Vaux-le-Vicomte D’une fête mortelle à un duc meurtrier

Vous dont il a rendu la demeure si belle

Nymphes qui lui devez vos plus charmants appas

Si le long de vos bords, Louis porte ses pas

Tâchez de l’adoucir, fléchissez son courage.

Jean de LA FONTAINE

Quand, en 1641, Nicolas Fouquet, alors âgé de vingt-six ans et conseiller au Parlement, achète la vicomté de Vaux – un domaine de quelque six mille hectares ! – personne ne songe à s’en étonner. La terre et le titre qui s’y attache marquent le point ultime, le couronnement d’une puissante fortune familiale. À cette époque, Fouquet vient tout juste d’hériter de son père, ex-armateur nantais, conseiller d’État, maître des requêtes et ancien ambassadeur en Suisse. En outre, coseigneur de l’île d’Orléans et de Beaupré, en pays canadien, car il était de ceux qui croyaient à l’avenir de l’immense terre d’outre-Atlantique.

Vaux représente un excellent investissement pour un si bel héritage et le jeune Nicolas espère bien, quand le temps en sera venu, en faire le symbole d’une réussite qu’il veut éclatante. Il est déjà l’un des jeunes magistrats les plus en vue, tant par sa position que par son charme. Peu d’hommes en effet ont été aussi séduisants.

Cette ascension prend un tour définitif le jour où Fouquet devient l’ami du cardinal Mazarin. Le ministre a vite fait de démêler les qualités d’homme d’affaires du jeune magistrat. L’énorme fortune de l’un et de l’autre va sortir de cette association et, dès lors, tous les espoirs sont permis à Nicolas Fouquet.

D’abord munitionnaire des armées, il devient ministre d’État en 1653, puis surintendant des Finances, de compte à demi avec Servien dans la même année. Il le sera seul six ans plus tard. En même temps, comme son père, il s’intéresse de près au commerce avec l’autre côté de l’Atlantique et commence à donner une grande extension aux échanges avec les Îles. Enfin, son mariage avec Marie-Madeleine de Castille lui a apporté une dot non négligeable.

Ainsi assuré de sa fortune, Nicolas Fouquet entreprend d’en ériger, à Vaux, le superbe symbole et, en 1656, la construction du château qui causera sa perte commence. Construction accélérée si l’on considère le fait qu’elle ne durera que trois ans.

Pour étendre au soleil la splendeur de Vaux, Fouquet achète et fait raser trois villages. Pendant des mois, des milliers d’ouvriers (dix-huit mille) vont tailler la forêt, discipliner la nature, domestiquer les eaux qu’emprisonne un extraordinaire système hydraulique. Les jardins sont dessinés par un jeune inconnu, Le Nôtre. Quant au château – on pourrait même dire le palais –, deux autres inconnus l’ont en charge, l’architecte Le Vau et le peintre Le Brun qui s’occupe des intérieurs. Les plafonds de ce dernier glorifient l’écureuil, emblème de Fouquet, et son insolente devise Quo non ascendam ? (Jusqu’où ne monterai-je pas ?).

Continuellement, Fouquet accourt de son domaine de Saint-Mandé pour surveiller les travaux de ce qu’il appelle modestement sa « maison des champs ». Il y amène parfois sa femme mais plus souvent peut-être ses belles amies, la marquise de Sévigné et Mlle de Scudéry et, surtout, sa maîtresse préférée, la marquise du Plessis-Bellière.

Le château terminé, on y donne quelques fêtes. En l’honneur de Mazarin qui est en route pour l’Espagne où il va négocier le mariage du roi, du roi d’Angleterre et de quelques autres. Mais en 1661, Mazarin meurt. Fouquet, dont les espoirs se tournent à présent vers le poste de Premier ministre, ignore qu’au cours d’un ultime entretien avec le jeune roi Louis XIV, le cardinal l’a non seulement abandonné mais qu’il a recommandé au roi son intendant, un homme précieux entre tous qui se nomme Colbert… et qui déteste farouchement Fouquet. Le surintendant va s’apercevoir assez vite d’un net refroidissement mais il ne comprend pas encore à quel point son insolente fortune fait scandale. On parle surtout des merveilles de Vaux et, en août 1661, le roi manifeste l’intention d’y faire visite.

La sagesse voudrait sans doute que Fouquet mît une sourdine à son luxe. Or, au contraire, il en rajoute. Pour la réception royale il fait réunir tous ses trésors : les six mille assiettes et les cinq cents plats d’argent massif et, pour la table du roi, les cinq cents assiettes et les innombrables coupes, hanaps et surtouts d’or pur. Il réunit sa cour d’écrivains et de poètes. Tous inconnus jusque-là : Molière, La Fontaine, Lulli… Partout, par brassées, les fleurs les plus rares sont remplacées à peine fanées. Un théâtre tout neuf, construit dans les jardins, des jeux d’eaux.

Hélas, tout cela n’arrache même pas un sourire au jeune roi. Au contraire, sa mine paraît s’assombrir à mesure que la fête se déroule. C’est qu’au fond de sa mémoire se lèvent les images, beaucoup moins brillantes, de ses propres demeures : le vieux Louvre humide et décrépit, pauvre de meubles. Les Tuileries inhabitées, le désert inhospitalier du château de Saint-Germain où, au temps de la Fronde, il a dû s’enfuir pour échapper à Paris, révolté, et coucher sur la paille. S’y joignent les souvenirs de draps percés, de costumes trop courts, d’une misère royale mal couverte par le manteau fleurdelisé, une misère grâce à laquelle Mazarin pouvait édifier sa fortune, à l’ombre de laquelle s’édifiait celle de Fouquet.

