Nérac Un roi, une reine et une coquette

Il y a des femmes dont l’infidélité est le seul lien qui les attache encore à leur mari.

Sacha GUITRY

Vers la fin de l’année 1578, la reine mère, Catherine de Médicis, se prend à penser qu’il serait peut-être bon, pour la paix des familles et le bien du royaume, de tenter un rapprochement entre sa fille Marguerite – plus connue sous le nom de Margot – et son gendre Henri de Navarre, chef des protestants et plus connu sous les sobriquets du Béarnais ou du Vert-Galant. Ces deux-là sont mariés depuis bientôt six ans et n’ont pratiquement jamais vécu ensemble. Il est vrai que la Saint-Barthélemy, en se déchaînant quelques jours après leurs noces, n’était pas faite pour arranger les choses, mais à présent elles sont en plus mauvais état encore : retranché dans sa Navarre, Henri est en guerre ouverte contre son beau-frère, le roi Henri III. Pour une raison fort légitime d’ailleurs : on ne lui a jamais payé la dot de sa femme.

Catherine décide donc de ramener Marguerite à son époux et, dans cette intention, entreprend le voyage de Nérac où le Béarnais tient le plus volontiers sa cour. C’est que le château des bords de la Baïse est sans doute, avec ses jardins et ses allées nombreuses, le plus charmant qui soit. Une autre Marguerite jadis – Marguerite d’Angoulême, sœur de François Ier – en avait fait sa résidence préférée après son mariage avec le roi de Navarre. Et Jeanne d’Albret elle-même, la sévère Jeanne, mère d’Henri, était sensible à la grâce de cette jolie demeure. On peut supposer que Margot s’y plaira.

Mais comme Catherine connaît son gendre sur le bout du doigt, elle prend la précaution d’entourer la reine de Navarre de quelques-unes des plus jolies filles de son fameux Escadron volant. Et le stratagème réussit. Non seulement Henri accueille sa femme avec un plaisir apparent mais il reçoit sa « bonne mère » avec toute la courtoisie désirable et se hâte d’oublier la politique pour se lancer à l’assaut des jolis jupons parisiens.

Il fait tour à tour la cour à la belle Victoria de Ayala que l’on appelle plus simplement Dayelle, à Mlle Le Rebours et, finalement, il arrête son choix sur une adolescente de quinze ans qui a le visage d’un ange blond et dans les yeux tous les démons de la sensualité : Françoise de Montmorency-Fosseux, plus communément surnommée la Fosseuse.

Entre la petite Fosseuse et le roi de vingt-quatre ans, une tendre intimité s’établit. Un brin hypocrite d’ailleurs : Henri appelle Fosseuse sa « fille » et la traite comme un bébé. Il la fait asseoir sur ses genoux pour la gaver de friandises tout en palpant sournoisement les rondeurs prometteuses de la belle enfant.

Ce badinage galant fait sourire Margot. N’ayant jamais aimé son mari, elle n’est pas jalouse. En outre, elle s’est très vite rendu compte que le jeune et beau vicomte de Turenne la regardait d’une façon peu respectueuse sans doute mais fort intéressante. Et Margot à son tour se met à trouver du charme à ce Nérac tant redouté.

Chacun des époux ainsi pourvu, les choses pourraient continuer longtemps sur le mode idyllique si Henri III ne s’avisait d’envoyer en renfort son plus jeune frère, François, duc d’Anjou, pour conclure définitivement la paix avec Navarre. Malheureusement François aime à courir le jupon lui aussi et ne trouve rien de mieux que de faire la cour à Fosseuse. Laquelle sachant les égards que l’on doit à un prince du sang lui a peut-être un peu trop souri pour la tranquillité d’Henri de Navarre. Lequel s’est plaint à sa femme des entreprises de son frère. Margot n’a d’abord fait que rire mais les coquetteries de Fosseuse ayant communiqué aux fêtes de la Noël 1580 une atmosphère assez électrique, elle a consenti à « parler » à François.

Elle l’a fait avec toute la diplomatie dont elle est capable car elle n’a aucune envie de voir un frère qu’elle aime quitter Nérac en claquant les portes, ni même quitter Nérac tout simplement. Non à cause des pourparlers diplomatiques mais parce que, au nombre des gentilhommes de François, se trouve un certain baron de Champvallon qui lui plaît fort.

Elle réussit parfaitement dans son entreprise et, grâce à elle, on tire les rois fort joyeusement. Henri a la fève, l’offre à la jeune Fosseuse qui l’en remercie d’une voix mouillée tandis que le duc d’Anjou tourne ses batteries vers une autre jolie fille et que Margot danse éperdument avec Champvallon sous l’œil jaloux de Turenne.

