Meung-sur-Loire Le sourire de Bertrade, les larmes de Villon…

Mais où sont les neiges d’antan ?…

François VILLON

Le grand Alexandre Dumas n’a eu besoin que de quelques pages pour immortaliser la petite ville de Meung-sur-Loire et la faire connaître aux quatre coins du monde. Qui ne connaît l’histoire ? Sous le règne du roi Louis XIII, un jeune Gascon venu du bout de la France fait son entrée dans Meung en curieux équipage : « Car notre jeune homme avait une monture et cette monture était même si remarquable qu’elle fut remarquée ; c’était un bidet du Béarn âgé de douze à quatorze ans, jaune de robe, sans crins à la queue. L’apparition dudit bidet à Meung où il était entré, il y avait un quart d’heure à peu près par la porte de Beaugency, produisit une sensation dont la défaveur rejaillit jusqu’à son cavalier… »

Le jeune homme s’appelle d’Artagnan, le passage cité se trouve à la seconde page des Trois Mousquetaires, peut-être le plus célèbre de tous les romans, et Meung se trouve ainsi être la ville par laquelle d’Artagnan est entré dans l’Histoire et dans la mémoire des lecteurs du monde entier. Il ne lui reste plus qu’à rejoindre Athos, Porthos et Aramis pour chevaucher et ferrailler avec eux jusqu’à la fin des temps. Mais, fort heureusement pour elle, l’aimable cité des bords de la Loire n’avait pas attendu Alexandre Dumas pour faire, d’elle-même, son entrée dans l’histoire de France.

Son origine remonte à l’époque gallo-romaine où elle porte le nom de Magdunum qui signifie « ville sur un lieu élevé ». Et comme tous les lieux élevés, elle est couronnée d’un poste de garde que l’on peut décorer du nom de château. Un premier château qui ne résistera pas aux Vandales. Les ruines tenteront par la suite un saint homme, Liphard, qui y installera une sorte de monastère. C’est là qu’il mourra, c’est là qu’on l’enterrera et, autour de son tombeau, va s’édifier une ville défendue par une forteresse monastique qui aura elle aussi des malheurs, par le fait des Normands. On en sera quitte pour reconstruire une fois la terrible vague passée. Et, en l’an 1090, le modeste château de Meung est le théâtre d’une grande scène d’amour en forme de prologue à une nouvelle guerre de Troie.

À cette époque, la dynastie capétienne, fraîchement née, a pour représentant un souverain d’un type nettement exotique : le roi Philippe Ier. Fils d’Henri Ier et d’une princesse russe, Anne de Kiev (la seule Russe qui eût jamais régné sur la France), il tient de sa mère, une affolante sirène blonde venue du fond des steppes avec un train digne des Mille et Une Nuits, une extrême beauté, un tempérament volcanique et ce prénom de Philippe au parfum byzantin et parfaitement inusité en France. Sans oublier, bien entendu, le charme slave. Un charme qui plonge dans la mélancolie nombre de femmes du royaume. Au nombre desquelles se trouve la très belle comtesse d’Anjou, Bertrade de Montfort.

Bertrade, en dépit de sa beauté, est mal mariée. Son époux, Foulques d’Anjou, est tout ce que l’on veut sauf un homme agréable. D’ailleurs, ses sujets, qui s’y connaissent, l’ont surnommé le Réchin, autrement dit le grognon. Et, avec lui, ce totem serait plutôt un euphémisme. En effet, coupable d’avoir trucidé son propre frère, le Réchin a déjà usé trois épouses : Hildegarde de Beaugency, morte d’une raclée un peu trop copieuse, Hennengarde de Bourbon et Arengarde de Castillon qui sont encore en vie mais méditent, au fond de deux bons couvents, sur les inconvénients que l’on éprouve lorsque l’on cesse de plaire. Or, Bertrade est fière et refuse l’idée d’être un jour privée de sa couronne par un caprice masculin, et cela en dépit de sa beauté et du fils qu’elle a eu l’habileté de donner à son époux. En outre, elle a entendu vanter le charme du roi de France et elle pense que cet homme-là lui conviendrait beaucoup mieux. Aussi, sans balancer davantage, lui écrit-elle une lettre qui pourrait se résumer ainsi : « Je suis mal mariée et malheureuse en amour car, sans vous avoir jamais vu, je vous aime et j’ai juré de n’appartenir à un autre homme que vous. »

Ce sont de ces mots qui frappent l’imagination quand on est amateur de jolies femmes, même quand on est marié. Car Philippe aussi est marié. À l’âge de quinze ans – il en a alors trente-sept – on l’a marié à une Hollandaise ronde et rose, Berthe de Hollande, qui, avec les années et les maternités, est devenue obèse et couperosée : c’est dire que le sentiment de ce que l’on doit à une épouse ne l’encombre pas. Et Philippe d’annoncer son intention de rendre à son « féal comte d’Anjou » une visite d’amitié.

Quand il arrive à Tours où le rendez-vous est fixé, c’est le double coup de foudre. Dès le premier instant, le géant blond s’assure le cœur de la brune et ardente comtesse qui, de son côté, déchaîne chez le roi une de ces passions dévorantes comme on n’en rencontre pas deux dans la vie… Et l’on assure que, dès le lendemain, Bertrade déclare à Philippe qu’elle est prête à se laisser enlever. Ce à quoi le roi répond : « Quand vous voudrez ! » Et cela ne va pas traîner. Moyennant bien sûr une honnête dose de dissimulation et d’hypocrisie.

