Le Clos-Lucé Léonard de Vinci et la Joconde…

Pourquoi me faire ce sourire

Qui tournerait la tête au roi ?

Victor HUGO

« Voilà le roi !… »

Le gamin essoufflé a tout juste le temps de soulever la tenture qui ferme et réchauffe l’atelier du peintre. L’instant suivant, les deux mètres de François Ier s’encadrent, tel un portrait en pied, dans le chambranle de la porte.

Le grand vieillard en robe noire, debout devant le haut chevalet en bois poli, a tout juste le temps, lui aussi, de poser ses pinceaux mais il n’a pas celui de s’incliner. Déjà le jeune roi est auprès de lui qui le serre dans ses grands bras et l’embrasse avec cette chaleur qu’il porte en lui et qu’il sait si bien communiquer à ceux qu’il aime ou qu’il admire. Et François est immensément fier d’avoir réussi à convaincre l’un des plus grands peintres de tous les temps de quitter l’Italie pour venir habiter son cher Val de Loire.

En cet automne de l’an 1516, Léonard de Vinci vient tout juste d’arriver à Amboise avec son élève favori Francesco Melzi et son serviteur Zoroastro. Lui et le roi se sont rencontrés un peu plus d’un an auparavant, juste après la victoire de Marignan qui a porté si haut le renom des armes françaises et, tout de suite, le peintre a aimé le roi. Peut-être d’abord parce que François est beau et que Léonard est sensible à toute forme de beauté, mais aussi parce qu’il a senti chez ce jeune géant couronné une volonté de grandeur et d’éclat, une générosité profonde, un charme, enfin, si puissant que les hommes y succombent presque autant que les femmes ; ce qui n’est pas peu dire. Alors, après la mort de Julien de Médicis, son dernier protecteur, le vieux peintre a pris le chemin de la France où il sait qu’on l’attend, qu’on l’espère.

À Amboise, où François Ier habite de préférence car c’est le château de sa jeunesse, le roi a donné à Léonard le petit manoir du Cloux – nous disons à présent Clos-Lucé – construit une quarantaine d’années plus tôt par un maître d’hôtel du roi Louis XI, un certain Étienne le Loup qui, à ses qualités d’homme d’intérieur joignait, dit-on, des talents plus secrets qui en faisaient un espion assez habile. Le feu roi appréciait ses services et la maison, qu’Étienne le Loup construisit grâce à lui, de brique rose et de pierre blanche, est charmante sous son haut toit d’ardoise fine.

Cette maison, François la connaît bien. Il y a joué étant enfant. Et puis, un souterrain la relie au grand château. Un souterrain qui était sans doute commode au temps d’Étienne le Loup mais dont François ne fera guère usage. Il n’a pas besoin de se cacher pour venir voir son peintre.

La visite impromptue de ce jour est la première qu’il lui rend. Le roi vient voir, en toute simplicité, comment le maître est installé. Ce n’est peut-être qu’un prétexte qui cache une curiosité plus intime : celle que lui inspirent les toiles venues d’Italie. Et tout de suite, d’ailleurs, il va les regarder, car Léonard ne les cache pas. Il y en a deux, plus belles l’une que l’autre : une Sainte-Anne avec la Vierge et l’Enfant et un Saint-Jean le Baptiste. Et le roi admire sans réserve, un peu timide même en face de tant de beauté. Peut-il exister au monde œuvres plus admirables que ces deux peintures ?

Eh bien, justement, il paraît qu’il en existe une. Et le roi, incapable de retenir sa curiosité, avoue le but profond de sa visite. Le bruit court – de qui vient-il et quels chemins a-t-il pris ? François ne le dira pas – le bruit court donc que Léonard n’a pas apporté avec lui que ces deux toiles ; mais aussi une autre, plus petite, plus secrète… un portrait de femme qu’il se refuse à montrer.

Visiblement, la question du roi ne fait pas plaisir à Léonard de Vinci. Il a un peu pâli et ses yeux se sont assombris. Pourtant, à ce roi qui l’interroge en ami, plus qu’en souverain, il va dire la vérité. Le bruit dit vrai : il possède bien par-devers lui un portrait, une œuvre déjà ancienne mais à laquelle il tient plus qu’à sa propre vie. Et comme il sait qu’on ne résiste pas à un désir de roi, il va chercher le tableau, laisse glisser la pièce de velours qui le masque et découvre l’image d’une femme brune, vêtue de noir, dont les longs cheveux sont à demi recouverts d’un voile léger et dont les belles mains reposent devant elle, posées l’une sur l’autre. Un paysage d’eau et de rochers l’enchâsse de ses lointains brumeux. En vérité, la beauté de la femme est saisissante mais plus encore le sourire à peine indiqué, mystérieux et indéchiffrable, qui adoucit ses lèvres.

