Saverne Les protagonistes de l’affaire du Collier

L’aventurier, comme l’artiste, n’appartient à aucune classe. Il s’accommode aussi bien du sans gêne d’un rustre que de l’étiquette des cours.

Somerset MAUGHAM

Résidence d’été, depuis le XIIIe siècle, des princes-évêques de Strasbourg, le château de Saverne a connu toutes sortes d’avatars. Passant successivement de l’état de château fort à celui de manoir Renaissance, il parvint enfin, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, à une légère ressemblance avec ce Versailles qui attirait si fort les regards et les désirs de tous les princes d’Europe.

Agrandi et embelli par le cardinal de Fürstenberg, il fut achevé vers les années 1720 sous la houlette – peut-être vaudrait-il mieux dire la crosse ? – du cardinal Armand-Gaston de Rohan qui le dota d’un magnifique parc et d’une décoration intérieure véritablement princière due tout entière à l’habileté de Robert de Cotte. Cette superbe installation permit au cardinal de recevoir sans rougir et même avec une hospitalité quasi royale la princesse polonaise Marie Leczinska que, dans sa cathédrale de Strasbourg, il venait d’unir par procuration au roi Louis XV.

La jeune princesse, qui était d’une extrême pauvreté et vivait chichement avec ses parents jusqu’à ce que le choix royal tombe sur elle, admira beaucoup le palais mais s’intéressa surtout aux pauvres de Saverne qu’elle réclama avec une douce insistance. Le cardinal Armand-Gaston n’en tira pas moins une gloire extrême d’avoir été le premier à recevoir la nouvelle reine de France.

Près de cinquante années plus tard, il y a toujours un cardinal de Rohan à Saverne mais ce n’est naturellement plus le même. Il s’agit cette fois de son neveu, le cardinal Louis-René qui, en tant que son coadjuteur, avait eu, en 1770, le privilège de recevoir, en lieu et place du vieillard, l’archiduchesse Marie-Antoinette qui s’en venait épouser le futur Louis XVI.

Autant le cardinal Armand-Gaston a été un prélat de l’ancienne école, autant le neveu se veut moderne et, à tout prendre, aussi peu ecclésiastique que possible. Bel homme, peu dévot mais très mondain, cultivé, intelligent – Voltaire qui l’a connu s’est vigoureusement inscrit en faux contre la légende qui fait de lui une sorte de benêt doublé d’un attardé mental –, fin diplomate, il aime avec passion la chasse, les arts, les lettres et plus encore les jolies femmes. Très généreux d’ailleurs il n’en cache pas moins, sous un fort grand air, une faiblesse de caractère qui le mènera à sa perte lors de la fameuse affaire du collier de la reine.

Ambassadeur de France en Autriche, en 1772, il n’y a guère réussi. L’impératrice Marie-Thérèse n’appréciait pas ce prélat-ambassadeur dont les mœurs frivoles et le goût du monde choquaient sa piété austère. Les lettres qu’elle écrivait à ce sujet à sa fille Marie-Antoinette, devenue dauphine de France, s’en ressentaient. Il n’y était question que de « ce mauvais sujet », de ce « panier percé », de cet « esprit incorrigible » et, peu à peu dans l’esprit de la jeune princesse, l’image aimable du jeune prélat qui l’avait gracieusement accueillie à Strasbourg s’est brouillée et ternie jusqu’à devenir parfaitement haïssable. Une lettre, vraie ou fausse, lue chez Mme du Barry et dans laquelle l’ambassadeur tournait l’impératrice en ridicule à propos du second partage de la Pologne, finit par faire de Marie-Antoinette l’ennemie irréductible du cardinal. C’est pis encore lorsqu’elle est devenue reine. À ce moment, Louis-René est rappelé en France et, même s’il reçoit le titre de Grand Aumônier de France, il n’en demeure pas moins dans une demi-disgrâce qu’il supporte mal. En effet, il aime avec passion celle qui le déteste et cela depuis le jour de Strasbourg.

Il vit donc le plus souvent à Strasbourg et surtout à Saverne. Hélas ! dans la nuit du 8 septembre 1779, un énorme incendie éclate qui ravage une grande partie du château : le prince-évêque doit fuir ses appartements en chemise de nuit. Mais, dès le lendemain, ou presque, il décide la reconstruction. Et même un nouvel agrandissement. Un jeune architecte de vingt-cinq ans, Salins de Montfort, est chargé de l’ouvrage.

Comme la partie la plus ancienne a pu être sauvée, le cardinal séjourne souvent à Saverne durant la belle saison pour profiter du site, surveiller ses travaux – qui lui coûtent une fortune – et recevoir ses amis.

Au nombre de ceux-ci la marquise de Boulainvilliers, femme de l’ancien prévôt de Paris. Fille d’un richissime financier, la marquise qui est déjà âgée souffre de graves douleurs rhumatismales, et elle est venue, en ce début d’été 1781, consulter à Strasbourg l’homme dont on parle le plus dans toute l’Europe : le mage, le guérisseur Cagliostro dont on vante les cures miraculeuses. Cagliostro qui a guéri le cardinal de Rohan d’un asthme tenace et qui depuis se voit au nombre de ses familiers.