Hélas, les meilleures choses ont une fin. François d’Anjou reprend enfin la route de Paris emmenant Champvallon, ce qui cause quelque peine à Margot mais aucune à Turenne. Le jeune homme va d’ailleurs avoir la satisfaction de pouvoir soutenir sa reine dans les moments difficiles qui l’attendent.

Un beau soir, Mme de Duras, qui dirige les filles d’honneur, vient annoncer le plus calmement du monde que Fosseuse est enceinte de plusieurs mois. Et tout aussi calmement que la jeune personne n’en montre aucun remords et qu’elle espère bien donner le jour à un fils, ce qui pourrait lui permettre de faire répudier Margot. La favorite miniature s’est rappelé opportunément qu’elle est une Montmorency, donc de grande race.

Margot va devoir se battre. Contre Henri d’abord qui vient la mine pateline lui confier que sa « fille » Fosseuse a des… ballonnements d’estomac et qu’elle aurait besoin des Eaux-Chaudes, où la reine serait bien bonne de l’accompagner. Margot qui, elle, a besoin de Bagnères, envoie aimablement promener son époux. Les Eaux-Chaudes ne servent d’ailleurs strictement à rien, bien entendu. Quand tout le monde se retrouve à Nérac en juillet il est évident, même pour les plus myopes, que les ballonnements sont plus apparents que jamais.

Compatissante, la reine propose alors à Fosseuse de l’emmener passer un mois ou deux dans un château écarté, au Mas d’Agenais, par exemple. Mais Fosseuse refuse. Elle est très bien à Nérac. Elle nie même être enceinte jusqu’au jour où Henri vient supplier sa femme de mettre l’imprudente dans un appartement écarté loin de la curiosité des filles d’honneur. Margot y consent et bientôt Fosseuse accouche d’une petite fille qui meurt aussitôt tandis qu’Henri chasse dans les environs. Quand il revient c’est pour traduire à sa femme les plaintes de sa maîtresse : celle-ci est mécontente de l’appartement qu’on lui a donné. Pour sa réputation il vaudrait mieux l’installer chez la reine elle-même.

Indignée, Margot refuse et, durant plusieurs mois, elle va devoir subir la guerre que lui impose une fille sournoise qui lui rend les plus mauvais services auprès de son époux. L’insolence de Fosseuse atteint de tels sommets que Margot finit par demander conseil à sa mère. Catherine répond aussitôt : « Revenez et prenez avec vous cette Fosseuse. Navarre suivra. »

Non, Navarre ne suivra pas. Il craint trop l’hospitalité de sa belle-mère. Revenue au Louvre avec la joie que l’on devine, Margot sera enfin débarrassée de la Fosseuse que Catherine renverra à sa mère. Henri pleurera bien un peu mais se consolera bientôt avec la belle comtesse de Guiche, Diane, qui s’est choisi pour prénom Corisande.

Malheureusement pour Margot, il lui faudra revenir à Nérac quand son frère Henri III l’aura ignominieusement chassée de Paris. Cette fois, le château n’aura plus de charme pour elle. Écoutons le récit de Michel de La Huguerye :

« Le roi et la reine arrivèrent et furent tous deux seuls se promenant en la galerie du château jusqu’au soir où je vis la princesse fondre en larmes incessamment, de telle sorte que lorsqu’ils furent à table où je les voulus voir je ne vis jamais visage plus lavé de larmes ni yeux plus rougis de pleurs. Et me fit cette princesse grande pitié la voyant assise près du roi son mari qui se faisait entretenir de je ne sais quels discours vains par ses gentilshommes qui étaient à l’entour sans que ni lui ni nul autre quelconque parlât à cette princesse. »

Margot est pratiquement prisonnière à Nérac, et une prisonnière en danger. La favorite en titre, l’altière Corisande, essaie tout simplement de la faire empoisonner pour coiffer sa couronne. C’est une des servantes qui meurt à sa place d’un mauvais bouillon. On ne sait comment l’affaire se serait achevée si, le 10 juin 1584, François d’Anjou ne mourait brusquement. À présent le seul héritier de France c’est Henri de Navarre et Margot comprend qu’elle va être encore plus en danger que par le passé. Alors elle s’enfuit et gagne Agen qui lui appartient. Jamais elle ne reverra Nérac. Sa vie, passant par de folles aventures, est à présent ailleurs.

Le château de Nérac mourra bientôt de cette couronne de France. Devenu Henri IV, le maître qui l’aimait tant n’y reviendra plus.

La Révolution le détruira en partie et on le privera de ses jardins. Il est à présent le musée de la ville, un musée un peu mélancolique où l’on ne peut s’empêcher d’évoquer les vertugadins brodés de la reine Margot et de ses fugitives rivales.


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http://www.nerac.fr/chateau-henri-iv_1407504448000.html

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