Châteaubriant La belle que voilà !

L’âme est en haut ; du beau corps c’en est fait

Icy dessous

Ah ! Triste pierre auras-tu cette audace

De m’empêcher cette tant belle face

En me rendant malheureux et défait

Car tant digne œuvre en rien n’avait méfait

Qu’on l’enferma avec sa bonne grâce

Icy dessous

La musique des vers qui traverse l’esprit du roi a peu à peu chassé la prière dans laquelle il s’est abîmé durant de longues minutes, les yeux brouillés par le brasillement des cierges. Dieu, soudain, s’éloigne, repoussé par les souvenirs de l’ancien amour. De si beaux, si tendres et si ardents souvenirs ! Les irremplaçables, inoubliables souvenirs des folles amours de la jeunesse…

François Ier se relève et époussette machinalement ses genoux glacés par la pierre froide de la chapelle. Ce printemps breton est pénible. Ou bien, le roi est-il si vieux qu’il ne sait plus, l’âge venant, supporter les petites misères d’un climat différent ? Pourtant il ne parvient pas à s’écarter de ce tombeau pour retrouver les bruits de la vie et sa chaleur. Il y a ces mots fraîchement gravés sur la pierre, ces mots qui le retiennent encore : « Icy repose, dans la paix du Seigneur, Très Haute et Très Noble Dame Françoise de Foix. »

Françoise ! Dieu, ce grand artiste, a-t-il jamais créé femme plus belle, plus gracieuse, plus passionnée aussi ? Après un quart de siècle écoulé, François Ier retrouve intactes les premières impressions de ce temps béni où tout, autour de lui, n’était que jeunesse : le règne, la cour, les hommes, les femmes… la France qui s’était donnée d’un si bel élan mais surtout lui-même. Et comme ils s’étaient aimés, tous les deux !

Tout avait commencé bien peu de temps après le double coup de tonnerre de 1515 : l’avènement et, six mois plus tard, le soleil de Marignan qui a porté au pinacle un jeune géant fougueux, un roi de vingt et un ans. François aimait – avec quelle violence ! – la chasse, la guerre, les arts, l’amour. L’amour plus que tout le reste peut-être. Et il a voulu que sa cour fût un parterre de jeunes et jolies femmes :

« Une cour sans femmes est une année sans printemps ou un printemps sans roses ! » aimait-il à répéter.

Il en vint beaucoup. Pourtant, de l’avis de son ami Odet de Foix, vicomte de Lautrec, il manquait la plus belle : sa propre sœur Françoise de Foix, comtesse de Châteaubriant par mariage avec le seigneur du lieu, Jean de Laval, de haute et fière noblesse bretonne. Un mariage qui avait été mariage d’amour – Françoise pourtant n’avait alors que douze ans – et durait sans accroc depuis dix ans. Mais le roi a voulu « voir toutes ses dames » et surtout la sœur de son ami, cette belle et fière Françoise dont on lui disait qu’aucune, française ou italienne, n’approchait la beauté brune. Il l’invita avec son époux. Méfiant, celui-ci vint seul, mais bientôt se trouva acculé par une de ces conspirations de cour où se perdent honneur et réputation. Françoise arriva. Le roi la vit et se prit pour elle d’une passion qui devait être la plus ardente de toute sa vie. Semblable à celle qu’il sut éveiller chez une femme qui se croyait jusqu’alors amoureuse de son époux. Pourtant, la résistance fut longue : trois ans. Trois ans à lutter contre lui, contre elle-même. Il fallut l’échec de François à l’élection impériale pour que Françoise se rendît d’elle-même, royale consolation. Et durant sept années, elle va régner sur son roi. Amour de chair mais aussi amour d’esprit car tous deux adoraient la poésie et jamais on ne fit à la cour si folle consommation de vers. Amour de pierre enfin : c’est pour sa belle amie, pour lui donner le cadre digne de sa beauté que le roi tira d’un marais une merveille et fit surgir Chambord au cœur d’une forêt. Autre cadre prestigieux : le camp du Drap d’or dont elle sera le plus bel ornement.

Pendant ce temps, le mari guerroie, mais comme il n’est d’expédition guerrière qui ne prenne fin, le roi, pour l’empêcher de venir à la traverse de ses amours, l’a nommé gouverneur de Bretagne, ce qui l’oblige à résider sur place. Jean de Laval ronge son frein car il n’a jamais cessé d’aimer sa femme et la jalousie le ronge. Mais que faire contre un roi ? Attendre ? Il attend…

Un jour, Mme de Châteaubriant rentre au bercail. Les heures noires sont venues avec le désastre de Pavie en 1525 : François Ier est prisonnier à Madrid et la régence est aux mains de sa mère, Louise de Savoie, qui exècre la favorite. Celle-ci n’a plus qu’à rentrer chez elle pour attendre elle aussi.

Quand le roi recouvre la liberté, quand la cour se rend à Bayonne pour l’accueillir, Françoise n’est pas là. Louise de Savoie non seulement ne l’a point fait prévenir mais encore présente à son fils une jeune fille toute rose, toute blonde, toute fraîche, tout exquise : Anne de Pisseleu, qui va l’asservir d’un regard et dont il fera bientôt une duchesse d’Étampes. Quand Mme de Châteaubriant apprend enfin son malheur, quand elle accourt, il est trop tard.

