Seul le ruban qui entourait la taille de Mlle de Kéroualle reliait alors la France à l’Angleterre.
Le 25 mars 1670, Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans et ambassadrice extraordinaire de son beau-frère le roi Louis XIV, débarque à Douvres pour y rencontrer son frère, le jeune roi Charles II. Il y a alors près de dix ans que Madame a quitté son pays natal et ce n’est pas sans une profonde émotion qu’elle retrouve à la fois sa patrie et un frère tendrement aimé, souvent regretté.
Comme il convient à une grande princesse, une suite nombreuse accompagne Madame mais dans son entourage immédiat chacun peut remarquer une jeune fille d’une vingtaine d’années qui semble très proche de la princesse. Cette jeune fille est d’une extrême beauté ; brune avec de longs yeux bleus. Mais son maintien est sans doute le plus modeste de tout le cortège français. On dirait même qu’elle cherche à se tenir à l’écart.
C’est que la belle jeune fille n’est pas encore tout à fait habituée au faste de la cour. Elle y est depuis si peu de temps ! Naguère encore Louise-Renée de Kéroualle vivait modestement, pour ne pas dire pauvrement, dans le château paternel non loin de Brest en Bretagne sans grand espoir d’en sortir jamais faute d’une dot convenable pour se marier. Et puis le miracle était apparu en la personne d’un descendant, par voie de bâtardise, du bon roi Henri IV, François de Vendôme, duc de Beaufort et général des galères, venu revoir un ancien compagnon d’armes. Frappé par la beauté de la jeune Louise, Beaufort s’était chargé de son avenir et lui avait obtenu un brevet de fille d’honneur de Madame.
Intelligente et discrète, parlant agréablement l’anglais, Louise a séduit la princesse cependant difficile qui s’est prise d’amitié pour elle et qui, tout naturellement, l’a choisie lorsque le voyage en Angleterre a été décidé. En revanche, la jeune Bretonne manifeste pour Madame, dont la santé fragile l’inquiète, un dévouement total.
À Douvres, le roi Charles II a réservé à celle qu’il appelle sa « chère Minette » une réception digne d’elle et digne de lui. Durant quinze jours, ce ne sont que fêtes, bals, plaisirs de toutes sortes et Louise en prend une part un peu éblouie. Il faut dire que Charles II est pour quelque chose dans cet éblouissement. C’est, à quarante ans, un homme grand, bien fait, élégant, au teint basané, à l’œil de braise, pourvu d’un grand nez extrêmement Bourbon qui domine d’épaisses lèvres rouges. Comme son grand-père le Béarnais – lui aussi descend d’Henri IV, comme Beaufort mais en lignée légitime, – il est gai, galant et, surtout, il adore les femmes qui le lui rendent bien.
Il a tôt fait de remarquer Louise, et quand, le moment du départ venu, Madame Henriette demande à son frère quel souvenir elle pourrait lui laisser en échange des fastueux présents dont il l’a comblée, le roi n’hésite pas.
« Voilà, dit-il en désignant la jeune fille, le seul bijou que je désire pour le garder près de moi. »
On devine la confusion de Louise. Madame, elle, ne fait que rire et chapitre son frère : elle est responsable de sa fille d’honneur et ne saurait s’en séparer. Les Kéroualle sont de vieille noblesse et de morale sévère. Laisser Louise serait les offenser. Le lendemain les navires mettent à la voile et cinglent vers la France. Louise étouffe un soupir. Le roi est bien charmant… et elle n’a aucune chance de le revoir.
Pourtant, quelques semaines plus tard, au château de Saint-Cloud, Madame, qui a bu une eau de chicorée suspecte, meurt dans d’affreuses souffrances pour la plus grande gloire de Bossuet qui va prononcer sa plus belle oraison funèbre.
Pour Louise, la mort de Madame représente à la fois un déchirement et un effondrement. Elle se retrouve seule, sans appui – le duc de Beaufort a été tué au siège de Candie –, sans protection et peut-être en danger. On la sait, en effet, fort avant dans les confidences de Madame et des bruits courent que la mort de la princesse n’est peut-être pas très naturelle. Peut-être se fût-elle finalement résignée à retourner vers la grisaille bretonne si une convocation du roi n’était venue donner à ses pensées une autre direction.
Chez Louis XIV, elle trouve le duc de Buckingham, ami proche du roi Charles II. Ce dernier réclame la favorite de sa sœur pour en faire une fille d’honneur de sa femme, Catherine de Bragance. C’est avec un bonheur qu’elle n’avoue pas, même à elle-même, que Louise reçoit l’ordre d’accepter. Ainsi le roi anglais ne l’a pas oubliée ? Elle va, contre toute espérance, le revoir.
Mais le lendemain soir, elle est à nouveau dans le cabinet de Louis XIV. Ce qu’il a à lui dire est simple : il espère qu’outre-Manche elle n’oubliera ni sa qualité de Française ni le service de son roi légitime. En fait, Louis XIV souhaite que Mlle de Kéroualle reprenne, en sous-main, la mission qui était celle de Madame : unir le plus étroitement possible la France à l’Angleterre et veiller à ce que les intérêts français soient défendus à Londres.
