la fois de ses enfants et de lettres anonymes qu’elle lut après avoir pris soin de mettre ses gants.

Le conseil qu’elle donne est énergique : il faut que Persigny fasse rentrer Églé au plus tôt en la menaçant du divorce. Ce qui fut fait : huit jours plus tard, la nouvelle duchesse réintégrait Chamarande mais pour s’y montrer plus odieuse que jamais, s’il était possible.

En 1869, Églé réussit à se faire inclure dans la suite de l’impératrice qui s’en allait en Égypte inaugurer le canal de Suez mais, si Eugénie partit avec elle, ce fut sans elle qu’elle en revint : Mme de Persigny s’était trouvé un nouvel amant…

Cela lui évita les horreurs de la guerre de 1870, et Persigny, lui, suivit en Angleterre l’empereur et l’impératrice déchus. Ses enfants l’accompagnaient. Hélas ! le climat anglais lui fut meurtrier. Quand il revint à Chamarande, en août 1871, il se savait perdu. La mort approchait et il voulut revoir celle qu’il avait tant aimée. Il lui écrivit mais elle ne répondit même pas.

Le mal cependant allait s’aggravant. À la suite d’une première attaque d’apoplexie, le chirurgien Ricord, qui soignait Persigny, lui conseilla le Midi. Le duc alors gagna Nice toujours escorté de ses enfants et du fidèle Henri de Laire qui ne l’avait jamais quitté. Malheureusement le climat chaud n’arrangea rien.

Alors Persigny attendit, attendit longtemps celle qui semblait avoir tout oublié. Ce fut un télégramme comminatoire d’Henri de Laire qui la persuada enfin de bouger. Non par tendresse mais par intérêt : ne fallait-il pas qu’elle veille à ses biens puisque son époux était mourant ? Elle traversa donc la Méditerranée mais arriva trop tard :

« Il est écrit, ma mère, que vous arriverez toujours trop tard », lui dit amèrement sa fille Marguerite.

Vexée et peu désireuse de contempler longtemps des visages en larmes, Mme de Persigny prit le premier bateau pour Alexandrie.


HORAIRES D’OUVERTURE

En janvier, novembre et décembre 9 h-17 h En février, mars et octobre 9 h-18 h

En avril et mai 9 h-19 h De juin à septembre 9 h-20 h

Ouverture du château et des fabriques uniquement pendant les périodes d’exposition.

Le parc est labellisé « Jardin remarquable ».

http://www.essonne.fr/culture-sports-loisirs/lieux-culturels/domaine-departemental-de-chamarande/

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