Bien sûr, durant quelque temps, le roi maintient la balance égale entre les deux rivales mais peu à peu le fléau penche vers la plus jeune. Et Françoise de se plaindre, toujours en vers :

Mais qui eût su penser pouvoir trouver au miel

Tant de mortel venin, d’amertume et de fiel ?

Elle est vaincue et elle le sait. Même Chambord est abandonné pour reconstruire un Fontainebleau éclatant. Elle part, elle rentre en Bretagne où l’accueillent son époux et un vaste chantier : auprès des ruines de la vieille forteresse féodale qui avait abrité tous les seigneurs de Châteaubriant passés – celui qui combattit à Mansourah, celui qui combattit à Saint-Aubin-du-Cormier, celui qui défendit sa fille veuve d’un Plantagenêt, tous ceux enfin qui firent que les lys de France s’inscrivaient sur leur bannière –, auprès de cette bastille grandiose qui va peu à peu devenir une superbe ruine, Jean de Laval construit, de 1532 à 1537, le palais Renaissance que l’on peut encore admirer et trace des jardins. Françoise, dont la douleur a vaincu son ressentiment, pourra y rêver aux jours si doux d’autrefois. Pour sa part, Jean espère que le temps leur permettra d’oublier tout cela.

Encore faudrait-il qu’on les laissât en paix. Mais une épreuve cruelle attend Françoise : l’insatiable – et détestable ! – duchesse d’Étampes a entendu parler des joyaux jadis offerts par le roi à Mme de Châteaubriant et, surtout, des devises d’amour qui y sont gravées et qui, selon elle, offensent sa dignité. Alors elle contraint le roi – en se voulant semblables aux hommes, les femmes ne savent pas à quelles armes elles renoncent ! – à réclamer ces joyaux. Et François consent en dépit de sa chevalerie. Un messager part pour Châteaubriant.

Raidie dans une froide colère qui la sauve momentanément du désespoir, la descendante des comtes de Foix a écouté le messager puis elle a demandé vingt-quatre heures pour s’exécuter : le temps pour le chevaucheur de se reposer.

Le lendemain, toujours aussi froide, elle a remis au messager un pesant paquet : des lingots d’or et des pierres démontées :

« Allez porter cela au roi, dit-elle, et dites-lui que puisqu’il lui a plu me révoquer ce qu’il m’avait donné si libéralement, je le lui rends et renvoie. Pour les devises, je les ai si bien empreintes et colloquées en ma pensée et les y tiens si chères que je n’ai pu permettre que personne en disposât, en jouît et en eût plaisir… que moi-même ! »

François Ier accepte la leçon et, repentant, renvoie l’or et les pierreries tout en confiant à son ami Bonnivet :

« Elle a montré en cela plus de courage et de générosité que je n’eusse pensé pouvoir provenir d’une femme. »

Un jour, las peut-être des coquetteries acides de sa favorite, l’envie lui vient de revoir ses belles amours d’antan et, avec une suite de trois mille personnes, il se rend en Bretagne, est accueilli par le couple au seuil du château neuf.

Durant quelques jours, qui vont coûter une fortune à Jean de Laval, les tendres liens de jadis vont se renouer, des liens qui avaient la saveur d’un renouveau tardif mais dont Mme d’Étampes pensa mourir de fureur, craignant par-dessus tout que la belle Françoise ne fût du voyage de retour.

Mais le roi n’emmènera plus jamais Mme de Châteaubriant. En remerciement de l’accueil, il lui offre la terre et le château de Suscinio puis repart. Ils ne se reverront plus.

Les retrouvailles tardives ont-elles réveillé la jalousie du mari ou n’est-ce qu’une légende ? On dit que, dès lors, Françoise dut vivre enfermée dans ses appartements tendus de drap noir et qu’une nuit Jean de Laval fit entrer un barbier qui ouvrit les veines de l’infidèle. Toujours est-il que Françoise de Foix, comtesse de Châteaubriant, mourut dans la nuit du 16 octobre 1537 et que la tradition prétend que chaque année, dans la nuit anniversaire, le fantôme de la plus belle dame du royaume apparaît et erre tristement, ombre blanche et désolée, dans les salles où elle attendit en vain un appel qui ne devait jamais venir…

N’ayant pas eu d’enfant, Jean de Laval légua Châteaubriant au connétable de Montmorency puis, par mariage, le château passa aux Condé. Henri II et Charles IX s’y arrêtèrent. La guerre ne l’épargna pas, mais le département de Loire-Atlantique a fait panser ses blessures avec une sollicitude digne d’éloges.


HORAIRES D’OUVERTURE DE LA COUR INTÉRIEURE

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L’accès à la cour intérieure du château est libre et gratuit toute l’année.

HORAIRES D’OUVERTURE DU CHÂTEAU

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Fermé les 24, 25 et 31 décembre et le 1er janvier.

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