Dampierre Amours et conspirations

Je crois que je suis destinée à être l’objet de la folie des extravagants.

Duchesse de CHEVREUSE

Tel qu’il est actuellement – murs de briques roses, pierres blanches et ardoises bleues – le château de Dampierre n’est plus vraiment la demeure de celle qui, duchesse de Chevreuse, fut l’une des reines de la Fronde, l’amie d’élection d’Anne d’Autriche et l’un des personnages préférés d’Alexandre Dumas. Pourtant, dans ce château où s’étale avec grâce et rigueur l’art de Mansart, elle est partout présente. En portrait d’abord mais aussi sous forme d’ombre légère tant le souvenir de cette femme exceptionnelle par la beauté, l’éclat et le goût de l’intrigue demeure vivace. Mme de Chevreuse a aimé Dampierre où elle vécut vingt-deux ans après avoir quitté cette scène politique où elle s’était tant agitée. Dampierre le lui a rendu…

Née en décembre 1600, Marie-Aimée – il est de ces prénoms prédestinés – n’a pas connu sa mère, Marie de Lenoncourt, morte deux ans après sa naissance. Une enfance, où elle est pratiquement abandonnée à son seul caprice, n’a pas été de nature à l’incliner vers la vertu car elle est d’un naturel volage et d’un tempérament qui va, dans la suite des temps, atteindre un développement des plus chaleureux.

Son père, Hercule de Rohan, duc de Montbazon, grand veneur et pair de France, gouverneur de Paris, a dû sa situation, l’une des plus en vue de la cour, à son indéfectible fidélité à Henri IV – il est encore auprès de lui quand Ravaillac frappe – et au jeune roi Louis XIII. De haute stature, d’aspect imposant, fort comme plusieurs Turcs, le duc Hercule porte bien son nom. En outre, il adore les femmes et, flatté de la beauté blonde de sa fille, il la gâte outrageusement tout en lui laissant faire strictement ce qu’elle veut. Or, ce qu’elle veut, c’est plaire et être aimée. Elle le sera et au-delà même de ses espérances car, partout où elle passe, Marie de Rohan provoque des passions sans nombre :

« Je crois que je suis destinée à être l’objet de la folie des extravagants », écrit-elle au temps de son éclatante jeunesse. En fait de folies, elle va, elle aussi, en faire beaucoup car elle est habitée d’un curieux démon de l’intrigue qui lui vaudra quelques joies mais aussi beaucoup de déboires.

Le mercredi 13 septembre 1617, dans la chapelle de la reine, au Louvre, Marie épouse Honoré d’Albert de Luynes qui sera bientôt duc de Luynes. Promotion bien venue car la noblesse de l’époux est assez mince en regard de celle de l’épouse qui est des plus hautes. C’est la faveur de Louis XIII dont il est l’ami intime parce qu’il l’a aidé à se débarrasser de Concini qui fait d’Honoré un parti des plus enviables. Les Rohan-Montbazon ne s’y sont pas trompés.

En même temps qu’elle se change en Mme de Luynes, Marie devient l’amie d’Anne d’Autriche. Toutes deux ont le même âge, dix-sept ans. Mais autant l’une est paisible, passive même, autant l’autre est vive, impétueuse et d’un entrain endiablé : une « jolie friponne », selon le mot de Tallemant des Réaux.

Telle qu’elle est, Mme de Luynes s’attache à la reine faute d’avoir réussi à s’attacher le roi. Rude déception de ce côté-là. Timide et renfermé, Louis XIII lui est apparu d’abord comme fait d’une pâte facile à pétrir. Or, non seulement elle ne l’a pas séduit, mais très vite elle lui a inspiré quelque chose qui ressemble à de la méfiance. Une méfiance qui est devenue de l’aversion quand la folle Marie, entraînant la jeune reine dans une partie de glissades dans la grande galerie du Louvre, se retrouve responsable d’une dramatique fausse couche. Or, il avait fallu quatre ans pour décider le roi à faire cet enfant et il en faudra dix-neuf pour qu’il renouvelle l’expérience.