Or, quelques années plus tôt, Mme de Boulainvilliers avait recueilli, sur le bord d’une route, une petite mendiante, très jolie, très fine qui se disait descendante du roi Henri II et qui l’était vraiment. Jeanne de Saint-Remy de Valois tenait effectivement, par son ancêtre Henri de Saint-Remy, fils bâtard de Henri II et de Nicole de Savigny, au sang royal de France et ne perdait pas une occasion de s’en faire gloire.

Mariée en 1780 à un gendarme de la compagnie des Bourguignons, Nicolas de La Motte, la nouvelle « comtesse de La Motte-Valois » – elle s’était titrée elle-même – était une intrigante-née mais elle plaisait aux hommes envers lesquels, d’ailleurs, elle se montrait peu farouche. C’est ainsi que, peu de temps après son mariage, elle était devenue la maîtresse d’un camarade d’enfance de son époux, un certain Rétaux de Villette qui semblait posséder tous les talents. Au nombre de ceux-ci, un talent d’écrivain certain et une facilité pour le dessin qui promettait une belle carrière de faussaire.

Le « comte » n’étant pas d’un naturel jaloux, c’est un fort agréable ménage à trois qui, en ce même début d’été 1781, prend le chemin de Strasbourg. Non pour y faire du tourisme mais bien pour y retrouver l’excellente Mme de Boulainvilliers dont on espère une aide financière. Car de plus impécunieux que le trio ne se peut rencontrer.

Heureuse de revoir sa protégée qu’elle a perdue de vue depuis pas mal de temps, la marquise accueille du même coup les deux hommes qui l’escortent et présente le tout au cardinal de Rohan dont l’accueil est des plus flatteurs.

Jeanne est en effet trop jolie pour ne pas éveiller l’intérêt de l’impénitent chasseur de femmes qu’est le cardinal. Elle a beaucoup de grâce aussi et laisse deviner un tempérament agréable. Enfin, il y a ce nom prestigieux de Valois qu’elle étale sans vergogne sous le nez du malheureux disgracié : quand elle parle de la reine, elle dit tout uniment « ma cousine » et c’est là une formule magique. C’est ainsi qu’un soir de l’été 1781 se sont trouvés réunis dans ce qui restait de Saverne ceux qui allaient, quatre ans plus tard, ébranler le trône de France, souiller l’honneur d’une reine, envoyer un prince de l’Église à la Bastille sous l’inculpation de vol et de lèse-majesté et déchaîner ce qui a peut-être été le plus affreux scandale de l’histoire de France.

Que Mme de La Motte ait eu « des bontés » pour le cardinal ne fait aucun doute mais, surtout, la fine mouche eut tôt fait de percer à jour le secret de cet homme qu’elle croyait fabuleusement riche – et qui, sous une façade somptueuse, ne l’était plus guère. Ce ne fut pas difficile : il suffit de prier Rohan, Grand Aumônier de France, d’ouvrir devant elle les portes de Versailles. Il fallut bien qu’il avouât son impuissance et racontât sa triste histoire dans laquelle Jeanne eut vite fait de découvrir la vérité. Dès lors le crédule amoureux était tout entier dans sa main.

On sait comment, après avoir fait croire au cardinal qu’elle était reçue dans l’intimité de la reine, avoir organisé dans le parc de Versailles une rencontre avec un sosie de Marie-Antoinette et avoir couvert le malheureux de fausses lettres de la reine écrites, depuis A jusqu’à Z, par l’industrieux Rétaux de Villette, Jeanne finit par lui faire acheter, toujours pour la reine, le somptueux collier de diamants que Louis XV n’avait pas eu le temps d’offrir à Mme du Barry.

Le résultat est tout aussi connu : le 15 août 1785, dans la galerie des Glaces à Versailles, le Grand Aumônier de France, qui, revêtu de ses habits pontificaux, s’apprêtait à célébrer la messe de l’Assomption, était arrêté par le capitaine des gardes du corps et conduit à la Bastille comme un simple filou. Le cardinal ne devait jamais revoir Saverne.

De la Bastille il dut gagner son abbaye de La Chaise-Dieu pour y subir l’exil que lui imposait le roi, mais la Révolution le chassa plus loin encore : outre-Rhin, à Ettenheim où il mourut et où son tombeau s’érige dans une église aux murs roses.

La Révolution respecta le château qui avait retrouvé son aspect primitif. Ce fut l’Empire qui le voua au désastre dans les meilleures intentions du monde : Napoléon en avait fait don à la Légion d’honneur qui s’en soucia peu et le laissa mettre à sac.

Ce fut Napoléon III qui, finalement, restaura Saverne. Qui d’ailleurs n’en avait pas fini avec les tribulations car les guerres franco-allemandes le reconvertirent en caserne. Il lui fallut attendre qu’une municipalité intelligente lui restitue une grandeur et des fonctions dignes d’un passé, malgré tout, prestigieux.


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