Laissez-moi fuir la menteuse et criminelle illusion du bonheur ! Donnez-moi du travail, de la fatigue, de la douleur et de l’enthousiasme.
Au mois de juin 1876, Gustave Flaubert écrivait à son ami, l’écrivain russe Tourgueniev : « Pauvre chère grande femme ! J’ai pleuré à son enterrement, comme un veau. » Flaubert revenait tout juste de Nohant où il avait vu porter en terre, tout au fond du parc et près du cimetière, celle qu’il appelait George comme tous les habitués de Nohant et comme toute la France : Aurore Dupin de Francueil, baronne Dudevant devenue, par la grâce de sa plume, George Sand.
Elle s’est éteinte le 8 juin, dans sa belle chambre bleue refaite à neuf depuis quelques mois : « Je me suis tapissée en bleu tendre parsemé de médaillons blancs où dansent de petits personnages mythologiques. Il me semble que les tons fades et les sujets rococos sont bien appropriés à l’état d’anémie et que je n’aurai là que des idées douces et belles », écrit-elle alors. La belle chambre est désormais vide mais demeurera à jamais intacte.
Aurore avait quatre ans quand, en 1808, après la mort accidentelle de son père, officier de l’armée impériale, elle est venue s’installer à Nohant chez sa grand-mère Mme Dupin de Francueil. C’est d’elle que l’enfant tient ce prénom d’Aurore qui est à lui seul toute une histoire. Et quelle histoire puisque Mme Dupin le tenait elle-même de sa grand-mère, Aurore de Königsmark, maîtresse favorite du roi Auguste II de Pologne. Le trait d’union entre ces grandeurs septentrionales et la paisible châtelaine de Nohant, c’est le maréchal de Saxe, en toute simplicité.
Mme Dupin était la fille quelque peu bâtarde du héros de Fontenoy et d’une charmante comédienne, Marie Rinteau, dite Marie de Verrières. Et il est à supposer que la dernière Aurore doit la plus grande partie de son caractère fantasque à cet aïeul qui a empli l’Europe de ses victoires et de ses amours tumultueuses. Quant au talent littéraire, elle ne le doit sans doute qu’à elle-même, le maréchal n’ayant jamais pu venir à bout de l’orthographe. Ses lettres sont à l’avant-garde de la poésie lettriste1.
Mariée à un fermier général, Mme Dupin est devenue propriétaire de Nohant pendant la Révolution. La maison datait d’une trentaine d’années et avait été construite par un gouverneur de Vierzon, M. Pétron de Serennes. Mme Dupin a trouvé là un refuge contre les fureurs révolutionnaires et une bien agréable façon d’oublier, en arrangeant la maison selon son goût qui était parfait, qu’un certain art de vivre avait quitté la France. Sa petite-fille, élevée dans la tendresse et avec une liberté rare à l’époque, va y puiser, avec l’amour de la campagne berrichonne et de ses paysans, le plus chaud et le plus tendre de son talent.
De 1817 à 1820, il faut bien, hélas ! quitter le cher Nohant. Grand-mère Dupin estime que sa petite-fille a tout de même besoin de recevoir une éducation moins agreste et plus conforme à une demoiselle de la bonne société. Elle choisit le couvent des augustines anglaises où la fillette s’ennuie ferme. Quand elle en sort comme on sort de prison, il lui reste bien peu de temps pour profiter de sa grand-mère. Mme Dupin meurt en 1821. En 1822, Aurore épouse le fils d’un baron d’Empire, Casimir Dudevant, avec lequel elle est loin d’être heureuse mais qui lui fait deux enfants, Maurice et Solange.
La naissance de cette dernière sonne le glas du ménage qui d’ailleurs agonisait depuis un moment. Aurore rompt les ponts et Casimir lui intente un long procès que la jeune femme gagnera au bout de huit ans. Mais, à cette époque, il y a beau temps qu’elle est « libérée ». Son installation chez Jules Sandeau a été déterminante. L’écrivain et Aurore se connaissent depuis longtemps mais, en 1831, c’est chez lui que la jeune femme se réfugie au plus fort de sa bagarre avec Dudevant. Il en fait sa maîtresse et, surtout, il lui fait prendre conscience de son talent littéraire.
L’aventure ne dure guère : juste le temps d’écrire ensemble Rose et Blanche signé Jules Sand. Aurore va garder la moitié du nom, et quand, en 1832, elle donne Indiana, elle est devenue George Sand et elle a quitté Sandeau pour d’autres amours.
Fidèle à son atavisme, elle va collectionner les amants comme autrefois Marie de Verrières et comme Maurice de Saxe collectionnait les maîtresses. Un soir de juin 1833, c’est Alfred de Musset qui entre dans la vie de « George ». La scène se passe au Palais-Royal, dans le célèbre restaurant des Frères Provençaux où le jeune Musset est en train de souper en compagnie de Victor Hugo. À la table voisine, deux personnages prennent place : l’un est Sainte-Beuve et l’autre un jeune homme sanglé dans une redingote prune et des pantalons gris clair. Une haute cravate de satin noir sur une chemise finement plissée, un chapeau haut de forme cavalièrement planté sur une masse de cheveux noirs enfermée dans une résille, une badine au bout des doigts, un cigare aux lèvres. En vérité Aurore, car c’est elle, pourrait passer pour un garçon, n’était peut-être certain moelleux dans les formes. Mais tel est le personnage de George Sand.
