J’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer au repos dans une chambre.
Perdu dans l’immensité de la plaine de Moncontour, le château d’Oiron appartient à peine à la frise somptueuse des châteaux de la Loire dont il est le plus mal connu, le mal aimé peut-être, bien qu’il eût été l’un des principaux foyers de la Renaissance en Haut-Poitou.
Au XVIe siècle, alors que le règne de François Ier est à son début, la terre d’Oiron est acquise par la famille Gouffier, l’une des plus anciennes de la région – elle remonte au XIe siècle. Mais la première grande illustration lui vient de celui qui, sur la fin de sa vie, va construire Oiron : Artus Gouffier de Boisy, chambellan de Louis XII, bailli du Vermandois, auquel, en 1503, on confie l’éducation du jeune François d’Angoulême qui, douze ans plus tard, deviendra le roi François.
De cet instant, les honneurs et les biens pleuvent sur Artus et ses fils à qui le roi est fort attaché. Pour sa part, le père est gouverneur du Dauphiné, grand maître de France, comte d’Étampes et de Caravaz puis devient duc de Roannez avant de recevoir finalement, alors que la mort s’approche de lui, le titre de cousin du roi. À un tel homme il faut une belle demeure et Oiron sort de terre.
Le fils, Claude, grand écuyer de France, ce qui lui vaut le titre de M. le Grand, marquis de Boisy, comte de Maulévrier, duc de Roannez et comte de Caravaz est fabuleusement riche. Marié deux fois à Jacqueline de La Trémoille puis à Françoise de Bretagne (des comtes de Penthièvre), c’est lui qui va imprimer sur Oiron, dont sa mère Hélène de Hangest a poursuivi les travaux, la marque superbe qu’on lui voit encore, surtout dans la grande galerie ornée d’immenses fresques dans le goût de l’école de Fontainebleau. Le mobilier du château est si riche, les tapisseries si dorées, le train de maison si fastueux que Claude Gouffier devient, non seulement pour la région qui l’entoure mais encore au-delà de la Loire, le synonyme de Crésus. Le comte de Caravaz est aussi riche en or qu’en terres et, quand il écrira ses fameux Contes, Charles Perrault en entendra encore l’écho : le Chat botté sera au service du marquis de Carabas.
De cette étincelante famille il faut encore citer au moins le troisième personnage qui pourrait tenir le rôle du Saint-Esprit, le jeune frère d’Artus, Guillaume. Compagnon de jeunesse de François Ier avec lequel il a été élevé, Guillaume voit la pluie de faveurs tomber sur lui plus drue encore que sur les autres car il est et demeure l’ami favori. Il est amiral en France, seigneur de Bonnivet (le château malheureusement n’existe plus) et de Crèvecœur, gouverneur du Dauphin et du Dauphiné, ambassadeur de France et enfin commandant en chef de l’armée d’Italie en 1523 : un commandant en chef qui, malheureusement, n’est pas à la hauteur de sa tâche. Tête folle, pleine de vaillance pourtant, Bonnivet causera le désastre de Pavie mais il aura assez d’intelligence pour s’en rendre compte. Voyant la catastrophe qui va coûter sa liberté au maître qu’il aime, il cherchera une mort qui ne se fera pas prier.
Le petit-fils du « marquis de Carabas », Louis Gouffier, ajoute à Oiron une aile Louis XIII. Il est, lui aussi, duc de Roannez mais c’est son fils, Artus III, qui va retrouver la gloire par une porte tout à fait inattendue : les amours de sa sœur Charlotte avec Blaise Pascal.
Dans l’été 1652, un trio de personnages se promène jour après jour, longuement, sous les ombrages du parc immense et sur les bords de la Dive. Parfois l’on se rend à la superbe église collégiale, proche du château, jadis construite par Claude et qui est, en quelque sorte, le Saint-Denis des Gouffier : leurs tombeaux s’y érigent, dignes d’eux. Ce trio est composé du duc de Roannez, de sa sœur et de leur ami Blaise Pascal.
Il y a quatre ans que l’on se connaît : depuis que le père de Blaise, Étienne, qui a été président de la Cour des aides de Clermont-Ferrand puis intendant de la généralité de Rouen, est venu s’installer à Paris à l’angle de la rue du Cloître-Saint-Merry. Tout près de là s’élève l’hôtel de Boisy où vit la marquise du même nom, femme d’esprit et de tenue simple qui veille à l’éducation de ses deux enfants, Artus et Charlotte. Blaise Pascal a lui aussi une sœur, ravissante d’ailleurs, Jacqueline, et bientôt une vive amitié s’établit entre les quatre jeunes gens. C’est à la paroisse Saint-Médard qu’on s’est d’abord rencontré et le lien s’est tissé entre les garçons : Artus, comme Blaise, est passionné de recherches scientifiques et principalement de physique, et le jeune Pascal sert de maître à son ami. En échange, les jeunes Boisy initient Blaise à la vie mondaine : il assiste à la réception de Mazarin, à Poitiers, par Louis XIV et Anne d’Autriche dont Charlotte, qui a seize ans, est demoiselle d’honneur. Il assiste également à la représentation que donne Molière de La Jalousie du Barbouillé.