Le souffle coupé, le roi s’est levé. Un long moment, il contemple la prodigieuse image dont il ne parvient pas à détacher son regard. Quand il s’y résout, c’est pour offrir au peintre d’acheter ce portrait, de le couvrir d’or s’il le faut. Il donnera trois mille… non, quatre mille écus. Mais Léonard refuse : vendre ce portrait, ce serait pour lui vendre son âme. Il n’a aimé personne autant que le modèle… Et parce que, tout de même, il sait bien que François peut comprendre, il raconte :

La dame au sourire s’appelait Lisa Gherardini. Elle était napolitaine mais mariée à un riche Florentin, Francesco del Giocondo, qui avait fait fortune dans le commerce des cuirs et peaux. Mal mariée, bien sûr : le mari avait cinquante ans, la femme en avait vingt. C’était un rustre vaniteux alors que Lisa était de famille noble mais pauvre. Ses parents, ruinés par l’invasion française menée par le roi Charles VIII, avaient été trop heureux de donner leur fille, belle mais sans dot, à ce marchand florentin déjà deux fois veuf.

Un jour Giocondo commande à Léonard de Vinci le portrait de sa femme. Non pour l’amour de l’art mais parce qu’il était de bon ton chez les gens fortunés de Florence de se faire peindre afin de laisser leur effigie à la postérité.

Le peintre faillit refuser, imaginant que la femme du bonhomme était sotte et laide comme lui. Il se décida tout de même, lorsque son élève Giovanni Beltraffio lui confia que la dame était jeune et admirablement belle.

Mona – abréviation de madonna qui signifie madame – Lisa vint poser et Léonard ne vit plus qu’elle. Tant et si bien qu’au bout de trois ans, le portrait n’était pas achevé.

À dire vrai, Francesco del Giocondo n’était pas tellement pressé de le voir arriver chez lui : son entrée signifierait la sortie d’une belle somme d’argent. Il lui suffisait que l’on sût dans Florence que le grand Vinci faisait le portrait de « la Gioconda ». Pourtant, il finit par trouver que le peintre en prenait à son aise et, un soir, vint annoncer à Léonard qu’il emmenait sa femme à Naples pour affaires de famille.

Le cœur navré, Léonard laissa partir Lisa, se consolant en compagnie de son cher portrait. Il attendit longtemps son retour. Jusqu’au jour où le hasard le remit en face de Giocondo dans une rue de Florence. L’homme lui apprit que Lisa était morte quelques mois plus tôt à Lagonero d’une fièvre putride. Il lui apprit aussi qu’il avait, pour sa part, l’intention de se remarier et qu’en conséquence il ne tenait pas du tout à ce que le portrait lui fût livré pour ne pas indisposer sa fiancée. Du même coup, cela le dispensait de payer… Mais ni pour or ni pour argent Léonard n’eût consenti à lui abandonner un portrait devenu plus cher que jamais à son cœur.

Telle est l’histoire que, ce soir-là, le peintre raconte à François Ier. Est-elle vraie ou cache-t-elle une autre histoire ? Le secret du sourire de la Joconde n’a jamais été réellement percé mais, après tout, pourquoi Léonard de Vinci n’aurait-il pas dit la vérité ?

Ce qui est sûr, c’est que le roi eut plus que jamais envie de s’assurer la possession du tableau. Il avait offert quatre mille écus, il entendait les payer… mais pour ne pas briser le cœur du vieux peintre, il spécifia que la Joconde n’entrerait dans les collections royales qu’à la mort de son auteur. Cette mort survint le 2 mai 1519, au Clos-Lucé. Le récit qu’en a donné Vasari d’après ce que lui avait rapporté Francesco Melzi, l’élève préféré, passe aussi pour une légende, comme si tout ce qui touchait à la vie du peintre génial, de l’ingénieur fabuleux, de l’inventeur des machines les plus extraordinaires ne pouvait inspirer que le doute.

« Le Roi qui le visitait souvent avec amitié survint. Léonard plein de respect pour le prince se souleva de son lit et, lui racontant les accidents de sa maladie, demanda pardon à Dieu et aux hommes de ne point avoir fait pour son art tout ce qu’il aurait pu. Le Roi lui tint la tête mais comme si ce divin artiste eût senti qu’il ne pouvait espérer plus grand honneur sur cette terre, il expira entre les bras du Roi… »

Vérité ? Légende ? Quoi qu’il en soit, l’image est bien belle.

Aujourd’hui le Clos-Lucé appartient au comte Saint-Bris qui l’entretient avec un soin jaloux.


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