Louise accepte : elle se conformera aux directives que lui donnera le marquis Colbert de Croissy, ambassadeur de France, et, avec Buckingham, elle s’embarque.
En fait, le duc a obéi avec empressement aux ordres de son maître lui enjoignant de ramener Mlle de Kéroualle. Il a une idée derrière la tête : se faire une amie de celle qui ne peut être que la future favorite et, ainsi, combattre l’influence de la favorite actuelle, l’arrogante Barbara Palmer, lady Castlemaine et duchesse de Cleveland, qu’il déteste et qui le lui rend bien.
De son côté, Louise sait bien qu’elle est destinée au roi mais elle va, durant de longs mois, lui tenir la dragée haute, ce qui est d’ailleurs fort habile. Cela se sait en France, si, en Angleterre, on pense généralement qu’elle s’est rendue beaucoup plus tôt. « Elle avait perdu sa réputation avant d’avoir perdu son honneur », écrit Bussy-Rabutin à une amie.
C’est à la fin de l’été 1671, en septembre, que Louise devient la maîtresse de Charles II au cours d’une fête charmante : chez lady Arlington, à Euston, on organise une noce villageoise. Les mariés ce sont le roi et Louise. Et le coucher de la mariée aura lieu en grande pompe et en face d’une assistance nombreuse. Mais, à cet instant, ce qui était simulacre devient réalité. Un an plus tard, Louise met au monde un enfant qui, trois ans plus tard, deviendra duc de Richmond.
En 1673, Mlle de Kéroualle devient duchesse de Portsmouth. Un beau titre que le roi Louis XIV, en récompense de sa fidélité, va doubler d’un autre titre français : celui de duchesse d’Aubigny (sur Nère). Sur le domaine se trouve le superbe château de La Verrerie et c’est à ce moment que la jolie Bretonne en devient propriétaire.
Le château avait pris son aspect actuel au XVe siècle et c’était au début de ce siècle que le vaste domaine avait été donné par le roi Charles VII à John Stuart of Buchan, comte de Darnley… et connétable de France. On ignore généralement que, durant la guerre de Cent Ans, l’Écosse combattit aux côtés de la France. John Stuart était le second fils du roi d’Écosse et devait périr au service de Charles VII. C’est depuis cette époque qu’une garde écossaise, d’où devaient sortir les gardes du corps, servait les rois de France. Après John Stuart, ses descendants conservèrent et embellirent La Verrerie, et c’est Béraud Stuart, l’un des héros de la bataille de Fornoue, en Italie, qui lui fit don de sa splendeur.
En fait, en donnant La Verrerie et le duché d’Aubigny à la maîtresse d’un roi Stuart, Louis XIV accomplit une sorte d’acte de justice puisque, plus tard, c’est le fils de Louise et de Charles II qui en héritera.
À Londres, cependant, la vie de la duchesse de Portsmouth n’est pas si simple. Le roi l’aime mais il a de nombreuses maîtresses dont la plus bruyante est sans doute la comédienne Nell Gwyn. En outre, on n’apprécie guère Louise parce qu’elle est française et catholique. Mais elle parvient tout de même à tenir son rang et même à marier sa sœur Henriette au comte de Pembroke. Cela lui vaudra de revoir les siens mais, pour que le sévère comte de Kéroualle pardonne à sa fille son rang de maîtresse royale, il ne faudra rien de moins qu’une lettre et un ordre de Louis XIV : « J’espère, écrit le souverain, que vous ne serez pas plus sévère que votre roi et que vous retirerez la malédiction que vous avez cru devoir faire peser sur votre malheureuse fille. Je vous en prie en ami et vous le demande en roi. » Que répondre à si noble lettre, sinon en s’inclinant ?
Après un voyage en France en 1682 où elle sera reçue en reine et viendra prendre possession de son château, la duchesse de Portsmouth ne réintégrera définitivement son pays natal qu’en 1685, à la mort de Charles II dont elle ne devait jamais perdre le souvenir. Rentrée à Paris d’abord elle y tint salon mais, entre elle et la toute-puissante Mme de Maintenon, les relations n’étaient guère bonnes. Certains propos tenus chez elle faillirent lui valoir l’exil mais Louis XIV gardait une indulgence pour celle qui l’avait si bien servi. Elle en fut quitte pour la peur.
Avec le temps, l’idée de Dieu s’emparait d’elle et elle se tournait vers la dévotion. Elle quitta alors Paris pour La Verrerie dont elle ne s’éloigna plus jamais et où elle s’éteignit en 1737.
Son fils hérita du château mais n’y vécut guère, choisissant de regagner l’Angleterre et d’y servir la famille d’Orange. Il fut gentilhomme de la chambre sous George Ier. Néanmoins, ses descendants, les ducs de Richmond, conserveront La Verrerie jusqu’en 1842, date à laquelle il passa à la famille de Vogüé, qui, depuis cette époque, en est demeurée souveraine et maîtresse.
Le château dispose de chambres d’hôte et organise chaque hiver des concerts de musique de chambre.
Promenade toutes les heures à 11 h, 12 h, 14 h, 15 h, 16 h et 17 h
En avril, mai, juin, septembre et octobre : tous les jours sauf le lundi et le mardi
En juillet et août : tous les jours
http://www.chateaudelaverrerie.com/