Donc Louis XIII déteste Marie qui le lui rend bien. Il n’y a guère que le cardinal de Richelieu pour occuper une place plus éminente encore dans l’échelle de ses inimitiés.

Le temps qui passe ne change rien à ces sentiments mutuels, au contraire. Veuve en 1621, Marie n’attend que quatre mois pour se remarier. Contre la volonté du roi qui pleure son ami Luynes, elle épouse le duc de Chevreuse, de la puissante maison de Guise et propriétaire de ce château de Dampierre dont la nouvelle duchesse va s’éprendre si fort. Louis XIII, qui l’a exilée après la fameuse fausse couche, est obligé, eu égard à son époux, de la rappeler. Il s’en repentira toute sa vie.

Décidée à tirer vengeance d’un souverain qu’elle considère comme un ennemi, Mme de Chevreuse pense qu’il serait amusant d’offrir à la reine un amant… et au roi une magistrale paire de cornes.

Elle est alors la maîtresse de l’ambassadeur anglais, lord Holland, qui est l’intime ami du duc de Buckingham. Or, nul n’ignore alors – et n’ignorera dans la suite des siècles grâce à Alexandre Dumas – que Buckingham brûle pour la reine de France d’une inextinguible passion.

Chez Mme de Chevreuse qu’il a connue en Angleterre lors d’une brève ambassade de son époux, Holland, « l’un des plus beaux hommes du monde quoique efféminé », est chez lui. Il loge d’ailleurs dans l’hôtel de la rue Saint-Thomas-du-Louvre. Dans ces conditions c’est un simple jeu, pour lui et pour Marie, d’organiser des rencontres, des entrevues secrètes. C’est encore eux qui, dans un jardin d’Amiens, vont livrer Anne d’Autriche aux privautés de Buckingham.

Privautés vite interrompues par le sursaut de pudeur de la reine mais, le trop ardent amoureux reparti pour Londres, la correspondance continue par leur truchement et l’on sait comment John Felton, en assassinant Buckingham, va sauver La Rochelle et même la France d’un débarquement anglais, le duc n’ayant pu concevoir d’autre moyen d’approcher l’objet de sa passion.

Durant des années, Mme de Chevreuse poursuit sa vie d’intrigues à la fois politiques et amoureuses. Elle conspire inlassablement contre Richelieu puis, durant la Fronde dont elle sera l’une des égéries, contre Mazarin qui a pris la suite dans ses inimitiés. Outre lord Holland – le plus aimé sans doute – la duchesse aura des aventures avec le comte de Moret, bâtard royal, avec le comte de Châteauneuf et le comte de Chalais que ses intrigues mèneront à l’échafaud de Nantes, avec le duc Charles IV de Lorraine et avec le marquis de Laigues qui vengera plus ou moins tous les autres car il viendra sur le tard.

La vieillesse atteinte, Mme de Chevreuse, comme beaucoup d’anciennes coquettes, tourne à la religion. C’est dans un ancien prieuré bénédictin, à Gagny, qu’à soixante-quatorze ans elle achève sa vie tumultueuse, loin des fastes de Dampierre qui est à présent la demeure de son fils. Un fils qui n’est cependant pas celui du duc de Chevreuse.

En effet, n’ayant eu que des filles de sa seconde union, la belle duchesse a réussi ce tour de force : faire attribuer le titre de duc de Chevreuse et Dampierre au fils qu’elle a eu de Luynes. Depuis, le double titre ducal est demeuré dans la famille.

Tandis que l’intrépide duchesse s’éteint à Gagny, le 12 août 1679, on célèbre à Dampierre le mariage de sa petite-fille, Jeanne d’Albert de Luynes, qui épouse le comte de Verrue. Un vilain nom fort noble dont elle ne fera pas le meilleur usage. Mais le moins que l’on puisse dire est que Jeanne a de qui tenir. À treize ans – son âge au jour du mariage – elle est assez jolie pour laisser deviner qu’elle sera ravissante et assez enjôleuse pour que l’on comprenne qu’elle sera aussi galante que sa défunte grand-mère.