Mais Mazarin, mourant, a institué le roi son héritier, mettant ainsi sa famille à l’abri tandis qu’à Vaux, en face d’une prodigalité qui écrase sa propre obscurité, en face de ce palais rayonnant qui minimise ses résidences, la colère du jeune roi monte peu à peu. Il sait, il veut bâtir un nouveau siècle, il veut que son règne soit grand. Il n’accepte pas l’ombre humiliante dans laquelle Fouquet le rejette. On lui a trop dit que les caisses de l’État sont vides pour qu’il admette une telle fortune chez un serviteur. Le sentiment n’est peut-être pas très beau, il n’en est pas moins humain.

En outre, voulant se faire bien voir, Fouquet a fait des « offres de service » à la jeune Louise de La Vallière pour laquelle il semble que le roi ait un penchant très vif. C’est la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà plein.

Louis XIV ne couchera qu’une nuit dans la chambre somptueuse préparée pour lui. Il repart le lendemain sans un mot de remerciement. Trois semaines plus tard, à Nantes où il a rejoint le roi pour assister aux États de Bretagne – il a acheté et fait fortifier Belle-Isle pour son usage –, Fouquet est arrêté par un capitaine de mousquetaires fort illustre, d’Artagnan. Une voiture fermée l’emmène sur-le-champ à Angers.

Le procès qui s’ouvrit à l’Arsenal, le 4 mars 1662, sous la présidence de Lamoignon, devait durer jusqu’au 20 décembre 1664. Il fut l’un des plus houleux et des plus curieux de l’Histoire. Il était peut-être difficile de s’y retrouver dans les comptes un peu embrouillés de Fouquet mais il est certain que la haine y eut sa large place et qu’en toute justice le surintendant n’avait pas trouvé sa fortune dans les seules caisses de l’État. Mazarin s’était servi beaucoup plus que lui.

La sentence n’en fut pas moins sévère : la prison à vie dans la forteresse de Pignerol en Piémont où d’Artagnan conduisit un prisonnier qu’il n’avait pratiquement jamais quitté. La famille fut dépouillée. Les scellés furent mis à Vaux et l’on aimerait, pour la beauté de l’histoire, que le roi ne se soit pas attribué une large part des dépouilles du vaincu. Heureusement, on ne toucha pas à la fortune de Mme Fouquet et, quelques années plus tard, elle put racheter Vaux. Mais, après la mort de son fils, elle le vendit au maréchal de Villars qui l’acheta sans même l’avoir vu et fut un peu affolé de son acquisition.

« La mariée est trop belle, déclara-t-il, et elle coûte cher. Trop de cascades et de fontaines ! »

Néanmoins il allait, pour sa jeune et jolie femme, remeubler le château vide et y installer de grands tableaux représentant ses victoires. Peut-être pour impressionner cette jeune épouse qui le trompait abondamment. Le roi Louis XV vint un jour à Vaux mais ne fit pas arrêter le maréchal trois semaines plus tard. En 1763, l’héritier du héros vendait Vaux à César-Gabriel de Choiseul-Praslin, alors ministre de la Marine, qui, après la disgrâce de son cousin Choiseul, allait y vivre son propre exil.

C’est l’un de ses descendants, le duc Théobald, qui, sous Louis-Philippe – le château avait de justesse échappé aux démolisseurs de la Terreur –, chargea Visconti de restaurer les appartements. Il n’aura pas le temps d’achever son œuvre.

Marié à Fanny Sebastiani, fille du maréchal compagnon de l’Empereur, le duc en a eu neuf enfants. Mais la naissance des deux derniers a ébranlé sérieusement la santé de la duchesse atteinte d’obésité et de varices qui ont causé deux phlébites. Le caractère corse ajouté à cela en a fait une compagne difficile et dolente. Une gouvernante a été jugée obligatoire pour s’occuper des enfants et peut-être aucun drame ne serait-il intervenu si une certaine Henriette Deluzy-Desportes n’avait fait, le 1er mars 1841, son entrée dans le somptueux hôtel du faubourg Saint-Honoré, résidence parisienne des Praslin.

De cette Henriette, le duc s’est épris avec une telle passion qu’il lui devient bientôt indispensable de se séparer de sa femme. Le 17 août 1847, après une scène terrible au cours de laquelle Théobald a vainement supplié sa femme de reprendre Henriette chassée par elle, la duchesse est assassinée dans sa chambre de trente coups de poignard. La culpabilité du mari étant évidente, le duc fut arrêté, enfermé au Luxembourg où, le 24 août, il s’empoisonnait pour éviter la guillotine. Vaux retomba au silence, presque à l’abandon jusqu’à ce qu’en 1875 Alfred Sommier, propriétaire de grandes raffineries sucrières, le rachète et lui redonne, avec le talent d’un grand mécène, son aspect d’autrefois, celui que nous pouvons désormais contempler.

Le domaine est aujourd’hui la propriété du comte Patrice de Vogüé qui le reçut en 1967 en cadeau de noces de son père, neveu d’Edme Sommier mort sans postérité.


HORAIRES D’OUVERTURE

Du 17 mars au 11 novembre 10 h-18 h

Château ouvert pendant les vacances de Noël.

Les samedis du 7 mai au 8 octobre, dès le soir venu, plus de 2 000 chandelles sont allumées dans l’enceinte du château et du jardin.

http://www.vaux-le-vicomte.com/

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