En effet, tandis que, dans l’église Saint-Jean, Philippe inaugure les fonts baptismaux en jurant à son hôte une éternelle amitié, Bertrade prépare discrètement ses bagages. Puis, la visite terminée, le roi prend courtoisement congé des Angevins pour regagner sa ville royale d’Orléans, où il tient sa cour. Bertrade le regarde partir le sourire aux lèvres : elle sait bien qu’elle le reverra avant peu. Et, en effet, le lendemain, prétextant une visite pieuse à un moûtier des environs, la belle comtesse se dirige vers un certain pont du Beuvron où Philippe a dû laisser une troupe destinée à simuler un enlèvement. Qui réussit en tout point, et c’est triomphalement que l’on ramène Bertrade à Meung où l’attend Philippe. C’est là qu’ils vont vivre leur première nuit d’amour, une nuit d’amour dont on prétend qu’elle fut fabuleuse…

La nuit de Meung marque le début d’une passion qui jamais ne se démentira et que rien ne pourra abattre, ni la guerre que déchaîne aussitôt le Ménélas grincheux de cette nouvelle Hélène, ni les foudres de l’Église maniées par le pape Urbain II qui ira jusqu’à frapper le royaume d’interdit, ni les menées plus ou moins sourdes de Louis et de Constance, les enfants laissés par Berthe de Hollande. Seule la mort séparera Philippe de Bertrade. C’est lui qui part le premier et Bertrade, tandis que son beau-fils devient le roi Louis VI, s’en va finir sa vie et attendre que la mort la réunisse à son amour dans le couvent des Hautes-Bruyères.

En 1101, ce même Louis VI, surnommé le Gros, s’en vient mettre le siège devant le château de Meung dont le maître, Lionet, s’est révolté contre son suzerain l’évêque d’Orléans. Lionet et ses hommes se réfugient dans le donjon auquel le roi ordonne que l’on mette le feu. Pour échapper aux flammes, les enfermés sautent du haut de la tour… pour venir s’empaler sur les lances que l’on a plantées en terre afin de les recevoir…

Le château, cependant, devient au fil des années une puissante forteresse. D’abord habité par la famille de Meung dont le dernier représentant, Jean, sera le célèbre coauteur du Roman de la Rose, il devient résidence d’été des évêques d’Orléans. Leur prison favorite aussi car souterrains, basses-fosses et oubliettes y sont impressionnants. Toutes choses dont l’Anglais envahisseur découvrira la valeur. En 1361, c’est Hughes de Calverly, le fameux capitaine anglais, qui occupe le château avec ses Anglo-Navarrais, puis, dans les débuts du XVe siècle, Français et Anglais se succèdent à Meung selon que ville et château sont pris ou repris. Et c’est avec quelque surprise que, parmi ses occupants, on découvre qu’un certain sire de Gaule en a proprement chassé l’ennemi en 1418…

Malheureusement, en 1425, le comte de Salisbury reprend ce qu’il considère comme son dû et s’installe à Meung après en avoir fait pendre les défenseurs. Il n’y restera pas longtemps car, déjà, la bataille pour Orléans fait rage et il en est l’une des chevilles ouvrières. Mais le destin l’y attend : « Regardant la bataille d’une fenêtre du fort (des Tourelles) enlevé, un boulet de canon le frappa à la tête. Il fut transporté blessé au château de Meung et mourut le 27 octobre 1428 puis fut enterré dans le parc. De la fenêtre de sa chambre, au château, il pouvait voir la basilique de Cléry qu’il avait pillée quelques semaines auparavant… » Ce fut le fameux Talbot qui le remplaça…

Moins d’un an plus tard, Jeanne d’Arc nettoiera Meung de ses occupants anglais, qui jamais ne reviendront. Les évêques d’Orléans vont pouvoir jouir à nouveau de l’agrément de leur beau château. De même, leurs prisonniers – tel le boiteux Orgemont qui y mourra – pourront constater que les cachots n’ont rien perdu de leur dramatique efficacité.

Ce sera le triste privilège de François Villon en 1461…

Le poète a dû fuir Paris à la suite du cambriolage du collège de Navarre auquel il a participé, et il a gagné la campagne où il vit de rapines et de petit brigandage. Il n’en fallait pas plus pour tomber sous la patte des sergents de l’évêque d’Orléans, Thibaut d’Aussigny. Une patte singulièrement lourde qui mène le malheureux dans la basse-fosse de Meung que l’on peut encore voir de nos jours. Une fosse percée, en son centre, d’un puits profond… C’est là que Villon écrit la fameuse Épître à mes amis :

Ayez pitié, ayez pitié de moi,

À tout le moins, s’il vous plaît, mes amis !

En fosse gis, non pas sous houx ne mai,

En cet exil auquel je suis transmis

Par fortune comme Dieu l’a permis.

Fille aimant jeunes gens et nouveaux

Danseurs, sauteurs, faisant les pieds de veaux,

Vifs comme dards, aigus comme aiguillon,

Gousiers tintant clair comme cascaveaux,

Le laisserez là, le pauvre Villon ?…

Le roi Louis XI, dont il chantait l’avènement, l’en tira, en piètre état car les bourreaux de l’évêque l’avaient un peu malmené. Mais c’était la liberté que le moineau de Paris retrouvait et, même escortée par la misère, cette liberté était sans prix…

Le château de Meung demeura en la possession des évêques jusqu’à la Révolution avec des fortunes diverses. Ainsi, au XVIIIe siècle, la demeure féodale avait reculé devant un joli château tel qu’en savait concevoir l’époque… un château aux murs roses.

Sous la houlette du nouveau propriétaire, Xavier Lelevé, de grands travaux de restauration furent entrepris pour embellir le château et ses 131 pièces. Vingt pièces sont aujourd’hui entièrement meublées et ouvertes à la visite.


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