À vrai dire, dans les débuts tout au moins, ce ne sera pas tout à fait sa faute. Mariée par politique autant que par amour au jeune comte de Verrue, d’ancienne famille poitevine émigrée en Savoie et devenue l’une des premières maisons à la cour de Turin, Jeanne voit son bonheur perturbé par sa belle-famille dont le principal élément est sa belle-mère : une douairière confite dans la bigoterie qui se fournit en eaux de toilette et produits de beauté aux sacristies des églises. Ce choix lui fait répandre autour d’elle une odeur qui est peut-être celle de la sainteté mais qui, pour les narines d’autrui, n’en demeure pas moins regrettablement terrestre. Au degré inférieur, le beau-frère de la dame, l’abbé de Verrue, personnage fort mûr mais qu’un extérieur peu engageant ne met pourtant pas à l’abri des désirs impurs.

Heureusement, la cour de Turin n’est pas taillée tout entière sur le même patron. Ainsi, son prince régnant, Victor-Amédée II, n’a que dix-huit ans, est beau, aimable quoique emporté et aime à s’entourer de jolies femmes autant que de beaux esprits. La jeune comtesse de Verrue est accueillie par lui avec une faveur marquée. Victor-Amédée prend tout juste le temps d’épouser la nièce de Louis XIV et de lui consacrer quelques semaines avant de tenter de joindre la charmante Jeanne à ses nombreuses maîtresses. Celle-ci n’y consent pas, peut-être à cause du nombre.

Après mainte et mainte dérobade, elle décide même de quitter Turin « pour raisons de santé ». Avec l’accord de la belle-famille elle s’en va prendre les eaux de Bourbon-l’Archambault. Mais il lui a fallu accepter l’abbé de Verrue comme chaperon. Curieux chaperon qui s’en vient la nuit gratter à sa porte en la suppliant de lui ouvrir.

Le remède étant pire que le mal, Jeanne tente d’apitoyer sur son sort sa propre famille. Elle souhaite sincèrement retrouver son cher Dampierre mais les Luynes font la sourde oreille : Jeanne ne leur appartient plus. Alors il faut bien en appeler au prince pour être débarrassée de l’encombrant abbé. Victor-Amédée naturellement ne se fait pas prier mais fait payer son intervention et, durant plusieurs années, Mme de Verrue va tenir le rang d’une favorite royale, couverte d’or et de présents mais qui, durant les dix années de guerre entre la Savoie et la France, se trouve fort malheureuse. Elle finit par s’enfuir avec l’aide de son frère le chevalier de Luynes et, cette fois, revoit Dampierre… où l’accueil n’est pas plus chaud qu’autrefois. Alors, elle se retire dans un couvent où elle reçoit l’annonce de la mort de son époux tué à Hondschoote. Cela la décidera à quitter le couvent.

Installée rue du Regard, elle y ouvre un salon brillant et permet qu’à plusieurs reprises l’amour vienne l’y visiter en attendant que la mort l’y prenne. Elle avait, à l’avance, rédigé elle-même son épitaphe :

Ci-gît dans une paix profonde

Cette dame de Volupté

Qui, pour plus grande sûreté,

Fit son paradis dans ce monde.

Hanté par ces ombres légères et par celle de cette très belle et rousse duchesse de Chevreuse, née Hermessinde de Narbonne-Pelet, amie de Talleyrand, et qui, dame du palais forcée de l’impératrice Joséphine, menait contre l’Empereur une opposition si féroce qu’en privé elle l’appelait tout uniment le « petit misérable » – opposition qui la fit exiler à Lyon où elle mourut –, Dampierre est toujours la propriété de la famille de Luynes qui s’efforce de lui conserver sa grâce et son éclat.


HORAIRES D’OUVERTURE

Du 1er avril au 30 septembre 11 h-18 h 30 Dimanche et jours fériés 11 h-12 h et 14 h-18 h 30

Le parc a été dessiné par Le Nôtre.

http://www.chateau-de-dampierre.fr

Загрузка...