Quelques jours plus tôt, elle a refusé à Sainte-Beuve le plaisir de se laisser présenter Musset qu’elle trouve « trop dandy ». Cette fois, elle accepte et même elle invite le poète à lui rendre visite. Victor Hugo a souri et l’on se prend à rêver en imaginant cette table autour de laquelle le romantisme tout entier est réuni. Il n’y manque que la musique mais elle ne tardera guère, et la peinture qui viendra à son tour car Delacroix, un jour, sera des visiteurs de Nohant. Dans les premiers jours de juillet, Musset écrit :
« Mon cher George, j’ai quelque chose de bête et de ridicule à vous dire. Je vous l’écris sottement au lieu de vous l’avoir dit, je ne sais pourquoi, en rentrant de cette promenade. Je suis amoureux de vous. Je le suis depuis le premier jour où j’ai été chez vous. »
Amour tout de suite payé de retour mais amour incroyablement juvénile. Les deux amants ne cessent de faire des farces et s’amusent comme des collégiens. Leur fantaisie les conduit bientôt à Venise, à l’hôtel Danieli où, en arrivant, George prend froid et tombe malade. Un séduisant Italien la soigne : le docteur Pagello. Trop séduisant. Tandis qu’Alfred se conduit en touriste, George prend plaisir à la compagnie de son médecin et quand, à son tour, le poète tombe malade, il est soigné, veillé non plus par sa maîtresse mais par un couple d’amants.
Quand il s’en aperçoit, c’est le drame : cris, pleurs, menaces et finalement départ désespéré pour Paris où George le suit bientôt traînant après elle Pagello un peu désorienté.
Un invraisemblable ménage à trois s’organise mais qui ne dure guère. L’amour de Musset s’est changé en haine et Pagello brûle de revoir ses lagunes. On se sépare. George va s’enfermer à Nohant pour reprendre ses esprits dans le calme de la campagne berrichonne. La page Musset est tournée. Une autre va bientôt s’ouvrir.
C’est chez la comtesse Marliani, rue Taitbout, qu’un soir de l’hiver 1837 George rencontre Frédéric Chopin qui est la coqueluche de Paris. Vingt-quatre ans, petit, fluet, mince avec un nez arrogant d’oiseau de proie et des yeux sombres de biche aux abois, il a un visage pâle qu’encadrent de longs cheveux plats. Chopin trouve George antipathique mais, en regagnant son Nohant – elle n’est que de passage à Paris –, George, qui vient d’achever Mauprat et qui prépare Les Compagnons du Tour de France, emporte avec elle l’image du pianiste de Varsovie. Il éveille en elle le désir normal d’une jeune femme mais aussi l’instinct maternel, et son plus récent amant, le socialiste Pierre Leroux, commence à disparaître dans un léger brouillard.
Pour conquérir Chopin, George devra faire appel à toutes ses armes. Deux fois, trois fois, dix fois elle revient à Paris et finit par remporter la victoire. La liaison du pianiste et de la romancière commence en 1838 par le désastreux séjour aux Baléares où George entraîne Chopin. En effet, le jeune homme tousse énormément et, pour le soigner, George pense, comme tous ceux de son époque, qu’il lui faut le soleil, la chaleur.
Majorque n’arrange rien et moins encore le séjour à la Chartreuse de Valdemosa, pleine de courants d’air et humide comme il n’est pas permis. Chopin tombe si malade que George comprend enfin qu’il faut rentrer en France si elle ne veut pas enterrer son ami sur place.
Pour George, la France, cela signifie Nohant et tout ce que cela comporte : la splendeur de la campagne berrichonne, le frais printemps, l’air pur, la saine nourriture, bien meilleure que les ratatouilles espagnoles. Et, de fait, à Nohant, Chopin se porte mieux : sa poitrine si tragiquement creuse se regonfle un peu, son dos se redresse, il tousse moins. Pendant sept ans, le scénario se reproduit : à Paris, l’hiver, le musicien brûle ses forces dans la vie mondaine qu’il aime et, chaque été, Nohant le remet d’aplomb.
La vie y est aimable. On y voit Delacroix, Pauline Viardot, sœur de la Malibran, qui chante presque aussi bien qu’elle. Il y a Théophile Gautier. On fait du théâtre ; on s’amuse. George écrit éperdument, passionnément, mais peu à peu les choses se gâtent entre Chopin et la maîtresse de céans. La romancière est revenue à ses idées socialistes et certaine rudesse de langage, certaine grossièreté hérissent Chopin. Il lui en veut d’avoir dû se brouiller, au cours d’une dispute de femmes, avec son ami Franz Liszt qui venait, lui aussi, avec son amie Marie d’Agoult. Chopin s’éloigne, revient, repart.
« Il voulait toujours Nohant et ne supportait jamais Nohant », disait George, lucide. En fait, la santé insolente de George irritait celui qu’elle appelait, sans trop de délicatesse, son « cher cadavre ». En 1847, c’est la rupture. Deux ans après, le 17 octobre 1849, Chopin meurt à Paris. George à présent est une femme mûre. Elle est devenue « la bonne dame de Nohant ». Celle qui va y écrire le meilleur de ses œuvres.
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http://maison-george-sand.monuments-nationaux.fr/
1- Voir Chambord.