Puisqu’il est à Poitiers, c’est dire qu’il est aussi à Oiron où il fera plusieurs séjours. C’est vraisemblablement en cet été 1652 qu’il avoue son amour à Charlotte. Un amour qui lui ressemble : impérieux, intransigeant mais qui subjugue la jeune fille et auquel son frère ne s’oppose pas. Sa déclaration lui ressemble :
« L’homme cherche le plus souvent dans l’égalité de la condition à cause de la liberté et que l’occasion de se manifester s’y rencontre plus aisément. Néanmoins, on va quelquefois bien au-dessus et l’on sent le feu s’agrandir quoique l’on n’ose pas le dire à celle qui l’a causé. »
Il faudra pourtant se séparer. Si Artus est volontiers d’accord, la famille ne l’est pas. Pascal doit s’éloigner. Son accident de voiture et la nuit d’extase qu’il vit peu après le jettent à Port-Royal. Il va y attirer Charlotte car leur amour n’est pas de chair. Il est austère, ce qui n’exclut pas une profonde tendresse. Tous deux sont passionnés pour Dieu et la vie religieuse.
Charlotte ne restera pas à Port-Royal. Une intervention de Louis XIV l’en tire. Qu’à cela ne tienne, elle se coupe les cheveux et décide de vivre retirée du monde et cela jusqu’après la mort de Blaise, en 1663. Elle aura été fidèle à son amour durant dix-neuf ans… Restée seule, plus encore que si elle eût été veuve, elle se laissera marier au duc de La Feuillade le 9 avril 1667.
Son frère Artus qui, à son tour, gagne Port-Royal, vend son duché de Roannez à son beau-frère pour la somme de 400 000 livres. La Feuillade est désormais le maître d’Oiron.
Lui aussi apporte sa touche au château. Il érige une chapelle qu’il relie au moyen d’une galerie à arcades. Il redessine les jardins. Auprès de lui Charlotte s’ennuie. L’homme est trop loin d’elle. C’est un militaire, un homme de guerre dans toute l’acception du terme avec, en plus, un goût prononcé pour les bâtiments glorieux. Paris lui doit tout de même quelque chose. En 1681, le duc de La Feuillade – donnons-lui son nom : François d’Aubusson, duc de La Feuillade en succession du duché de Roannez, colonel des gardes-françaises, maréchal de France et vice-roi de Sicile (Charlotte n’a pas épousé n’importe qui !) – voulant laisser à la postérité un monument fastueux et représentatif de sa dévotion à son roi fit sculpter à ses frais une superbe statue de Louis XIV.
L’objet réalisé, il fallut trouver un endroit où l’installer et pour cela il fallait une belle place. Le Roi-Soleil ne se voyait pas à un coin de rue. Du coup, il achète au maréchal de La Ferté Senneterre son hôtel parisien plus quelques maisons voisines. Emportée par l’exemple, la Ville de Paris achète l’hôtel d’Émery. On rase le tout… et la place des Victoires prend sa forme qui sera définitive.
Mais au milieu de tout cela, Charlotte n’oublie ni Dieu ni son frère qui le sert dévotement sous les rigueurs de Port-Royal ni surtout le souvenir du seul homme qu’elle ait jamais aimé. Elle est si loin de la terre que l’on se demande comment elle a pu donner naissance à des enfants.
Son fils, le « plus solide malhonnête homme qui ait paru de longtemps », selon l’impitoyable Saint-Simon, revend le domaine à Mme de Montespan pour une somme rondelette dont Louis XIV paiera une partie. La favorite, alors, n’est plus la favorite. On est en 1691 et Louis XIV a épousé morganatiquement l’ancienne gouvernante de ses bâtards. La superbe Athénaïs, atteinte par un puissant réveil de sa foi d’enfant, s’est retirée pour consacrer en grande partie à Dieu le temps qu’il lui reste à vivre. Elle achète Oiron pour le duc d’Antin, le seul enfant qu’elle ait eu de Montespan, et c’est là qu’elle se retire le plus souvent, en alternance avec le couvent de la rue Saint-Jacques.
Retraite fastueuse : les appartements qu’elle installe, dorés et somptueux, espéreront longtemps la visite de Louis XIV dont le grand portrait règne sur toutes ces splendeurs. Le roi ne viendra jamais, bien entendu.
Retraite bienfaisante aussi car, auprès du château, se dresse une maison de vieillards entretenue par la marquise qui s’y rend tous les jours. Retraite quasi royale peut-être enfin pour cette Mortemart dont le nom est l’un des plus hauts de France. Elle y entretient une cour de femmes et de jeunes filles qui doivent veiller sur son sommeil. Car Mme de Montespan ne supporte ni la solitude ni l’obscurité. Elle dort entourée de ses femmes au milieu d’une forêt de chandelles que l’on ne doit pas laisser éteindre. De même, quand elle s’éveille, elle veut trouver ses gardiennes bavardant ou mangeant. Ses gardiennes ? Contre quoi ? La nuit ? Les cauchemars… ou le souvenir de certaines heures atroces vécues en compagnie de la Voisin ? Peut-être seulement le cri d’un enfant égorgé durant une messe noire…
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